1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


5

L’économisme et la théorie de l'état

Une révolution bien gênante

L'action contre-révolutionnaire « militaro-bureaucratique » du Kremlin avait, dès l'origine, imprimé de telles tares à ces états ouvriers, elle engendrait de telles distorsions dans leur économie qu'elle semait les germes du soulèvement des travailleurs contre la bureaucratie, de la révolution politique, dont la perspective apparaissait ainsi, d'une certaine façon, comme le prolongement des actions de masse de 1943-1945.

N'ayant pas vu, ou en tout cas pas apprécié à sa juste valeur cette action révolutionnaire des masses des années 1943-1945, la direction de la IV° Internationale attribuait un rôle moteur et finalement révolutionnaire, dans les pays du glacis, à la bureaucratie du Kremlin. De plus, elle considérait " l'assimilation structurelle " comme accomplie, ce qui lui permettait d'identifier l'Europe orientale et l'U.R.S.S., faisant abstraction de toute question nationale.

Notre mouvement était donc désarmé devant les développements de la situation qui n'allaient pas tarder à se produire. Il fut surpris par la montée révolutionnaire, qui s'exprima d'abord, en 1953, en Tchécoslovaquie, puis en Allemagne orientale. Lorsqu'elle se produisit, le « S.I. » pabliste, au lieu de mettre au centre de son activité la lutte pour le droit à disposer d'eux-mêmes des peuples d'Europe orientale, publia une déclaration générale, dont nous avons parlé plus haut, sur la révolution politique, qui omettait les problèmes concrets qu'elle posait dans ces pays, notamment celui du retrait des troupes russes, comme s'il s'était agi de l'U.R.S.S. elle­-même.

Les luttes révolutionnaires des travailleurs d'Europe orientale, culminant avec la révolution hongroise, allaient cependant obliger les pablistes à faire un grand pas à «  gauche  » sur cette question. Dans les thèses intitulées « Déclin et chute du stalinisme », présentées par Germain au « 5° congrès mondial » (1957) et adoptées par celui-ci, on lit :

« 18. - La bureaucratie soviétique avait usurpé le pouvoir sous le drapeau du "socialisme dans un seul pays"; c'est sous le drapeau du véritable internationalisme prolétarien basé sur la stricte égalité entre toutes les nations, que triomphera la révolution politique contre la bureaucratie. La bureaucratie a empoisonné les relations entre les différents Etats ouvriers, ainsi que les relations entre les différentes nationalités à l'intérieur de l'U.R.S.S., par sa brutalité chauvine grand-russe et ses préjugés petits-­bourgeois bornés.
La IV° Internationale condamne la conception stalinienne selon laquelle la subordination des intérêts du prolétariat mondial aux intérêts de la bureaucratie du Kremlin serait le critère de l'internationalisme prolétarien. Elle rejette également la thèse centriste, anti-léniniste, selon laquelle le chauvinisme de la grande nation oppresseuse ne serait condamné qu'au même titre que le nationalisme des petites nationalités opprimées. Tout en levant partout le drapeau de la solidarité internationale des prolétaires, elle distingue entre le chauvinisme grand-russe (et grand-han) inconditionnellement réactionnaire, et le nationalisme des petites nations opprimées par la bureaucratie, qui n'est souvent qu'une déformation de la juste révolte des masses contre l'oppression nationale dont elles furent l'objet et qui ne peut modifier la nature objectivement progressive de leur lutte d'émancipation.
C'est pourquoi la IV° Internationale défend le mot d'ordre des Républiques socialistes soviétiques indépendantes et souveraines de Pologne, de Hongrie, de Tchécoslovaquie, de Yougoslavie, de Roumanie, de Bulgarie, d'Ukraine, de Géorgie, de Lithuanie, de Lettonie et d'Esthonie, tout en préconisant en même temps la confédération, sur un pied de stricte égalité, de tous ces Etats ouvriers, en une ou plusieurs fédérations démocratiques d'Etats ouvriers.
Un Etat ouvrier démocratique éduquera les travailleurs et la jeunesse dans l'esprit du respect total envers la personnalité culturelle de tous les peuples auxquels il assurera un essor illimité. Il combattra sans relâche toute manifestation de chauvinisme, de haine nationale ou raciale, d'antisémitisme, etc. Il s'efforcera d'accroître en toute occasion l'intérêt, la solidarité et la participation consciente des travailleurs de l'Etat ouvrier aux luttes des prolétaires de tous les autres pays du monde. Toute tendance au "repli national", à la subordination des intérêts de la révolution internationale à une défense de l'Etat ouvrier, si important ou progressif qu'il soit, est toujours un signe de déformation bureaucratique. »
(« Quatrième Internationale », numéro spécial décembre 1957, pp. 97-98.)

Ce pas à gauche était en réalité essentiellement formel et déclamatoire. Etaient et demeuraient oubliés (on ne saurait penser à tout) les problèmes concrets soulevés par les luttes révolutionnaires des prolétaires d'Europe orientale et par la révolution politique dans ces pays, ainsi que la manière concrète dont s'y exerce l'oppression de la bureaucratie du Kremlin, à savoir : la présence des troupes de l'armée russe et des multiples organes «  militaro-bureaucratiques  », obstacle essentiel à la révolution politique, question que nous avons déjà abordée plus haut.

