1904

1904 : Lénine tire un bilan complet du deuxième congrès de la social-démocratie russe, de la scission entre bolchéviks et menchéviks...


Un pas en avant, deux pas en arrière

Lénine


Débats sur le centralisme avant la scission entre iskristes

Avant de passer à la formule du § 1 des statuts, question vraiment intéressante et révélant indéniablement diverses nuances d'opinions, nous nous arrêterons encore un peu aux courts débats généraux relatifs aux statuts, qui ont occupé la 14° séance du congrès et une partie de la 15°. Ces débats offrent une certaine importance parce qu'ils étaient antérieurs au désaccord complet au sein de l'organisation de l'Iskra au sujet de l'effectif des organismes centraux. Au contraire, les débats ultérieurs sur les statuts en général, et la cooptation en particulier, ont eu lieu après notre désaccord dans l'organisation de l'Iskra. Il va, de soi qu'avant ce désaccord nous étions à même d'exprimer nos points de vue d'une façon plus impartiale, dans le sens d’une plus grande indépendance de jugement vis à vis d'une question qui a remué tout le monde, celle relative à la composition du Comité central. Le camarade Martov, comme je l'ai déjà dit, se rallia à mon avis (p. 157) en matière d’organisation, en faisant des réserves seulement sur deux points particuliers. Par contre, les anti iskristes comme le « centre » sont aussitôt partis en campagne contre les deux idées fondamentales de l'ensemble du plan d'organisation de l'Iskra (et, par suite, de l'ensemble des statuts) : et contre le centralisme, et contre les « deux centres ». Mon projet des statuts fut taxé par le camarade Liber de « méfiance organisée ». Il a vu (de même que les camarades Popov et Egorov) du décentralisme dans les deux centres. Le camarade Akimov exprima le désir d'élargir la compétence des comités locaux, notamment de leur laisser « le droit de changer » eux-mêmes « leur effectif ». « Il est indispensable de leur donner une plus grande liberté d'action... Les comités locaux doivent être élus par les militants actifs de la localité, tout comme le Comité central est élu par les repré­sentants de toutes les organisations actives de Russie. Mais si l’on ne peut admettre même cela, qu'on limite le nombre des membres envoyés par le Comité central dans les comités locaux... » (p. 158). Comme vous le voyez, le camarade Akimov suggère là un argument contre l'« hypertrophie du centralisme », mais le camarade Martov fait la sourde oreil­le à ces suggestions compétentes, tant que sa défaite tou­chant la composition des organismes centraux ne le pousse pas à suivre Akimov. Il reste sourd alors même que le ca­marade Akimov lui suggère l'« idée » de ses propres statuts (§ 7 : restriction des droits du Comité central en ce qui concerne l'introduction des membres dans les comités) ! A ce moment, le camarade Martov ne voulait pas encore de « dissonance » avec nous, et c'est pourquoi il tolérait la dissonance avec le camarade Akimov aussi bien qu'avec lui-même... A ce moment là, le « monstrueux centralisme » n’était attaqué que par ceux à qui le centralisme de l'Iskra était manifestement désavantageux : Akimov, Liber, Goldblatt; à leur suite marchaient avec prudence et, circonspection (de façon à pouvoir toujours revenir en arrière) Egorov (voyez pp. 56 et 276), et d'autres encore. A ce moment là, l'immense majorité du Parti se rendait compte que c'étaient les intérêts de paroisse, les intérêts de cercle du Bund, du « Ioujny Rabotchi », etc., qui les poussaient à protester contre le centralisme. Du reste, maintenant encore, il est clair pour la majorité du Parti que précisément les intérêts de cercle de la vieille rédaction de l'Iskra provoquent ses protestations contre le centralisme...

