1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

1

L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme ou nouvelle époque historique ?


Un trait caractéristique de l'impérialisme : l'économie d'armement

Rappeler la définition de l'impérialisme que formule Lénine est indispensable, bien qu'elle ait été citée des milliers de fois.

« Sans oublier ce qu'il y a de conventionnel et de relatif dans toutes les définitions en général, qui ne peuvent embrasser les liens multiples d'un phénomène dans l'intégralité de son développement, devons‑nous donner de l'impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants :
  1. Concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu'elle a crée les monopoles dont le rôle est décisif dans la vie économique.
  2. Fusion du capital bancaire et du capital industriel et créateur, sur la base de ce « capital financier » d'une oligarchie.
  3. L'exportation des capitaux, à la différence de l'exportation des marchandises, prend une importance toute particulière.
  4. Formation d'unions internationales monopolistiques se partageant le monde et
  5. Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes.
L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage de tout le territoire du globe entre  les plus grands pays capitalistes. »

La liaison entre l'analyse des tendances du développement ou mode de production capitaliste faite par Marx et celle faite par Lénine de ces tendances réalisées est immédiate. Le mouvement du capital, afin de poursuivre son procès de mise en valeur, en surmontant l'étroitesse des rapports sociaux de production bourgeois, le contraint à développer intensivement et extensivement les rapports sociaux de production bourgeois à l'échelle mondiale. « Le capital n'utilise les machines que dans la mesure où elles permettent à l'ouvrier de lui consacrer une plus grande partie de son temps » afin d'augmenter la plus‑value. En même temps il réduit « la durée nécessaire (de temps de travail) à produire un objet au minimum ». Tandis qu'en valeur tend à se réduire la consommation ouvrière, la plus‑value se cristallise dans une quantité multipliée de marchandises qu'il faut réaliser pour l'extraire et la transformer en capital, qui accroît la masse de capital, et poursuivre sans fin apparente le procès de mise en valeur du capital. De là, un carrousel effréné : exigence sans cesse plus grande de nouveaux marchés, multiplication des moyens de production, absorption de nouvelles forces de travail, intensification du taux de l'exploitation du travail, destruction de toutes les barrières qui se dressent devant l'expansion des rapports sociaux de production bourgeois, de tous les anciens modes de production ou ce qui en subsiste. La terre entière devient le champ d'action du capital, toute sa population est soumise à ses lois. Mais les bouleversements n'affectent pas seulement les anciens modes de production détruit par l'expansion capitaliste, les rapports internes du mode de production bourgeois ne le sont pas moins.

La concentration du capital s'exprime finalement dans les monopoles, son expression la plus achevée étant la « fusion du capital bancaire et du capital industriel et (la) création, sur cette base, du capital financier ».

De nombreux « théoriciens marxistes » ont cherché querelle à Rosa Luxembourg qui affirme que la condition de l'accumulation du capital c'est l'existence de modes de production non‑capitaliste à l'extérieur comme à l'intérieur des pays où domine le capital, que celui‑ci détruit dans son processus d'accumulation. De point de vue « théorique pure »,  Luxembourg a sans conteste tort. Abstraitement parlant, l'équilibre entre les différents secteurs de la production peut toujours se rétablir par la destruction massive d'immenses forces productives, la dévalorisation du capital constant, le taux de profit peut se relever et être le point de départ d'un nouveau cycle. Mais un premier point est évident : de toutes façons ce sera au prix de destructions préalables et de plus en plus gigantesques de forces productives. D'autre part la description faite par Rosa Luxembourg du développement concret du mode de production n'est pas fausse :

« L'accumulation ne se laisse pas enfermer dans le cadre rigide des échanges réciproques et de l'interdépendance entre les deux grandes sections de la production sociale (section des moyens de production et section des moyens de consommation) ainsi que l'indique le schéma (de la reproduction élargie de Marx). L'accumulation n'est pas seulement un rapport interne entre les branches de l'économie capitaliste mais elle est surtout (surtout est discutable : ce serait plutôt « elle n'est pas indépendante ») un rapport entre le capital et le milieu non capitaliste, où chacune des deux grandes sections de la production peut effectuer l'accumulation partiellement de manière autonome et indépendamment de l'autre section, où cependant, les mouvements des deux sections s'entrecroisent et s'enchevêtrent continuellement. » (L'accumulation du capital, tome II, page 89)

Plus s'achèvera «  le partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes », plus les conditions d'équilibre seront difficiles à réaliser, plus la surcapitalisation tendra à faire baisser le taux de profit, plus la monopolisation, la formation du capital financier seront aiguillon­nées, et plus il sera nécessaire d'utiliser des moyens artificiels afin de soutenir le taux de profit et d'offrir des débouchés par ces moyens, en particulier aux branches à capital constant élevé.

Le plus curieux est que les « critiques » de Rosa Luxembourg s'emparent de son erreur théorique, la brandissent, afin de se refuser à mettre en relief les traits du capitalisme au stade de l'impérialisme sur lesquels elle insiste, en même temps que pour les mêmes raisons, ils se refusent à faire l'analyse du capitalisme au stade impérialiste au nom d'un capitalisme abstrait et général.

