1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme ou nouvelle époque historique ?


Les U.S.A. entrent dans le cycle de l'économie d'armement

Oui, mais tout cela se passait à une époque extrêmement reculée... avant 1945. Depuis, la « croissance des forces productives » est incontestable (ici pourrait suivre une longue énumération en tonnes d'acier, de charbon, de pétrole, de MKW d'électricité, d'avions, d'automobiles, etc. etc.) ; les progrès des sciences et des techniques sont prodigieux (nouvelles énumérations : énergie atomique, électronique, cybernétique, computers, textiles artificiels, etc. etc.) ; l'intervention de l'Etat a atteint des dimensions qualitativement nouvelles, il n'y a plus de crises, tout au plus des dépressions ; le marché mondial, la division internationale du travail se sont reconstitués, bien que de nombreux pays aient échappé à l'emprise directe du capital ‑ U.R.S.S., Europe de l'Est, Chine.

Répétons‑le, le point de départ de ce « nouveau cycle », ce sont 35 années de destruction antérieures massives de forces productives. Il ne faut cependant pas en rester là. L'analyse des conditions de ces 25 années de prospérité doit être faite. Les 35 années précédentes ont modifié profondément les rapports internes de l'impérialisme et de l'économie capitaliste dans son ensemble. La décomposition des vieilles puissances impérialistes d'Europe, l'échec de l'impérialisme japonais, ont eu une conséquence, qui se dessinait déjà au lendemain de la première guerre mondiale, mais qui n'est parvenue à sa plénitude qu'au cours et à la fin de la deuxième guerre impérialiste mondiale : la croissance de la puissance de l'impérialisme américain, son nouveau rôle mondial tant politique, militaire, qu'économique. Jusqu'en 1914, le développement du capitalisme américain correspondait principalement au développement de son marché intérieur. Aux U.S.A. s'investissaient de nombreux capitaux étrangers, principalement anglais. La tendance s'inversa en 1914 où les U.S.A. devinrent créditeurs de l'Europe. Les plans Daves et Young indiquaient déjà le rôle que les U.S.A. tiendront quelques vingt ans plus tard en Europe : ils contribueront à faire redémarrer au cours des années 20 (après 23) l'économie allemande. Ils marquèrent la tendance de l'impérialisme américain à accélérer, sous la tutelle de l'Etat, l'exportation de capital vers l'Allemagne par les banques américaines aux banques allemandes, reconverti par celles‑ci en crédits à longs termes, ce qui précipita la crise en Allemagne en 1929‑30. Mais jusqu'en 1929, c'est encore à partir du développement du marché américain, avec déjà une considérable expansion de l'inflation de crédits, que se développa le capitalisme américain, libéré de l'hypothèque du capital européen. Un mouvement d'une importance décisive s'opéra au cours des deux guerres mondiales et des périodes d'économies d'armement : le capital américain but littéralement le sang des impérialistes européens en décrépitude.

Dans un premier temps, l'agonie du capitalisme européen alimenta la croissance colossale de l'impérialisme américain. Dès la guerre de 1914, l'industrie d'armement américaine connaissait un premier boom par suite des commandes massives d'armements des principaux pays d'Europe, Angleterre et France en tête. Les industries américaines de biens de productions et de consommations profitèrent également plus ou moins directement des commandes de guerre des pays impérialistes européens. La période d'intensification du réarmement (1935‑39) et la seconde guerre mondiale, accéléraient ce processus. Le renforcement du capitalisme américain était conséquent à la décomposition des impérialismes européens. L'impérialisme US. s'appropriait les dépouilles du capital européen.

