1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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Hégémonie du prolétariat, Front Unique Ouvrier, question du pouvoir


Application concrète de la stratégie du Front unique

En mai juin 68, après mai juin 68, au cours des élections présidentielles, depuis les élections présidentielles, l'O.T., l'A.O., l'A.J.S. n'ont cessé, en concrétisant en fonction de la situation politique, des développements de la lutte des classes, de mettre en avant « le mot d'ordre de « gouvernement ouvrier » qui est une conséquence inévitable de toute la tactique du front unique ».

En lutte contre le F.U.O., alternant la phraséologie gauchiste et opportuniste, passant « des C.A., organes du double pouvoir » à la lutte pour « les pouvoirs », à la glorification du « premier territoire socialiste libre »   la Sorbonne   les renégats de la IV° Internationale, après avoir « boycotté le référendum », se sont emparés du programme « des démocrates conséquents » de ... 1789, la Constituante. Gloire et honneur à ces valeureux pionniers. A aucun moment, ils ne furent capables de. formuler un mot d'ordre gouvernemental qui exprime le prolétariat comme classe et ouvre ainsi une voie à l'instauration du « pouvoir ouvrier ».

En apparence, tout se poursuit. La transition de De Gaulle Pompidou s'est effectuée sans douleur. En brisant l'unité que concrétisait le Non au référendum, les dirigeants du P.S. et du P.C.F., avec la collaboration de Krivine et de Rocard, ont fermé toute perspective politique propre à la classe ouvrière. Ce sont eux qui ont assuré le calme de la transition.

L'absence de perspective politique propre paralyse la classe ouvrière. Après mai juin 68, la classe ouvrière ressent profondément que la solution se situe au niveau du gouvernement. D'importants mouvements de grève ont néanmoins lieu qui sont caractéristiques : la classe ouvrière s'efforce de reconstituer son front de classe, de réagir contre la politique gouvernementale, de contrôler ses mouvements.

Le V° Plan mis à mal par la grève générale de mai juin 68, l'échec de De Gaulle, les échéances demeurent et se font plus pressantes. Les objectifs du V° Plan, aggravés, se retrouvent dans le VI° Plan. Mais ils sont difficiles à appliquer contre une classe ouvrière consciente de sa puissance. Aussi la politique gouvernementale apparaît elle comme décousue et anarchique. Mais le démantèlement de l'université, de l'enseignement, de la formation professionnelle continue. Les annexes du rapport Nora sont progressivement appliquées. Les fusions, concentrations, éliminations d'entre­prises se multiplient. La santé, les services hospitaliers sont attaqués. Les mesures qui accentuent le caractère policier de l'Etat bourgeois s'inten­sifient : nouvelle loi scélérate, démonstration policière, interdiction de manifestations, dissolution d'organisations, loi sur le service militaire. Les directions syndicales signent contrats de progrès et accords cadres. Conjointement, la « majorité » se désagrège. Dès que se dessine une résistance émanant de la classe ouvrière, le gouvernement hésite et tergiverse, il laisse opérer les directions des organisations syndicales.

Son angle d'attaque est dirigé d'abord contre la jeunesse qu'il s'efforce, avec la complicité des dirigeants des partis et syndicats ouvriers, d'isoler.

Des grèves comme celle des cheminots de septembre 69, comme celle de la sécurité sociale en octobre 69, comme la grève des étudiants en médecine et en langues, ont une très grande importance symptomatique. Au cours de ces mouvements, la recherche du contrôle de leurs mouvements par les travailleurs en grève, la formation de comités de grève qui ne rejettent par les organisations syndicales, est un trait commun, plus ou moins accentué, et en fonction de l'intervention organisée des militants de I'O.T., de l'A.O., de l'A.J.S. D'autres mouvements ont d'autres caractéristiques : les organisations syndicales de chez Berliet signent un véritable contrat de progrès, les travailleurs de chez Berliet, par leur action, le remettent en cause. Pour briser la combativité des travailleurs de la RATP, les directions syndicales tentent de leur imposer des grèves tournantes ; elles échouent et elles sont obligées de donner un ordre de grève de 24 h à tous les travailleurs de la Régie, qui démontre que les travailleurs de cette corporation sont prêts à engager le combat tous ensemble. Les dirigeants des organisations syndicales précipitent alors la signature d'un accord cadre. La contradiction est manifeste entre la politique des organisations syndicales et les tendances profondes à l'œuvre à l'intérieur de la classe ouvrière. En même temps les travailleurs utilisent les canaux des organisations syndicales.