Rosa Luxembourg insiste notamment sur le militarisme. Elle attire l'attention sur le fait qu'outre la nécessité, en fonction de la conquête de territoires coloniaux, du partage du monde, des guerres entre pays impérialistes, « le militarisme a encore une autre fonction importante. D'un point de vue purement économique, il est pour le capital un moyen privilégié de réaliser la plus‑value, en d'autres termes il est un moyen d'accumulation ». (page 123).

Le capitalisme au stade de l'impérialisme voit ses possibilités d'extension générale se restreindre à l'échelle mondiale, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des pays capitalistes dominants, une fois que le partage du monde est achevé. La monopolisation, la formation du capital financier, forme extrême de la concentration du capital , fossilisent, ossifient, le capitalisme, lui fait perdre sa souplesse antérieure, qui, au prix des crises de surproduction détruisant des masses de forces productives, permettaient le redémarrage du cycle, par la hausse, suivant la chute, du taux de profit et un nouvel équilibre dynamique entre les différents secteurs de la production. L'Etat de tous temps joua un rôle important dans la formation et le développement capitaliste : un rôle à la fois politique et économique. Sa fonction économique avec la formation des monopoles et du capitalisme financier s'accentuera jusqu'à devenir décisive, mais parasitaire : le militarisme devient un facteur indispensable et majeur du fonctionnement d'ensemble de l'économie capitaliste.

L'ossification du capitalisme, le rôle de l'Etat, le développement du parasitisme, sont inclus dans l'analyse de l'impérialisme de Lénine. Rosa Luxembourg insiste particulièrement sur certains aspects qu'elle dégage mais qui sont inclus dans l'analyse de Lénine :

« Il nous reste encore à examiner un autre aspect essentiel de l'impérialisme auquel on accorde généralement trop peu d'importance dans la plupart des jugements portés sur lui. Un des défauts du marxiste Hilferding est qu'il fait un pas en arrière par rapport au non‑marxiste Hobson. Nous voulons parler du parasitisme propre à l'impérialisme ». (page 127) édition de Moscou 1969).

Lénine énumère quelques‑uns des aspects de ce parasitisme :

« Dans la mesure où l'on établit, fut‑ce momentanément des prix de monopole, cela fait disparaître jusqu'à un certain point les stimulants du progrès technique, et, par suite, de tout autre progrès ; et il devrait alors possible, sur le plan économique, de freiner le progrès technique... Il est évident, que la possibilité de réduire les frais de production et d'augmenter les bénéfices en introduisant des améliorations techniques pousse aux transformations. Mais la tendance à la stagnation et à la putréfaction propre au monopole, continue à agir de son côté et dans certaines branches d'industrie, dans certains pays il lui arrive de prendre pour un temps, le dessus ». (page 128). Lénine ne se contente pas du terme « parasitisme », il y ajoute celui de « putréfaction ». « L'exportation des capitaux, une des bases économiques essentielles de l'impérialisme, accroît encore l'isolement complet de la couche des rentiers par rapport à la production et donne un cachet de parasitisme à l'ensemble des pays vivants de l'exploitation du travail de quelques pays et colonies d'outre‑mer ». (page 128)...
« Décrivant, sous l'impression encore fraîche de la guerre anglo‑boer, la collusion de l'impérialisme et des intérêts des « financiers », les bénéfices croissants que ceux‑ci retirent des adjudications, des fournitures de guerre, etc., Hobson écrivait : « Ceux qui orientent cette politique nettement parasitaire, ce sont les capitalistes, mais les mêmes causes agissent également sur des catégories spéciales d'ouvriers. Dans nombre de villes, les industries les plus importantes dépendent des commandes du gouvernement ; l'impérialisme des centres de la métallurgie et des constructions navales est, dans une mesure appréciable, la conséquence de ce fait ». (Pages 131, 132).

Dès avant la première guerre impérialiste mondiale, le militarisme, nous dirions aujourd'hui l'économie d'armement, absorbait une part considérable de « forces productives ». Au prix d'une destruction constante de « forces productives » elle soutient l'activité d'ensemble du mode de production capitaliste, et opère un transfert de plus‑value des différents secteurs de la production vers les industries de guerre dont la plupart sont celles à composition organique élevée. La crise économique classique est plus ou moins contenue... par la destruction massive de « forces productives » sous une autre forme, celle qui résulte de l'économie d'armement. Le grand apport de Rosa Luxembourg à la théorie de l'impérialisme est d'avoir remarqué que l'économie d'armement servait de volant d'entraînement au fonctionnement du mode de production capitaliste dans son ensemble, et cela dès avant la première guerre mondiale impérialiste. Ses « critiques » ne lui pardonnèrent pas.

