1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

1

L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme ou nouvelle époque historique ?


Inflation de crédit,  monnaie, capital fictif

Les économistes, et Mandel‑Germain avec eux, attribuent la crise actuelle, dite « des moyens de paiement » aux déséquilibres des balances commerciales et des comptes. (Mandel‑Germain, qui est « marxiste », y ajoute la loi du développement inégal). Marx (mais peut‑être ne connaissait‑il pas la loi du développement inégal dont Staline a fait un si abondant usage) remarque :

« En période de crise générale, la balance des paiements est défavorable pour toutes les nations, pour celles, du moins, qui sont commercialement développées, mais toujours l'une après l'autre dès que son tour vient de payer, comme dans un jeu de peloton ; et la crise, une fois qu'elle a éclaté, en Angleterre par exemple, concentre la série de ces échéances sur une période extrêmement brève. Il apparaît alors que toutes ces nations ont à la fois trop exporté (donc trop produit) et trop importé (donc fait trop de commerce) que chez toutes les prix étaient surfaits et le crédit surtendu. Et chez toutes succède à cet  état le même effondrement. Le phénomène de l'hémorragie d'or se produit chez l'une après l'autre et sa généralité prouve précisément que : 1.La sortie d'or n'est qu'un simple phénomène de la crise et non sa cause ; 2. Que l'ordre dans lequel il se manifeste chez les diverses nations indique seulement quand leur tour est venu de clore leur compte avec le ciel, quand tombe pour elles l'échéance de la crise et quand éclatent au grand jour les éléments de celle‑ci. » (Idem page 154).

La crise financière actuelle a au fond les mêmes causes. Toutes les nations ont trop importé, en regard de la capacité d'absorption de leur propre marché. Sur chaque marché national, les marchandises étrangères concurrencent celles produites dans le pays même. Toutes ont trop exporté ; le marché mondial n'est pas capable d'absorber les marchandises que chaque nation exporte. Les déséquilibres dans les balances commerciales et des comptes sont l'expression de la surabondance mondiale de capitaux sous forme de marchandises et de moyens de production, par rapport à la capacité d'absorption, malgré l'économie d'armement : la crise de surproduction menace. Mais il s'y ajoute un autre phénomène qui rend cette menace infiniment plus redoutable qu'elle ne le fut jamais et qui résulte de la façon même dont furent réorganisés le marché mondial, la division internationale du travail, et impulse l'ensemble de l'économie capitaliste mondiale : une énorme masse de capitaux argent ‑ des milliers de milliards de dollars ‑ qui ne sont que du capital fictif.

« La forme du capital porteur d'intérêt implique que tout revenu ‑ argent déterminé et régulier ‑ apparaisse comme l'intérêt d'un capital, que ce revenu provienne ou non d'un capital. D'abord on transforme l'argent empoché en intérêt et quand on a l'intérêt on trouve ensuite le capital qui l'a produit. De même, avec le capital porteur d'intérêt tout somme de valeur est prise pour du capital, dès lors qu'elle n'est pas dépensée comme revenu ; elle apparaît comme principal par opposition à l'intérêt virtuel ou réel qu'elle peut rapporter...
... Le capital qui, au yeux des gens, produit un rejeton (intérêt), ici le versement de l'Etat, demeure un capital fictif, illusoire. Non seulement parce que la somme prêtée à l'Etat n'existe plus du tout, mais encore parce que jamais elle n'avait été destinée à être dépensée en tant que capital qui aurait pu faire d'elle une valeur susceptible de se conserver par elle‑même...
... On appelle capitalisation la constitution du capital fictif. On capitalise n'importe quelle recette se répétant régulièrement en calculant, sur la base du taux d'intérêt moyen, le capital qui, prêté à ce taux, rapporterait cette somme...
... Le mouvement autonome de la valeur de ces titres de propriétés ‑ pas seulement des bons d'Etat, des actions aussi, renforce l'illusion qu'ils constituent un véritable capital à côté du capital qu'ils représentent ou du droit qu'ils peuvent établir. Ils se transforment en marchandises dont le prix varie et est fixé selon des lois propres. Leur valeur de marché est déterminée autrement que leur valeur nominale, sans que soit modifiée la valeur (sinon la mise en valeur) du capital réel. » (K. Marx, idem, pages 129‑130‑131).

Loin d'avoir constitué un secteur de l'économie qui développe les forces productives parce que n'obéissant plus aux lois du profit, l'Etat bourgeois - tous les Etats bourgeois ‑ ont développé un immense parasitisme, dont nous trouvons chez Marx l'explication théorique, mais dont il ne pouvait prévoir l'ampleur. Lorsque les mécanismes de l'économie capitaliste fonctionnaient librement, l'inflation de crédit, le capital fictif, étaient détruits par la crise. Les emprunts d'Etat étaient limités, et le recours aux Banques Centrales également. Après des oscillations qui nous paraissent aujourd'hui légères, généralement la monnaie n'était pas affectée.