Une photographie de la situation la ferait apparaître ainsi qu'un étrange puzzle, aux aspects les plus contradictoires, incohérents.

En réalité, aussi bien la bourgeoisie que les directions des organisations ouvrières ne s'y trompent pas : la chute de De Gaulle a ruiné l'équilibre politique bourgeois, même si les institutions politiques restent en place. La bourgeoisie devra se regrouper selon d'autres axes politiques, qu'elle est encore incapable de définir. La classe ouvrière exigera que soit honorée sa victoire politique. Chacun se prépare à la bataille à sa manière.

Les luttes de la classe ouvrière semblent sporadiques. Trois ans après la grève générale de mai juin 68, deux ans après la chute de De Gaulle, elle n'a pas encore engagé de mouvement qui mobilise l'ensemble de ses forces et soit un affrontement global avec la bourgeoisie, son Etat, son gouvernement. Mais cinq ans se sont écoulés entre la grève des mineurs et la grève générale de mai juin 68. Ce ne furent pas des années vides. La classe ouvrière se préparait, traçait son chemin. Elle a à surmonter d'énormes contradictions. Elle a conscience de sa puissance, mais celle ci prend son expression organisée par les organisations syndicales dirigées par des appareils liés à la bourgeoisie, par des partis qui défendent le système social bourgeois, l'Etat bourgeois, le régime politique bourgeois du moment. Elle a conscience de la nécessité de son unité comme classe, les appareils et les partis ouvriers traditionnels la divisent. Elle sait qu'il lui faut résoudre la question du gouvernement et les appareils lui ferment toute perspective. Elle assimile que la grève générale ne suffit pas, qu'il lui faudra s'organiser et se centraliser comme classe, se doter de ses propres organes de classe, et les appareils, les partis traditionnels, la renvoient au parlementarisme, au simple bulletin de vote, à la « démocratie rénovée », et d'autres à « l'assemblée constituante ». Sa démarche politique, en l'absence du parti révolutionnaire, d'une direction révolutionnaire qui ne s'improvisent pas, est nécessairement sinueuse et paraît irrégulière, spasmodique. Elle s'affirme dans tel ou tel mouvement partiel, suivi d'intervalles plus ou moins longs, où tout semble demeurer en état. En vérité, ces mouvements sont d'une importance capitale, leurs traits préfigurent les traits des grands mouvements de classe. Il appartient à l'organisation révolutionnaire de les dégager, de les mettre en valeur, de les envelopper, de les intégrer à une politique cohérente, d'intervenir et de combattre pour systématiser la signification politique profonde des mouvements et les relier à une perspective d'ensemble. D'autant que, sans prétendre être encore actuellement la direction révolutionnaire, son influence peut être considérable. En contribuant à la maturation politique de la classe ouvrière, elle s'implante, se développe, s'organise.

