1922

Imprimé intégralement dans Le Xle Congrès du Parti communiste (bolchevique) de Russie. Compte rendu sténographique. Section des éditions du C.C. du P.C.R., 1922

Œuvres, t. 33, pp. 265-332. Traduction russe. Paris-Moscou,


Lénine

XIe CONGRÈS DU P.C. (b)R.

(27 MARS - 2 AVRIL1922)


RAPPORT POLITIQUE DU COMITÉ CENTRAL DU P.C.(b)R.
LE 27 MARS

(Applaudissements.)

Camarades, permettez-moi de commencer le rapport politique du Comité central, non par le début de l'année mais par la fin. A l'heure actuelle, la question politique la plus brûlante est celle de Gênes [1]. Mais comme notre presse en a déjà beaucoup parlé, et que dans mon discours du 6 mars, qui a été publié, j'ai eu l'occasion d'exposer l'essentiel sur ce point, si vous n'insistez pas sur des explications complémentaires, je vous demanderais la permission de ne pas entrer dans les détails.

En somme, vous êtes tous au courant de la question de Gênes, puisque la presse lui a consacré beaucoup de place, et même, à mon sens, beaucoup trop de place au détriment des nécessités réelles, pratiques et immédiates de notre œuvre d'édification en général, et de notre construction économique en particulier. En Europe, cela se conçoit, dans tous les pays bourgeois, on aime beaucoup amuser ou bourrer les cerveaux de caquetages de toute sorte au sujet de la conférence de Gênes. Et cette fois-ci (à vrai dire ce n'est pas la seule), nous les imitons, et nous les imitons beaucoup trop.

Je dois vous dire qu'au Comité central, nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour former une délégation de nos meilleurs diplomates (aujourd'hui, nous possédons bon nombre de diplomates soviétiques, ce qui n'était pas le cas dans les premiers temps de la République des Soviets). Nous avons élaboré au Comité central des directives suffisamment détaillées pour nos diplomates à Gênes. Ces directives ont été mises au point longuement, discutées à plusieurs reprises, et puis examinées à nouveau. Il s'agit ici, cela va de soi, d'une question je ne dirais pas militaire, parce que ce mot provoquerait des interprétations fausses, mais, en tout état de cause, d'une question de compétition. Dans le camp bourgeois, il existe un courant extrêmement fort, beaucoup plus puissant que tous les autres, qui tend à faire échouer la conférence de Gênes. Il est d'autres courants qui veulent à tout prix défendre la conférence de Gênes, obtenir qu'elle se réunisse. Ce sont ces derniers qui, aujourd'hui, ont pris le dessus. Il existe enfin dans le camp de tous les pays bourgeois une tendance que l'on pourrait appeler pacifiste, et où l'on pourrait ranger toute la IIe Internationale et l'Internationale II 1/2 [2]. C'est le camp de la bourgeoisie qui essaie de défendre une série de propositions pacifistes et de tracer en quelque sorte une politique de pacifisme. Nous, communistes, nous avons là-dessus une opinion précise qu'il serait tout à fait superflu d'exposer ici. Bien entendu, nous allons à Gênes non en communistes mais en marchands. Nous avons besoin de faire du commerce, eux de même. Nous désirons faire du commerce à notre avantage à nous ; ils désirent le faire à leur avantage à eux. Quel tour prendra la lutte ? Cela dépendra, dans une faible mesure il est vrai, de l'habileté de nos diplomates.

On comprend que nous rendant à Gênes en qualité de marchands, nous ne pouvons être indifférents à la question de savoir si nous aurons affaire aux représentants du camp bourgeois qui penchent pour une solution militaire du problème, ou bien à ceux d'entre eux qui penchent pour le pacifisme, fût-il le plus chétif et, du point de vue communiste, ne résistant pas même à une ombre de critique. Bien mauvais serait le marchand qui ne prendrait pas cette différence en considération et ne saurait adapter sa tactique à la situation pour obtenir des résultats pratiques.

Nous allons à Gênes avec un objectif pratique : élargir le commerce et créer des conditions qui favoriseraient son développement le plus vaste et le plus efficace. Mais nous ne garantissons pas du tout le succès de la conférence de Gênes. Prétendre le garantir serait ridicule et absurde. Je crois cependant qu'en appréciant avec la plus grande lucidité et avec la plus grande circonspection les possibilités qu'offre aujourd'hui la conférence de Gênes, il ne sera pas exagéré de dire que nous atteindrons notre but.