Depuis près de soixante ans il n'en est plus de même. La dépréciation constante de toutes les monnaies, la hausse des prix ont leur origine dans le parasitisme croissant, alimenté par les Etats bourgeois. L'inflation de crédit et de monnaie procède principalement du financement par emprunts ou par le recours aux banques centrales, de l'économie d'armement. Il en résulte une montagne de capital fictif dans tous les pays. Hier, le trop plein de monnaie ou de moyens de circulation, refluaient sous l'effet de la crise. Les valeurs fictives s'effondraient. Mais dans l'ensemble les monnaies n'étaient pas ou peu affectées, pour autant qu'elles étaient ou représentaient des valeurs réelles, leur quantité en circulation et leur vitesse de cotation diminuaient. Désormais, les banques d'émission sont insolvables. Aujourd'hui le trop plein de monnaie ou de signes monétaires est condamné à poursuivre sa course et à s'enfler. constamment sous peine qu'apparaisse la réalité que la grande masses est composée de valeurs fictives, que se produit un effondrement de la monnaie et du système de crédit, et que se disloquent les rapports économiques.

Les déséquilibres dans les balances commerciales et de paiements ne sont pas la cause de la crise du système monétaire international. Toutes les nations ont trop importé et trop exporté en regard de la consommation normalement solvable. Tous les Etats bourgeois ont par leurs dépenses parasitaires, et singulièrement celles d'armements, ouvert des débouchés artificiels à la production qui ont entraîné le fonctionnement d'ensemble de l'économie, qu'ils ont financé par des traites de cavalerie, les emprunts, le recours aux banques centrales et les mille moyens de la technique financière. Les déséquilibres des balances révèlent cette situation. Elle est d'autant plus grave  que le pivot de l'impérialisme mondial, l'impérialisme américain, est au centre de cette émission massive de traites de cavalerie, chèques sans provision, de formation de capital fictif. La crise financière internationale menace. Elle n'est autre chose que la crise économique classique sous une autre forme ; elle exige une autre fuite en avant afin d'être évitée dans l'immédiat. L'impérialisme américain a besoin que le dollar reste le moyen de paiement international. S'il ne remplit plus ce rôle librement, il devrait avoir cours forcé comme monnaie internationale. Deux marchés sont institués : celui du cours libre du dollar et celui des banques centrales qui ne peuvent se faire rembourser leurs dollars qu'au cours officiel de 35 dollars l'once d'or. Sous la forme des droits de tirages spéciaux, les U.S.A. et les autres pays règleront en dollars ou en monnaies cotés par rapport au dollar les déficits de leurs balances de paiements. Ce sont les premières mesures qui vont dans le sens du cours forcé du dollar. Elles ne font qu'aller dans ce sens.

Instituer le cours forcé du dollar à l'échelle internationale exigerait la formation d'une sorte de super‑impérialisme, et la subordination étroite des autres Etats nationaux bourgeois à l'Etat national américain. C'est loin d'être le cas. Néanmoins, les différents Etats bourgeois ne peuvent rester indifférents à l'effondrement du dollar, qui disloquerait le marché mondial. Aussi acceptent‑ils certaines mesures qui vont dans ce sens. L'Allemagne Fédérale accepte même d'acheter par milliards de dollars des bons du trésor américain.

L'énorme quantité de capitaux fictifs tend à se transformer en capitaux flottants qui, au gré des fluctuations économiques, financières, politiques, en vue d'un profit de spéculation, se déplacent par milliers de dollars d'un pays à l'autre. L'impérialisme se voit confronté avec la nécessité de soutenir la conjoncture internationale, de donner un emploi à l'énorme masse de capital argent, de fixer les capitaux flottants. Une nouvelle accentuation des dépenses parasitaires des Etats bourgeois, de l'économie d'armement, devient nécessaire, faute d'autres débouchés. Le loyer de l'argent est porté à un cours sensationnel en vue de procurer aux Etats bourgeois de nouvelles ressources, de détourner la spéculation de l'or vers les valeurs d'Etat et les emprunts à court terme, de limiter le réescompte des traites et autres effets par les banques centrales. Tandis que l'escompte par les banques centrales atteint 7 à 8 %, sur le marché de l'Euro‑dollar pendant l'été 69 les emprunts à un mois ont monté jusqu'à 12 %. Jusqu'où peuvent aller de semblables méthodes... c'est une autre affaire.

La pseudo‑prospérité, le pseudo‑développement des forces productives, ont comme moteur un parasitisme inégalé. L'inflation permanente et s'accentuant de crédit et de monnaie, le prodigieux amoncellement de capital fictif, expriment dans le langage abstrait de la finance, une non moins prodigieuse destruction de forces productives. L'accumulation du capital s'est poursuivie sous l'impulsion de l'économie d'armements. La seule perspective à plus ou moins long terme, c'est une crise économique sans précédent ou la guerre impérialiste dans toute son ampleur et son horreur. Certes il existe des différences entre l'Allemagne sous la botte nazie et la coalition impérialiste actuelle. Il demeure que la logique qui a conduit de l'économie d'armements à l'économie de guerre en Allemagne de 1933 à 1940 est celle‑là même qui s'impose actuellement à l'économie capitaliste mondiale.


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