C'est là la politique des Trotskystes comme de l'Alliance ouvrière et de l'A.J.S. La perspective d'un gouvernement des organisations ouvrières unies est opposée à « la démocratie avancée », aux replatrages et rénovations parlementaires, du genre assemblée constituante. Elle ordonne et s'étaie sur un ensemble de mots d'ordre qui concrétisent la politique de front unique ouvrier, de « front prolétarien » : pour une conférence de défense de la jeunesse organisée par les organisations ouvrières; pour des conférences ouvrières et démocratiques dans chaque corporation, entreprise, organisées par les organisations syndicales et formées des délégués des travailleurs nommés au cours d'assemblées générales; pour des Assises Nationales du front unique ouvrier. Ces mots d'ordre combinent le front unique au sommet à la démocratie ouvrière, à l'organisation et à la centralisation de la classe ouvrière comme classe. Le programme d'action contre le capitalisme, vers le socialisme, trouve ainsi son cadre et ses moyens de lutte. Le regroupement, l'organisation de l'avant garde, la construction du parti révolutionnaire deviennent des processus indissociables de la lutte de classe, pour la lutte et dans la lutte, sur cette politique. Une force militante est rassemblée et organisée : le 1° février 1970 où 9 000 jeunes travailleurs et étudiants participèrent, à l'initiative de l’A.J.S., au rassemblement du Bourget, le 1° congrès de l'Alliance Ouvrière qui représentait 5 000 travailleurs. Il est impossible de prévoir quand et comment s'engageront des combats de classe dont l'ampleur et la profondeur politiques dépasseront ceux de mai juin 68, qui poseront beaucoup plus nettement la question du pouvoir, de l'organisation et de la centralisation du prolétariat comme classe. Bien des facteurs joueront : crise financière et économique, crise politique de la bourgeoisie et du stalinisme, développement de la lutte de classe dans les autres pays, notre propre capacité à intervenir efficacement dans la lutte de classe, à organiser une force militante parmi les jeunes et les travailleurs. Vraisemblablement, ils s'engageront de façon « imprévisible » : un secteur de la jeunesse ou de la classe ouvrière qui engage la lutte et autour de qui se cristallise toute la classe, une attaque de la bourgeoisie mal calculée qui se retourne en son contraire. Mais il est possible de dire qu'ils combineront le débordement des appareils syndicaux et des partis traditionnels, l'utilisation des organisations syndicales, le recours à ces mêmes partis traditionnels, alors même que les travailleurs formeront leurs comités de grève, ou leurs comités ouvriers, les fédéreront à tous les niveaux. Le mouvement naturel des travailleurs sera de se tourner vers les vieilles organisations et de leur demander de prendre la responsabilité politique de la lutte, jusqu'à lutter pour former un gouvernement représentatif de la classe ouvrière. Le parti révolutionnaire, ou l'organisation révolutionnaire qui le construit, récoltera ce qu'il aura semé. Le mouvement de la classe ne se réduira pas à cet aspect. Il poussera à la différenciation, à la dislocation au sein des organisations syndicales. Surtout, parmi la jeunesse et les générations les plus jeunes de travailleurs, beaucoup dépasseront immédiatement le cadre des organisations traditionnelles. Certains iront à l'organisation, aux partis révolutionnaires de leur premier mouvement, d'autres n'échapperont pas à la tentation gauchiste, tandis que certains resteront à mi-­chemin sur une position centriste. De cette diversité, il faudra appréhender la profonde unité : le mouvement d'une classe dont les différentes couches avancent à des allures diverses vers la prise du pouvoir. La politique du parti révolutionnaire consistera à organiser les couches les plus avancées du prolétariat et de la jeunesse, sur son programme, à gagner à son programme les militants qui tendront à rompre les cadres politiques et organisationnels des vieilles organisations, à leur ouvrir un chemin politique vers le programme de la révolution prolétarienne et le parti révolutionnaire, à lutter contre les illusions gauchistes et centristes, à faire progresser les grandes masses du prolétariat vers la lutte pour le pouvoir. L'axe de toute cette politique, c'est le Front Unique Ouvrier, formulé au niveau des tâches politiques du moment, le gouvernement ouvrier en fonction des conditions politiques et organisationnelles du prolétariat vers le pouvoir des soviets, la dictature du prolétariat.

Peut être, et même sans doute, le gouvernement ouvrier ne résultera t il pas des prochaines grandes luttes de classe, faudra t il de nouvelles grandes batailles de classes, il y aura encore des sommets et des creux dans les luttes du prolétariat. Peut être, et même sans doute, verrons nous des gouvernements formés d'organisations ouvrières qui seront des gouvernements bourgeois camouflés. Au cours du processus de sa propre construction, le parti révolutionnaire exprimera constamment une politique de classe, et donc d'unité de la classe, jusqu'au jour où, de cette unité, il deviendra l'expression reconnue : alors il prendra le pouvoir.

S'agit il d'une « tactique française » nécessaire en raison de la division du prolétariat français en plusieurs centrales syndicales et partis ouvriers ? Absolument pas. Selon des formes appropriées, une politique déterminée par les mêmes principes s'impose aussi bien en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Belgique, etc. Malgré Wilson, les politiciens de droite et de gauche du Labour Party, le prolétariat anglais considère ce parti comme le sien. Les travailleurs allemands   y compris ceux de l'Allemagne de l'Est   la social démocratie, comme leur parti. Les Trade Unions britanniques ainsi que la D.G.B. sont les organisations syndicales des travailleurs anglais et allemands.

A ce propos, les réactions des renégats de la IV° Internationale sont révélatrices de leur impressionisme petit bourgeois. Ils dénient le caractère d'organisations ouvrières à F.O. et au P.S. en France, en raison du caractère réactionnaire de la politique de F.O. et du P.S. La politique de l'appareil de la C.G.T. et du P.C.F. serait elle moins réactionnaire ?

