1971

"(...) le prolétariat mondial, le prolétariat de chaque pays, abordent une étape décisive de leur histoire : il leur faut reconstruire entièrement leur propre mouvement. La crise du stalinisme (...) s'ampliie au moment où le mode de production capitaliste pourrissant s'avance vers des convulsions mortelles, qui riquent d'entrainer l'humanité toute entière dans la barbarie. (...) De cette crise des appareils naissent les possibilités de reconstruire la IV° Internationale."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (2)

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"Nouvelles avant-gardes" ? Non ! Reconstruction de la IV° Internationale !


De la « sous-estimation de la paysannerie » à la « construction du socialisme dans un seul pays »

Combien misérables apparaissent les élucubrations de Boukharine, Staline, et autres contre la théorie de la révolution permanente. Un premier argument fut avancé en 1923-1924 :

« Lénine montrait le danger d'appliquer en 1917 les mots d'ordre formulés par Trotsky en 1905. Il montrait que la paysannerie, n'ayant pas encore terminé la révolution agraire, notre révolution n'était pas entrée dans une phase où le mot d'ordre de dictature prolétarienne pouvait être considéré comme actuel. Le devoir était d'utiliser les forces révolutionnaires de la paysannerie pour préparer la voie à la révolution socialiste. Lénine appréciait dialectiquement la situation. Il constatait que les mots d'ordre bolchéviques de 1905 s'étaient en général révélés justes, mais il insistait aussi sur ce qu'il y avait « d'original » dans la situation nouvelle où la dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie « se réalisait d'une façon tout à fait particulière », puisqu'elle coexistait avec un gouvernement bourgeois.
Faisant ressortir le caractère petit-bourgeois des soviets d'alors où la majorité se composait de paysans, Lénine recommanda de tourner les obstacles, de régler notre avance d'après les résultats d'un examen approfondi des phases transitoires. Au point de vue économique, Lénine appréciait, comme suit, la situation :
« La majorité des paysans peut‑elle exiger et accomplir la nationalisation du sol ? Oui, est‑ce déjà la révolution sociale ? Non, c'est encore la révolution bourgeoise, puisque la nationalisation du sol n'est pas compatible (il s'agit probablement d'une erreur typographique et il faut lire : n'est pas incompatible) avec le capitalisme, bien qu'elle soit un coup sensible porté à la propriété privée.
La majorité des paysans russes peut‑elle se prononcer pour la fusion des banques et exiger qu'une succursale de la banque d’Etat soit établie dans chaque localité. Les partisans de la défense nationale pourraient l'approuver, cette mesure étant de nature à augmenter les ressources militaires de la Russie. Peut‑on en arriver sans délai à la fusion des banques ? C'est parfaitement possible. Est‑ce une mesure socialiste ? Non, ce n'est pas encore le socialisme. La majorité des paysans peut‑ elle se déclarer pour la nationalisation de l'industrie sucrière, sous le contrôle des ouvriers et des paysans ainsi que pour la réduction du prix du sucre ? Oui. Cette mesure est‑elle possible du point de vue économique ? Oui... »
Voyez comment Lénine traite la question. Il se demande sans cesse que dira le « paysan ». Ces citations nous montrent‑elles les bolchévistes se plaçant sur le terrain de la « révolution permanente » ? Aucunement. Lénine discerne bien les diverses étapes de la révolution, établit une liaison entre la classe ouvrière et la masse paysanne. Il ne considère pas les paysans comme étant a priori les ennemis de la classe, mais comme des alliés possible, qui feraient de temps à autre des difficultés à la classe ouvrière, mais que celle‑ci doit savoir guider de sorte qu'ils deviennent des combattants d'un appoint dans notre lutte pour l'économie socialiste. Lénine déclarait :
« Je ne dis pas: A bas le Tsar, vive le gouvernement ouvrier ! Je dis nous avons des soviets petits-bourgeois. Je ne dis pas le socialisme sur l'heure. Je dis : telle ou telle mesure présentent des avantages pour le paysan et portent en même temps un coup à la propriété privée. »
« Le lecteur appréciera cette façon géniale de passer d'une étape à une autre sans méconnaître les aspects particuliers d'une situation donnée, mais y trouvant toujours le facteur utile à l'action de la classe ouvrière ». (Sur la théorie de la « révolution permanente », Boukharine dans le recueil « Staline contre Trotsky », pages 106‑107).