Les monopoles, le capital financier, la subordination toujours plus étroite de l'Etat bourgeois au capital financier, en bref, l'impérialisme, en plus de l'exportation des marchandises et des capitaux, du partage du monde, engendre l'économie d'armement, qui n'est pas seulement une nécessité politique, mais une exigence économique. « Chaque crise détruit régulièrement, non seulement une masse de produits, mais encore une grande partie des forces productives elles‑mêmes » écrivait Marx et Engels (Manifeste Communiste). L'économie d'armement détruit sans relâche des masses énormes de forces productives. Mais avec l'économie d'armement, s'accroît également la disproportion entre les différentes branches de la production. Le processus de l'accumulation du capital peut bien se poursuivre au moins pendant un temps ‑ parler du développement des « forces productives » est pour le moins singulier. Il s'agit d'une gigantesque destruction de valeur d'échange et de valeur d'usage... comme condition de la poursuite du procès d'accumulation du capital. La consommation des marchandises par l'armée, leur cristallisation sous forme de matériels de guerre, ouvrent un marché nouveau.

Lorsque jouaient les mécanismes classiques du mode de production capitaliste, sans grandes entraves, le redémarrage du cycle et le « boom », était animé par le renouvellement du capital constant, particulièrement du capital fixe, lequel entraînait l'augmentation de la demande des moyens de consommation. La demande d'armements, la consommation de l'armée, vont désormais entraîner la croissance du capital constant, du capital fixe en particulier, lequel entraînera l'augmentation de la demande de moyens de consommation; ce peut‑être à nouveau « le boom ». Quant à en conclure à la « croissance des forces productives » il faut s'appeler Germain‑Mandel, Pablo, Garaudy, Fajon, etc. (et élaborer dans la joie) pour le faire. Tout le cycle de la production est conditionné par le parasitisme (la putréfaction des rapports de production capitaliste sclérosés par les monopoles, le capital financier) que manifeste l'économie d'armement, et la croissance des forces destructives qu'elle constitue. Tout lui est subordonné, les machines, le travail de millions de producteurs, les recherches scientifiques et techniques, leur application, même si les machines, le travail, les recherches scientifiques et techniques, leur application, ne sont pas immédiatement utilisés en totalité à la production d'armement, si ils sont utilisés, en partie importante, à la croissance des moyens de production, au développement et au renouvellement de la consommation. Car, l'économie d'armement devient la condition, commande, le procès de production dans son ensemble.

Mais l'économie d'armement a sa logique contraignante. Pour que le procès de production ne s'arrête pas, il lui faut prendre des dimensions sans cesse croissantes, trouver un marché toujours plus large; l'économie de guerre, la guerre impérialiste, sont ses aboutissants naturels (à la grande satisfaction de Germain‑Mandel, il n'y a pas de crise économique). Les forces destructives sont déchaînées. Cependant, « la science et la technique » font alors de « prodigieux bonds en avant ». Dans la tension de toutes leurs forces, de toutes leurs ressources, les Etats impérialistes font appel à la « Science et à la technique » les plus raffinées, les plus modernes ; de la métallurgie à l'électronique, à la cybernétique, à la physique, à la chimie, des explosifs, aux gaz, à la bactériologie, à l'énergie atomique, etc. etc. Il n'est pas jusqu'à la chirurgie qui ne connaît un développement étonnant, y compris la chirurgie esthétique afin de rafistoler les « gueules cassées ».

Si, comme nous l'explique Marx, les crises économiques sont le moment du procès de la production où, par la destruction d'immenses forces productives, les conditions d'un nouveau cycle se réalisent, l'économie d'armement manifeste la crise chronique du mode de production capitaliste; l'économie de guerre et la guerre impérialiste sont la crise portée à sa plus haute expression possible, dévastatrice. Pourtant, de toute évidence, malgré ses dix millions de morts, ses millions de blessés, ses dévastations terribles, l'usure prodigieuse des moyens de production engagés dans l'industrie d'armement, la décadence des autres secteurs de la production, la première guerre impérialiste de 1914‑18, ne suffit pas à « assainir » l'économie capitaliste mondiale. Dès 1920, une crise économique classique se dessinait. Il fallut maintenir à un haut niveau les commandes d'armement dans les pays « vainqueurs ». Il fallut la liquidation de toute une partie du capital fictif accumulé, par les faillites monétaires, totale comme en Allemagne en 1923, ou partielle comme en France, sanctionnées par des dévaluations massives. Il fallut les plans Dawes et Young, les prêts américains à courts ou moyens termes, aux pays les plus appauvris par la guerre. Il fallut une énorme inflation de crédit aux U.S.A. Alors seulement se produisit le « boom » des années 24‑29. Quelques années d'une courbe économique ascendante se concluant par la plus grande crise économique connue jusqu'alors, qui ne fut « surmontée » qu'aux environs des années 38‑39, une fois encore, mais à une échelle plus vaste, par l'économie d'armement, l'économie de guerre, la deuxième guerre impérialiste mondiale.

En tout état de cause, au cours de ces soixante dernières années, plus de 35 années de destruction intensive de « forces productives » pendant lesquelles le cycle économique est conditionné par la préparation à la guerre, la guerre elle‑même, les conséquences de la guerre, la préparation d'une nouvelle guerre, et cette 2° guerre impérialiste mondiale; où l'accumulation du capital, l'utilisation de la force de travail, le développement des sciences et des techniques reçoivent leur impulsion de l'économie d'armement, de l'économie de guerre, de la guerre elle‑même. Il faut avoir quelque audace pour rayer d'un trait de plume toute cette période et de n'en plus parler que comme d'un mauvais souvenir. C'est pourtant ce que font allègrement aussi bien Pablo que Germain‑Mandel, Garaudy que Étienne Fajon, avec leurs « théories » du « néo‑capitalisme », du « capitalisme monopolistique d'état », du développement « prodigieux des forces productives », de « la science et des techniques forces productives directes ».