Curieux ! Pourquoi pas mesurer le caractère « ouvrier » d'une centrale syndicale, ou d'un parti, au critère de l'influence minoritaire ou majoritaire sur la classe ouvrière à ce compte !!! Les origines historiques doivent être considérées, le fait qu'au delà de la simple comptabilisation, le prolétariat, en fonction de ses traditions, retrouve son unité comme classe lorsque la C.G.T., F.O., le P.S. et le P.C.F. combattent ensemble. Cela reste vrai, aujourd'hui encore, en dépit de l'effondrement électoral du P.S. et des effectifs restreints de F.O. en certains secteurs clé de la classe ouvrière. La C.F.D.T. ne répond pas à ces critères. Par contre, toute la force de la F.E.N. procède de l'unité conservée au sein d'une même fédération entre les différentes tendances et courants du corps enseignant, donc des travailleurs. Ils ne comprennent pas que F.O. et le P.S. sont des expressions françaises d'un courant historique et international du prolétariat : le réformisme sur lequel il est impossible de tirer un trait tant que le prolétariat, par son mouvement, ses luttes, la prise du pouvoir, n'aura pas ouvert une nouvelle période historique. Mais cette transformation de quantité en qualité est encore à venir. Alors réformisme et stalinisme auront vécu. Il est vrai que, vraisemblablement afin de ne pas être en reste avec la Ligue Communiste, l'International Marxist Group en Angleterre a « boycotté » les élections législatives anglaises de 1970, ce qui, en pratique, revient à mener campagne contre le vote pour le Labour Party.

En Angleterre, en Allemagne, l'unité de front prolétarien prend son expression gouvernementale par les formules : pour un gouvernement du Labour Party, pour un gouvernement social démocrate, qui appliquent un programme socialiste. En Italie, les termes du F.U.O. sont comparables à ceux de la France, entre les Partis Socialistes et le P.C.I. Dans tous les pays, la traduction pratique de la stratégie du front unique prolétarien dépend des traditions historiques, de l'organisation syndicale et politique du prolétariat. Elle doit être déterminée et formulée concrètement. Aux U.S.A, par exemple, le mot d'ordre et la lutte pour la constitution et la construction d'un Labour Party concrétisent, dans un pays où deux grands partis bourgeois ont le quasi monopole politique, où les syndicats servent de supports politiques à ces partis   bien qu'ils soient des syndicats de classe   la lutte pour le Front Unique Ouvrier. Sans se battre afin que l'A.F.L. C.I.O. rompe avec les partis bourgeois, impulse la formation d'un Labour Party, il est impossible de situer le front de lutte du prolétariat et d'ouvrir une perspective gouvernementale.

Le processus de la révolution politique en Europe de l'Est et en U.R.S.S. réclame aussi que la classe ouvrière s'unisse et s'organise comme classe afin de chasser la bureaucratie, de prendre le pouvoir, et ainsi que l'explique Trotsky - et que l'a vérifié l'expérience   « procéder à un nettoyage sans merci des services de l'Etat ». L'expropriation de la bourgeoisie, les origines de l'Etat, son caractère ouvrier, les rapports sociaux de production, la tradition de la Révolution russe influenceront directement la façon dont le prolétariat s'organisera et fera irruption ouvertement sur la scène politique. Les conseils ouvriers naissent dès que les masses engagent le combat, deviennent ouvertement actives politique­ment. Elles constituent, à un niveau très élevé, les organes du front unique de classe, les soviets, les conseils ouvriers.

Mais la lutte politique existe avant qu'apparaissent les conseils ouvriers. Le parti révolutionnaire, ou l'organisation qui se fixe pour tâche de le construire, ne dépend pas de l'apparition des conseils ouvriers qui supposent un point très avancé de la crise de l'appareil bureaucratique, où la classe ouvrière agit au grand jour, ouvertement. Il dépend de nombreuses circonstances politiques dont la réalité de la IV° Internationale et du combat pour sa reconstruction est la plus importante. L'illégalité d'une organisation n'est pas son inexistence, le fait qu'elle soit obligée de se constituer ou se reconstituer dans l'émigration non plus. Elle a à jouer, et elle doit jouer, un rôle politique avant que ne surgissent les conseils ouvriers et afin qu'ils surgissent. Qu'il n'en ait pas été ainsi en Allemagne de l'Est, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, n'est pas un exemple historique à respecter et auquel devra se conformer tout processus vers la révolution politique. La désagrégation de la bureaucratie libère des courants, des tendances, ouvre des fissures à l'intérieur des P.C. et des syndicats. Elle permet que s'élève la voix des écrivains, des intellectuels. Elle se traduit par des changements au sein de la classe ouvrière qui se limitent quelques fois à une résistance passive plus accentuée aux commandements de la bureaucratie, mais, d'autres fois, vont jusqu'à des grèves, des actions diverses.