Le lecteur appréciera surtout l'art de Boukharine de le prendre pour un imbécile et d'esquiver les véritables problèmes. Ni la nationalisation de la terre, ni la formation d'une banque unique, ni des nationalisations, si étendues qu'elles soient, ne sont encore le « socialisme ». Abstraitement parlant, la nationalisation de la terre est réalisable par un Etat et un gouvernement bourgeois. Elle permet à l'Etat de s'approprier la rente foncière sans supprimer la circulation du capital et sa « rémunération » au taux de profit moyen. La banque unique et des nationalisations étendues peuvent être des mesures indispensables prises par un Etat et un gouvernement bourgeois afin de sauver le mode de production capitaliste dans son ensemble. Enfin, Trotsky affirma toujours l'impérieuse nécessité de réaliser les tâches démocratiques bourgeoises. Mais il insistait : la paysannerie ne peut les résoudre elle‑même, appuyée sur elle seule peut y parvenir une classe sociale de la ville, bourgeoisie ou prolétariat. Des relations sociales et politiques entre les classes en Russie, intégrées aux relations sociales et politiques mondiales, il déduisait : c'est le prolétariat qui prendra la direction de la paysannerie. Et le prolétariat appuyé sur la paysannerie instaurera son propre pouvoir : la dictature du prolétariat. Du fait de la dictature du prolétariat le programme démocratique bourgeois est dépassé. Le prolétariat met à l'ordre du jour « le collectivisme ». Et « tenant le pouvoir entre leurs mains, les ouvriers russes, avec la contre-révolution derrière eux et la réaction européenne devant eux, lanceront à leurs camarades du monde entier le vieux cri de ralliement qui sera cette fois, un appel à la lutte finale ‑ Prolétaires de tous les pays, unissez‑vous ! ».

Boukharine escamote le problème clé : qui, appuyé sur la paysannerie, prit le pouvoir, quel gouvernement réalisa les tâches démocratiques bourgeoises, quelle fut la nature sociale du nouvel Etat, put‑il se borner aux tâches démocratiques bourgeoises ? L'histoire répond pour lui : ce ne sont pas « les soviets petits‑bourgeois », mais le prolétariat appuyé sur la paysannerie, guidé par le parti bolchévique, qui prit le pouvoir; l'action combinée du gouvernement ouvrier‑paysan, sous la direction du parti bolchévique avec la participation des S.R. de gauche et des masses, détruisit le vieil appareil d'Etat, construisit l'Etat ouvrier, sur la base des soviets où le prolétariat dominait, et réalisa la dictature du prolétariat. La dictature du prolétariat dépassa les tâches démocratiques bourgeoises, et donna un contenu prolétarien aux mesures prises. Elle fut obligée d'exproprier le capital, de se saisir des principaux moyens de production et d'échange. Parce que l'Etat ouvrier s'appropria les principaux moyens de production, le mode de production changea. La théorie de la révolution permanente était vérifiée par le cours de la Révolution Russe. En fait de sous-estimation du rôle de la paysannerie, la théorie de la Révolution Permanente met en valeur son rôle capital comme une des forces motrices de la révolution dans les pays n'ayant pas résolu les tâches qui étaient celles de la révolution démocratique bourgeoise aux périodes historiques précédentes. Hier, utilisant la puissance de la paysannerie, la bourgeoisie s'emparait du pouvoir. Aujourd'hui si le prolétariat est politiquement en mesure de guider la paysannerie, et de s'appuyer sur elle, il peut et doit prendre le pouvoir dans les pays économiquement arriérés sinon, au bout, il y a la défaite de la révolution.