Au 8° Congrès Mondial du Secrétariat Unifié des renégats de la IV° Internationale, au milieu de thèses souvent contradictoires les unes aux autres, à la manière éclectique des pablistes, Ilario Rivera, dans son rapport sur « l'évolution du capitalisme en Europe » utilisait des formules de ce genre :

« La formulation de cette stratégie de rechange ‑ indispensable pour la constitution d'une direction de rechange ‑ ne peut pas consister dans la simple répétition de formules du passé, surtout lorsque ces formules correspondaient à une situation objective caractérisé par le chômage massif, la stagnation des forces productives et la menace immédiate du fascisme qui n'est pas la situation objective de la majeure partie des pays capitalistes européens d'aujourd'hui ».

« Les formules du passé » ce sont celles du programme de transition, qui, évidemment était totalement dépassé si la « croissance des forces productives » a été prodigieuse au cours des vingt années qui venaient de s'écouler (1945‑1965). De façon hypocrite, conforme au style de la maison, Ilario Rivera poursuit :

« Contrairement à tous les réformistes et néo‑réformistes et à nombre de courants centristes influencés par eux à la périphérie même de l'avant‑garde révolutionnaire, la IV° Internationale rejette avec force  que la prospérité capitaliste loin d'avoir résolu tous les problèmes économiques, laisse subsister suffisamment de contradictions (souligné par moi) économiques, politiques ou sociales dans la société  capitaliste pour rendre objectivement possible des luttes révolutionnaires qui aboutissent au renversement du régime capitaliste et à la conquête du pouvoir par le prolétariat » (Quatrième Internationale février 1966, page 65).

N'en déplaise à Ilario Rivera, s'il « subsiste suffisamment de conditions... » cela signifie que le régime capitaliste en a résolu de fondamentales. Comme au fond, il n'existe qu'une contradiction, dont dérivent toutes les autres, dont toutes les autres sont des formes particularisées, celle entre le développement des forces productives et les rapports sociaux de production bourgeois, c'est celle‑ci qui a été ou non résolue. En dépit de la résonance « révolutionnaire » l'abandon du programme de fondation de la IV° Internationale (les vieilles formules) qui liait la révolution prolétarienne à l'incapacité du capitalisme, au stade de l'impérialisme, à développer les forces productives, démontre quel contenu a l'analyse pabliste. Le programme de transition est l'expression consciente de l'unité entre les anciens programmes minimum et maximum : toutes revendications importantes de la classe ouvrière exigent la mobilisation révolutionnaire des masses, leur organisation comme classe, la lutte pour le renversement de l'Etat bourgeois, l'expropriation du capital en raison de l'impasse du mode de production capitaliste. C'est en cela qu' elles sont des revendications de transition et non des revendications minimum et réformistes.

Il fut un temps où Mandel était encore infiniment plus clair. Il écrivait dans « Les Temps Modernes » (août‑septembre 1964) :

« 3) La nécessité d'éviter à tout prix la répétition d'une crise du style de celle de 1929 étant devenue une question de vie et de mort pour le capitalisme dans les conditions actuelles de la guerre froide et de la progression des forces anti‑capitalistes dans le monde entier, l'Etat fait de plus en plus appel aux techniques anti‑cycliques, ainsi qu'aux techniques création de pouvoir d'achat et de redistribution des revenus. La garantie ‑ directe ou indirecte ‑ au profit privé par l'Etat est devenu un des traits dominant du capitalisme contemporain, cette garantie pouvant aller de la subvention à l'industrie privée ‑ selon des modalités très diverses ‑ à la « nationalisation des pertes ».
« 4) la combinaison de ces différents facteurs se traduit par l'introduction dans l'économie capitaliste des techniques de planification ou, plus exactement, de programmation indicative, qui ne sont autre chose que l'établissement par les groupements patronaux, de prévisions intégrées de la demande et de la production (basées sur la projection des tendances actuelles rectifiées par les calculs d'élasticité de la demande) et qui contribuent à donner une assise relativement plus rationnelle aux investissements capitalistes ».

Il affirmait à ce moment « qu'il n'y aura plus jamais de crise du style de 1929 ». Depuis, il a modéré quelque peu son enthousiasme.

Son compère Pablo s'expliquait sans aucune ambiguïté comme nous l'avons déjà vu. Il reste que ce sont les staliniens qui ont « théorisé » le plus clairement le rôle de l'État comme facteur du « développement des forces productives ». Mais plus ou moins explicitement les mêmes « théories » sont sous‑tendues dans les thèses de Germain‑Mandel, de Pablo, des rénégats à la IV° Internationale en général, dans celles du P.S.U., etc.

Grande révélation du siècle, « le capitalisme monopolistique d'État » déjà évoqué, a ses mécanismes mis à jour par les « économistes » du P.C.F.

