1921

Publié intégralement pour la première fois en 1963 dans Le Xe Congrès du P.C.(b)R. 8-16 mars 1921. Compte rendu sténographique

Œuvres t. 32, pp. 173-216, 219-251, 260-274, 278-286, Paris-Moscou. Traduction revue.


Lénine

Xe CONGRÈS DU P.C. (b)R.

(8-16 MARS 1921)


DISCOURS SUR LES SYNDICATS
LE 14 MARS

Camarades, aujourd'hui le camarade Trotski a polémiqué contre moi avec une politesse particulière, et il m'a reproché un excès de circonspection. Je dois le remercier de ce compliment et exprimer mon regret d'être dans l'impossibilité de le lui adresser en retour. Il me faudra au contraire parler de mon ami peu circonspect pour exposer mon point de vue sur une erreur qui m'a fait perdre beaucoup trop de temps, et qui nous oblige à poursuivre le débat sur les syndicats en laissant de côté les questions actuelles. Le camarade Trotski a exposé sa conclusion sur la discussion syndicale dans la Pravda du 29 janvier 1921. Dans son article «Les divergences existent, mais à quoi bon la confusion ?» il m'a reproché d'être responsable de cette confusion et d'avoir demandé qui a commencé. Cette accusation se retourne entièrement contre Trotski : c'est lui qui cherche à rejeter la faute sur autrui. Tout son papier était bâti sur l'idée que c'est lui qui a mis en avant le rôle des syndicats dans la production, et que c'est ce dont il faut parler. C'est faux : ce n'est pas cela qui a causé les divergences, ce n'est pas cela qui les a envenimées. Et, si fastidieux qu'il soit de le répéter après la discussion, de le répéter outre mesure (il est vrai que je n'y ai participé qu'un seul mois), il faut répéter que le point de départ n'a pas été celui-là, mais le mot d'ordre de «secouer» qui fut lancé les 2-6 novembre à la cinquième Conférence des syndicats de Russie. A ce moment-là déjà, il semblait à tous ceux pour qui la résolution de Roudzoutak n'était pas passée inaperçue (et parmi ceux-là il y avait des membres du Comité central, moi y compris) qu'on ne ferait pas surgir des divergences à propos du rôle des syndicats dans la production ; or les trois mois de discussion les ont fait surgir ; ces divergences existaient ; elles constituent une erreur politique. Au cours de la discussion des responsables au Théâtre Bolchoï, le camarade Trotski m'a reproché de vouloir faire avorter la discussion. Je prends ces mots comme un compliment : je me suis efforcé de faire avorter la discussion dans la forme qu'elle prenait, parce qu'à la veille d'un printemps difficile, une telle prise de position était néfaste. Seuls des aveugles pouvaient ne pas le voir.

Maintenant, le camarade Trotski se moque de moi parce que je demande qui a commencé, et il s'étonne que je lui reproche de ne pas être entré à la commission. Mais c'est que cela a une grande importance, camarade Trotski, une très grande importance : ne pas entrer à la commission syndicale, c'était violer la discipline du C.C. Et quand Trotski en parle, il en résulte non pas un débat, mais un ébranlement du parti, de la rancœur, et on en arrive à des excès : le camarade Trotski a utilisé le terme de «satanisme». Je me souviens d'une expression du camarade Goltsmann, que je ne citerai pas, parce que le mot de «satan» évoque quelque chose de terrible, tandis que Goltsmann évoque quelque chose de doux : c'est pourquoi il n'y a pas là de «satanisme», mais qu'il y ait des excès de part et d'autre et, chose beaucoup plus monstrueuse, qu'il y ait eu des excès de la part de certains camarades très doux, voilà ce qu'il ne faut pas oublier. Mais quand l'autorité du camarade Trotski vient encore s'y ajouter, quand il prend la parole en public le 25 décembre et déclare que le congrès doit opter entre deux tendances, cette phrase est impardonnable ! C'est une erreur politique avec laquelle nous sommes aux prises. Et quand ici on vient faire de l'esprit sur les conférences qui ont lieu dans deux locaux, c'est de la naïveté. Je voudrais bien voir le plaisantin qui dirait que les conférences de délégués au congrès sont interdites afin que leurs voix ne se scindent pas. Ce serait aller vraiment trop loin. Le camarade Trotski et Tsektran [1] ont commis une erreur politique en posant la question du «bouleversement », et en la posant d'une façon foncièrement erronée. C'est une erreur politique qui n'est toujours pas corrigée. A propos des transports, il existe une résolution [2].

