1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


6

Le "Néo-trotskysme" en quête d'un "néo-programme"

De la "crise finale" à l'absence de crise

Dans une très large mesure, l'intervention de l'état a été le salut du mode de production capitaliste et la source de la « prospérité » de ces vingt dernières années. Germain, Frank et Pablo démontraient, en 1944-1947, par un raisonnement mécanique, qu'il était impossible que l'économie capitaliste se restructure. Ils avaient oublié que les maîtres du marxisme, Trotsky en premier, s'étaient dressés contre la conception de la « crise finale » du capitalisme. « Il n'y a pas de situation impossible pour la bourgeoisie » , disait Lénine. De vingt années de « prospérité » , Mandel conclut tout aussi mécaniquement, mais à l'envers : il n'y aura plus de crise de type de 1929, seulement des récessions, en raison des techniques anti-cycliques, de l'intervention de l'état, etc... Il oublie de nous dire que les récessions sont les signes précurseurs de l'accumulation des contradictions fondamentales au sein de la « prospérité » . D'autres signes précurseurs en sont les crises de la livre et surtout du dollar. Les processus monétaires ne sont que les reflets des processus économiques fondamentaux.

Dans le processus d'accumulation du capital entre les mains des monopoles, l'inflation a, certes, joué un rôle énorme. Mais l'inflation n'est qu'un aspect des contradictions du mode de production capitaliste, qui se concentrent au niveau de l'état. L'intervention de l'état bourgeois dans l'économie capitaliste pour la défense du profit privé a, comme contre­partie, une inflation chronique, qui tend à se transformer en inflation galopante. Elle finit par affecter l'ensemble du système de paiements internationaux mis sur pied par les états bourgeois au lendemain de la guerre. Elle se manifeste par la crise de la livre et du dollar, qui menace de dislocation le système des paiements internationaux, exprimant ainsi le déséquilibre des échanges internationaux, et pouvant conduire à la rupture du marché mondial.

Personne ne peut dire aujourd'hui si une crise du type de 1929 se reproduira. Cela ne dépendra pas seulement de facteurs économiques, mais aussi de la lutte mondiale entre les classes ; pour tenter de la prévenir, l'impérialisme peut passer à un stade plus ou moins poussé de la militarisation de l'économie, jusqu'à l'économie de guerre ; il s'efforcera de maintenir un front uni impérialiste pour accroître la pression sur l'U.R.S.S., la Chine, l'Europe orientale, et enfin d'exporter ses contradictions en mettant en cause la planification dans ce pays.

S'il n'y a pas eu de « crise finale » du capitalisme, cela ne tient pas aux « techniques » qu'il a employées, mais à ce que la classe ouvrière, paralysée à l'échelle mondiale par les directions réformistes et staliniennes, n'a pu en finir avec lui. Le capitalisme a « surmonté » sa crise, mais en concentrant au niveau de l'état ses contradictions. C'est-à-dire que l'intervention «  consciente  » de la bourgeoisie, loin de lui permettre de dominer son mode de production, prouve qu'elle est dominée par lui. Elle fait de l'état bourgeois quelque chose de plus qu'un organe de répression. Il intervient dans tous les domaines de la vie économique, sociale et politique. Mais il le fait, contradictoirement, pour permettre la survie du mode de production capitaliste. L'intervention de l'état n'est pas « technique » , elle est chargée d'un contenu social, qui procède de la contradiction fondamentale du mode de production capitaliste, celle qui oppose le travail payé et le travail non payé, la « socialisation de la production » et l'appropriation des moyens de cette production, celle qui, selon l'expression de Marx, fait que le mort (le capital, travail mort accumulé) saisit le vif (la force de travail vivante). Cette intervention était indispensable à la réalisation d'une nouvelle et formidable accumulation de capital, laquelle aboutit à la nécessité, d'une part, de trouver des débouchés aux capitaux et aux marchandises ainsi créées, de l'autre de surexploiter la classe ouvrière pour maintenir un taux de profit élevé. L'automation va multiplier ces contradictions par un coefficient énorme. Aucun moyen « technique » ne résoudra ces contradictions, seulement la lutte des classes.

Mandel soutiendra sans doute qu'il dit aussi tout cela : « L'augmentation continue des salaires est en contradiction flagrante avec la nécessité d'un taux de profit élevé... le développement de l'automation vise à reconstituer l'armée de réserve industrielle... la solution d'ordre socio-politique consiste à exercer une forte pression sur les syndicats, soit par une politique de blocage volontaire des salaires, soit en limitant par la loi les possibilités de négociation et le droit de grève  » . Mais que devient alors « la création de pouvoir d'achat et la redistribution des revenus par l'état » Il écrit aussi : « La planification néo-capitaliste ne va pas dans le sens d'une croissance harmonieuse et ne sert pas davantage les intérêts de la nation... Cependant, si les succès que le néo-capitalisme a remportés constituent à coup sûr un tableau brillant, ses contradictions, se surajoutant en quelque sorte aux contradictions générales du mode de production néo-capitaliste - car celles-ci ne sont nullement éliminées par le néo-capitalisme - n'en apparaissent pas moins avec évidence » . Nous savons fort bien que Mandel a une place de choix dans la tradition pabliste des thèses éclectiques et contradictoires, juxtaposant une conception correcte à une conception révisionniste. Le tout est de dégager sa ligne réelle.


Archives Trotsky Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin