1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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L'Impérialisme, la bureaucratie du Kremlin, les États-Unis Socialistes d'Europe


L'impérialisme tend à “ réunifier ” l'Europe à sa manière

L'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin ont fait violence, à Yalta et à Potsdam, au développement historique de l'humanité et aux exigences de la croissance des forces productives, en partageant l'Europe et le monde en zones d'influence, afin de contenir la poussée révolutionnaire du prolétariat en Europe. La division du plus puissant pays d'Europe en deux, l'Allemagne, souligne le caractère réactionnaire de l'opération : ce sont les seules “ solutions ” que l'impérialisme et la bureaucratie du Kremlin pouvaient utiliser. Mais ce genre de “ solutions ” ne saurait être que temporaire. Le problème n'était pas résolu, mais contenu et différé.

Les lois de l'histoire ne sont pas des lois mécaniques. Il peut, pour un temps, leur être fait violence. La division en deux de l'Europe et du monde peut être artificiellement maintenue pendant une période plus ou moins longue. En dernière analyse, les lois de l'histoire ne cessent pourtant pas d'opérer. Contenues, elles ne deviennent que plus explosives. Par sa puissance économique accumulée, l'impérialisme américain peut doter l'économie capitaliste mondiale d'un volant d'entraînement d'une énorme puissance : l'économie d'armement chronique. Il peut injecter massivement sous les formes les plus diverses, les crédits nécessaires à la reconstruction des états bourgeois et des économies capitalistes de l'Europe occidentale, réorganiser les courants d'échanges, et rendre supportable la coupure de l'Europe et du monde en deux. Déjà, cette politique était fonction de l'objectif plus ou moins avoué et à atteindre à plus ou moins long terme : briser le monopole du commerce extérieur en U.R.S.S., dans les pays de l'Est de l'Europe, en Chine ; ouvrir les voies de pénétration au capital et aux marchandises dans ces pays.

Dictée par la puissance du prolétariat d'Europe occidentale, elle soumettait en même temps l'économie des pays où le mode de production capitaliste avait été renversé à une énorme pression, aussi bien par la course aux armements qu'elle imposait à la bureaucratie du Kremlin, que par l'isolement économique, le “ cordon sanitaire ” économique dont elle entourait ces pays. En conséquence, loin de “ consacrer ” la division en deux de l'Europe et du monde en profondeur, elle signifiait exactement le contraire. L'impérialisme se préparait à unifier à sa manière l'économie mondiale. Toutes proportions gardées, la comparaison avec l'autarcie en Allemagne après la prise du pouvoir par Hitler permet d'illustrer ce processus. L'autarcie imposée à l'impérialisme allemand par la décomposition du marché mondial à la suite de la crise de 1929‑30, ne consacrait pas l'édification d'une économie capitaliste allemande se suffisant à elle‑même, détachée du marché mondial et de la division internationale du travail. L'impérialisme allemand faisait de nécessité vertu, et par l'autarcie, il se préparait à briser, par la force, par la guerre impérialiste, l'isolement économique de l'Allemagne, à imposer sa présence sur le marché mondial et la division internationale du travail conforme à ses intérêts. L'impérialisme mondial sous l'impulsion de l'impérialisme américain, dès le lendemain de la dernière guerre mondiale, mettait en place les moyens du réinvestissement de l'Est de l'Europe et de l'U.R.S.S., même si superficiellement il apparaissait qu'il s'accommodait, donc qu'il pouvait s'accommoder, de la situation existante.

En vingt‑cinq ans, une nouvelle et extraordinaire accumulation de capital s'est produite dans les principaux pays capitalistes, sous les trois formes que prend le capital : marchandises, moyens de production, argent. Même si une bonne partie du capital argent est du capital fictif qui témoigne de la destruction massive des forces productives, même si l'accumulation de capital sous les formes de moyens de production et de marchandises est conditionnée par une économie d'armement chronique, cette énorme masse de capital n'en réclame pas moins des marchés, des champs d'investissements. Il faudrait dire, d'autant plus que ces capitaux ont été accumulés sous l'impulsion de l'économie d'armement chronique qui dure depuis vingt‑cinq ans, qu'ils ont besoin de débouchés et de champs d'investissement car, à son échelle actuelle, l'économie d'armement ne suffit plus à les mettre en valeur. Sauf à passer à l'économie de guerre, à plus ou moins brève échéance l'accumulation de capital exige “ l'unification ” des forces productives en Europe et dans le monde. Mais il s'agit des forces productives du mode de production capitaliste et non de forces productives en général. Elles ne peuvent être “ réunifiées ” avec celles de l'U.R.S.S., des pays de l'Est de l'Europe, de Chine, par simple “ interpénétration ”. Réunifier signifie, dans le langage de la mise en valeur du capital, détruire les rapports sociaux de production, la planification, le mode de production sociale des pays de l'Est de l'Europe, de l'U.R.S.S., de Chine, y réintroduire le mode de production capitaliste. La réunification de l'Europe et du monde sous la pression de la masse de capitaux accumulée exige le bouleversement de la division actuelle du travail, la subordination des forces productives de l'Est de l'Europe. de l'U.R.S.S., de la Chine, y réintroduire le mode de production capitaliste. La réunification (…) [1] productives simplement complémentaires de celles des principaux pays capitalistes, c'est‑à‑dire la destruction massive de la plupart d'entre elles. Une fois encore, l'on constate que l'accumulation de capital ne peut être identifiée à une nouvelle et prodigieuse croissance des forces productives. Elle exige au contraire, en plus de l'exploitation des pays économiquement arriérés : la destruction des rapports sociaux de production nés de la révolution d'Octobre et étendus à l'Europe de l'Est, de ceux établis par la révolution chinoise, la destruction massive des forces productives qui se sont développées dans ces pays en conséquence des nouveaux rapports de production, la subordination du reste transformé en simple complément de celles de l'impérialisme.


Notes

[1] Une partie de la phrase manque manifestement dans l’édition de 1971.


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