Par le canal de la conférence de Gênes, si nos interlocuteurs sont assez raisonnables et pas trop têtus ; en marge de la conférence, s'ils s'avisent de s'obstiner. Mais nous atteindrons notre but !

Car les intérêts les plus pressants, les plus essentiels, les plus pratiques de tous les pays capitalistes, intérêts qui se sont nettement manifestés en ces dernières années, exigent que le commerce avec la Russie soit développé, réglementé et étendu. Et dès l'instant où ces intérêts sont en jeu, on peut discuter, on peut disputer, on peut se séparer sur telle ou telle combinaison, - il est même fort probable que nous aurons à nous séparer, - mais finalement cette nécessité économique essentielle se frayera elle-même un chemin. Et je pense que nous pouvons être tranquilles là-dessus. Je ne garantis pas le délai, je ne garantis pas la réussite, mais devant cette assemblée, on peut dire avec assez de certitude que les relations commerciales régulières entre la République des Soviets et le monde capitaliste continueront nécessairement à se développer. Des à-coups pourront se produire, - j'en parlerai en son lieu et place dans mon rapport -, mais je pense que pour la question de Gênes, nous pouvons nous en tenir là.

Il va sans dire que les camarades qui désireraient étudier la question en détail et qui ne se contenteraient pas de la liste des membres de la délégation publiée dans les journaux auront la faculté de nommer une commission ou une section, en vue d'étudier toute la documentation dont dispose le Comité central, la correspondance, les directives. Bien entendu, nous avons arrêté les détails a priori, puisque jusqu'ici nous ne savons pas exactement qui siégera à Gênes ni quelles conditions ou conditions préalables, ou réserves seront formulées. Les examiner toutes ici serait parfaitement inutile, et, je crois même, pratiquement impossible. Je le répète : le Congrès a pleine et entière possibilité de réunir, par l'intermédiaire d'une commission ou d'une section, tous les documents relatifs à cette question, tant ceux qui ont été publiés que ceux dont dispose le Comité central.

Je me bornerai donc à ce que j'ai dit, car j'ai la certitude que nos plus grandes difficultés ne sont pas là. Ce n'est pas sur ce point que tout le Parti doit porter principalement son attention. La presse bourgeoise européenne grossit et exagère artificiellement et à dessein la portée de cette conférence, trompant ainsi les masses laborieuses (ainsi font toujours les neuf dixièmes de la presse bourgeoise dans tous ces pays et républiques libres et démocratiques). Nous nous sommes laissés un peu influencer par cette presse. Comme toujours, nos journaux se laissent encore influencer par les anciennes coutumes bourgeoises ; ils ne veulent pas adopter les nouvelles méthodes socialistes, et c'est ainsi que nous avons fait du bruit plus que la chose n'en valait la peine. Au fond, Gênes n'offre pas de grandes difficultés pour les communistes, surtout pour ceux qui, comme nous, ont vécu les dures années à partir de 1917, qui ont connu les graves combinaisons politiques intervenues depuis cette époque. Je n'ai pas souvenance que cette question ait soulevé quelques désaccords ou discussions au sein du Comité central ni dans notre Parti. Et c'est naturel, car il n'y a là rien de litigieux du point de vue des communistes, même en tenant compte des différentes nuances qui existent parmi eux. Je le répète : nous allons à Gênes en tant que marchands, pour obtenir les conditions les plus avantageuses au développement du commerce, qui a déjà commencé, qui se poursuit et qui, si même on réussissait à l'interrompre par la force pour tel ou tel délai, reprendrait nécessairement de plus belle après cette interruption.

Voilà pourquoi je m'en tiendrai, en ce qui concerne Gênes, à ces brèves indications. Et je passe aux questions qui, à mes yeux, sont les questions politiques essentielles de l'année écoulée et de l'année à venir. Il me semble (ou du moins telle est ma façon de voir) que le rapport politique du Comité central ne doit pas exposer simplement les événements de l'année écoulée, mais les leçons politiques fondamentales, majeures, qui se dégagent de ces événements, afin que nous puissions établir correctement notre politique pour l'année prochaine, et tirer profit de l'année écoulée.