A la fin de la deuxième guerre mondiale le capital américain ‑ profiteur de guerre ‑ possédait 70 à 80 % de la capacité de production mondiale, les réserves d'or à Fort Knox représentaient environ la même proportion des réserves d'or mondiales. L'hégémonie, au sein de l'impérialisme mondial, économique, militaire, politique, de l'impérialisme américain permettait de rétablir le marché mondial et la division internationale du travail, qui ne s'étaient, à vrai dire, que partiellement reconstitués après la première guerre impérialiste mondiale. Pour la première fois dans l'histoire, une puissance impérialiste possédait à ce point l'hégémonie sur tous les plans, par rapport aux autres puissances impérialistes, qu'elle semblait être en mesure de « planifier » l'économie capitaliste mondiale. Le « Federal Reserve System Bank » devenait, par les accords de Bretton Woods, en fait la banque mondiale, et le dollar le moyen international de paiement. Le Fonds Monétaire International organisait les échanges internationaux et distribuait le crédit. De 1945 à 1951, l'Etat bourgeois américain prêtait ou donnait aux Etats bourgeois d'Europe 22 milliards de dollars. Le déficit de la balance des paiements européens était de 500 millions de dollars en 1938 ; il atteignait 9 milliards de dollars en 1947. Après une période d'accords bilatéraux ou multilatéraux, le plan « Marshall », non seulement organisait la distribution des crédits internationaux dispensés par l'Etat américain, mais encore « orientait » des grands axes du développement économique des principales puissances capitalistes mondiales. Toutes les conditions étaient‑elles réunies d'une nouvelle étape historique, celle d'un « super‑impérialisme » maîtrisant les contradictions du capital, ainsi que le concevait Kautsky ? Après 35 années de destruction massive de forces productives, les terribles destructions de la deuxième guerre impérialiste, le renouvellement du capital fixe était indispensable, en Europe et dans le monde, ce qui offrait un immense débouché à l'exportation des marchandises et des capitaux américains.

Quelles conditions plus « idéales » pour une nouvelle période de croissance des forces productives, de développement pacifique de l'économie capitaliste, pourraient‑elles être réunies ?

Or, dès 1949, la reconstruction en Europe était loin d'être terminée, la crise menaçait l'économie américaine, qui domine l'économie capitaliste mondiale, et donc celle‑ci dans son ensemble. La guerre de Corée et la conjoncture d'armement massif, qu'elle « justifia », écartèrent la crise menaçante. La « guerre froide » fut à l'origine d'un nouvel essor, encore inconnu en « temps de paix », de l'économie d'armement. C'est un fait patent et reconnu : la conjoncture mondiale d'armement dont les  U.S.A. furent et restent le centre, fut à l'origine du « miracle » économique allemand, du « miracle » économique japonais. Affirmer que  cette conjoncture d'armement résulta de circonstances politiques, de la division du monde en deux « blocs », revient à marcher sur la tête. Elle résulta de l'impossibilité de trouver des débouchés aux marchandises et aux capitaux pour l'économie capitaliste. C'est elle qui est la force motrice de toute l'économie depuis plus de vingt ans. Les énormes réserves de l'impérialisme américain font que, jusqu'à présent, des formes aussi brutales que celles utilisées par l'impérialisme allemand dans la période de réarmement de 1933 à 39 n'ont pas encore été nécessaires à l'impérialisme américain et aux impérialismes moins puissants qui composent l'impérialisme mondial. Mais le processus fondamental est le même.

S'il existe un trait dominant qui marque l'économie capitaliste mondiale depuis vingt‑cinq ans, ce n'est certes pas « la prospérité », mais le suivant : encore en 1940 ‑ la guerre avait éclaté depuis un an et le réarmement massif en Europe et au Japon se poursuivait depuis 1933‑35 les U.S.A. qui représentaient déjà au moins 40 % de la production mondiale, dépensaient en crédits d'armements 0,5 %, tout au plus 1 % de leur revenu national ; depuis vingt‑cinq ans, bon an mal an, ils dépensent officiellement 12 % de leur revenu national ‑ qui a triplé ‑ en crédits militaires, et en réalité plus de 20 % de celui‑ci. Jusqu'en 1940, la plus grande puissance économique du monde ne s'était encore pas engagée dans l'économie d'armement. Désormais, l'économie d'armement des U.S.A. - ce qui ne signifie pas que les autres puissances impérialistes ne soient pas elles aussi, engagées dans l'économie d'armement, bien au contraire, voir par exemple l'Allemagne occidentale dont le budget militaire est déjà le plus important d'Europe et qui ne cesse de croître ‑ commande le cours de l'économie mondiale. Cette année plus de 100 milliards de dollars, directement ou indirectement, seront dépensés par le gouvernement des U.S.A. en crédits militaires.


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