Nous, nous parlons du mouvement syndical, de l'attitude de l'avant-garde de la classe ouvrière vis-à-vis du prolétariat. Si nous mutons certaines personnes haut placées, il n'y a là rien de déshonorant. Cela ne déshonore personne. Si vous avez commis une erreur, le congrès le reconnaîtra et rétablira les relations et la confiance entre l'avant-garde de la classe ouvrière et la masse ouvrière. Telle est la signification du « Programme des dix » [3]. S'il y a des choses à y remplacer, si Trotski le souligne et Riazanov le développe, ce sont des vétilles. Si l'on dit dans un discours qu'on n'y voit pas la plume de Lénine, sa participation sous une forme ou une autre, je réponds : si je devais participer, par la plume ou par téléphone à tout ce que j'ai à signer, il y a bien longtemps que j'aurais perdu la raison. Je dis que pour rétablir les relations et la confiance entre l'avant-garde de la classe ouvrière et la masse ouvrière, il fallait, si le Tsektran avait commis une erreur (l'erreur est chose humaine), il fallait la corriger. Mais, quand on se met à défendre cette erreur, cela devient l'origine d'un danger politique. Si l'on ne faisait pas le maximum dans le sens de la démocratie, en tenant compte de l'état d'esprit que Koutouzov exprime ici, nous en serions arrivés à la faillite politique. Tout d'abord, nous devons convaincre, et contraindre ensuite. Nous devons, coûte que coûte, convaincre d'abord, et contraindre ensuite. Nous n'avons pas su convaincre les larges masses, et nous avons perturbé les bonnes relations de l'avant-garde avec les masses.

Lorsque des gens comme Koutouzov consacrent une partie d'un discours sérieux à signaler les excès bureaucratiques de notre appareil, nous répondons : c'est juste, notre Etat est un Etat présentant une déformation bureaucratique. Nous appelons les ouvriers sans-parti à la combattre, eux aussi. Et ici, je dois dire que des camarades comme Koutouzov doivent être associés plus étroitement à ce travail et placés à des fonctions supérieures. Telle est la leçon qui découle de notre expérience.

En ce qui concerne la déviation syndicaliste, il suffit de dire deux mots à Chliapnikov ; il a prétendu qu'il serait possible en se référant à Engels défendre l'idée du «congrès des producteurs de Russie», qui figure noir sur blanc dans leur programme et qui a été confirmé par Kollontaï : c'est ridicule. Engels parle de la société communiste où il n'y aura plus de classes, mais seulement des producteurs [4]. Mais actuellement, y a-t-il des classes chez nous ? Oui. Y a-t-il actuellement chez nous une lutte des classes ? La plus acharnée ! Et venir parler d'un «congrès des producteurs de Russie» à un moment où se déroule la lutte des classes la plus acharnée, qu'est-ce donc, sinon une déviation syndicaliste qu'il faut condamner énergiquement, définitivement ? Dans ce méli-mélo de programmes, nous avons vu Boukharine lui-même trébucher sur un tiers des candidatures. Camardes, nous ne devons pas oublier ces errements dans l'histoire du parti.

Et maintenant, puisque l'«opposition ouvrière» a défendu la démocratie, puisqu'elle a formulé des exigences saines, nous ferons le maximum pour nous rapprocher d'elle, et le congrès, en tant que tel, doit opérer une certaine sélection. Vous affirmez que nous luttons peu contre la bureaucratie : venez nous aider, approchez, aidez-nous à lutter ; mais, proposer un «congrès des producteurs de Russie », est un point de vue qui n'a rien de marxiste, de communiste. Grâce aux efforts de Riazanov, l'«opposition ouvrière» interprète faussement le programme qui stipule : « Les syndicats doivent parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains toute la direction de toute l'économie nationale, considérée comme un ensemble économique unique.» Chliapnikov pense, en exagérant comme toujours, que cela se produira, à notre avis, dans 25 siècles. Le programme dit : les syndicats « doivent parvenir », et quand un congrès aura dit qu'ils y sont parvenus, alors cet impératif sera exécuté.

Camarades, lorsque le congrès déclarera maintenant, face au prolétariat de toute la Russie, face au prolétariat mondial, qu'il considère les propositions formulées par l'«opposition ouvrière » comme une semi-déviation syndicaliste, je suis sûr que tous les éléments authentiquement prolétariens et sains de l'opposition nous suivront, qu'ils nous aideront à regagner la confiance des masses, ébranlée par une petite erreur du Tsektran, et que nous pourrons, grâce à nos efforts communes, consolider, resserrer nos rangs et nous engager, unanimes, dans la lutte difficile qui nous attend. Et, en y allant unis, fermes et résolus, nous remporterons la victoire. ( Applaudissements.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1] Sigle russe du Comité central du syndicat unifié des travailleurs des transports ferroviaires et fluviaux créé en septembre 1920. Il accomplit un travail considérable pour la remise en état des transports, mais bientôt des trotskistes réussirent à y dominer ; le Tsektran dégénéra en un organe bureaucratique isolé des masses syndicales. [N.E.]

[2] La résolution adoptée le 29 décembre 1920 par le VIIIe Congrès des Soviets de Russie sur la situation dans les transports ferroviaires et fluviaux et sur les perspectives de renforcement et de développement. [N.E.]

[3] Le «Programme des dix» («Projet de résolution du Xe Congrès du P.C.(b)R. sur le rôle et les tâches des syndicats » élaboré en novembre 1920 lors de la discussion sur les syndicats) fut soutenu par la grande majorité des membres du parti. Le «Programme des dix » fut à la base de la résolution du Xe Congrès du P.C.(b)R. sur le rôle et les tâches des syndicats. [N.E.]

[4] Voir Friedrich ENGELS : L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat. Editions Sociales, 1971. [N.E.]


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