Unifier en un combat politique commun contre la bureaucratie, ces courants, ces tendances, ces actions, leur proposer mots d'ordre et revendications élémentaires, leur ouvrir une perspective politique est une tâche politique de l'organisation qui construit le parti révolutionnaire. En Hongrie, en Tchécoslovaquie, la désagrégation des bureaucraties parasitaires a fait éclater les P.C. La bureaucratie du Kremlin s'est finalement décidée à intervenir en Tchécoslovaquie lorsque le droit de tendance, qui s'était affirmé en pratique, allait être reconnu au 14° congrès du P.C.T. Il s'agissait d'un premier pas vers la constitution de nouveaux partis, tandis que renaissait le parti social démocrate, et apparaissaient embryonnairement d'autres partis.

Le parti révolutionnaire doit combattre afin que ces tendances, ces partis réalisent le Front Unique sur un programme de démocratie ouvrière, qui donne satisfaction aux revendications des travailleurs, de la jeunesse, des intellectuels, des paysans. La formation des conseils ouvriers, leur fédération à tous les niveaux, ne sauraient être abandonnées à la simple spontanéité. Si, en effet, spontanément   lorsque les masses se mettent en mouvement   les conseils ouvriers surgissent, leur fédération, leur centralisation ne s'opèrent pas automatiquement et en tout cas se réalisent beaucoup plus lentement. En Hongrie, c'est seulement après la seconde intervention russe que se forma le conseil central de Budapest. La révolution politique aussi a besoin que la classe ouvrière se centralise comme classe. Défendre et régénérer les conquêtes de type socialiste, chasser la bureaucratie, détruire ses privilèges, posent inévitablement le problème du gouvernement. Il n'est pas indifférent au prolétariat et au parti révolutionnaire que le gouvernement soit formé par Novotny ou par Dubcek, par Geroe ou par Imre Nagy, par Dubcek ou par Husak, par Imre Nagy ou par Kadar. Il faut combattre les stupidités gauchistes qui mettent un signe égal entre tout.

Savoir faire la différence est capital; contre la bureaucratie du Kremlin et ses instruments directs, le parti révolutionnaire peut être amené à faire le Front Unique avec des courants, des tendances comme celle de Dubcek. Il peut avoir à défendre ce genre de gouvernement à la manière dont les bolcheviques défendaient le gouvernement Kerenski contre Kornilov, sans lui accorder la moindre confiance, sur son propre plan et selon ses propres méthodes, sans nourrir pour lui même et pour les masses aucune illusion.

Encore faut il savoir différencier entre Dubcek mis en état d'arrestation, Dubcek revenant de Moscou après avoir capitulé, Dubcek rejeté du gouvernement et du parti et poursuivi. A bien plus forte raison entre Dubcek et Imre Nagy.

Mais le parti révolutionnaire combat pour un gouvernement formé des partis et organisations qui s'appuient sur le prolétariat organisé comme classe au sein des conseils, des soviets régénérés : un gouvernement des partis soviétiques. La stratégie du Front Unique prolétarien, du Front Unique Ouvrier et son expression la plus élevée   la réponse gouvernementale   est tout aussi nécessaire à la lutte pour la révolution sociale qu'à la lutte pour la révolution politique.

Rien de plus normal : la révolution sociale et la révolution politique sont des expressions différenciées d'un même processus historique, la révolution prolétarienne mondiale. L'hégémonie du prolétariat s'affirme au cours de la révolution prolétarienne mondiale et finalement par la dictature du prolétariat. Elle exige qu'il s'unifie et se centralise comme classe. La ligne stratégique du Front prolétarien, du Front Unique Ouvrier ordonne la politique révolutionnaire : des luttes économiques et politiques élémentaires, au gouvernement ouvrier et paysan, jusqu'au pouvoir des soviets, jusqu'à la dictature du prolétariat.

La lutte pour le Front Unique Ouvrier, la lutte pour le pouvoir, la lutte pour la construction du parti révolutionnaire sont des catégories d'une même totalité : le combat pour le socialisme.


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