« Les règles de gestion de l'entreprise publique s'opposent catégoriquement aux règles de gestion des monopoles privés par certains aspects du moins et forment avec ces règles une certaine autonomie. Les formes économiques publiques constituent des formes de socialisation capitaliste qualitativement nouvelle... »
« Il nous semble, toutefois, que toutes les interventions actuelles de l'État (et pas seulement celles liées à la propriété d'État sur les entreprises publiques), de la fiscalité à la consommation publique en passant par la réglementation du crédit, etc. tout en visant à augmenter et à garantir le profit capitaliste, sont fondées essentiellement sur la même particularité que les entreprises publiques : à savoir la possibilité d'agir sans tenir compte de la loi du profit. (souligné par moi), Et cela dès le C.M.E. au profit des monopoles. En effet, le caractère bénéfique des interventions de l'État pour le profit des monopoles résulte du fait que l'État ne recherche pas le profit pour lui‑même mais pour les capitalistes, les monopoles, l'oligarchie financier » (Economie et politique, n° Spécial sur « Le Capitalisme monopolistique d'Etat, Conférence Internationale de Choisy‑le‑Roi 26‑29 mai 1966 : exposé de Paul Boccara, pages 16 et 17).

Une idée (un concept diraient ces messieurs) se dessine : à l'époque du capitalisme d'Etat, l'intervention dans l'économie de l'Etat, forme un secteur qui a la particularité de fonctionner « sans tenir compte de la loi du profit ». Toute la portée de cette découverte va maintenant nous être révélée. Le même Paul Boccara se livre dans un second exposé à de longues digressions :

« (Marx) évoquant la possibilité de la domination monopolistique sur le capital, domination empêchant la dévalorisation (du capital)... fait allusion à un véritable blocage de la croissance du fait de la suraccumulation (comme cela semble avoir été précisément le cas pendant la dépression des années 1930).
Il écrit « Et si la formation de capital devenait le monopole exclusif d'un petit nombre de gros capitaux arrivés à maturité, pour lesquels la masse du profit l'emporterait sur son taux, le feu vivifiant de la production s'étendrait définitivement. Celle‑ci tomberait en sommeil ».
C'est alors précisément qu'il parle de la limite du mode de production capitaliste. On peut signaler enfin en complément, le passage d'Engels dans l'anti‑Dühring où il évoque la nécessité de la propriété publique après celle des trusts monopolistes. Ce passage conclut une analyse des contradictions de la production capitaliste qui évoque essentiellement la crise cyclique et donc la suraccumulation du capital. C'est ici que se situe notre hypothèse de travail. »

Et Paul Boccara formule son :

« ... 1) Hypothèse
Le concept de dévalorisation du capital fournissant un élément explicatif des issues historiques d'un état de surproduction de capital affectant l'économie capitaliste de façon beaucoup plus profonde et durable que dans une crise cyclique accompagnée d'une dévalorisation passagère ouvertes par cette situation ne pourraient sérieusement reculer que grâce à une transformation structurelle du capitalisme, au milieu de crises sociales aigües permettant seule la continuation de la croissance de la production et l'accumulation capitaliste elle‑même.
« Certaines fractions quantitativement et qualitativement déterminées du capital social seraient affectées de façon en quelque sorte permanente, en raison de modification structurelles, par une certaine dévalorisation. Les autres portions du capital global pourraient, corrélativement (non seulement) rapporter un taux de profit suffisant mais encore continuer à accumuler. De même, il y aurait une sorte d'accumulation de capital partiellement dévalorisé. L'économie dans son ensemble pourrait poursuivre sa croissance avec l'accumulation capitaliste et le progrès des forces productives ».
« Ce serait, principalement du moins, avec la crise de 1930 qu'apparaîtrait une suraccumulation de capital telle qu'elle engendrerait dans la plupart des pays capitalistes avancés un blocage durable ou du moins un freinage tel qu'il nécessiterait pour en sortir un développement massif de la dévalorisation chronique du capital, sous forme de financement public de la production. Par la prise en charge, directe ou indirecte, d'une partie de la valeur des moyens de production par l'Etat, le capital que représentent ces moyens de production étant dévalorisé. Les moyens de production, dans la mesure où ils sont publiquement financés, peuvent ne plus réclamer pour eux le profit que réclament les fonds privés. Cette décapitalisation relative se faisant dans le cadre du capitalisme, à néanmoins comme résultat l'accroissement du profit des autres fractions du capital social total. Elle ne signifie pas non plus que le capital dévalorisé ne participe pas à la production de la plus‑value globale ». (pages 27 et 28).