La question principale est évidemment la nouvelle politique économique. Cette année s'est écoulée tout entière sous ce signe. S'il est vrai qu'en cette année nous avons à enregistrer une conquête importante, sérieuse, inaliénable (pour ma part, je n'en suis pas encore très sûr), cela ne peut être que celle-ci : nous avons tiré quelques enseignements des premiers pas de la NEP. Si même nous n'avions appris cette année que fort peu sur la nouvelle politique économique, ce peu est en fait considérable. Quant à la question de savoir si nous nous sommes réellement instruits, et dans quelle mesure, la chose sera probablement vérifiée par les événements à venir qui dépendront fort peu de notre volonté, comme par exemple la crise financière imminente. L'essentiel, il me semble, dans la nouvelle politique économique, et que nous devons mettre à la base de tous nos jugements, afin de tenir compte de l'expérience acquise au cours de cette année, afin d'en tirer des enseignements pratiques pour l'année prochaine, ce sont les trois points suivants :

Tout d'abord, la nouvelle politique économique a pour nous ceci d'important qu'elle permet de vérifier si nous réalisons effectivement l'alliance avec l'économie paysanne. Au stade précédent de notre révolution, alors que toute l'attention et toutes les forces étaient surtout attirées ou presque entièrement absorbées par la lutte contre l'envahisseur, nous ne pouvions nous occuper sérieusement de cette alliance, nous avions autre chose à faire. Nous pouvions et nous devions jusqu'à un certain point négliger cette alliance, puisqu'une autre tâche, d'une urgence absolue, s'imposait directement à nous: écarter le danger d'être immédiatement étranglés par les forces gigantesques de l'impérialisme mondial.

Le tournant vers la nouvelle politique économique a été décidé au dernier Congrès avec une unanimité exceptionnelle, plus grande même que pour les autres questions tranchées dans notre Parti (qui, il faut le reconnaître, se distingue en général par sa grande unanimité). Cette unanimité a montré qu'il était devenu absolument nécessaire d'adopter une nouvelle méthode dans l'économie socialiste. Des gens dont les opinions divergeaient sur bien des questions, des gens qui jugeaient la situation de points de vue différents, sont arrivés sans hésiter, unanimement et très vite, à cette conclusion que nous n'avions pas de vraie méthode en ce qui concerne l'économie socialiste, la mise en place des assises de cette économie ; et que le seul moyen d'arriver à la bonne méthode, c'était la nouvelle politique économique. Par suite de l'évolution des événements militaires, par suite de l'évolution des événements politiques, par suite de l'évolution du capitalisme dans le vieil Occident civilisé et de l'évolution des facteurs politiques et sociaux dans les colonies, il nous a fallu, les premiers, faire une brèche dans le vieux monde bourgeois, et cela au moment où notre pays était, économiquement, un des plus arriérés, sinon le plus arriéré. L'immense majorité des exploitations paysannes de notre pays sont de petites exploitations individuelles. L'exécution de ceux des points de notre programme d'édification de la société communiste que nous pouvions réaliser tout de suite, s'est effectuée dans une certaine mesure, en marge de ce qui se passait dans la grande masse paysanne, sur laquelle nous avions fait peser de très lourdes charges, en les justifiant par cet argument que la guerre, à cet égard, n'autorisait aucune hésitation. Cet argument, considéré dans son ensemble, a été accepté par la paysannerie, nonobstant les fautes que nous n'avions pu éviter. Les paysans, dans leur masse, ont vu et compris que les charges immenses qu'on leur imposait étaient nécessaires pour sauvegarder le pouvoir ouvrier et paysan contre les grands propriétaires fonciers, pour ne pas être étouffés par l'invasion capitaliste qui menaçait de reprendre toutes les conquêtes de la révolution. Mais entre l'économie que nous bâtissions dans les fabriques, les usines, nationalisées ou socialisées, dans les sovkhozes, d'une part, et l'économie paysanne de l'autre, il n'existait pas d'alliance.

Nous nous en sommes nettement rendu compte au dernier congrès du Parti, si nettement qu'il n'y a eu aucune hésitation au sein du Parti sur la nécessité de la nouvelle politique économique. Il est plaisant d'observer, dans les innombrables feuilles des divers partis russes à l'étranger, la façon dont on juge notre décision. Ces opinions ne diffèrent que très peu: vivant des choses du passé, ces gens-là continuent aujourd'hui encore à prétendre que les communistes de gauche [3] sont jusqu'à ce jour contre la nouvelle politique économique. Se rappelant en 1921 ce qui s'était passé en 1918, et que les communistes de gauche ont eux-mêmes oublié, ils mâchent et remâchent ces faits, en assurant que les bolcheviks sont, comme on sait, des gens perfides et hypocrites ; qu'ils dissimulent à l'Europe les désaccords existant entre eux sur ce point. Quand on lit ces choses, on se dit : laissons-les se fourvoyer. Si ce sont là les idées qu'ils se font de ce qui se passe chez nous, elles nous permettent de juger du degré de conscience de ces vieilles personnes, soi-disant très instruites, et qui sont parties pour l'étranger. Nous savons qu'il n'y a eu entre nous aucune espèce de désaccord, parce que la nécessité pratique d'adopter une méthode nouvelle en vue de poser les fondations de l'économie socialiste était évidente pour tous.