La mauvaise querelle cherchée à Trotsky et à la théorie de la Révolution Permanente avait néanmoins de « bonnes » raisons. Boukharine au nom de l'alliance des ouvriers et des paysans, entendait défendre le « nepman » et le koulak, il se dressait contre la poursuite de la lutte des classes à la campagne et à la ville après la victoire de la révolution. Il préparait sa théorie de la construction du socialisme « au pas de tortue », de « l'intégration des koulaks à la construction du socialisme », et il se préparait à pousser son cri de « paix » : « paysans, enrichissez‑vous », ainsi qu'à la bataille qu'il mena contre la planification.

A sa façon il démontrait que la lutte des classes se poursuit après la révolution et vérifiait la théorie de la Révolution Permanente. Mais il préparait ainsi l'épouvantable drame que furent la planification, l'industrialisation, la collectivisation, sous la direction de Staline et de la bureaucratie du Kremlin. La réaction thermidorienne engagea une véritable guerre civile contre toute la paysannerie. Ce fut une partie du lourd tribut acquitté pour avoir combattu la théorie de la Révolution Permanente qui prévoyait, entre autres, l'inévitabilité d'une différenciation sociale à la campagne après la révolution. Actuellement encore, l'agriculture de l'U.R.S.S. ne s'en est pas encore relevée. Elle ne pourra pas s'en relever tant que le prolétariat ne se sera pas ressaisi du pouvoir politique. Une fois encore, la solution des problèmes de l'agriculture, des rapports sociaux et politiques à la campagne dépend du prolétariat qui seul pourra résoudre l'ensemble des problèmes de la planification et nouer de nouveaux rapports entre la paysannerie kolkhozienne et la classe ouvrière.

Les absurdités théoriques ont toujours des raisons politiques très précises.

L'accusation, en 1923‑1924, contre Trotsky et la théorie de la révolution permanente préparait :

‑ la réaction thermidorienne;

‑ la soumission aux Koulaks et aux Nepmans au nom de l'unité ouvrière et paysanne;

‑ l'abdication de l'indépendance de classe du prolétariat et de la paysannerie chinoise, leur soumission au Kuomintang, à Tchang Kaï‑tchek au cours de la révolution chinoise de 1925‑1927 au nom du bloc des quatre classes.

Au milieu de toute une série de considérations éclectiques, les thèses adoptées par l'Internationale Communiste sous l'inspiration de Staline exprimaient la véritable politique dictée au P.C.C. par Staline :

« La nécessité absolue d'assurer son influence sur les paysans détermine également l'attitude du parti communiste à l'égard du Kuomintang et du gouvernement de Canton. L'appareil du gouvernement national révolutionnaire est un moyen très efficace d'atteindre la paysannerie. Le parti communiste doit l'utiliser ».
« Il faut créer dans les provinces nouvellement libérées un appareil d'Etat sur le modèle du gouvernement de Canton. Les communistes et leurs alliés révolutionnaires ont pour tâche de pénétrer l'appareil du nouveau gouvernement en vue de réaliser pratiquement le programme agraire de la révolution nationale. On profitera de l'appareil d'Etat pour confisquer les terres, réduire les impôts, donner aux comités de paysans un véritable pouvoir tout en réalisant progressivement des réformes sur la base d'un programme révolutionnaire ». (Correspondance Internationale, 21 février 1927).