Le conditionnel est une clause de style. Il ressort de ce texte que la croissances des forces productives a été débloquée parce qu'au sein même du mode de production capitaliste se développe un autre mode de production, qui n'est plus conditionné par la production de la plus‑value et sa réalisation, la loi du profit, la mise en valeur du capital. Le capital se dévalorise parce qu'il n'a plus besoin de se valoriser, il n'est plus du capital, mais simple moyen de production. Pendant qu'un vain peuple s'adonnait à la lutte des classes, l'État, l'État bourgeois, réalisait des merveilles ! Paul Boccara nous annonce la nouvelle. Hélas non, même le capital entre les mains de l'État reste soumis à la loi de la valeur telle qu'elle fonctionne dans le mode de production capitaliste, à la loi du profit. Son fonctionnement, son procès, s'intègre et participe au procès du capital social total, il fonctionne comme partie du capital social total. Pour autant que le capital de l'Etat est employé productivement, il produit de la plus‑value ‑ l'Etat divise son capital : en capital constant qui lui permet d'acheter les moyens de production sinon à leur valeur tout au moins à leur prix de production (capital qui est utilisé à leur production + taux de profit moyen) ; en capital variable avec lequel il achète la force de travail, laquelle produit la plus‑value. Encore bien même l'Etat ne prélèverait pas, en partie ou en totalité, cette plus‑value, elle est reversée par mille moyens au capital social tout entier et participe au taux de profit général. L'Etat ne peut acheter au‑dessus de sa valeur la force de travail. Par ailleurs, comme acquéreur de moyens de production et de moyens de consommation il contribue à la réalisation de la plus‑value produite, dans les autres secteurs de la production sociale.

La « théorie » de Paul Boccara, qui sert de fondement à celle du « Capitalisme Monopolistique d'Etat », ne vaut rien ; néanmoins, elle est intéressante en ce qu'elle s'efforce de fournir une explication « rationnelle », « scientifique », « marxiste », à tous les tenants du « néocapitalisme », de « l'état redistributeur des revenus », « utilisateur des moyens anticycliques », qui surmonte la sclérose du mode de production capitaliste au stade des monopoles, du capital financier, de l'impérialisme et qui est à l'origine d'une nouvelle période de développement tumultueux des forces productives.

Non seulement en tant que producteur, comme en tant que consom­mateur, l'État doit se soumettre à la loi de la valeur, mais encore en tant qu’Etat, Etat bourgeois, il lui est assigné un rôle bien particulier dans la production et des limites à ne pas franchir. Lorsqu'il investit du capital afin de renouveler l'équipement de base, sur lequel nous reviendrons, il prélève directement, par le moyen de l'impôt, par la mobilisation des dépôts des petits épargnants dans les caisses d'épargne, par les banques et autres institution financières, par l'inflation, sur la partie de la masse totale de la valeur réservée à l'entretien et au renouvellement de la force de travail ouvrière, ou représentant une partie des profits des secteurs non‑monopolistes, et ouvre un débouché au secteur les plus monopolisés...qui ultérieurement s'accapareront une partie de la plus‑value produite. Mais il y a plus : l'Etat bourgeois ne peut pas investir dans n'importe quel secteur de l'économie. Il se charge sans aucun doute des secteurs de l'économie à capital constant élevé, et à rotation de capital lente, comme les travaux publics, ceux d'infrastructure où la production de la plus‑value est en‑dessous du taux de profit moyen qui sont des débouchés pour l'ensemble du capital social, et permettent la réalisation de la plus‑value produite dans les autres secteurs, par une forte consommation de moyens de production notamment.

Mais même ces secteurs ont leurs limites déterminées par la loi de la valeur, la production de la plus value, le taux de profit. Ils ne peuvent atteindre un niveau où ils représenteraient un suréquipement du point de vue de l'économie capitaliste dans son ensemble. Ils doivent être proportionnels à la consommation productive ‑ du point de vue du capital ‑ qu'en peut faire l'économie capitaliste dans son ensemble. Le capital les utilise comme éléments de ses propres moyens de production ‑ qui au‑delà d'une certaine limite ne représentent plus aucune « utilité publique » (dans la société capitaliste l'utilité publique c'est l'utilité pour le capital). Bien plus.. elles alourdiraient l'économie capitaliste dans son ensemble, qui n'existe pas dans un monde abstrait, et est elle‑même très concrète, face à la concurrence sur la marché mondial. Ce qui est vrai de l'infrastructure publique, ne l'est pas moins de l'équipement hospitalier, de l'enseignement, etc. Pour autant que les moyens de production sont développés par les soins de l'Etat, se pose avec de plus de force encore les problèmes fondamentaux du mode de production capitaliste ‑ des débouchés pour les marchandises et le capital sous forme argent.

Enfin, il ne saurait être question pour l'État bourgeois de développer des productions qui concurrenceraient les différentes branches du capital privé, singulièrement celles monopolisées. Il ne peut pas être producteur de marchandises en général. Là n'est pas sa fonction ‑ il est l'Etat bourgeois dont l'action politique et économique défend la société bourgeoise. Il lui est impossible de s'abstraire de la société bourgeoise, ne serait‑ce que pour « la sauver ». Ce n'est pas assez dire qu'il « est lié organiquement » au capital, aux monopoles ; ses organes sont des produits de la société bourgeoise, leur fonctionnement interne procède, comme ses rapports avec la société bourgeoise, des mêmes lois fondamentales qui règlent le fonctionnement de la société bourgeoise, comme chaque cellule, chaque organe de notre corps, bien que différenciés et ayant leurs fonctions spécifiques, leurs lois propres, sont soumis non seulement au processus d'ensemble, mais à des lois générales valables pour chacun d'eux. Et la loi de la valeur est la loi des lois du mode de production capitaliste, spécifiquement la production de la plus‑value.