Nous n'avions pas d'alliance entre l'économie paysanne et la nouvelle économie que nous nous efforcions de créer. Existe-t-elle aujourd'hui ? Pas encore. Nous y arrivons seulement. Toute la raison d'être de la nouvelle politique économique, que souvent encore notre presse continue de chercher partout, excepté là où elle se trouve, toute sa raison d'être réside en ceci et en ceci seulement : établir une alliance avec la nouvelle économie que nous sommes en train de créer au prix d'un immense effort. C'est ce qui fait notre mérite ; sans cela nous ne serions pas des communistes révolutionnaires.

La nouvelle économie, nous avons entrepris de l'édifier en usant de méthodes tout à fait nouvelles, en rompant avec le passé. Et si nous n'avions pas commencé à l'édifier, nous aurions été battus dès les premiers mois, dès les premières années, battus à plate couture. Mais cela ne veut point dire que si nous avons abordé cette tâche avec une hardiesse aussi absolue, nous nous obstinerons à continuer ainsi. Qu'est-ce qui le prouve ? Rien ne le prouve.

Nous avons dit dès le début qu'il nous fallait entreprendre une œuvre toute nouvelle, sans précédent. Et que si les camarades ouvriers des pays plus avancés au point de vue capitaliste ne venaient pas rapidement à notre aide, notre tâche serait incroyablement difficile, nous commettrions certainement une série d'erreurs. L'essentiel est de savoir considérer avec lucidité les erreurs commises, et tout refaire depuis le commencement. S'il nous arrive de tout refaire depuis le commencement, voire plusieurs fois, ce sera la preuve que nous sommes exempts de préjugés, que nous considérons d'un œil lucide notre tâche, la plus grande que le monde ait jamais connue.

Aujourd'hui, l'essentiel dans la nouvelle politique économique est de bien nous assimiler l'expérience de l'année écoulée. Il faut le faire, et nous le voulons. Or, si nous voulons y arriver coûte que coûte (nous le voulons, et nous y arriverons !), on ne doit pas oublier que la nouvelle politique économique a pour tâche- tâche majeure, décisive et commandant toutes les autres -, d'établir une alliance entre la nouvelle économie que nous avons commencé d'édifier (très mal, très maladroitement, mais commencé cependant, sur la base d'une économie toute nouvelle, socialiste, d'une nouvelle production, d'une nouvelle répartition) et l'économie paysanne, pratiquée par des millions et des millions de paysans.

Cette alliance n'existait pas, et nous devons, avant tout, la créer. Tout doit être subordonné à cet objectif. Il nous faut encore établir dans quelle mesure la nouvelle politique économique a réussi à créer cette alliance, et ne pas détruire ce que nous avons commencé, maladroitement, à édifier.

Nous bâtissons notre économie avec la paysannerie. Nous aurons à la remanier maintes fois pour arriver à établir une alliance entre notre travail socialiste dans le domaine de la grosse industrie et de l'agriculture, et le travail de chaque paysan, travail dont il s'acquitte comme il peut, en luttant contre la misère, sans finasser (le moyen de finasser quand il lui faut se tirer d'affaire, échapper au danger immédiat de mourir dans les affres de la faim ?).

