1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


L'Europe, plaie ouverte de l'impérialisme

Germain‑Mandel, au nom des renégats de la IV° Internationale, n'en poursuit pas moins impertubablement son rapport :

“ Objectivement, les conséquences économiques de la guerre du Vietnam ont accentué la crise du dollar, accru les tensions du système monétaire international, aggravé les tensions inter-impérialistes, épongeant ainsi les réserves avec lesquelles la bourgeoisie internationale aurait pu atténuer les effets de la récession de 1966‑67 ”.

Une fois de plus, notre “ théoricien ” marche au plafond : la bourgeoisie internationale “ atténue les effets des récessions ” par l'économie d'armement, ce qui a comme conséquence “ la crise du dollar et du système monétaire international ”. Du point de vue “ économique ”, la guerre au Vietnam a participé au “ boom ” en accentuant les dépenses militaires de l'impérialisme U.S. avec sa contrepartie, la contrepartie inévitable de l'économie d'armement : l'inflation. Poursuivons :

“ Sous le poids de tous ces facteurs économiques, la bourgeoisie a été au contraire obligée de mener pratiquement dans tous les pays impérialistes une politique d'attaques contre le niveau de vie et contre un certain nombre de situations considérées comme des droits acquis par les travailleurs (notamment le plein emploi et les avantages extra‑conventionnels). Ceci, à son tour, a stimulé une reprise de la lutte des secteurs échappant le plus au contrôle de la bureaucratie syndicale et ébranlé le climat de stabilité sociale relative, qui avait existé dans la plupart des pays impérialistes pendant la période précédente. ” (Quatrième Internationale, mai 1969, page 14).

Une fois encore, les grandes luttes de classes des années 60 n'entrent pas dans le schéma pabliste. Elles en dérangeraient l'ordonnance : elles sont donc nulles et non‑avenues. Au‑delà les Mandélo‑pablistes escamotent la profondeur, la signification, la portée de la lutte des classes qui n'a cessé de se poursuivre en Europe avant comme après la défaite de la révolution hongroise, la prise du pouvoir par les colonels en Grèce. L'impérialisme mondial fut incapable de résoudre en sa faveur la question centrale de la lutte des classes dans le monde ‑. celle des rapports de force entre les classes dans les pays économiquement développés (Europe de l'Est et U.R.S.S. comprises), qui se centralise en Europe. Il n'est pas parvenu à écraser comme il y parvint entre 1918 et 1938, le prolétariat européen : l'Europe est la plaie ouverte du système impérialiste mondial, malgré qu'en 1956‑58 le prolétariat européen ait subi de dures défaites.

Mais il faut revenir sur la reconstruction des économies et des états bourgeois en Europe, après la seconde guerre mondiale.

Il est évident que le capital américain a profité de la reconstruction de l'économie capitaliste en Europe. Des débouchés s'ouvraient à lui. Le capital américain s'est assuré de fortes positions en Angleterre, en Allemagne de l'Ouest, en Italie, en France, en Belgique, en Hollande, en Grèce, en Espagne. De plus le capital américain liait à sa politique les bourgeoisies et les états bourgeois d'Europe par les liens du plan Marchall et du Pacte Atlantique. Limiter l'analyse à ces aspects, si importants soient‑ils, serait superficiel. En prenant en charge la reconstruction des états bourgeois d'Europe et de l'économie capitaliste sur leurs anciennes bases, il intégrait aux siennes toutes les anciennes contradictions du mode de production capitaliste en Europe. Tuteur de l'impérialisme, l'état bourgeois américain dépensait des dizaines de milliards de dollars pour reconstituer l'économie capitaliste en Europe par le truchement des états bourgeois d'Europe, tout comme dans le monde il devait prendre en charge le soutien des gouvernements et états bourgeois plus ou moins fantoches, sans base réelle. Il est bien connu, par exemple, que les gouvernements français entre 1945 et 1958 se livrèrent à de véritables chantages auprès du gouvernement américain, afin d'obtenir de lui des crédits massifs : chantage à l'effondrement de l'économie capitaliste française, qui eût précipité l'affrontement entre les classes et risquait d'entraîner le renversement du pouvoir bourgeois en France ; chantage à l'abandon de la guerre d'Indochine après la victoire de la révolution chinoise si l'impérialisme U.S. ne finançait pas la guerre. Il dut prendre sur lui la reconstruction de l'état bourgeois de l'Allemagne de l'Ouest, soutenir le rôle mondial de l'impérialisme anglais, (ce qui n'exclut pas qu'il prit sa place là où c'était possible et intéressant, au Moyen‑Orient ou aux Indes, par exemple), soutenir l'état bourgeois italien, etc... Le plan Marchall notamment, s'il avait comme implication politique de lier la politique des bourgeois européens à l'impérialisme U.S., fut mis sur pieds afin de restructurer les états et les bourgeoisies d'Europe. Mais l'opération se réalisa en outre par mille et un canaux : commandes militaires “ off‑shore ”, dépenses des troupes américaines en Europe, subventions de la guerre d'Indochine. Jusqu'aux environs de 1958, ce sont surtout des crédits et subventions de tous ordres de l'état américain aux bourgeoisies européennes, plutôt que les investissements privés américains, qui dominent. Utilisons les statistiques fournies par Mandel lui‑même pour l'illustrer : la balance commerciale américaine accuse au contraire un  excédent permanent d'exportations qui a oscillé pendant les six dernières années entre 4 et 7 milliards de dollars par an, mais qui s'est subitement rétréci en 1968 (il n'était plus que de 850 millions de dollars pour les sept premiers mois).

“ Les véritables causes du déficit de la balance des paiements, il faut les rechercher dans les exportations de capitaux frais et surtout dans les dépenses militaires à l'étranger, ainsi que dans l'“ aide ” à l'étranger du secteur public.
... A la fin de la deuxième guerre mondiale, ce pourcentage (des réserves d'or du monde possédé par les U.S.A.) s'élevait à 75 % pour retomber d'un peu moins de 50 % en 1950.
En cette même année, les Etats‑Unis disposaient d'une réserve de 22,8 milliards de dollars, les pays de la C.E.E. de seulement 3 milliards, et la Grande‑Bretagne de 3,7 milliards.
En 1958, les réserves des Etats‑Unis étaient tombées à 20,6 milliards de dollars et les réserves de la C.E.E. étaient montées à 11,9 milliards. Puis vint le grand tournant, et en 1967 les réserves américaines ne se montaient plus qu'à 14,3 milliards, tandis que celles de la C.E.E. atteignaient 24,4 milliards. En septembre 1968, les réserves américaines se sont légèrement relevées à 14,6 milliards, tandis que celles du Marché Commun ont légèrement fléchi à 23,5 milliards (par suite des pertes françaises). Il faut ajouter à cela que les réserves américaines qui, entre 1950 et 1958, étaient constituées d'or pur, ne le sont plus aujourd'hui qu'à 79 %, tandis que pour la même période l'or figurant dans les réserves monétaires des pays de la C.E.E. passait de 57 % en 1958 à plus de 70 % au milieu de 1968.
De l'or monétaire, l'Europe en détient en juillet 1968 pour près de 21 milliards de dollars contre 10,5 milliards pour les Etats‑Unis. ” ( La réponse socialiste au défi américain, pages 99 à 102).

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