1917

Paru pour ta première fois en 1925 dans le livre « La Conférence de Pétrograd-ville et la Conférence de Russie du P.O.S.D.(b)R. (avril 1917) »
Conforme à un double dactylographié du procès-verbal

Œuvres t. 24, pp. 142-145, Paris-Moscou


Lénine

La conférence de Pétrograd-ville


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Discours de clôture de la discussion sur le rapport concernant la situation actuelle. 14 (27) avril

 

L'échange de vues a révélé des divergences. Il m'est impossible de répondre à toutes les questions.

Au sujet du vieux bolchévisme. Kalinine l'a défendu. Mais il a fini lui-même par conclure que notre tactique actuelle est juste. L'autre opinion s'est surtout révélée comme une déviation vers la tactique de la petite bourgeoisie.

« Mener la révolution jusqu'au bout », l'expression est sempiternelle. Mais quelle révolution ? La situation objective en 1905 était la suivante : le prolétariat et les paysans étaient les seuls éléments révolutionnaires, les cadets étant pour la monarchie. Aujourd'hui, le jusqu'auboutisme marque le ralliement des paysans à la tactique petite-bourgeoise. Dans ces conditions, parler de mener la révolution jusqu'aubout n'a plus de sens. La révolution a soudé ensemble la petite bourgeoisie et d'autres éléments révolutionnaires en un bloc jusqu'auboutiste.

L'avenir de la dictature du prolétariat et de la paysannerie ? La paysannerie petite-bourgeoise, qui a fait sien le point de vue jusqu'auboutiste, peut se prononcer pour la monarchie.

De la ligne bolchévique une ligne nouvelle se dégage. La petite et la grande bourgeoisie se sont unies. Notre point de départ, c'est la différence des intérêts de classe. Les paysans qui sont aussi ouvriers agricoles doivent être contre la guerre impérialiste. Les paysans propriétaires sont jusqu'auboutistes.

Le jusqu'auboutisme a montré que la petite bourgeoisie s'est éloignée de la classe ouvrière et a rallié la grande bourgeoisie. Le paysan pauvre, qui vit en partie de son travail à la ville, n'a nul besoin de la guerre. C'est une classe qui doit être l'ennemie de la guerre.

Le vieux bolchevisme doit être abandonné. Il est indispensable d'établir une démarcation entre la ligne de la petite bourgeoisie et celle du prolétariat salarié. Les phrases sur le peuple révolutionnaire siéent à un Kérenski mais non au prolétariat révolutionnaire. Le mérite n'est pas grand d'être révolutionnaire, ou du moins démocrate, maintenant que Nicolas a été débarqué. La démocratie révolutionnaire ne vaut pas grand-chose ; ce n'est qu'une phrase qui dissimule, au lieu de le mettre à nu, l'antagonisme des intérêts de classe. Le bolchévik doit ouvrir les yeux des ouvriers et des paysans sur l'existence de ces antagonismes et non les estomper. Puisque la guerre impérialiste accable économiquement le prolétariat et les paysans, ces classes doivent se dresser contre la guerre.

Créer un réseau de Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, telle est la tâche du jour. Toute la Russie se couvre déjà d'un réseau d'organes d'autonomie administrative locale. La « commune » peut elle aussi revêtir la forme d'organes d'autonomie administrative. La suppression de la police et de l'armée permanente, l'armement général du peuple, tout cela peut être réalisé par l'intermédiaire de ces organes. Si j'ai pris le Soviet des députés ouvriers, c'est tout simplement parce qu'il existe déjà.

On dit qu'il faut « occuper » le prolétariat. C'est ce que font Tchkhéidzé, le Gouvernement provisoire, etc., par leurs discours grandiloquents sur la démocratie révolutionnaire. Le bolchévik doit faire le départ entre le prolétariat et la petite bourgeoisie, et laisser à Kérenski les mots « démocratie révolutionnaire » et « peuple révolutionnaire ». En Russie la démocratie est impérialiste. On dit que nous réduisons notre action à une activité culturelle. C'est faux. Voter des résolutions sur l'Assemblée constituante, etc., c'est « occuper » le prolétariat.

Une activité valable, c'est de réaliser l'abolition de l'armée permanente, du corps des fonctionnaires et de la police, ainsi que l'armement général du peuple.

L'Assemblée constituante n'étouffera pas la révolution, car on ne parle pas d'elle en ce moment et nul ne se prépare à la convoquer. Seuls des socialistes-révolutionnaires peuvent « exiger » sa convocation.

La guerre est devenue mondiale. Elle est faite par des classes déterminées et engendrée par le capital bancaire. Le passage du pouvoir à une autre classe peut seul y mettre un terme. La paix ne peut rien changer tant que les classes dirigeantes gardent le pouvoir.

Il faut indiquer au prolétariat les mesures concrètes susceptibles de faire progresser la révolution. Faire progresser la révolution, cela veut dire réaliser d'autorité l'autonomie administrative. L'extension de la démocratie ne fait pas obstacle à l'autonomie administrative et permet de réaliser nos tâches. On ne peut terminer la guerre que par le passage du pouvoir à une autre classe - ce dont la Russie est plus près que tout autre pays - et en aucun cas par une trêve entre les capitalistes de tous les pays moyennant un troc dont les peuples que l'on étrangle feraient les frais. La « commune » convient parfaitement au paysan. La « commune » signifie l'autonomie administrative locale la plus complète, l'absence de toute surveillance d'en haut. Les neuf dixièmes de la paysannerie doivent s'en montrer partisans.

La bourgeoisie peut se résigner à la nationalisation du sol si les paysans prennent la terre. En tant que parti prolétarien, nous devons dire que la terre à elle seule ne les nourrira pas. Il faudra donc qu'ils s'organisent pour la cultiver en commun. Nous devons être pour la centralisation, mais il est des moments où la tâche doit être exécutée sur le plan local, où nous devons admettre le maximum d'initiative sur place. Les cadets se comportent déjà en fonctionnaires. Ils disent au paysan : « Attends l'Assemblée constituante. » Notre Parti est le seul à donner les mots d'ordre qui font réellement progresser la révolution. Les Soviets des députés ouvriers sont parfaitement en mesure de créer partout des « communes ». La question est de savoir si le prolétariat a les capacités d'organisation nécessaires, mais c'est une chose qu'on ne saurait supputer d'avance, il faut apprendre tout en agissant.
Le trotskisme dit : « Pas de tsar, mais un gouvernement ouvrier. » C'est faux. La petite bourgeoisie existe, on ne peut pas ne pas en tenir compte. Mais elle se compose de deux parties. La partie pauvre marche avec la classe ouvrière.

La guerre. Finir la guerre comme l'entendent les pacifistes est une utopie. On peut y mettre fin par une paix impérialiste, mais ce n'est pas cette paix-là que veulent les masses. La guerre est la continuation de la politique d'une certaine classe. Pour changer le caractère de la guerre, il faut remplacer la classe qui est au pouvoir par une autre.

L'appellation de Parti communiste est théoriquement juste. Les socialistes de gauche des autres pays sont trop faibles. C'est à nous de prendre l'initiative.


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