Il faut montrer cette alliance, afin qu'on la voie clairement, afin que le peuple tout entier la voie, afin que toute la masse paysanne voie qu'il existe une liaison entre sa vie pénible d'aujourd'hui, vie incroyablement désorganisée, incroyablement misérable, douloureuse, et le travail qui se fait au nom des lointains idéaux socialistes. On doit faire en sorte que le simple travailleur, le travailleur du rang, comprenne que sa situation a été quelque peu améliorée, et qu'il a obtenu cette amélioration autrement que ne l'obtenaient les paysans peu nombreux à l'époque où le pouvoir appartenait aux grands propriétaires fonciers et aux capitalistes, où chaque amélioration (car il y a eu des améliorations incontestables et même très importantes) impliquait des humiliations, des brimades, des vexations infligées au moujik, des violences exercées contre la masse, et qu'aucun paysan de Russie n'a oubliées et n'oubliera pendant des dizaines d'années. Notre but, c'est de rétablir l'alliance, c'est de prouver au paysan par nos actes que nous commençons par ce qui lui est compréhensible, familier et accessible aujourd'hui, en dépit de toute sa misère, et non par quelque chose de lointain, de fantastique, du point de vue du paysan; c'est de prouver que nous savons l'aider; que dans cette situation pénible pour le petit paysan ruiné, plongé dans la misère et torturé par la faim, les communistes lui apportent un secours réel et immédiat. Ou bien nous le prouverons, ou bien il nous enverra promener à tous les diables. Cela est absolument certain.

Voilà la raison d'être de la nouvelle politique économique, voilà ce qui fait la base de toute notre politique. Là est l'enseignement essentiel qui se dégage de l'application de la nouvelle politique économique au cours de l'année écoulée et pour ainsi dire notre principale règle politique pour l'année qui vient. Le paysan nous fait crédit et, bien entendu, après ce qu'il a vécu, il ne peut pas ne pas nous faire crédit. Le paysan, dans sa masse, acquiesce : «Si vous ne savez pas y faire, nous attendrons ; peut-être finirez-vous par apprendre.» Mais ce crédit ne peut pas être illimité.

Il ne faut pas l'oublier et, bien qu'ayant reçu du crédit, nous devons nous dépêcher. On ne doit pas oublier que le moment approche où les paysans de notre pays cesseront de nous faire crédit, où ils demanderont, pour employer la terminologie commerciale, à être payés comptant. «Tout de même, après tant de mois et tant d'années de délai, vous avez acquis aujourd'hui, chers gouvernants, le moyen le plus sûr, le plus efficace, de nous aider pour nous tirer du besoin, de la misère, de la faim et de la ruine. Vous savez le faire, vous l'avez prouvé. » Voilà l'examen qu'il nous faudra subir inévitablement, et c'est lui, cet examen, qui décidera de tout en dernière analyse : et du sort de la NEP et des destinées du régime communiste en Russie.

Saurons-nous achever notre tâche immédiate, oui ou non ? Et cette NEP, servira-elle, oui ou non, à quelque chose? Si la retraite est justifiée, une fois que nous avons reculé, allions-nous à la masse paysanne, et toujours avec elle, avançons, cent fois plus lentement, mais d'un pas ferme, irrésistible, afin qu'elle voie sans cesse que tout de même nous progressons. Alors notre œuvre sera absolument invincible, aucune force au monde ne pourra triompher de nous. Jusqu'à présent, au bout de la première année, nous n'y sommes pas encore parvenus. Il faut le dire franchement. Et j'ai la conviction profonde (notre nouvelle politique économique permet de tirer net et ferme cette conclusion) que si nous comprenons l'immense danger que comporte la NEP, si nous orientons toutes nos forces vers les points faibles, nous saurons nous acquitter de cette tâche.

Il faut nous allier à la masse paysanne, aux simples paysans travailleurs, et avancer beaucoup moins vite, infiniment plus lentement que nous ne l'avions rêvé mais, en revanche, de telle sorte que réellement toute la masse avancera avec nous. Et alors il arrivera un moment où ce mouvement marquera une accélération comme nous ne pouvons pas même la rêver aujourd'hui. C'est, selon moi, la première leçon politique essentielle qui se dégage de la nouvelle politique économique.

La deuxième leçon, de caractère plus particulier, c'est la mise à l'épreuve des entreprises d'Etat et des entreprises capitalistes par le moyen de la compétition. Nous fondons aujourd'hui des sociétés mixtes - j'en dirai quelques mots tout à l'heure - , qui, comme du reste tout notre commerce d'Etat et toute notre nouvelle politique économique, sont une application par nous, communistes, des procédés commerciaux, des procédés capitalistes. Elles présentent encore ceci d'intéressant qu'elles créent une compétition pratique entre les procédés capitalistes et nos procédés à nous. Comparez pratiquement. Jusqu'ici nous avons rédigé un programme et fait des promesses. La chose était absolument nécessaire en son temps. Sans programme et sans promesses, on ne peut pas préconiser la révolution mondiale. Et si les gardes blancs, mencheviks y compris, nous le reprochent avec véhémence, c'est la preuve que les mencheviks et les socialistes de la IIe Internationale et de l'Internationale II 1/2 n'ont aucune idée de la façon dont se déroule en général la révolution. Nous ne pouvions commencer autrement.