En ce même mois de février 1927, le « gouvernement de Canton » et son armée, dans lesquels, selon l'I.C., auraient dû entrer les communistes, s'approchaient de Shangaï. Ils s'arrêteront afin de laisser écraser par un seigneur de la guerre une première insurrection ouvrière dirigée par les communistes. Une nouvelle insurrection, le 21 mars, ouvrait la ville à Tchang Kaï‑tchek. Le 12 avril, il saignait les communistes et les syndicats de Shangaï. Il les sortait à la manière du Kuomintang, en les enterrant vivant, en les jetant dans les chaudières de locomotives, en les fusillant par milliers. La deuxième révolution chinoise se terminait par un bain de sang pour les ouvriers et paysans chinois, que l'insurrection de Canton en décembre (11‑14 décembre 1927), déclenchée (sur ordre de Staline) totalement arbitrairement pour couvrir par un brusque tournant « gauche » toute la politique antérieure de capitulation de l'I.C. devant le Kuomintang, ne faisait que précipiter.

La virulente attaque contre la théorie de la révolution permanente prenait toute sa portée, sa signification fondamentale, avec la proclamation de la pseudo théorie de « la construction du socialisme dans un seul pays » qu'il était réservé à Staline de développer.

Staline explique dans « Questions du Léninisme » :

« Autrefois, l'on tenait pour impossible la victoire de la révolution dans un seul pays, car, croyait‑on, pour vaincre la bourgeoisie, il faut l'action commune des prolétaires de la totalité des pays avancés, ou, tout au moins, de la majorité de ces pays. Maintenant, ce point de vue ne correspond plus à la réalité. Maintenant, il faut partir de la possibilité d'une telle victoire, car le développement des contradictions catastrophiques au sein de l'impérialisme, qui conduisent à des guerres inévitables, la croissance du mouvement révolutionnaire dans tous les pays du monde, tout cela conduit, non seulement à la possibilité, mais aussi à la nécessité de la victoire du prolétariat dans certains pays ».

Staline ergote :

« Cette thèse est parfaitement juste et se passe de commentaires. Elle est dirigée contre la théorie des social-démocrates, qui estiment que la prise du pouvoir par le prolétariat dans un seul pays, sans révolution victorieuse simultanée dans les autres ‑pays, est une utopie. »

Mais la brochure « Des Principes du Léninisme » contient encore une seconde formule. Il y est dit :

« Mais renverser le pouvoir de la bourgeoisie et instaurer le pouvoir du prolétariat dans un seul pays, ce n'est pas encore assurer la pleine victoire du socialisme ‑ l'organisation de la production socialiste est encore une question d'avenir. Peut‑on résoudre ce problème, peut‑on obtenir la victoire définitive du socialisme dans un seul pays sans les efforts conjugués des prolétaires de plusieurs pays avancés ? Non, c'est impossible. Pour renverser la bourgeoisie, il suffit des efforts d'un seul pays ‑ l'histoire de notre révolution l'atteste. Pour la victoire définitive du socialisme, pour l'organisation de la production socialiste, les efforts d'un seul pays, surtout d'un pays paysan comme la Russie, ne suffisent plus il faut pour cela les efforts des prolétaires de plusieurs pays avancés.
Cette deuxième formule était dirigée contre les affirmations des critiques du léninisme, contre les trotskystes, qui déclaraient que la dictature du prolétariat dans un seul pays, en l'absence de la victoire des autres pays, ne peut tenir contre l'Europe conservatrice.
C'est dans cette mesure ‑ mais seulement dans cette mesure que cette formule était alors (avril 1924) suffisante, et elle a été, c'est sûr, d'une certaine utilité.
Mais par la suite, lorsque la critique du léninisme sur ce point eut été surmontée dans le Parti, et qu'une nouvelle question vint se poser à l'ordre du jour, celle de la possibilité de construire la société socialiste intégrale par les seules forces de notre pays, sans l'aide du dehors, la deuxième formule s'avéra nettement insuffisante, et, par suite, inexacte.
Quel est le défaut de cette formule ?
Son défaut, c'est qu'elle associe en une seule question deux questions différentes : celle de la possibilité de l'édification du socialisme par les forces d'un seul pays, ce à quoi l'on doit répondre par l'affirmative, et celle de savoir si un pays ayant la dictature du prolétariat peut se considérer comme pleinement garanti contre l'intervention et, par conséquent, contre la restauration de l'ancien ordre des choses, sans la victoire de la révolution dans une série d'autres pays, ce à quoi l'on doit répondre par la négative. Sans compter que cette formule peut faire penser que l'organisation de la société par les forces d'un seul pays est impossible, ce qui, naturellement, est faux.
Me basant là-dessus, j'ai modifié, rectifié cette formule dans ma brochure « La Révolution d'Octobre et la tactique des communistes russes » (décembre 1924), en décomposant cette question en deux : la question de la pleine garantie contre la restauration de l'ordre bourgeois et la question de la possibilité de l'édification de la société socialiste intégrale dans un seul pays. J'y suis arrivé, premièrement, en traitant la « pleine victoire du socialisme » comme « pleine garantie contre la restauration de l'ancien ordre des choses », garantie possible seulement avec « les efforts conjugués des prolétaires de plusieurs pays », et, deuxièmement, en proclamant cette vérité indiscutable, exprimée dans la brochure de Lénine : « De la Coopération », que nous avons tout ce qui est nécessaire pour construire la société socialiste intégrale ». (Questions du Léninisme dans le recueil « Staline contre Trotsky », pages 275 et 276.)

