1921

Contre les reliquats de gauchisme subsistant dans l'I.C., pour une tactique permettant de gagner les plus larges masses au communisme. L'un des derniers discours de Lénine.


III° congrès de l'Internationale Communiste

LÉNINE

Discours en faveur de la tactique de l'I.C.

1° Juillet 1921

Camarades, à mon grand regret, je dois me cantonner dans la légitime défense. (Rires.) Je dis « à mon grand regret », car après avoir pris connaissance du discours du camarade Terracini et des amendements présentés par les trois délégations, je voudrais bien passer à l'offensive; en effet, contre les points de vue défendus par Terracini et ces trois délégations, il faut à proprement parler d’une action offensive. Si le congrès ne mène pas une offensive énergique contre ces erreurs, contre ces sottises « gauchistes », tout le mouvement est condamné. Telle est ma conviction profonde. Mais nous sommes des marxistes organisés et disciplinés. Nous ne pouvons pas nous contenter de discours contre certains camarades. De ces phrases de gauche, nous autres Russes, nous en avons assez jusqu'à l'écoeurement. Nous sommes partisans de l'organisation. En dressant nos plans, nous devons avancer coude à coude et tenter de trouver la ligne juste. Certes, ce n'est un secret pour personne que nos thèses sont un compromis. Pourquoi ne le seraient elles pas ? Entre communistes, qui en sont déjà à leur troisième congrès et qui ont mis au point certains principes fondamentaux, les compromis s'imposent sous certaines conditions. Nos thèses, proposées par la délégation russe, ont été étudiées et préparées de la façon la plus minutieuse; elles sont le résultat de longues réflexions et de conférences avec les diverses délégations. Elles ont pour but de fixer la ligne directrice de l'Internationale communiste et sont particulièrement nécessaires maintenant que nous avons exclu du. parti les véritables centristes, jugeant insuffisant de les condamner pour la forme. Tels sont les faits. Je dois me faire le défenseur de ces thèses. Et quand Terracini vient dire à présent que nous devons poursuivre la lutte contre les centristes, et qu'il décrit ensuite comment on s'apprête à la mener, j'affirme que, si ces amendements doivent représenter une certaine tendance, il faut lutter de manière implacable contre cette tendance, sinon il n'y a pas de communisme et pas d'Internationale Communiste. Je m'étonne que le Parti communiste ouvrier d'Allemagne n'ait pas souscrit à ces amendements. (Rires.) Écoutez donc ce que défend Terracini et ce que disent ces amendements. Ils commencent de la sorte : « A la page 1, 1° colonne, ligne 19, il convient de biffer : « La majorité... » La majorité ! Mais c'est terriblement dangereux ! (Rires.) Ensuite : les mots « principes fondamentaux » doivent être remplacés par « buts ». Les principes fondamentaux et les buts sont deux choses différentes, car pour les buts même les anarchistes seront d'accord avec nous, puisqu'ils sont pour la suppression de l'exploitation et des différences de classes.

J'ai rencontré et parlé dans ma vie avec assez peu d'anarchistes; malgré tout, j'en ai vu suffisamment. J'ai parfois réussi à m'entendre avec eux à propos des buts, mais jamais sur le plan des principes. Les principes, ce ne sont ni le but, ni le programme, ni la tactique, ni la théorie. La tactique et la théorie, ce ne sont pas les principes. Qu'est ce qui nous distingue des anarchistes quant aux principes ? Les principes du communisme consistent dans l'institution de la dictature du prolétariat, dans l'emploi par l'Etat des méthodes de coercition en période de transition. Tels sont les principes du communisme, mais non son but. Et les camarades qui ont fait cette proposition ont commis une erreur.

