1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Croissance des forces productives en U.R.S.S., en Europe de l'Est et croissance des contradictions économiques

Les contradictions entre la croissance des forces productives en Europe de l'Est, en URSS (et en Chine), et l'exercice du pouvoir par les bureaucraties parasitaires, leur existence dont principalement la bureaucratie du Kremlin, celles qui surgissent de l'étroitesse des frontières nationales, de l'oppression nationale, de la coupure de l'Europe et de l'Allemagne, ont un caractère objectif. Elles alimentent la nécessité de la révolution politique et l'exigence de sa jonction avec la révolution sociale à l'Ouest de l'Europe.

Il est donc indispensable d'en parler rapidement. Au contraire de ce qui se passe pour le mode de production capitaliste, les forces productives se sont développées en URSS, en Europe de l'Est, et en Chine. Les formidables dépenses d'armement, le parasitisme sont une charge écrasante qui épuise et déforme l'économie de ces pays, alors qu'elles sont indispensables au fonctionnement du mode de production capitaliste à l'époque de l'impérialisme. La raison en est qu'en Europe de l'Est, en URSS, en Chine, la production et la réalisation de la plus­-value ne sont pas le moteur de la production. Le moteur de l'économie, c'est la satisfaction des besoins (que ce soit d'abord les besoins des bureaucraties est une autre question). Sur la base de la propriété étatique des principaux moyens de production, la planification développe les forces productives, même si la bureaucratie les dirige.

Mais plus se développent les forces productives, moins la bureaucratie est capable de diriger l'économie. Ce que Trotsky analysait déjà et prévoyait s'est amplement confirmé : plus l'économie devient complexe et se diversifie, plus se multiplient et se raffinent les besoins, plus s'accroît le niveau de vie et de culture des larges masses, moins il est possible à la bureaucratie de planifier harmonieusement l'économie, de respecter la proportionnalité des différents secteurs, de faire progresser la qualité, et plus elle se heurte à la résistance, au moins passive, des masses.

A cette première cause fondamentale s'en ajoutent d'autres : la bureaucratie est par nature opposée à l'extension de la révolution prolétarienne ; l'économie des pays de l'Europe de l'Est, de l'URSS, de la Chine est coupée artificiellement de la division internationale du travail. La politique contre‑révolutionnaire des bureaucraties parasitaires, par ses effets dans les pays sous son contrôle, par ceux qu'elle a mondialement, rend la pression et l'isolement économique de ces pays, que l'impérialisme exerce de façon calculée et mesurée, extrêmement durs à supporter. La coupure est plus nette et douloureuse en Europe entre l'Est et l'Ouest, et totalement insupportable entre l'Allemagne de l'Ouest et de l'Est. Le rétablissement des échanges économiques, pour ne parler des autres (pour l'instant), est une exigence toujours plus pressante, que la croissance des forces productives ne cesse d'accentuer.

L'économie de l'Allemagne de l'Est, de l'Europe de l'Est, de plus en plus celle de l'URSS, et finalement celle de la Chine, doivent à tout prix être totalement et pleinement intégrées à la division mondiale du travail. Sur quelle base, dans le cadre de quel mode de production sociale ? Là est la question. Les rapports de production sont tels que, à l'étape actuelle, renoncer au monopole du commerce extérieur revient à laisser envahir l'Europe de l'Est, l'URSS, la Chine, par les marchandises et les capitaux des grandes puissances impérialistes ; à détruire la planification ; à liquider la propriété étatique des moyens de production ; à assujettir les forces productives de ces pays à celles de l'impérialisme ; ne subsisteraient que celles qui sont complémentaires aux forces productives de l'impérialisme. En pratique, ce serait la ruine, la misère, la famine, la mort pour des millions de travailleurs, d'ouvriers, de paysans, d'intellectuels de l'Europe de l'Est, de l'URSS, de la Chine. (L'autogestion en Yougoslavie donne seulement un aperçu de ce que signifierait la pénétration du capital en ces pays, le libre jeu des lois qui l'expriment sur le marché.)

La bureaucratie du Kremlin, les bureaucraties parasitaires n'ont pas le choix, d'autant plus que le prolétariat se renforce, que les problèmes se font plus brûlants : elles tentent de résoudre les contradictions en les comprimant, en renforçant leur joug, en accroissant les différenciations sociales, en accentuant la spoliation, l'oppression nationale (la bureaucratie du Kremlin en URSS et sur les pays de l'Europe de l'Est, mais il en va de même en Chine). C'est‑à‑dire en renforçant plus encore les causes de ces contradictions, donc celles‑ci. Elles ne reculent que par crainte de provoquer des explosions sociales et politiques comme celles qui se sont produites en Europe de l'Est depuis 1953.

Les bureaucraties parasitaires et contre‑révolutionnaires subissent et font subir aux pays qu'elles contrôlent toute l'énorme pression que l'impérialisme exerce. Elles ne peuvent riposter à la course aux armements qu'en s'y engageant. Le coût est effarant pour les économies de leurs pays. Combien lourdement la production d'un armement atomique et de fusées balistiques grève‑t‑elle l'économie chinoise !

Finalement les bureaucraties parasitaires n'ont d'autres ressources que de sonner à la porte des grandes puissances impérialistes, d'obtenir d'elles marchandises, moyens de production, brevets, crédits, en échange de quoi elle n'ont que peu à offrir qui intéresse les puissances capitalistes, sinon de l'or et l'entrebaillement de leurs frontières à la pénétration capitaliste. Incapable de mettre sur pied un développement économique planifié harmonieux des différentes branches de l'économie et de chacune d'entre elles, les bureaucraties parasitaires ébauchent et développent des réformes économiques, dont la tendance est plus ou moins de laisser jouer les lois du marché pour réguler une économie qu'elles sont incapables de maîtriser. Là aussi, la crainte salutaire des masses les retient sur cette pente et les oblige souvent à reculer.

Plus les contradictions du mode de production capitaliste s'accentuent, plus l'impérialisme a un pressant besoin de lever les obstacles qui s'opposent à la libre pénétration des marchandises et des capitaux en URSS. en Europe de l'Est, en Chine, et plus la pression impérialiste militaire (course aux armements), économique, politique, s'accroît sur les bureaucraties parasitaires et contre‑révolutionnaires. Les bureaucraties parasitaires sont anxieuses des répercussions de la crise financière sur l'économie de l'URSS, de l'Europe de l'Est, voire de Chine, et de la marche à la crise économique tout court de l'économie capitaliste, tellement leur politique et leur gestion font dépendre l'économie pla­nifiée de l'économie capitaliste. Le temps n'est plus où Staline affirmait à la veille de sa mort qu'il y avait désormais deux économies mondiales, deux divisions internationales du travail, que l'URSS était en mesure d'en finir avec les catégories de l'économie bourgeoise, et allait engager les grands travaux du communisme, construire des agro‑villes, modifier la nature, suppri­mer la division du travail entre ville et campagne, la division entre travail manuel et travail intellectuel. Le temps s'éloigne où Khrouchtchev (et quelques autres) estimaient que dans les 10 à 15 ans à venir (c'était en 1955‑1960), les marchandises de l'URSS et des pays de l'Europe de l'Est envahiraient le marché mondial et y concurrenceraient victorieusement celles des pays ca­pitalistes développés. L'unité contradictoire de l'éco­nomie mondiale s'affirme ; la dépendance par rapport à l'économie capitaliste de l'économie des pays de l'Europe de l'Est, de l'URSS, devient écrasante.


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