Nous sommes ici au cœur de la question. Staline, au nom des intérêts très pratiques et conservateurs de la bureaucratie du Kremlin, développe une théorie totalement mécanique. Si le socialisme peut se construire dans un seul pays, cela signifie que le capitalisme n'a pas développé comme une unité organique l'économie mondiale, mais une série d'économies parallèles, qui ont certains rapports entre eux (mal définis d'ailleurs). Il y a des pays plus ou moins développés qui doivent nécessairement passer par les différents stades, à une allure plus ou moins grande, où sont passés les autres pays capitalistes avec, en plus, la lutte anti-impérialiste, puisque nous sommes au stade de l'impérialisme ‑ ce qui accentue le caractère national, le bloc entre les classes nationales de la révolution démocratique bourgeoise.

Le rythme, la possibilité d'aboutir à la révolution prolétarienne et au socialisme dépendront de relations économiques, sociales et politiques purement intérieures dans chaque pays. L'U.R.S.S. disposant, quant à elle, en fonction de son espace, de ses richesses naturelles, des meilleures conditions, protégée qu'elle est par sa puissance propre et par les contradictions impérialistes, dont d'ailleurs on ne voit pas très bien l'origine, a, en vérité, seule, la possibilité d'y parvenir.

De glissement en glissement, la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays » opposée à la théorie de la révolution permanente aboutissait à la transformation de l'I.C, en simple instrument de la bureaucratie du Kremlin. Les différents partis communistes subordonnaient les intérêts du prolétariat à ceux de la bureaucratie du Kremlin. La lutte contre la théorie de la Révolution Permanente se concrétisait par la trahison de la 2e Révolution chinoise en 1925‑27, la trahison de la grève générale anglaise de 1926 au nom de l'accord avec la direction des trade-unions anglais. Elle s'affirmait plus clairement encore dans le refus de lutter pour le Front Unique de classe en Allemagne de 1929 à 1933, qui aboutit à la capitulation sans combat devant Hitler du P.C.A., sur l'ordre de Moscou, couvert par l’I.C. Le contenu de la lutte contre la théorie de la Révolution Permanente se révéla pleinement dans la politique dite de Front populaire. Non plus, cette fois, au nom de la lutte anti-impérialiste et pour la solution des tâches démocratiques bourgeoises, mais afin de défendre la démocratie contre le fascisme, l'indépendance de classe du prolétariat est sacrifiée. Le prolétariat est directement soumis à la bourgeoisie. La politique de la « démocratie avancée » constitue le dernier mot de la lutte contre la théorie de la Révolution Permanente. Cette fois, c'est directement dans les pays capitalistes économiquement développés, que le prolétariat est invité à délaisser les méthodes de la lutte de classe et à utiliser les voies, les moyens de la démocratie bourgeoisie, le parlementarisme en vue d'aboutir au... socialisme. La boucle se ferme ; à la théorie de la révolution permanente s'oppose la formule quarante-huitarde, radicale et radicale-socialiste : « la démocratie est une création permanente ».