Ensuite, on nous dit : « Il faut biffer le mot « majorité ». Lisez tout le passage :

« Le III° Congrès de l'Internationale communiste entreprend de réviser les questions de tactique dans des conditions où, dans nombre de pays, la situation objective s'est tendue dans le sens révolutionnaire, et où s'est organisée toute une série de partis communistes de masse, lesquels, pourtant, n'ont pris nulle part entre leurs mains la direction réelle de la majorité de la classe ouvrière dans leur lutte révolutionnaire effective. »

Et voilà qu'on veut biffer le mot « majorité ». Si nous ne pouvons pas nous entendre sur des choses aussi simples, je ne comprends pas comment nous pouvons travailler ensemble et conduire le prolétariat à la victoire. Il ne faut pas s'étonner alors si nous ne pouvons pas non plus parvenir à un accord sur la question des principes. Indiquez-moi un parti qui ait déjà conquis la majorité de la classe ouvrière. Terracini n'a même pas eu l'idée de citer un exemple quelconque. Il n'en existe d'ailleurs pas.

Ainsi, remplacer le mot « principes » par « buts » et biffer le mot « majorité». Merci beaucoup ! Nous n'y consentirons pas. Même le parti allemand qui est l'un des meilleurs, même lui, n'est pas suivi par la majorité de la classe ouvrière. C'est un fait. Alors que nous allons vers les luttes les plus dures, nous ne craignons pas de dire cette vérité; mais il y a ici trois délégations qui désirent commencer par une contre vérité, parce que si le congrès biffe le mot « majorité », il montrera par là qu'il veut la contre vérité. C'est absolument évident.

Ensuite vient l'amendement suivant : « Page 4, 1° colonne, ligne 10, « il convient de biffer » les mots « La lettre ouverte », etc. J'ai déjà entendu aujourd'hui un discours où j'ai retrouvé la même idée. Mais là c'était parfaitement naturel. Il s'agit du discours du camarade Hempel, membre du Parti communiste ouvrier d'Allemagne. Il a dit : « La lettre ouverte » était un acte d'opportunisme. A mon profond regret et à ma grande honte, j'ai déjà entendu exprimer de semblables opinions en privé. Mais que la « Lettre ouverte » soit qualifiée d'opportuniste devant le congrès, après d'aussi longs débats, quelle honte, quelle infâmie ! Et voici le camarade Terracini qui vient, au nom de trois délégations, demander que l'on biffe les mots « Lettre ouverte ». A quoi sert donc la lutte contre le Parti communiste ouvrier d'Allemagne ? La « Lettre ouverte » est une initiative politique exemplaire. C'est ce que disent nos théses. Et nous devons absolument le soutenir. C'est exemplaire, car c'est le premier acte d'une méthode pratique visant à attirer la majorité de la classe ouvrière. Qui ne comprend pas qu'en Europe, où presque tous les prolétaires sont organisés, nous devons conquérir la majorité de la classe ouvrière, celui là est perdu pour le mouvement communiste, n'apprendra jamais rien, s'il ne l'a pas encore appris en trois ans de grande révolution.

Terracini dit que nous avons triomphé en Russie bien que le parti fût très petit. Il est mécontent de ce que les thèses indiquent à propos de la Tchécoslovaquie. Il y a 27 amendements, et si l'idée me venait de les critiquer, il me faudrait, à l'instar de certains orateurs, parler pendant au moins trois heures... On a déclaré ici qu'en Tchécoslovaquie le Parti communiste compte 300 à 400 000 membres, qu'il faut attirer la majorité, créer une force invincible et continuer à attirer de nouvelles masses ouvrières. Terracini est déjà prêt à l'offensive. Il dit : s'il y a déjà 400 000 ouvriers dans le parti, pourquoi nous en faut il davantage ? Biffons cela ! (Rires.) Il a peur du mot « masse » et veut le faire disparaître. Le camarade Terracini n'a pas compris grand-chose à la révolution russe.

En Russie, nous étions un petit parti, mais nous avions en plus avec nous la majorité des Soviets des députés ouvriers et paysans de tout le pays (exclamation : « C'est juste ! »). Et vous ? Nous avions près de la moitié de l'ar­mée qui comptait alors, au bas mot, 10 millions d'hommes.

