1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Confirmation d’une hypothèse théorique

La façon dont le camarade Ernest Mandel traite de la révolution dans les pays coloniaux ou semi­-coloniaux, plus ou moins directement soumis à l'impérialisme, n'est pas non plus satisfaisante :

« La raison fondamentale de cette longue chaîne de défaites de la révolution coloniale réside dans l'adhésion de sa direction à la conception de la révolution par étapes, pour des raisons avant tout sociales (dans les cas où la direction est principalement bourgeoise ou petite‑bourgeoise). »

Les termes de « révolution coloniale » ne peuvent qu'introduire la confusion. La bourgeoisie et la petite-bourgeoisie sont incapables de mener à bien la lutte anti‑impérialiste, en conséquence de leur appartenance au mode de production capitaliste qui, au stade de l'impérialisme, dépend de ces grandes puissances. Les relations entre les classes aux échelles internatio­nale et nationale mettent à l'époque actuelle à l'ordre du jour la révolution prolétarienne. La révolution dans les pays coloniaux a des tâches spécifiques à accom­plir. Les relations de classes sont particulières, mais elle est partie de la révolution mondiale. Il n'est pas plus exact que ce soit « pour des raisons principalement idéologiques (dans les cas où elle est à prédominance stalinienne pro‑Moscou ou pro‑Pékin) ».

L'idéologie n'a rien à y voir. La bureaucratie du Kremlin et celle de Pékin sont pour la coexistence pacifique, contre l'extension de la révolution prolétarienne dans le monde. De plus en plus, elles agissent directement au service de l'impérialisme américain. Il suffit de rappeler ce qui vient de se passer au Moyen­-Orient et au Liban. Nous ne pouvons analyser ici le cours des événements, l'intervention de la Syrie, les accords de Ryad. Mais quelle terrible illustration de ce que signifie la Sainte‑Alliance contre‑révolutionnaire à laquelle ont coopéré les États féodaux bourgeois de la prétendue « nation arabe ». « L'idéologie », ni du côté du Kremlin, ni du côté des dirigeants des États arabes, n'a rien à voir avec tout cela : c'est la lutte contre la révolution au moment où vient de s'ouvrir la nouvelle période de la révolution mondiale. Chacun rejoint nettement le camp de classe auquel il appar­tient.

La dernière partie de cette thèse affirme :

« Ce qui a été confirmé négativement par ces défaites (et positivement confirme par les victoires chinoise, cubaine et vietnamienne), ce sont les conceptions fondamentales correctes de la théorie de la révolution permanente, c'est‑à‑dire que sous la pression d'un soulèvement révolutionnaire de masse des ouvriers et des paysans dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux, la bourgeoisie de ces pays est obligée de passer massivement dans le camp de la « bourgeoisie nationale ». Toute attache du prolétariat à sa direction politique, à l'appareil d'État bourgeois, à l'armée, désarme inévitablement le prolétariat face à l'assaut de la contre‑révolution. »

La « bourgeoisie nationale » est en effet obligatoirement liée et finalement subordonnée à l'impérialisme. L'indépendance de classe du prolétariat est indispensable, car seul le prolétariat peut résoudre des tâches démocratiques bourgeoises, réaliser l’unité et l'indépendance nationale qui font obligatoirement partie de son propre programme. En ce sens, il est le chef national que la bourgeoisie, même « nationale », ne peut plus être, et dirige la révolution. Dirigeant la révolution, appuyé sur toutes les couches exploitées de la ville et de la campagne, il prend le pouvoir pour son propre compte et commence à réaliser des tâches révolutionnaires qui lui sont propres, conjointement aux tâches démocratiques. Ecrire « les victoires chinoise, cubaine et vietnamienne confirment positivement la théorie de la révolution permanente » est un peu rapide. Elles confirment surtout une possibilité théorique incluse dans le programme de fondation de la IV° Internationale :

« Il est cependant impossible de nier catégoriquement par avance la possibilité théorique de ce que, sous l'influence d'une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances (guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire des masses, etc.), des partis petits‑bourgeois, y compris staliniens, puissent aller plus loin qu'ils ne le veulent eux‑mêmes sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie. »

Les révolutions chinoise, vietnamienne, cubaine, s'expliquent en raison de circonstances exceptionnelles qui relèvent du pourrissement généralisé du système impérialiste, de conditions spécifiques aux pays, de la lutte des classes mondiale.

Mais la nature des directions chinoise, vietnamienne et cubaine n'a pas été modifiée du fait qu'elles ont été plus loin qu'elles ne le voulaient sur la vole de la rupture avec la bourgeoisie. Elles restent des directions bureaucratiques et petites‑bourgeoises. On oublie trop souvent de citer jusqu'au bout ce passage du programme de la IV° internationale :

« En tout état de cause, une chose est hors de doute : si cette variante. peu vraisemblable, se réalisait quelque part, et qu'un « gouvernement ouvrier paysan », dans le sens indiqué plus haut, s'établissait en fait. il ne représenterait qu'un court épisode sur la voie de la véritable dictature du prolétariat. »

La transition est plus longue qu'il n'était prévisible. Mais ce n'est quand même qu'un épisode. Si loin que le Parti communiste chinois, le Parti communiste vietnamien, le mouvement du 26 juillet soient allés sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie, ils ne sont pas allés jusqu'au bout : jusqu'au bout, c'est‑à-dire jusqu'à la révolution prolétarienne mondiale. Le dilemme suivant reste posé : ou bien la réaction bourgeoise finira par l'emporter dans ces pays, ou bien s'établira la dictature du prolétariat, et cela en relation avec la révolution mondiale.

La politique de la bureaucratie chinoise le confirme pleinement, tant en Chine qu'internationalement. Celle de Castro l'a amené à soutenir contre les masses l'intervention de la bureaucratie du Kremlin en Tchécoslovaquie, de Gaulle en mai 1968, la junte militaire péruvienne, l'Unité populaire au Chili ; à substituer le foquisme à la lutte des classes en Amérique latine. Ni en Chine, ni au Vietnam, ni à Cuba, les conquêtes de la révolution ne sont assurées. La révolution n'est pas achevée. Contre les bureaucraties au pouvoir, contre la clique petite‑bourgeoise de Castro, le prolétariat doit faire une nouvelle révolution : prendre le pouvoir, instaurer la dictature du prolétariat. La victoire finale dépend de cette nouvelle révolution, de la construction du parti révolutionnaire fondé sur le programme de la IV° Internationale, de la jonction avec la révolution prolétarienne dans les pays économiquement développés.

Pourtant, la possibilité théorique que le Programme de transition formulait reste très actuelle. La crise conjointe de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin, la décomposition du système impérialiste peuvent créer, surtout dans les pays économiquement arriérés ou les racines de la bourgeoisie sont faibles, des situations du type de celles qui se sont produites après la Deuxième Guerre mondiale.

A ce sujet, il y aurait beaucoup à dire à propos de la croissance du prolétariat en de nombreux pays économiquement arriérés. Mais passons.


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