1918

Paru les 12, 13, 14 et 20 janvier 1918, dans les «Izvestia de Comité exécutif central» n°s 8, 9, 10 et 15, les 26 (13), 27 (14) janvier, 2 février (20 janvier) 1918 dans la «Pravda» n°s 9, 10 et 15.
Projet de décret sur la suppression dans la législation soviétique des références à l'Assemblée constituante paru pour la première fois en 1931 dans le Recueil Lénine XVIII
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Œuvres t. 26, pp. 477-509, Paris-Moscou


Lénine

Troisième congrès
des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans de Russie

10-18 (23-31) janvier 1918


quatre

Discours de clôture du congrès 18 (31) janvier

Camarades, avant la clôture du IIIe Congrès des Soviets, il faut déterminer sans aucun parti pris le rôle capital que ce congrès aura joué dans l'histoire de la révolution internationale, dans l'histoire de l'humanité. On est pleinement fondé à dire que le IIIe Congrès des Soviets a inauguré une ère nouvelle dans l'histoire mondiale ; et, désormais, dans les conditions de la révolution mondiale, on a de plus en plus conscience de sa portée. En consacrant l'organisation du nouveau pouvoir d'Etat créé par la Révolution d'Octobre, ce congrès a posé, pour le monde entier, pour les travailleurs de tous les pays, les jalons de la future édification socialiste.

La nouvelle structure étatique de la République socialiste des Soviets, en tant que fédération des libres républiques des différentes nations peuplant la Russie, est aujourd'hui un fait définitivement reconnu de notre politique intérieure. Et tout le monde, y compris même, j'en suis convaincu, nos ennemis, voit maintenant que le nouveau régime, le pouvoir des Soviets, n'est pas une invention arbitraire, ni le fruit d'une manœuvre de parti, mais le résultat du développement de la vie elle-même, le produit du mûrissement spontané de la révolution mondiale. Rappelez-vous que toutes les grandes révolutions ont toujours essayé de détruire jusqu'en ses fondements le vieux régime capitaliste ; qu'elles se sont toujours efforcées non seulement de conquérir des droits politiques, mais encore d'arracher la direction même de l'Etat aux classes dirigeantes à tous les exploiteurs et oppresseurs des travailleurs, afin de mettre à jamais un terme à toute exploitation et à toute oppression. Les grandes révolutions se sont précisément efforcées de briser ce vieil appareil de l'Etat des exploiteurs, mais, jusqu'à présent, elles n'y ont jamais complètement réussi. Et voici qu'en raison des particularités de sa situation économique et politique, la Russie a été la première à réaliser ce passage du pouvoir aux travailleurs eux-mêmes. Nous allons bâtir maintenant, sur un terrain déblayé de décombres de l'histoire, l'édifice imposant et radieux de la société socialiste. Un nouveau type d'Etat inconnu dans l'histoire et appelé, de par la volonté de la révolution, à nettoyer la terre de toute exploitation, de toute violence, de tout esclavage, sera mis sur pied.

Voyons maintenant ce que le nouveau principe socialiste de gestion de l'Etat a donné sur le plan de notre politique intérieure. Vous vous rappelez, camarades, comment, il n'y a pas longtemps encore, la presse bourgeoise criait sans discontinuer que nous détruisions l'Etat russe, que nous ne savions pas administrer et que c'était la raison par laquelle toutes les nationalités, la Finlande, l'Ukraine, etc., se séparaient de nous. Possédée d'une joie mauvaise, la presse bourgeoise annonçait presque chaque jour la «sécession» de quelque nouveau pays. Nous, camarades, nous comprenions mieux qu'elle les causes profondes de ce phénomène. Elles résidaient dans la méfiance des masses laborieuses envers le gouvernement impérialiste et conciliateur de MM. Kérenski et Cie . Nous gardions le silence, fermement convaincus que nos justes principes et notre gestion démontreraient mieux que des paroles à tous les travailleurs quels sont nos buts et nos aspirations véritables.

Et nous avions raison. Nous voyons maintenant que nos idées ont triomphé en Finlande et en Ukraine et triomphent dans la région du Don, éveillant la conscience de classe des travailleurs qu'elles organisent en une ferme union. Nous avons agi sans diplomates, sans recourir aux vieux procédés des impérialistes, et pourtant un résultat grandiose est acquis : la révolution l'a emporté et les peuples vainqueurs s'unissent à nous en une puissante fédération révolutionnaire. Contrairement à la loi cruelle de la Rome antique, nous régnons sans diviser, mais en créant entre tous les travailleurs les liens indissolubles des intérêts vivants, de la conscience de classe; Et notre union, notre nouvel Etat est plus solide qu'un pouvoir fondé sur la violence et unifiant par le fer et le mensonge, selon les besoins des impérialistes, des Etats au sein d'agrégats artificiellement formés. Par exemple, tout récemment, à peine les ouvriers et les paysans finlandais se sont-ils emparés du pouvoir, qu'ils se sont tournés vers nous, pour exprimer leur fidélité à la révolution prolétarienne mondiale, dans un message de salutations, où s'affirme leur inébranlable résolution de marcher avec nous dans la voie de l'Internationale [1]. Voilà le fondement de notre fédération, et je suis profondément convaincu que différentes fédérations de nations libres vont, de plus en plus, se grouper autour de la Russie révolutionnaire. Cette fédération grandira grâce à des adhésions entièrement volontaires, qui n'auront besoin ni de mensonge ni de fer, et elle sera invincible. Le meilleur gage de son invincibilité est dans les lois, dans le régime politique que nous sommes en train de créer chez nous. Vous venez d'entendre lecture de la loi sur la socialisation de la terre [2]. Cette loi n'est-elle pas un gage de l'unité désormais indissoluble des ouvriers et des paysans, unité qui nous permettra de surmonter tous les obstacles semés sur la route du socialisme ?