Mais aujourd'hui la situation est telle que nous devons procéder à la vérification sérieuse de notre travail, pas celle qu'exercent les institutions de contrôle fondées par les communistes eux-mêmes, même si ces institutions de contrôle étaient remarquables, même si elles existaient dans l'appareil des Soviets et dans celui du parti, même si elles étaient des institutions de contrôle presque idéales, une telle vérification est une dérision du point de vue des exigences effectives de l'exploitation paysanne, mais elle n'est nullement une dérision du point de vue de notre effort d'édification. Nous mettons actuellement sur pied ces organismes de contrôle, mais ce n'est pas de cette vérification-là que je veux parler, mais de celle qui est à effectuer de point de vue de l'économie à l'échelle des masses.

Le capitaliste savait approvisionner la population. Il le faisait mal, en voleur, il nous humiliait, il nous pillait. C'est ce que savent les simples ouvriers et paysans qui ne raisonnent pas sur le communisme parce qu'ils ignorent ce que c'est.

« Mais les capitalistes savaient tout de même approvisionner la population. Et vous, le savez- vous ? Non.» Car ce sont bien ces voix-là qui, au printemps de l'année dernière, se sont fait entendre, pas toujours distinctement, mais qui n'en formaient pas moins le fond de la crise du printemps dernier. «Vous êtes, certes, de très braves gens, mais la tâche que vous avez entreprise, la tâche économique, vous ne savez pas l'accomplir.» Voilà la critique très simple mais meurtrière, s'il en est, que la paysannerie et, par son truchement, plusieurs catégories d'ouvriers, ont adressée l'année dernière au Parti communiste. Voilà pourquoi ce vieux point acquiert une telle importance dans la question de la NEP.

Il faut un contrôle réel. A vos côtés agit le capitaliste ; il agit en maraudeur, il prélève des bénéfices, mais il sait s'y prendre. Et vous? Vous essayez de nouvelles méthodes : des bénéfices, vous n'en avez pas ; vos principes sont communistes, vos idéaux - excellents ; en un mot, à vous en croire, vous êtes de petits saints et de votre vivant vous méritez le paradis, - mais savez- vous travailler ? Il faut un contrôle, un contrôle véritable, non pas celui qui consisterait pour la Commission centrale de contrôle à faire une enquête et à voter un blâme, et pour le Comité exécutif central de Russie à infliger une sanction. Non, il faut un contrôle véritable, du point de vue de l'économie nationale.

Les communistes ont reçu toute sorte de délais ; jamais, à aucun gouvernement, on n'avait fait tant de crédit. Certes, les communistes ont aidé à se débarrasser des capitalistes, des propriétaires fonciers ; les paysans l'apprécient ; et ils ont fait crédit, accordé des délais, mais pour un temps. Après, vient la vérification : savez-vous conduire les affaires aussi bien que les autres ? Le capitaliste le sait. Vous, vous ne le savez pas.

Voilà la première leçon, voilà la première partie, essentielle, du rapport politique du Comité central. Nous ne savons pas gérer l'économie. La preuve en a été faite au cours de l'année écoulée. J'aurais bien voulu analyser, à titre d'exemple, l'activité de quelques gostrusts (trusts d'Etat) (pour m'exprimer dans cette belle langue russe tant vantée par Tourguénev) et montrer comment nous savons conduire les affaires.

Malheureusement, pour plusieurs raisons, pour cause de maladie surtout, je n'ai pas pu mettre au point cette partie de mon rapport. Je dois donc me borner à dire ma conviction fondée sur l'observation des faits. Au cours de cette année, nous avons prouvé avec une entière évidence que nous ne savions pas conduire les affaires. Voilà la principale leçon. Ou bien nous prouverons le contraire l'année qui vient ou bien le pouvoir des Soviets ne pourra exister. Et le plus grand danger, c'est que tous ne s'en rendent pas compte. Si tous les communistes, tous les responsables, se rendaient nettement compte que du moment qu'ils ne savent pas s'y prendre, ils feraient bien de reprendre leur instruction au début, nous aurions gain de cause. Ce serait, selon moi, la conclusion essentielle, capitale. Mais on ne se rend pas compte de la chose ; on a la certitude que s'il en est qui pensent ainsi, ce sont des gens peu cultivés, qui n'ont pas appris le communisme. Qu'ils étudient, et peut-être comprendront-ils. Non. Excusez. Le paysan, l'ouvrier sans-parti n'ont pas étudié le communisme? Il ne s'agit pas de cela. La vérité, c'est que le temps n'est plus où il fallait développer un programme et appeler le peuple à exécuter ce programme grandiose. Cette époque est révolue. Aujourd'hui il vous faut prouver que dans la pénible situation actuelle, vous savez pratiquement améliorer les conditions économiques de l'ouvrier et du moujik, de façon qu'ils voient que vous l'avez emporté dans la compétition.