Auriez vous la majorité de l'armée ? Indiquez moi donc un tel pays ! Si trois autres délégations partagent l'opinion du camarade Terracini, c'est que quelque chose ne va pas dans l'Internationale ! Alors nous devons dire. « Halte là ! Luttons énergiquement ! Sinon l'Internationale Communis­te est perdue. »

Me fondant sur mon expérience, je dois dire, bien que j'occupe une position défensive (Rires), que mon discours a pour but et pour principe la défense de la résolution et des thèses proposées par notre délégation. Certes, il serait pédant d'affirmer qu'on ne saurait y changer la moindre lettre. J'ai eu l'occasion de lire bon nombre de résolutions, et je sais bien qu'on pourrait y apporter d'excellents amendements à chaque ligne. Mais cela serait pédant. Et si maintenant je déclare tout de même que, politiquement parlant, pas une seule lettre ne peut être changée, c'est parce que les amendements ont, à ce que je vois, un caractère politique parfaitement déterminé, parce qu'ils conduisent dans une voie nuisible et dangereuse pour l'Internationale communiste. C'est pourquoi moi même, nous tous, la délégation russe, nous devons insister pour qu'il ne soit pas changé une seule lettre aux thèses. Nous n'avons pas seulement condamné nos hommes de droite, nous les avons chassés. Mais si, comme Terracini, on fait un sport de la lutte contre les hommes de droite, nous devons dire : « Assez ! Sinon le danger sera trop grave ! »

Terracini a défendu la théorie de la lutte offensive. Les fameux amendements proposent à ce sujet une formule de deux à trois pages. Nous n'avons pas besoin de les lire. Nous savons ce qu'elles contiennent. Terracini a dit tout à fait clairement de quoi il retourne. Il a défendu la théorie de l'offensive, en mentionnant les « tendances dynamiques » et le « passage de la passivité à l'action ». Nous autres, en Russie, nous possédons une expérience politique suffisante de la lutte contre les centristes. Il y a 15 ans, nous menions la lutte contre nos opportunistes et nos centristes, ainsi que contre les menchéviks, et nous avons vaincu non seulement les menchéviks, mais aussi les semi anarchistes.

Sans cela nous n'aurions pas été en état de garder le pouvoir, je ne dis même pas trois ans et demi, mais trois semaines et demie, et nous n'aurions pas pu réunir ici des congrès communistes. « Tendances dynamiques », « passage de la passivité à l'action » : tout ça, ce sont les phrases que les socialistes révolutionnaires de gauche lançaient contre nous. A présent, ils sont en prison où ils défendent les « buts du communisme » et méditent sur le « passage de la passivité à l'action». (Rires.) Il n'est pas possible d'argumenter comme on le fait dans les amendements proposés, parce qu'ils sont dénués de marxisme, d'expérience politique et d'argumentation. Aurions nous développé dans nos thèses une théorie générale de l'offensive révolutionnaire ? Radek ou quelqu'un d'autre parmi nous aurait il commis une telle sottise ? Nous avons parlé de la théorie de l'offensive pour un pays bien déterminé à une période bien déterminée.

Nous pouvons prendre dans notre lutte contre les menchéviks des exemples montrant que, dès avant la première révolution russe, il s'en trouvait certains pour douter que le parti révolutionnaire doive mener l'offensive. Si de tels doutes venaient à un social démocrate quelconque (c'était à l'époque notre nom à tous), nous engagions la lutte contre lui et nous disions que c'était un opportuniste, qu'il ne comprenait rien au marxisme ni à la dialectique du parti révolutionnaire. Un parti peut il discuter pour savoir si l'offensive révolutionnaire est admissible de façon générale ? Pour trouver de tels exemples chez nous, il faudrait revenir quinze ans en arrière. S'il y a des centristes ou des centristes camouflés qui contestent la théorie de l'offensive, il faut les exclure sur le champ. Cette question ne peut pas susciter de débats. Mais maintenant que l'Internationale communiste a trois ans, nous discuterions des « tendances dynamiques » et du « passage de la passivité à l'action » ! Quelle infamie, quelle honte !