Ces obstacles, je ne le dissimule pas, sont énormes. La bourgeoisie mettra tout en œuvre et jouera son va-tout pour rompre notre unité. Il se trouvera des menteurs, des provocateurs, des traîtres, des inconscients peut-être pour la servir, mais désormais nous ne craignons rien, car nous avons créé notre nouvel Etat, car nous assumons nous-mêmes sa direction. Nous réprimerons avec la dernière énergie toute tentative contre-révolutionnaire. Mais la solidité de l'ordre nouveau réside avant tout dans les mesures d'organisation que nous allons appliquer au nom du socialisme. Un immense travail nous attend à cet égard. Rappelez-vous, camarades, que les forbans impérialistes mondiaux qui ont jeté les nations dans la guerre ont désorganisé à fond toute la vie économique de l'univers. C'est un lourd héritage qu'ils nous ont laissé : nous avons à reconstruire ce qu'ils ont détruit.

Les travailleurs n'avaient évidemment pas d'expérience en matière d'administration, mais cela ne nous effraie pas. La terre, devenue aujourd'hui le bien de tous, s'est offerte au prolétariat victorieux, et il saura organiser la production et la consommation nouvelles suivant les principes socialistes. Auparavant, tout l'esprit humain, tout le génie de l'homme ne créait que pour donner aux uns tous les biens de la technique et de la culture, et priver les autres de l'indispensable : de l'instruction et du progrès. Maintenant, toutes les merveilles de la technique, toutes les conquêtes de la culture vont devenir le patrimoine du peuple entier et, désormais, jamais l'esprit ni le génie humains ne seront transformés en moyens de violence, en moyens d'exploitation. Nous le savons, - et cette immense tâche historique ne vaut-elle pas la peine qu'on y travaille, qu'on y consacre toutes ses forces ? Les travailleurs mèneront à bien cette tâche historique de titans, car ils portent en eux les grandes forces latentes de la révolution, de la renaissance et du renouvellement.

Nous ne sommes plus seuls. Des événements significatifs se sont produits ces jours derniers, non seulement en Ukraine et dans la région du Don, non seulement dans le royaume de nos Kalédine et de nos Kérenski, mais aussi en Europe occidentale. Vous connaissez les dépêches sur la situation de la révolution allemande. Les flammes de la révolution dominent de plus en plus haut le vieux régime mondial pourri. On n'énonçait pas une théorie étrangère à la vie ou une fantaisie d'homme de cabinet en disant que, par la création du pouvoir des Soviets, nous allions susciter dans d'autres pays des tentatives de même nature. Car, je le répète, il n'y avait pas pour les travailleurs d'autre issue à ce massacre sanglant. Ces tentatives deviennent, dès à présent, des conquêtes durables de la révolution internationale. Et nous terminons ce congrès historique des Soviets sous le signe de la révolution mondiale grandissante. Le jour n'est pas loin où les travailleurs de tous les pays fusionneront en un seul Etat embrassant tous les hommes, pour bâtir d'un commun effort le nouvel édifice socialiste. Le chemin vers cet avenir passe par les Soviets, l'une des formes de la révolution mondiale qui commence. (Tonnerre d'applaudissements.)

En vous saluant je vous convie à bâtir ce nouvel édifice. Vous allez regagner vos villes et vos villages, et là, vous consacrerez toutes vos forces à l'organisation et à l'affermissement de notre immense victoire. (Les délégués se lèvent et, par leurs vifs applaudissements, saluent le camarade Lénine.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1]. Il s'agit du « Message du gouvernement révolutionnaire de Finlande au Conseil des Commissaires du peuple de la Fédération de Russie », publié le 17 (30) janvier 1918 dans la Pravda du soir n° 13.

La révolution en Finlande commença la mi-janvier 1918 dans les régions industrielles du Sud. Le 15 (28) janvier, la Garde Rouge de Finlande occupa la capitale, Helsingfors. Le Gouvernement bourgeois réactionnaire de Swinhufwud fut renversé. Le 16 (29) janvier fut créé un gouvernement révolutionnaire : le Conseil des délégués populaires. Dans les villes et les localités rurales du Sud, le pouvoir fut pris par les ouvriers. Le gouvernement Swinhufwud, ayant consolidé ses positions dans le Nord, demanda l'aide du gouvernement allemand. A la suite de l'intervention des forces armées de l'Allemagne, la révolution de Finlande, après une âpre guerre civile, fut écrasée en mai 1918. [N.E.]

[2]. Lénine fait allusion à la Loi fondamentale sur la socialisation de la terre, qui devait être ratifiée par le IIIe Congrès des Soviets de Russie. Le projet de loi fut rédigé par une commission du IIIe Congrès des Soviets avec la participation de Lénine. Le 18 (31) janvier 1918 la «Loi fondamentale sur la socialisation de la terre » (Premier chapitre : « Dispositions générales ») fut ratifiée par le IIIe Congrès des Soviets. La Loi fut ensuite examinée en détail aux séances communes du congrès des comités agraires et de la section paysanne du IIIe Congrès des Soviets. Le texte définitif de la Loi fut entériné à la séance du Comité exécutif central de Russie du 27 janvier (9 février). [N.E.]


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