Les sociétés mixtes que nous avons commencé à fonder et auxquelles participent des capitalistes privés, russes aussi bien qu'étrangers, et des communistes, sont une des formes permettant de bien organiser la compétition, d'apprendre et de montrer que nous savons non moins bien que les capitalistes établir une alliance avec l'économie paysanne, que nous pouvons faire face aux besoins du paysan, que nous pouvons l'aider à progresser, tel qu'il est aujourd'hui, malgré toute son ignorance, car il est impossible de le refaire à bref délai.

Voilà la compétition qui s'impose à nous comme une tâche impérieuse, immédiate. C'est là le nœud de la nouvelle politique économique et aussi, j'en ai la conviction, le fond de la politique de notre Parti. Des difficultés et des problèmes d'ordre purement politique, nous en avons tant et plus. Et vous les connaissez : c'est Gênes, c'est le danger d'une intervention utilitaire. Les difficultés sont grandes, mais comparées à cette difficulté-là, elles sont toutes insignifiantes. Ici nous avons déjà vu comment on s'y prend, nous avons beaucoup appris, nous savons ce qu'est la diplomatie bourgeoise. C'est une chose que les mencheviks nous ont enseignée quinze ans durant ; et ils nous ont donné certaines connaissances utiles. Ce n'est pas nouveau.

Or, voici ce que nous devons faire en matière d'économie: l'emporter dans la compétition avec un simple commis, avec un vulgaire capitaliste, avec le marchand qui ira trouver le paysan et discutera non sur le communisme,- imaginez-vous cela : il ne discutera pas sur le communisme ! - mais sur la question suivante : pour ce qui est de se procurer quelque chose, de s'entendre sur les prix, de bâtir, je bâtirai cher quant à moi, mais peut-être que les communistes bâtiront plus cher encore, peut-être même dix fois plus cher. Voilà ce qui aujourd'hui doit faire le fond de l'agitation, voilà la racine de l'économie.

Je le répète : c'est grâce à notre juste politique que le peuple nous a accordé un délai, nous a fait crédit. Ce sont là des traites, pour employer le langage de la NEP, mais qui ne portent pas la date de leur échéance. Quand seront-elles présentées ? Le texte des traites ne le dit pas. Et c'est là le danger, c'est ce qui distingue ces traites politiques des traites commerciales ordinaires. Voilà où nous devons porter toute notre attention. Nous ne devons pas nous rassurer sous prétexte que partout, dans les trusts de l'Etat et dans les sociétés mixtes, il y a des communistes responsables, excellents. La belle consolation, puisque ces communistes ne savent pas conduire les affaires et sont à cet égard pires qu'un vulgaire commis des capitalistes, qui a passé par l'école de la grande usine et de la grosse maison de commerce. Voilà ce dont nous n'avons pas conscience; il y a là de la vanité communiste, du comtchvanstvo pour employer la sublime langue russe. La vérité est qu'un communiste responsable, le meilleur, et manifestement honnête et dévoué, qui a subi le bagne et bravé la mort, ne sait pas faire du commerce, parce qu'il n'est pas un homme d'affaires, parce qu'il n'a pas appris cela et ne veut pas l'apprendre, parce qu'il ne comprend pas qu'il lui faut tout apprendre, depuis les premiers rudiments. Ce communiste, ce révolutionnaire qui a fait la plus grande révolution qu'on ait jamais vue dans le monde, ce révolutionnaire que contemplent sinon quarante siècles du haut des pyramides, du moins quarante pays européens avec l'espoir de s'affranchir du capitalisme, - ce communiste, ce révolutionnaire doit prendre des leçons auprès du vulgaire commis qui a trimé dix ans dans une épicerie, qui connaît son affaire, tandis que ce communiste responsable, ce révolutionnaire dévoué, non seulement ne la connaît pas, mais ignore même qu'il ne la connaît pas.

