1921

Les contributions de Lénine au III° congrès de l'Internationale Communiste - celui de la maturité.


III° congrès de l'Internationale Communiste

Lénine

Discours sur la question italienne

28 juin 1921


Camarades, je voudrais répondre principalement au camarade Lazzari. Il a dit : “ Citez nous des faits concrets et non des paroles. ” Parfait. Mais, si nous suivons l'évolution de la tendance réformiste et opportuniste en Italie, que sera ce donc, des paroles ou des faits ? Dans vos discours et dans toute votre politique, vous perdez de vue un fait de grande importance pour le mouvement socialiste italien : c'est que non seulement cette tendance mais aussi le groupe opportuniste et réformiste existent depuis longtemps. Je me rappelle fort bien encore l'époque où Bernstein a commencé sa propagande opportuniste qui s'est achevée par le social patriotisme, la trahison et la faillite de la II° Internationale. Depuis, nous connaissons Turati, non seulement de nom, mais aussi par sa propagande au sein du parti italien et du mouvement ouvrier italien, dont il a été le désorganisateur pendant les 20 années qui se sont écoulées. Le manque de temps ne me permet pas d'étudier à fond les documents concernant le parti italien, mais je considère que l'un des plus importants est le compte rendu de la conférence de Turati et de ses amis à Reggio Emilia, publié dans un journal bourgeois italien, je ne me souviens plus si c'est la Stampa ou le Corriere della Sera. Je l'ai comparé à ce qu'avait publié L'Avanti ! [1] N'est ce point là une preuve suffisante ? Après le II° Congrès de l'Internationale Communiste, au cours du débat avec Serrati et ses amis, nous leur avons exposé ouvertement et en termes précis quelle était selon nous la situation. Nous leur avons déclaré que le parti italien ne peut pas devenir communiste aussi longtemps qu'il tolère dans ses rangs des hommes comme Turati.

Qu'est ce donc ? Des faits politiques ou encore des paroles seulement ? Et quand, après le II° Congrès de l'Internationale Communiste, nous avons ouvertement déclaré au prolétariat italien : “ Ne vous unissez pas aux réformistes, à Turati ”, et quand Serrati s'est mis à publier dans la presse italienne une série d'articles contre l'Internationale Communiste et qu'il a réuni une conférence spéciale des réformistes, ce sont des paroles ? C'était plus qu'une scission, c'était déjà la fondation d'un nouveau parti. Il fallait être aveugle pour ne pas le voir. Ce document a une importance décisive dans cette question. Tous ceux qui ont participé à la conférence de Reggio Emilia [2] doivent être exclus du parti : ce sont des menchéviks, non des menchéviks russes, mais des menchéviks italiens. Lazzari a dit : “ Nous connaissons la psychologie du peuple italien. ” Pour ma part, je n'oserais pas en dire autant du peuple russe, mais peu importe. “ Les socialistes italiens comprennent bien l'esprit du peuple italien ”, a dit Lazzari. C'est possible, je ne discute pas. Mais le menchévisme italien, à en juger par les données concrètes et cette répugnance obstinée à l'extirper, leur est inconnu. Nous sommes obligés de dire : il faut, si affligeant que ce soit, confirmer la résolution de notre Comité exécutif. L'Internationale Communiste ne peut pas admettre un parti qui tolère dans ses rangs des opportunistes et des réformistes comme Turati.

“ Pourquoi changer le nom du parti ?   demande le camarade Lazzari   N'est il pas pleinement satisfaisant ? ” Nous ne pouvons pas partager ce point de vue. Nous connaissons l'histoire de la II° Internationale, sa chute et sa faillite. Ne connaissons nous pas l'histoire du parti allemand ? Ne savons nous pas que le grand malheur du mouvement ouvrier en Allemagne est de n'avoir pas opéré la rupture dès avant la guerre ? Cela a coûté la vie à 20 000 ouvriers, livrés au gouvernement allemand par les scheidemannistes et les centristes, à cause de leur polémique et de leurs plaintes contre les communistes allemands.