Nous ne sommes pas en litige à ce sujet avec le camarade Radek qui a mis au point ces thèses avec nous. Peut être n'était il pas tout à fait juste d'entamer en Allemagne des débats sur la théorie de l'offensive révolutionnaire, alors que l'offensive réelle n'avait pas été préparée. Les combats de mars sont quand même un grand pas en avant, malgré les erreurs des dirigeants. Mais cela ne veut rien dire. Des centaines de milliers d'ouvriers ont combattu héroïquement. Malgré la lutte vaillante du Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne contre la bourgeoisie, nous devons dire la même chose que le camarade Radek dans un article russe à propos de Hölz. Si quelqu'un, fût il un anarchiste, lutte héroïquement contre la bourgeoisie, c'est évidemment une grande chose, mais si des centaines de milliers de personnes luttent contre une abjecte provocation des social traÎtres et la bourgeoisie, c'est un véritable pas en avant.

Il est très important de considérer d'un oeil critique ses propres erreurs. C'est par là que nous avons commencé. Si après une lutte à laquelle des centaines de milliers de personnes ont participé, quelqu'un prend position contre cette lutte et agit comme Lévi, il faut l'exclure. C'est ce qui a été fait. Mais nous devons en tirer une leçon : avions nous préparé l'offensive ? (Radek : « Nous n'avions même pas préparé la défense. ») En effet, il n'avait été question de l'offensive que dans la presse. Cette théorie, appliquée à l'action déclenchée au mois de mars 1921 en Allemagne, était fausse, nous devons en convenir; mais de façon générale, la théorie de l'offensive révolutionnaire n'est nullement erronée.

Si nous avons gagné en Russie, avec au surplus une telle facilité, c'est parce que nous avions préparé notre révolution pendant la guerre impérialiste. C'est la première condition. Dix millions de nos ouvriers et paysans étaient armés, et notre mot d'ordre était : paix immédiate, coûte que coûte. Nous avons gagné parce que les masses paysannes les plus larges étaient pour la révolution, contre les grands propriétaires fonciers. Les socialistes révolutionnaires, partisans des Internationales Il et Il 1/2, formaient en novembre 1917 un grand parti paysan. Ils exigeaient des mesures révolutionnaires mais, en dignes hérauts des Internationales II et II 1/2, ils n'avaient pas assez de courage pour agir de façon révolutionnaire. En août et septembre 1917, nous disions : « En théorie, nous combattons les socialistes révolutionnaires, comme précédemment, mais sur le plan pratique nous sommes prêts à adopter leur programme, parce que nous sommes les seuls à pouvoir le réaliser. » Et ce que nous disions, nous l'avons fait. Après notre victoire, la paysannerie, dressée contre nous en novembre 1917, et qui avait envoyé une majorité de socialistes révolutionnaires à l'Assemblée constituante, nous l'avons conquise, sinon en l'espace de quelques jours, comme je le présumais et le prédisais à tort, du moins en l'espace de quelques semaines. La différence était peu sensible. Indiquez moi en Europe un pays où vous pourriez attirer à vos côtés la majorité de la paysannerie en l'espace de quelques semaines ? L'Italie peut être ? (Rires.) Si l'on dit que nous avons triomphé en Russie bien que nous eussions un petit parti, on ne fait que démontrer qu'on n'a pas compris la révolution russe et qu'on ne comprend absolument pas comment il faut préparer une révolution.

Notre premier acte a été la fondation d'un véritable parti communiste afin de savoir à qui nous avons affaire et en qui nous pouvons avoir une entière confiance. Le mot d'ordre des I° et II° Congrès a été : « A bas les centristes ! »

