1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


6

Le "Néo-trotskysme" en quête d'un "néo-programme"

Une version "trotskyste" du togliattisme

Il y a les «  idéologues  » directs de l'intégration des syndicats à l'état : les «  sociologues  » théoriciens de la «  nouvelle classe ouvrière  », les partisans de la «  planification démocratique  » ; il y a ceux qui sont contraints par l'impuissance du réformisme à capituler. Le rôle politique des Togliatti consiste à couvrir d'une phraséologie «  socialiste  » la capitulation. Le rôle de P. Frank, Germain et autres consiste à la couvrir d'une phraséologie «  trotskyste  » . Togliatti parle «  des revendications immédiates et des propositions pour une réforme de la structure économique  » ; et il ajoute : «  ... c'est une forme nouvelle et un nouveau moyen de lutte pour le socialisme  » . Ainsi justifie-t-il la participation syndicale à tous les organismes d'intégration à l'état. Frank écrit : «  En raison du retard de la révolution socialiste en Europe et des développements et changements qui se sont produits DANS LES CONDITIONS DE LA CLASSE OUVRIERE (souligné par nous) le point de départ des grandes luttes pour le pouvoir se fera à un niveau plus élevé... C'est en tenant compte de ces changements que nous devons réadapter le Programme de transition dans le sens que nous devons le compléter et formuler ces problèmes nouveaux, ces revendications nouvelles de façon à les lier à la question du pouvoir, en un mot à leur donner le caractère de mots d'ordre de transition.  » Et il ajoute «  Il va de soi que, dans l'état actuel de notre mouvement, alors que nous sommes avant tout un mouvement de cadres politiques, il ne s'agit pas pour nous d'entrer dans le détail des questions soulevées.  » (Article cité, p. 49.)

Superbe ! Pour un « cadre politique », « il va de soi », au contraire qu'il faut donner une formulation très concrète et très précise (ce que Frank appelle détail). Le programme de transition qui contient «  encore tant de choses valables  » n'y manque pas. « Ne pas entrer dans le détail des questions soulevées » n'a qu'un sens, celui de laisser les autres développer librement leur orientation de participation aux organismes d'intégration, en leur fournissant une couverture « théorique trotskyste » . « Pardon ! » s'écriera Frank, dressé sur ses ergots, « j'ai rejeté la planification démocratique » . Voire : il écrit qu'il y a une «  différence qualitative entre la planification dans un régime où le pouvoir capitaliste a été aboli et la planification dans un régime capitaliste  » . Oui mais, quantitativement, n'y aurait-il pas, dans la «  planification démocratique  », certaines «  réformes de structure  » dignes d'un programme de transition «  new-look  » ? Et quand bien même Frank dénoncerait-il la planification démocratique ? Frachon, au congrès de la C.G.T. de 1963, l'a «  dénoncée  » contre Lebrun, qui en est ouvertement partisan. Le secrétaire général de la C.G.T. n'en collabore pas moins étroitement à l'intégration des syndicats dans l'état, par sa politique de présence dan les organismes intégrationnistes, et toute la duplicité que constitue la politique des «  réformes de structure  » . Cette fois Frank montera sur un tabouret et hurlera qu'il a écrit : «  Des revendications nouvelles de façon à les lier à la question du pouvoir, à leur donne le caractère de mots d'ordre de transition  » ; et même : «  Sur le plan des entreprises, une autre question commence à être posée de façon plus concrète que par le passé, celle du contrôle ouvrier.  » «  Mots d'ordres de transition  », « contrôle ouvrier », « question du pouvoir », voilà qui fait «  trotskyste.  » Mais l'astuce est un peu grosse. Il y a longtemps que les bureaucrates du mouvement ouvrier ont appris à utiliser les mots en les vidant de leur substance, en leur donnant un contenu radicalement différent de leur contenu primitif. Trotsky note dans « Les syndicats à l'époque de la décadence de l'impérialisme »

« La nationalisation des chemins de fer et des puit de pétrole au Mexique n'a évidemment rien de commun avec le socialisme. C'est une mesure de capitalisme d'Etat dans un pays arriéré qui cherche à se défendre de cette façon, d'une part contre l'impérialisme étranger et d'autre part contre son propre prolétariat. La gestion des chemins de fer et des puits de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n'a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l'industrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière qui est bien indépendante des travailleurs, mais, en retour, complètement sous la dépendance de l'Etat bourgeois. Cette mesure de la part de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière et à la faire travailler davantage au service des «  intérêts communs  » de l'État, qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. En réalité, toute la tâche de la bourgeoisie consiste à liquider les syndicats, en tant qu'organes de la lutte des classes, et à la remplacer par la bureaucratie syndicale comme ORGANE DE DIRECTION DE L'ÉTAT BOURGEOIS SUR LES OUVRIERS  » (souligné par nous).