L'État bourgeois a comme fonction générale et particulière de garantir la production de la plus‑value, l'exploitation de la force de travail. Sous aucune forme, et d'aucune manière, il ne peut déroger à cette loi aussi bien lorsqu'il exploite lui‑même la force de travail, que lorsqu'il établit et défend les conditions générales économiques et politiques de l'exploitation de la force de travail à l'échelle de toute la société.

Il ne faut jamais oublier que la loi de la valeur telle qu'elle fonctionne dans le mode de production capitaliste n'est autre chose que l'expression abstraite des rapports sociaux de production de celui‑ci.

Tout en n'étant pas une innovation, l'intervention de l'Etat et ses fonctions économiques n'ont cessé de se développer depuis que le mode de production capitaliste est parvenu au stade de l'impérialisme, des monopoles, du capital financier. La première guerre mondiale impérialiste voit les Etats bourgeois belligérants instituer « le socialisme de guerre » dont parle Lénine dans « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ». Le phénomène se développe le plus profondément en Allemagne. La social‑démocratie allemande comme tous les partis faillis de la II° Internationale découvrirent dans l'économie de guerre, les éléments du socialisme, une modification des fonctions économiques de l'Etat bourgeois qui aurait été contraint, sous l'emprise des nécessités, à mettre sur pieds un certain style de « socialisme ». La référence aux années 1930 comme point de départ d'un nouveau genre d'intervention de l'Etat bourgeois dans l'économie est donc en elle‑même fausse. Elle n'en reste pas moins intéressante, car il est vrai que tous les états bourgeois durent intervenir, développer leurs fonctions économiques afin de surmonter cette crise. La fossilisation, le capitalisme de monopole, le capital financier, ne permettaient pas qu'elle se résolve par les mécanismes classiques du mode de production capitaliste : la dévalorisation, la mise hors d'usage d'une masse énorme de capital fixe, et le renouvellement élargi de ce capital.

Une première constatation s'impose : tous les programmes de grands travaux, de « développement de la consommation », de « redistribution des revenus » par l'Etat, se traduisirent par des échecs. Les limites des « grands travaux » furent vite atteintes. L'Etat bourgeois ne pouvait les développer plus, le capital ne pouvant en faire une « consommation productive » de son point de vue. En France, en Angleterre, aux U.S.A., l'échec fut patent : la crise s'avérait insoluble par cette méthode. Là où « les grands travaux » furent poussés le plus loin ce fut en Allemagne, exemple : les autoroutes. La raison en est simple : ils s'intégraient comme composante de l'économie d'armement et de préparation à la guerre. La crise ne fut réellement résorbée que lorsque ses derniers effets disparurent aux U.S.A... un an après l'éclatement de la seconde guerre mondiale, quand l'Europe et le Japon étaient déjà dans le cycle de l'économie de guerre, que les U.S.A. poussèrent au maximum l'économie d'armement qui déboucha rapidement sur l'économie de guerre et qu'ils devinrent l'arsenal de toute la coalition impérialiste « démocratique ». Le mécanisme de l'intervention de l'Etat bourgeois dans l'économie, le rôle économique de l'Etat bourgeois prirent leur plus grande ampleur, leur forme la plus pure en Allemagne dans le cours de la préparation à la deuxième guerre impérialiste mondiale et pendant celle‑ci. Sans se livrer à une analyse détaillée, relevons les conclusions de Charles Bettelheim à ce propos :

« Nous assistons sous le régime nazi à une accumulation extrêmement rapide des capitaux privés, mais à une accumulation qui n'aboutit que dans une faible mesure à l'accroissement des forces productives (des moyens de production) étant donné que les capitaux ainsi constitués, au lieu de s'investir en moyens de production sont dirigés vers les caisses de l'Etat ; ceci signifie qu'en réalité la politique nationale‑socialiste a permis de fournir une solution momentanée (et cette solution ne pouvait être que momentanée) au problème des débouchés nécessaires aux marchandises et aux capitaux ; aux marchandises, l'Etat a ouvert le débouché de ses commandes, aux capitaux, il a ouvert le débouché de ses emprunts. Ainsi résolus (résolus, encore une fois, d'une façon seulement momentanée) les problèmes qui avaient lourdement pesé sur l'économie allemande, le problème de l'exportation des marchandises et de l'exportation des capitaux, puisque par l'intermédiaire de l'Etat se trouvaient ouverts des débouchés intérieurs artificiels. Il est évident qu'une telle politique ne pouvait continuer sur une longue période, puisqu'elle devait aboutir à l'accroissement de la dette publique, c'est‑à‑dire de la part du revenu national que l'Etat devait absorber pour le redistribuer sous forme d'intérêts aux porteurs de titres représentatifs de la dette publique. Cette politique devait avoir pour aboutissement logique l'appropriation par le capital financier d'une fraction de plus en plus grande (du revenu national)... étant donnée la structure économique... Pour éviter une telle issue, il fallait à tout prix que le nazisme trouvât le moyen d'offrir des débouchés aux marchandises et aux capitaux du Reich ; étant incapable de les offrir à l'intérieur du pays, il devait inéluctablement les chercher à l'extérieur et recourir à la solution guerrière. En d'autres termes, il apparaît que les méthodes mêmes du financement de la politique économique nazie devaient conduire ou à l'effondrement financier ou à la guerre, et sans doute aux deux. Et, d'autre part, il est évident qu'étant donnée la structure économique et sociale du Reich, structure économique et sociale que les nazis ont voulu consolider, il ne pouvait être question d'une politique sensiblement différente de celle qui fût suivie à partir de 1933. » ( L'économie allemande sous le nazisme, édition 1946, page 268).