Si nous ne nous débarrassons pas sur toute la ligne et dans le monde entier des centristes et des semi centristes, que nous appelons menchéviks en Russie, c'est que même l'a b c du communisme nous est inaccessible. Notre première tâche, c'est de fonder un véritable parti révolutionnaire, de rompre avec les menchéviks. Mais ce n'est là que l'école préparatoire. Nous en sommes déjà au Ill° Congrès, et le camarade Terracini continue à répéter que la tâche de l'école préparatoire est de pourchasser et démasquer les centristes et les semi centristes. Merci beaucoup ! Nous nous sommes assez livrés à cette occupation. Nous avons déjà annoncé au II° Congrès que les centristes sont nos ennemis. Mais il faut tout de même avancer. La seconde étape consistera pour nous, une fois organisée en parti, à apprendre à préparer la révolution. Dans de nombreux pays, nous n'avons même pas appris à conquérir la direction. Nous avons triomphé en Russie non seulement parce que nous avions la majorité incontestable de la classe ouvrière (aux élections de 1917, l'écrasante majorité des ouvriers était avec nous contre les menchéviks), mais aussi parce que la moitié de l'armée, immédiatement après notre prise du pouvoir, et les 9/10 de la masse paysanne, sont passés à nos côtés en l'espace de quelques semaines; nous avons triomphé parce que nous n'avions pas adopté notre programme agraire, mais celui des socialistes révolutionnaires, et que nous l'avons mis en pratique. Notre victoire est venue précisément de ce que nous avons appliqué le programme des socialistes révolutionnaires; voilà pourquoi elle a été tellement facile. Vous autres, en Occident, vous pourriez donc avoir de telles illusions ? C'est ridicule ! Comparez donc les conditions économiques concrètes, camarade Terracini, et vous tous qui avez signé la proposition d'amendements ! Bien que la majorité se fût rangée si rapidement de notre côté, les difficultés qui nous ont assaillis après la victoire étaient très grandes. Nous avons quand même fait notre chemin, parce que nous n'avons pas oublié, non seulement nos buts, mais aussi nos principes, et que nous n'avons pas toléré dans notre parti les gens qui, se taisaient sur les principes et parlaient des buts, des « tendances dynamiques » et du « passage de la passivité à l'action ». Peut être nous accusera t on de préférer garder ces messieurs en prison. Mais la dictature est impossible autrement. Nous devons préparer la dictature, et cela consiste à lutter contre ce genre de phrases et ce genre d'amendements. (Rires.) Il est partout question de la masse dans nos thèses. Mais, camarades, il faut tout de même comprendre ce que c'est que la masse. Le Parti communiste ouvrier d'Allemagne, les camarades de gauche abusent un peu trop de ce mot. Mais le camarade Terracini et tous ceux qui ont souscrit à ces amendements ne savent pas non plus ce qu'il faut entendre par ce mot.

Voilà trop longtemps que j'ai la parole; aussi voudrais-je me borner à quelques mots sur la notion de « masse ». La notion de « masse » est variable, elle varie en fonction du caractère de la lutte. Au commencement de la lutte, il suffisait de quelques milliers de véritables ouvriers révolutionnaires pour que l'on pût parler de masse. Si le parti réussit à entraîner dans la lutte, non pas seulement ses membres, s'il réussit à galvaniser aussi les sans parti, c'est déjà un début de conquête des masses. Pendant nos révolutions, il est arrivé que quelques milliers d'ouvriers représentent la masse. Dans l'histoire de notre mouvement, dans l'histoire de notre lutte contre les menchéviks, vous trouverez beaucoup de ces exemples, où il suffisait de quelques milliers d'ouvriers dans une ville pour que le mouvement ait un caractère de masse évident. Si quelques milliers d'ouvriers sans parti, qui mènent habituellement une vie toute plate et traînent une existence misérable, qui n'ont jamais entendu parler de politique, se mettent à l'action révolutionnaire, vous avez devant vous la masse. Si le mouvement s'étend et se renforce, il se transforme progressivement en une véritable révolution. Nous l'avons vu en 1905 et en 1917, au cours de trois révolutions, et vous aurez également l'occasion de vous en convaincre. Lorsque la révolution est suffisamment préparée, la notion de « masse » devient différente : quelques milliers d'ouvriers ne forment plus la masse. Ce mot commence à prendre une autre signification. La notion de masse se modifie, en ce sens qu'on entend par là la majorité, et de surcroît non pas la simple majorité des ouvriers, mais la majorité de tous les exploités : une interprétation différente est inadmissible pour un révolutionnaire, tout autre sens de ce mot devient incompréhensible. Il se peut qu'un petit parti, par exemple le parti anglais ou américain, après avoir bien étudié le cours de l'évolution politique et s'être familiarisé avec la vie et les habitudes des masses sans parti, suscite au moment propice un mouvement révolutionnaire (le camarade Radek, a signalé comme un bon exemple la grève des mineurs). Si un tel parti, à un tel moment, lance ses mots d'ordre et parvient à être suivi par des millions d'ouvriers, vous aurez là un mouvement de masse. Je ne repousse pas d'une façon absolue l'idée que la révolution puisse être entreprise même par un parti très petit et menée à la victoire. Mais il faut savoir par quelles méthodes attirer les masses de son côté. Il faut pour cela une préparation sérieuse de la révolution. Mais voilà des camarades qui viennent déclarer : renonçons immédiatement à exiger les « grandes » masses. Il faut engager la lutte contre ces camarades. Sans une préparation sérieuse, vous n'obtiendrez la victoire dans aucun pays. Il suffit d'un parti tout petit pour entraÎner les masses. A certains moments, il n'est pas besoin de grandes organisations.