Et n'observons nous pas, à présent, le même tableau en Italie ? Le parti italien n'a jamais été véritablement révolutionnaire. Son grand malheur est de n'avoir pas rompu avec les menchéviks et les réformistes dès avant la guerre, d'avoir gardé ces derniers dans le parti, Le camarade Lazzari dit : “ Nous admettons entièrement la nécessité d'une rupture avec les réformistes; la seule divergence est que nous n'estimions pas nécessaire de l'opérer au congrès de Livourne [3]. ” Mais les faits disent autre chose. Ce n'est pas la première fois que nous débattons la question du réformisme italien. L'année dernière, dans une discussion à ce sujet avec Serrati, nous lui avons demandé : “ Excusez nous, mais pourquoi la scission du parti italien ne peut elle être opérée dès maintenant, pourquoi doit elle être ajournée ? ” Que nous a donc répondu Serrati ? Rien. Et, citant un article de Frossard qui dit qu'“ il faut être souple et sage ”, le camarade Lazzari y voit sans doute un argument en sa faveur et contre nous. Je pense qu'il se trompe. Au contraire, c'est un excellent argument en notre faveur et contre le camarade Lazzari. Quand il sera obligé d'expliquer aux ouvriers italiens son comportement et son départ, que diront ces derniers ? S'ils reconnaissent que notre tactique est souple et sage comparée aux zigzags de la prétendue gauche communiste (cette gauche qui n'est même pas toujours simplement communiste et rappelle bien plus souvent l'anarchisme), que leur répondrez vous ?

Que signifient tous les racontars de Serrati et de son parti, prétendant que tout ce que veulent les Russes, c'est qu'on les imite ? Nous demandons exactement l'inverse. Il ne suffit pas de connaître par cœur les résolutions communistes et d'utiliser à tout bout de champ des tournures révolutionnaires. Cela ne suffit pas, et nous sommes d'avance contre les communistes qui connaissent par cœur telle ou telle résolution. La première condition du véritable communisme, c'est de rompre avec l'opportunisme. Les communistes qui y souscrivent, nous leur parlerons tout à fait librement et ouvertement, et nous leur dirons à bon droit et avec courage : “ Ne faites pas de sottises; montrez-vous sages et souples. ” Mais nous ne parlerons ainsi qu'avec les communistes qui ont rompu avec les opportunistes, ce qu'on ne peut pas encore dire de vous. Aussi, je le répète, j'espère que le Congrès ratifiera la résolution du Comité exécutif. Le camarade Lazzari a dit : “ Nous sommes dans une période préparatoire. ” C'est la pure vérité. Vous êtes dans une période préparatoire. La première étape de cette période, c'est la rupture avec les menchéviks, semblable à celle que nous avons nous mêmes opérée en 1903 avec les nôtres. Le parti allemand n'a pas rompu avec les menchéviks, et toute la classe ouvrière allemande en a pâti au cours de la longue et exténuante période d'après guerre de l'histoire de la révolution allemande.

Le camarade Lazzari dit que le parti italien en est à la période préparatoire. Je l'admets entièrement. Et la première étape, c'est une rupture sérieuse, définitive, sans ambiguïté et résolue avec le réformisme. Alors, la masse deviendra tout entière favorable au communisme. La deuxième étape ne consistera nullement à répéter les mots d'ordre révolutionnaires. Elle consistera à adopter nos décisions sages et souples, qui seront toujours telles, et qui répéteront toujours : les principes révolutionnaires fondamentaux doivent s'adapter aux particularités des différents pays.

En Italie, la révolution se déroulera autrement qu'en Russie. Elle commencera d'une autre façon. Comment au juste ? Ni vous ni nous ne le savons. Les communistes italiens ne sont pas toujours suffisamment des communistes. Quand on occupait les fabriques, en Italie, un seul communiste au moins s'est il révélé ? Non, le communisme n'existait pas encore en Italie; on peut parler d'un certain anarchisme, mais en aucune façon du communisme marxiste. Il est encore à créer, à inculquer aux masses ouvrières par l'expérience de la lutte révolutionnaire. Et le premier pas sur ce chemin, c'est une rupture définitive avec les menchéviks, qui, pendant plus de 20 ans, ont collaboré et travaillé avec le gouvernement bourgeois. Il se peut fort bien que Modigliani, que j'ai eu un peu l'occasion d'observer aux conférences de Zimmerwald et de Kienthal soit un politicien assez adroit pour ne pas entrer dans un gouvernement bourgeois et rester au centre du parti socialiste où il peut être bien plus utile à la bourgeoisie. Mais toute la position théorique, toute la propagande et toute l'agitation du groupe Turati et de ses amis constituent déjà une collaboration avec la bourgeoisie. Les nombreuses citations du discours de Gennari ne l'ont elles pas prouvé ? Oui, c'est là le front unique que Turati a déjà préparé. C'est pourquoi je dois dire au camarade Lazzari : avec des discours comme le vôtre et comme celui qu'a tenu ici le camarade Serrati, on ne prépare pas la révolution, on la désorganise. (Exclamations : “ Bravo ! ” Applaudissements.)