En même temps, sous la direction des nationaux‑socialistes, l'Etat bourgeois allemand prenait en compte certains secteurs de la production, non rentables, mais indispensables au fonctionnement de l'économie d'armement et ensuite à l'économie de guerre, tels les « Hermann Göring Werke » fondés afin d'exploiter les minerais de fer à faible teneur d'Allemagne.

Si donc on donne 1930 comme point de départ d'un nouveau style d'intervention de l'Etat bourgeois dans l'économie, il faut, alors, ne pas se contenter de citer quelques faits partiels comme ceux‑ci :

« Jean‑Marcel Jeanneney rappelle, lui, l'arrêt brutal des investissements de l'énergie électrique dans les années 1930. Il souligne l'aide et l'initiative de la puissance publique pour le nouveau programme de 1938 et 1939... Claude‑Albert Colliard... souligne l'importance des fonds publics, des fonds publics entre les deux guerres et du fonds d'amortissement de 1938. On sait par ailleurs qu'avec le début d'expansion et la faiblesse relative des tarifs électriques industriels de 1938, dus à l'intervention publique, plusieurs sociétés industrielles cessent de fabriquer elles‑mêmes leur énergie et trouvent plus avantageux d'utiliser le réseau national. »

Il ne suffit pas d'ajouter à cet exemple ceux de la nationalisation de la S.N.C.F., de la Banque de France en 1936, de poursuivre :

« la nationalisation va couronner cette évolution avec des investissements massifs libérés des contraintes immédiates du profit privé, mais une évolution des prix qui abaisse considérablement le prix réel de l'électricité par rapport aux prix privés » (exemple s'appliquant naturellement à la S.N.C.F., aux Houillères, à la R.A.T.P., etc.) et de conclure qu'elle « diminue les coûts et relève les taux de profits capitalistes. » (Economie et Politique. Paul Boccara, pages 43‑44, N° déjà cité).

Donner son véritable sens et contenu à l'intervention de l'Etat dans l'économie, directe ou indirecte, par voie de crédits, de financements des industries privées, d'entreprises publiques ou semi‑publiques, exige d'analyser et de caractériser l'ensemble du cycle économique. L'utilisation et l'accroissement du potentiel productif aux fins de l'économie d'armement et de l'économie de guerre, correspondent à une destruction massive de forces productives, en vue d'une destruction massive des forces productives. C'est bien ce qui s'est produit, sans contestation possible, entre 1930 et 1945, à une échelle inconnue jusqu'alors. En d'autres termes, l'intervention de l'Etat bourgeois dans l'économie, intervention nullement nouvelle, mais de dimension sans cesse croissante au cours des années 1930‑1945, confirme totalement la définition de Lénine du rôle de l'Etat : « L'Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d'oppression d'une classe sur une autre ». Cette fonction ‑ la fonction de l'Etat ‑ l'Etat bourgeois l'exerce de toutes les façons et sur tous les plans dans ses fonctions économiques il reste « un organisme d'oppression d'une classe sur une autre ». Loin de développer un secteur où « les moyen de production, dans la mesure où ils sont publiquement financés, peuvent ne plus réclamer pour eux le profit que réclame les fonds privés », l'Etat, l'Etat bourgeois, intègre son intervention aux processus et aux exigences de l'économie capitaliste toute entière. Loin de procéder « à une redistribution des revenus » il met en coupe réglée tous les secteurs de l'économie en vue de l'extraction et la réalisation de la plus‑value. Loin d'utiliser des « techniques anticycliques », il utilise des méthodes qui reproduisent les crises de l'économie capitaliste dans une forme infiniment plus explosives : l'économie d'armement, l'économie de guerre, la guerre impérialiste. L'intervention de l'Etat, de l'Etat bourgeois, dans l'économie confirme pleinement la définition de Lénine de l'impérialisme, le stade « du parasitisme, de la putréfaction du capitalisme ». Elle « putréfie » l'ensemble des rapports sociaux, toutes les relations de production, toutes les relations sociales, la culture, la science, détruisant tous les acquis antérieurs du mode de production capitaliste. Le couronnement de « l'intervention de l'Etat dans l'économie », ce sont les camps de concentration, le travail forcé (esclavagiste), les champignons atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki. La construction d'autoroutes, de nouvelles centrales électriques, etc. etc. est subordonnée à cette fin et y concourt. L'Etat, l'Etat bourgeois, comme et parce qu'expression concentrée de la classe dominante, porte au plus haut point le processus de putréfaction du mode de production capitaliste à son stade impérialiste.


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