1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


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Le "Néo-trotskysme" en quête d'un "néo-programme"

Un état socialement indéterminé

La suite de son article va finir de nous éclairer. A la programmation néo-capitaliste nous dit-il, les socialistes

«  doivent opposer l'idée de la planification socialiste, qui ne s'en distingue pas seulement du point de vue technique (avec le volume largement accru des investissements directs de l'Etat, et l'existence d'un important secteur public nationalisé et autogéré n'ayant pas pour objet la défense du profit privé, ce qui permet de substituer la planification impérative à la planification indicative), mais comporte d'abord des différences qualitatives d'ordre social : une série d'objectifs de production d'ordre prioritaire doit être sélectionnée démocratiquement par le mouvement ouvrier afin d'offrir à tous les grandes chances de la médecine gratuite, des logements convenables et des loisirs enrichissants, et afin de permettre à la classe ouvrière de l'Occident d'apporter sa nécessaire contribution à l'émancipation des peuples coloniaux en les aidant à se libérer de l'oppression et de l'exploitation étrangères, du sous-développement, de la faim, du manque d'industrie et du manque d'instruction ».

Un vrai morceau choisi dans une anthologie de discours électoraux sociaux-­démocrates. Tout y est : « Des logements, des écoles et des stades » ; le couplet classique sur les «  nationalisations  », les « investissements de l'état » ; s'y ajoute le « secteur autogéré » et «  la planification impérative au lieu d'indicative » chère à la C.F.D.T. et aux hommes du « contre-plan » du P.S.U. Quelques lignes plus loin, nous lisons : «  Combattre davantage l'incapacité du néo-capitalisme à réformer la structure autocratique de l'entreprise, qui est une des causes principales de l'aliénation du travail dans l'industrie moderne ». Voici donc la démocratie au niveau de l'entreprise, baptisée pour les besoins de la cause « contrôle ouvrier... seule réponse efficace que l'on puisse opposer à la programmation capitaliste », car que vient faire ici cette clause de style : « (il) est le premier pas vers la gestion ouvrière dans une économie socialisée ( les travailleurs devraient refuser toute forme d'association aux responsabilités, tant que l'économie reste une économie capitaliste) » ? Ou celle sur les « contradictions du néo-capitalisme, qui se surajoutent aux contradictions générales » ; clauses de style, et de plus attrape-nigauds. En effet, tout au long de son article, du début à la fin, Mandel a « omis » le problème de L'ÉTAT et de sa nature sociale. Il est « l'état », rien de plus !

Germain, Pablo, Frank, lorsqu'ils parlent des «  états ouvriers  » oublient les qualificatifs «  dégénérés ou déformés  ». Mandel, traitant du «  néo-capitalisme  » et du rôle capital joué actuellement par l'état dans l'économie capitaliste, tout au long d'un article de 17 pages, «  omet  » le qualificatif «  bourgeois  ». Ni l'un ni l'autre de ces faits ne sont dus au hasard. Rappelons ce que Trotsky écrivait dans «  Les syndicats à l'époque de la décadence de l'impérialisme  » : «  Aux yeux de la bureaucratie du mouvement syndical, la tâche essentielle consiste à libérer l'Etat de l'emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'attirant de leur côté  ». Il n'y a pas que les bureaucrates du mouvement syndical qui agissent ainsi. Mandel, dans son domaine, s'y emploie également. Reprenons l'idée de la «  planification socialiste  », version Mandel : «  l'Etat » - L'ÉTAT BOURGEOIS - accroît ses investissements et constitue « un important secteur public nationalisé et autogéré n'ayant pas pour objet la défense du profit privé, ce qui permet de substituer la planification impérative à la planification indicative », en vue d'atteindre «  une série d'objectifs de productions prioritaires... sélectionnés démocratiquement par le mouvement ouvrier  ». La «  tâche  » consistait à libérer l'état de l'emprise capitaliste en affaiblissant sa dépendance envers les trusts et en l'attirant du côté des bureaucrates. Mais, à partir du moment où l'état réalise «  de larges nationalisations  », un «  secteur autogéré  », et la «  planification impérative au lieu d'indicative  », il n'est plus l'état bourgeois, dira Mandel. Somme toute, sa nature sociale mute de l'intérieur grâce aux réformes de structure.

L'état bourgeois, dans des conditions données, pourrait être contraint à réaliser et de «  larges nationalisations  » (voir la France) et la «  planification impérative  ». Ce peut être le cas en particulier pour faire face à une crise économique, sociale ou politique de vaste envergure. Agissant ainsi, l'état bourgeois défendrait toujours les intérêts fondamentaux du capitalisme. Ce serait une démonstration éclatante de la nécessité d'exproprier la bourgeoisie. Mais la bourgeoisie, en tant que classe, ne peut être expropriée que si l'état bourgeois est détruit et remplacé par un état issu du prolétariat. Mais le «  secteur auto-géré  », la «  série d'objectifs prioritaires sélectionnée démocratiquement par le mouvement ouvrier  » ? C'est certainement un des aspects les plus dangereux des théories de Mandel. Il ne peut y avoir de «  secteurs auto-gérés  » ni «  d'objectifs prioritaires sélectionnés démocratiquement par le mouvement ouvrier  » indépendamment de la conquête du pouvoir politique par le prolétariat. A cela se rattache cette autre position de Mandel : «  réformer la structure autocratique de l'entreprise  ». Dans la situation actuelle, cela signifie participer aux «  réformes de structures  », s'inscrivant dans le cadre de l'état bourgeois, qui tendent à instituer la «  communauté d'entreprise  » et la «  planification démocratique », le tout étant sacré : «  contrôle ouvrier  ».


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