En même temps, le point 13 de ces thèses comportait un curieux paragraphe :

« Comme en pratique les frontières entre la classe ennemie et les classes laborieuses ne sont pas nettement tracées; comme de nombreuses conditions objectives peuvent amener l'ennemi de classe à s'appuyer sur les courants les plus conservateurs de ces classes laborieuses, l'avant-garde révolutionnaire peut être amenée parfois devant un choix douloureux : ou bien admettre qu'une situation dangereuse se développe pour l'Etat ouvrier, ou bien employer, pour écarter ce danger, des méthodes qui sapent gravement la confiance des travailleurs dans l'avant-garde et dans leur Etat. Sans vouloir énoncer des vérités absolues ni des dogmes, la IV° Internationale déclare que, sur la base de l'expérience passée, il est absolument clair qu'un Etat ouvrier a constamment à faire face à DEUX DANGERS aussi longtemps que la victoire mondiale du socialisme n'est pas assurée : le retour de la contre-révolution capitaliste et l'affirmation de la dégénérescence bureaucratique. »
(Idem, p. 94.)

Arrêtons-nous un instant :

Ainsi donc, « aussi longtemps que la victoire mondiale du socialisme n'est pas assurée », il y a « deux dangers : le retour de la contre-révolution capitaliste et l'affirmation de la dégénérescence bureaucratique », explique Germain dans ses thèses. Qu'en pense donc Germain dans le rapport qu'il fait pour présenter ses thèses ?

« Répéter en 1953 ce qui avait été vrai en 1933, à savoir que l'U.R.S.S. pouvait connaître soit le rétablissement du capitalisme, soit la victoire de la révolution politique, c'était transformer la théorie trotskyste d'un instrument d'analyse de la réalité en une collection de formules rituelles. C'était refuser de trancher une question qui avait déjà été tranchée pour toute une période historique à Stalingrad, à Belgrade, à Pékin, à Dien Bien Phû et sur le Yalu, où le capitalisme avait reçu des coups tellement puissants que sa restauration à court terme en U.R.S.S. n'était plus du domaine du possible.  »
(Idem, p. 104.)

Qui a raison ? Germain, auteur de thèses ou Germain rapporteur des mêmes thèses ? Question angoissante ! Germain est-il un savant marxiste, aux raisonnements inaccessibles au commun des mortels, ou un funambule politique ?

Continuons à lire la fin de ce même paragraphe du point 13 nous trouverons peut-être une réponse :

« Plus I'Etat est faible, plus la pression ennemie est forte et plus la confiance de la grande majorité des travailleurs ainsi que leur initiative politique font défaut, et plus toute mesure de contrainte exercée contre des parties de la propre classe sape la confiance de celle-ci dans I'Etat et ouvre la porte à la dégénérescence bureaucratique. C'est pourquoi il est du devoir du parti révolutionnaire de se soumettre au verdict démocratique des soviets, même quand ceux-ci commettent des erreurs graves que l'expérience permettra à la masse des travailleurs de reconnaître et de corriger tôt ou tard. C'est seulement dans cet esprit que le principe : TOUT LE POUVOIR AUX SOVIETS, comme base d'organisation de l'Etat ouvrier, prendra tout son sens.
En développant le programme de la révolution politique pour le rétablissement de la démocratie ouvrière dans les Etats ouvriers, la IV° Internationale maintient inébranlablement le principe de la défense de tous les Etats ouvriers contre l'impérialisme. Elle combattra tous les efforts de celui-ci pour exploiter la révolution politique (!) dans ses propres intérêts contre-révolutionnaires. Ces efforts s'accentueront dans la mesure où la révolution politique progressera. Cela rend d'autant plus urgente notre tâche d'explication permanente de notre position traditionnelle en la matière aux masses et aux cadres communistes. »
(Idem, p. 94.)

Quel salmigondis !

Le lecteur comprendra cependant que «  l'impérialisme peut exploiter la révolution politique dans ses propres intérêts en s'appuyant sur les courants les plus conservateurs des classes laborieuses  ». Et que, bien que «  développant le programme de la révolution politique  », «  la IV° Internationale maintient inébranlablement le principe de la défense de TOUS les états ouvriers contre l'impérialisme ».

C'est qu'il y a eu cette très fâcheuse révolution hongroise qui (point 10) « a éclaté dans des conditions beaucoup plus défavorables que celles qui ont permis la victoire (?) de la première étape de la révolution polonaise ». Bien sûr, bien sûr ! «  Ce caractère plus spontané de la révolution en Hongrie a donné une forme prolétarienne classique à ses moyens de lutte et d'organisation... Les interventions militaires soviétiques... ont été des crimes... Mais le caractère essentiellement spontané de l'insurrection du 23 octobre et l'absence d'une direction révolutionnaire... ont permis de libres manifestations de tous les courants de la population, la réapparition de partis petits-bourgeois, voire un début d'activités contre-révolutionnaires qui ont fourni à l'intervention du Kremlin un semblant de justification et un alibi saisi au vol.  » La vie est dure. Nos germano-pablistes sont dans la confusion la plus noire - position inconfortable pour le « brain trust  » de la «  révolution mondiale  ». Mais nous allons le voir, ils sauront se tirer d'affaire.


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