Trotsky souligne que la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays » fut prônée, bien avant que Staline la reprenne, par les réformistes qui adoptaient les cadres nationaux bourgeois.

S'il est possible de construire « le socialisme dans un seul pays », cela veut dire que les cadres de l'économie et des rapports entre les classes sont ceux de la nation. Les rapports internationaux et mondiaux sont des rapports supplémentaires, secondaires. La « théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays » adopte comme cadre définitif de l'humanité le cadre national : un cadre qui fut indispensable au développement du mode de production capitaliste, qu'il forgea conjointement mais antagoniquement au marché mondial et à la division internationale du travail. Ce cadre étant celui « de la construction du socialisme », il s'agit obligatoirement et prioritairement de le défendre, contre toute atteinte, contre toute attaque, il s'agit de le renforcer. A l'unité de lutte du prolétariat se substitue une autre conception : l'unité des classes composant la nation contre tout ce qui peut la mettre en cause. La lutte des classes est subordonnée à la préservation, à la défense, et au renforcement de la nation. Au stade du capitalisme puissant, de l'impérialisme, la conception de la « construction du socialisme dans un seul pays » aboutit inéluctablement au « social-impérialisme ».

En réalité, la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays », le « socialisme national », exprima l'adaptation de chaque parti social-démocrate à sa bourgeoisie nationale. Les intérêts du prolétariat sont finalement subordonnés à ceux du capital dont l'Etat national est le cadre.

Staline, en reprenant la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays », signifiait que la bureaucratie du Kremlin prenait conscience de ses intérêts particuliers, et que ceux‑ci dépendaient du maintien des Etats nationaux, celui de l'U.R.S.S., mais aussi des Etats nationaux bourgeois. Ainsi s'affirmait la nature petite-bourgeoise de la bureaucratie du Kremlin et son besoin du maintien de l'équilibre mondial entre les classes, son rôle de défenseur de l'ordre bourgeois à l'échelle internationale. Le processus d'adaptation des P.C. à la théorie du socialisme national est différent de celui qui amena les partis social-démocrates à l'adopter. La subordination de l'I.C. et des P.C. à la bureaucratie du Kremlin par la sélection d'un appareil sous le contrôle direct du Kremlin est à l'origine de cette dégénérescence. Il reste qu'au nom des intérêts de la caste parasitaire, ils subordonnent les intérêts du prolétariat de chacun de leurs pays à la bourgeoisie, et du prolétariat mondial à la survie de l'impérialisme. Tel est le sens de la lutte contre la théorie de la révolution permanente, au nom de « la construction du socialisme dans un seul pays ». Son application concrète c'est la coexistence pacifique.

En reprenant à leur compte la « théorie » de « la construction du socialisme dans un seul pays », la bureaucratie chinoise comme la petite bourgeoisie radicale au pouvoir à Cuba démontrent que, dans la lutte des classes mondiale, elles se rangent contre le prolétariat, au côté de l'impérialisme, pour défendre leurs intérêts spécifiques contre les prolétariats de leurs pays, tout en étant en conflit avec l'impérialisme. Elles tentent d'utiliser des moyens de pressions contre lui, mais toujours en rusant et trichant avec la lutte de classe et au prix de catastrophes terribles pour le prolétariat : la tragique répression en Indonésie, la lamentable faillite du « foquisme » en Amérique Latine en sont de sanglants exemples. Les pablistes se cataloguent eux-mêmes comme des adversaires de la théorie de la révolution permanente en transformant ces tenants de « la construction du socialisme dans un seul pays » en hérauts de la théorie qu'ils combattent.


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