A Livourne vous aviez une majorité considérable. Vous aviez 98 000 voix, contre 14 000 réformistes et 58 000 communistes. Pour le début d'un mouvement purement communiste dans un pays comme l'Italie, aux traditions bien connues et sans une préparation suffisante de la scission, ce chiffre est pour les communistes un grand succès.

C'est une grande victoire, une preuve palpable qui illustre le fait qu'en Italie le mouvement ouvrier se développera plus vite que le nôtre en Russie; en effet, si vous connaissez les chiffres relatifs à notre mouvement, vous savez qu'en février 1917, après la chute du tsarisme et sous la république bourgeoise, nous étions encore en minorité par rapport aux menchéviks. C'était ainsi après 15 années de lutte acharnée et de scissions. Notre aile droite ne s'est pas développée, et ce n'était pas aussi simple que vous le pensez quand vous parlez de la Russie sur un ton dédaigneux. C'est incontestable, en Italie l'évolution sera toute autre. Après 15 ans de lutte contre les menchéviks et après la chute du tsarisme, nous nous sommes mis à l’œuvre avec un nombre de partisans bien inférieur. Vous avez 58 000 ouvriers de tendance communiste, contre 98 000 centristes unifiés dont la position est indéterminée. C'est une preuve, c'est un fait qui doit nécessairement convaincre tous ceux qui refusent de fermer les yeux devant le mouvement de masse des ouvriers italiens. Tout ne vient pas d'un coup, Mais cela constitue déjà la preuve que les masses ouvrières sont avec nous; non pas les vieux chefs, ni les bureaucrates, ni les professeurs, ni les journalistes, mais la classe vraiment exploitée, l'avant garde des exploités. Et cela montre la grave erreur que vous avez commise à Livourne. C'est un fait. Vous disposiez de 98 000 voix, mais vous avez préféré vous allier aux 14 000 réformistes contre les 58 000 communistes. Même si ces communistes n'étaient pas de vrais communistes, même s'ils étaient seulement des partisans de Bordiga (ce qui est faux, car Bordiga a très loyalement déclaré après le II° Congrès qu'il renonçait à tout anarchisme et à tout antiparlementarisme), vous deviez vous allier à eux. Qu'avez vous fait ? Vous avez préféré l'union avec les 14 000 réformistes et la rupture avec les 58 000 communistes, et c'est la meilleure preuve que la politique de Serrati a été un malheur pour l'Italie. Nous n'avons jamais voulu que Serrati imite en Italie la révolution russe. Ce serait stupide. Nous avons suffisamment de sagesse et de souplesse pour éviter cette stupidité. Mais Serrati a démontré que sa politique en Italie était erronée. Peut être devait il louvoyer. C'est l'expression qu'il a répétée le plus souvent ici, il y a un an. Il disait : “ Nous savons louvoyer, nous ne voulons pas d'imitation servile. Ce serait de l'idiotie. Nous devrons louvoyer pour arriver à nous séparer de l'opportunisme. Vous autres, Russes, vous ne savez pas le faire. Nous, les Italiens, nous sommes plus capables sous ce rapport. Nous verrons bien. ” Et qu'avons nous vu ? Serrati a magnifiquement louvoyé. Il a rompu avec les 58 000 communistes. Et maintenant, les camarades viennent ici et disent : “ Si vous nous repoussez, les masses ne comprendront plus rien. ” Non, camarades, vous vous trompez. C'est maintenant que les masses ouvrières d'Italie ne comprennent plus rien, et ce sera pour leur bien que nous leur dirons : “ Choisissez, camarades, choisissez, ouvriers italiens, entre l'Internationale Communiste qui ne demandera jamais que vous imitiez servilement les Russes, et les menchéviks que nous connaissons depuis 20 ans et que nous ne tolérerons jamais comme voisins dans l'Internationale Communiste vraiment révolutionnaire. ” Voilà ce que nous dirons aux ouvriers italiens. Le résultat ne fait pas de doute. Les masses ouvrières nous suivront. (Vive approbation.)


Notes

[1] L’Avanti ! était le quotidien du P.S.I.

[2] Les 10 et 11 octobre 1920 s’était tenue à Reggio-Emilia la conférence des réformistes italiens.

[3] Le congrès de Livourne du P.S.I. eût lieu en janvier 1921. Il sera l’occasion d’un débat acharné sur les 21 conditions d’adhésion à l’I.C. qui ne seront acceptées que par une minorité qui quitte le parti pour fonder le P.C.I.


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