Prenez, par exemple, le discours du camarade Goldblatt (pp. 160 161). Il plaide contre mon centralisme « monstrueux « qui conduirait à « anéantir » les organisations de base; qui serait « entièrement pénétré du désir d'accorder au centre un pouvoir illimité, un droit illimité d'intervenir en toutes choses »; qui ne laisserait aux organisations qu'« un seul droit, celui d'obéir sans murmurer aux ordres venant d'on haut », etc. « Le centre créé d'après ce projet se trouvera dans un espace vide; il n'y aura autour de lui aucune périphérie, mais simplement une masse amorphe où opéreront ses agents d'exécution. » C'est exactement la même phraséologie fausse dont les Martov et les Axelrod se sont mis à nous régaler après leur défaite au congrès. On a ri du Bund qui, tout en bataillant contre notre centralisme, accorde à son propre centre des droits illimités encore plus nettement spécifiés (par exemple, celui d'introduire et d'exclure des membres, et même celui de ne pas admettre tels délégués aux congrès). On rira de même, une fois la question élucidée, des hurlements de la minorité qui clame contre le centralisme et contre les statuts lorsqu'elle est en minorité, et se réclame aussitôt des statuts lorsqu'elle a conquis la majorité.

A propos des deux centres, le groupement n'a pas été  moins net : en face de tous les iskristes se dressent tout à la fois Liber et Akimov (qui a le premier entonné la chanson Axelrod-Martov, aujourd'hui préférée, touchant la prééminence de l'organe central sur le Comité central au sein du Conseil), Popov et Egorov. Le plan des deux centres découlait naturellement des idées que l'ancienne « Iskra » avait toujours développées sur l'organisation (et qui, en paroles, avaient été approuvées par les Popov et les Egorov !). La politique de l'ancienne « Iskra » allait à l'encontre des plans du « Iouijny Rabotchi », plans visant à créer un organe populaire parallèle, et à en faire un organe pratiquement prédominant. Voilà où est la source de cette contradiction, étrange à première vue, que tous les anti iskristes et tout le marais sont pour un centre unique, c'est à dire pour un centralisme soi disant plus accusé. Certes, il y avait (surtout dans le marais) des délégués qui ne comprenaient guère à quoi conduiraient et devaient conduire, par la force des choses, les plans d'organisation du « Ioujny Rabotchi ». Mais ce qui les poussait dans le camp des anti iskristes, c’était leur nature même, indécise et sans assurance.

Parmi les discours des iskristes au cours de ces débats (qui précédèrent la scission entre iskristes) sur les statuts, les plus remarquables sont ceux des camarades Martov (son « adhésion » à mes idées sur l'organisation) et Trotsky. Ce dernier a répondu aux camarades Akimov et Liber de façon que cette réponse démasque par chacun de ses mots ce qu'il y a de faux dans le comportement et les théories de la de la « minorité » après le congrès. « Les statuts, a t il dit (le camarade Akimov), ne définissent pas avec assez de précision la sphère de compétence du Comité central. Je ne suis pas d'accord. Au contraire, cette définition est précise et signifie : si le Parti est un tout, il faut lui assurer le contrôle sur les comités locaux. Le camarade Liber a dit que les statuts sont, pour employer mon expression, de la « méfiance organisée ». C'est vrai. Seulement j'avais employé cette expression en parlant des statuts proposés par les représentants du Bund, et qui étaient une méfiance organisée de la part d'une portion du Parti vis à vis de l'ensemble du Parti. Nos statuts à nous » (à ce moment, ces statuts étaient « à nous » jusqu'à la défaite dans la question de l'effectif des organismes centraux !) « constituent une défiance organisée du Parti envers tous ses éléments, c'est-à-dire un contrôle sur toutes les organisations locales, régionales, nationales et autres » (p. 158). En effet, nos statuts ont été caractérisés ici avec justesse, et nous conseillons de se rappeler plus souvent cette caractéristique à ceux qui, la conscience tranquille, assurent maintenant que c'est la majorité perfide qui a imaginé et érigé en système la « méfiance organisée » ou, ce qui revient au même, l'« état de siège ». Il n'est que de comparer le discours cité avec les discours au congrès de la Ligue à l'étranger pour avoir un exemple de veulerie politique, un exemple de la façon dont les conceptions de Martov et Cie ont changé suivant qu’il s’agissait de leur propre collège ou du collège d’autrui d’ordre inférieur.


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