Mais pour la victoire, il faut avoir la sympathie des masses. La majorité absolue n'est pas toujours nécessaire; mais pour vaincre, pour garder le pouvoir, il faut non seulement la majorité de la classe ouvrière (j'emploie ici l'expression « classe ouvrière » dans le sens usité en Europe occidentale, c'est à dire dans le sens de prolétariat industriel), mais aussi la majorité des exploités et des travailleurs ruraux. Avez vous réfléchi à cela ? Trouvons nous dans le discours de Terracini ne serait ce qu'une allusion à une pensée semblable ? Il n'y est question que de la « tendance dynamique » et du « passage de la passivité à l'action ». Aborde-t il, fût ce avec un seul mot, la question du ravitaillement ? Pourtant, les ouvriers ont besoin de se nourrir, bien qu'ils puissent aussi beaucoup supporter et jeûner, comme nous l'avons vu, jusqu'à un certain point, en Russie. C'est pourquoi nous devons attirer de notre côté, non seulement la majorité de la classe ouvrière, mais aussi la majorité de la population laborieuse et exploitée des campagnes. Avez-vous préparé cela ? Presque nulle part.

Ainsi, je le répète, je dois absolument défendre nos thèses, je m'y considère tenu. Nous n'avons pas seulement condamné les centristes, nous les avons chassés du parti. Maintenant, nous devons nous tourner d'un autre côté que nous jugeons également dangereux. Nous devons dire la vérité aux camarades, sous les formes les plus courtoises (et nos thèses le disent aimablement et poliment), de sorte que personne ne se sente offensé : nous devons maintenant faire face à d'autres problèmes plus importants que la chasse aux centristes. Foin de cette affaire là, elle commence à nous lasser. Au lieu de cela, les camarades devraient apprendre à mener la vraie lutte révolutionnaire. Les ouvriers allemands s'y sont déjà mis. Des centaines de milliers de prolétaires se sont battus héroïquement dans ce pays. Quiconque prend position contre cette lutte doit être immédiatement exclu. Mais, après cela, il ne faut pas pérorer dans le vide; il faut commencer tout de suite à étudier, à profiter de l'expérience des erreurs commises, pour apprendre à mieux organiser la lutte. Nous ne devons pas dissimuler nos erreurs devant l'ennemi. Celui qui craint pareille chose n'est pas un révolutionnaire. Au contraire, si nous déclarons ouvertement aux ouvriers. « Oui, nous nous sommes trompés », cela veut dire que nos erreurs ne se reproduiront plus et que nous saurons mieux choisir le moment. Et si, au moment de la lutte même, nous avons à nos côtés la majorité des travailleurs (non seulement la majorité des ouvriers, mais la majorité de tous les exploités et de tous les opprimés), alors, véritablement, nous vaincrons. (Vifs applaudissements prolongés).


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