Nous avons choisi délibérément cette citation et l'exemple sur lequel elle s'appuie. D'abord, parce que cet exemple éclaire la signification de toute une série de «  nationalisations  » dans les pays économiquement arriérés et le rôle dévolu aux bureaucraties d'origine ouvrière, ensuite parce que c'est loin d'être le pire des cas. Dans les pays capitalistes d'Europe, en France en particulier, il ne s'agit pas, pour la bourgeoisie, de lutter contre l'impérialisme étranger, moins encore de donner aux bureaucraties ouvrières la gestion de quoi que ce soit, il s'agit seulement d'utiliser «  la bureaucratie syndicale comme organe de direction de l'état bourgeois sur les ouvriers  » . Ce qui n'empêche pas le genre de «  militants  » qui s'intéressent à la «  productivité  », à la «  croissance de l'économie  » (d'une économie qui n'est pas asexuée, mais qui est l'économie capitaliste), qui posent des «  problèmes nouveaux  » (à la vérité passablement rabâchés) de parler de «  contrôle ouvrier  » . Nous débouchons au cœur du problème. Que signifie le contrôle ouvrier tel qu'il est conçu par le programme de transition ? La réponse est claire et nette : «  Les comités d'usine, et seulement eux peuvent assurer un véritable contrôle sur la production  » ; et encore : «  les comités des diverses entreprises doivent élire, à des conférences correspondantes, des comités de trusts, de branches d'industrie, de régions économiques, enfin de toute l'industrie nationale de son ensemble  » . Le contrôle ouvrier suppose que le prolétariat s'organise en tant que classe, en rupture avec et en opposition à toutes les formes de gestion et de pouvoir économique et politique de la bourgeoisie, en même temps qu'il sert de levier pour cette organisation du prolétariat. Il en est ainsi d'ailleurs de tous les mots d'ordre de transition. Ce qui fait qu'ils sont des mots d'ordre de transition, c'est qu'ils appellent à l'organisation du prolétariat en tant que classe, s'opposant à la bourgeoisie en tant que classe, et débouchent ainsi sur la question de la lutte pour le pouvoir du prolétariat.

Mettre en avant le mot d'ordre du contrôle ouvrier exige la lutte pour que les organisations ouvrières rompent tout lien avec la bourgeoisie, rompent avec tous les organismes de coopération ouverte ou masquée; ce qui a, à l'heure actuelle, un sens extrêmement concret : il faut en finir avec la «  participation  », fût-elle qualifiée de «  contestataire  », depuis les comités d'expansion régionale jusqu'au conseil économique et social, en finir avec la «  co-gestion  », dénoncer les «  accords contractuels  », et ainsi de suite. La brûlante actualité du programme de transition ne s'est jamais manifestée avec autant de force et d'évidence. Alors, pourquoi P. Frank éprouve-t-il le besoin de le «  réadapter  » ? Sinon pour les mêmes raisons que Togliatti veut «  liquider toute forme de dogmatisme, affronter et résoudre de façon nouvelle des problèmes nouveaux   » . A cette fin, lorsque l'on est «  trotskyste  », «  secrétaire de la IV° Internationale  », il faut continuer à parler de «  revendications de transitions liées à la question du pouvoir  », en donnant à cette formule un tout autre contenu. La revendication de transition devient : accroître la participation de la classe ouvrière aux responsabilités de la «  société  », sa pénétration au sein du système économique et politique bourgeois.

Nous n'inventons rien. Reprenons la phrase : «  Sur le plan des entreprises, une autre question commence à être posée de façon plus concrète que par le passé, celle du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière », et lisons-la jusqu'à la fin : « du fait que dans ce domaine les ouvriers ont conscience qu'ils n'ont rien obtenu de substantiel  » . Dans différents domaines les ouvriers ont obtenu quelque chose de substantiel, il faut aussi que, dans le domaine du contrôle et de la gestion, ils obtiennent quelque chose de substantiel ! Voilà ce que nous dit Frank. Ce n'est pas mettre en cause la société bourgeoise, c'est s'y intégrer par le biais des «  réformes de structures  » de l'entreprise et de l'état dont est si friand Germain.


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