Voilà pourquoi, camarades, si nous remédions à cette première ignorance, ce sera une immense victoire. Nous devons emporter de ce congrès la conviction que nous ne savons pas faire le commerce et que nous devons l'apprendre, en commençant par l'a b c. Malgré tout, nous n'avons pas encore cessé d'être des révolutionnaires (bien que beaucoup disent, et même pas tout à fait sans raison, que nous nous sommes bureaucratisés), et nous pouvons comprendre cette simple vérité qu'en entreprenant une tâche extrêmement difficile, et nouvelle pour nous, il faut savoir recommencer, dès le début, à plusieurs reprises. Tu as commencé, tu es arrivé à une impasse, recommence, refais tout dix fois s'il le faut, mais arrive à tes fins. Ne fais pas l'important, ne tire pas vanité de ta qualité de communiste, tandis qu'un quelconque commis, un sans-parti, peut-être un garde blanc et même à coup sûr un garde blanc, sait faire le travail qui, économiquement, doit être accompli coûte que coûte, alors que toi, tu ne sais pas le faire. Si toi qui es un communiste responsable et qui possèdes par centaines titres et grades honorifiques, celui de «chevalier» de l'ordre communiste et soviétique y compris, - si tu arrives à saisir cette vérité, tu atteindras ton but, car il s'agit d'une chose qui s'apprend.

Nous avons obtenu quelques succès au cours de cette année, mais ils sont tout à fait minimes, insignifiants. Le plus grave, c'est que chez nous, tous les communistes n'ont pas la conviction qu'à l'heure actuelle, le communiste russe le plus responsable et le plus dévoué, a moins de savoir-faire que le premier venu parmi les anciens commis ; on n'en a pas conscience, on ne s'en rend pas suffisamment compte. Il faut, je le répète, étudier en commençant par le commencement. Si nous arrivons à le comprendre, nous subirons notre examen avec succès. Or, l'épreuve est grave. Elle nous sera imposée par la crise financière qui approche, par le marché russe et le marché international auxquels nous sommes subordonnés, auxquels nous sommes liés et dont il est impossible de nous arracher. Cette épreuve est grave, car ici l'on peut nous battre économiquement et politiquement.

C'est ainsi que la question se pose, et seulement ainsi, car la compétition où nous sommes engagés est sérieuse, décisive. Bien des solutions, bien des issues s'offraient à nous pour sortir de nos difficultés politiques et économiques. Et nous pouvons dire avec fierté que, jusqu'ici, nous avons su mettre à profit toutes ces solutions et ces issues, en les combinant selon les circonstances. Mais maintenant nous n'avons plus d'issues. Permettez-moi de vous le dire sans aucune exagération. De sorte qu'ici ce sera réellement la «lutte finales», non pas avec le capitalisme international - sur ce terrain nous aurons encore à livrer plus d'une «lutte finale», mais avec le capitalisme russe, avec celui qu'engendre et alimente la petite économie paysanne. C'est là que nous aurons à livrer très prochainement un combat dont on ne saurait dire exactement la date. Ce sera la «lutte finale» ; et il ne saurait être question d'aucune échappatoire, ni politique, ni autre, puisque ce sera la compétition engagée avec le capital privé. Ou bien nous subirons avec succès cette épreuve avec le capital privé, ou bien ce sera un échec complet. Pour passer cet examen avec succès, nous possédons le pouvoir politique et une foule de ressources économiques et autres, nous possédons tout ce que vous voulez, excepté le savoir-faire. Le savoir-faire nous manque. Mais si nous savons tirer cette simple leçon de l'expérience de l'année écoulée, et si nous nous en inspirons durant toute l'année 1922, alors nous vaincrons aussi cette autre difficulté-là, bien qu'elle soit beaucoup plus grande que la précédente, du fait qu'elle réside en nous-mêmes. Ce n'est pas comme avec un quelconque ennemi du dehors. La difficulté, c'est que nous-mêmes ne voulons pas comprendre la désagréable vérité qui s'impose à nous ; nous ne voulons pas nous trouver dans la désagréable situation qui doit être la nôtre : apprendre par le commencement. Telle est la deuxième leçon qui, selon moi, découle de la nouvelle politique économique.

La troisième leçon complémentaire, est celle qui concerne le capitalisme d'Etat. Je regrette que Boukharine n'assiste pas à ce congrès ; j'aurais voulu discuter un peu avec lui. Mais je préfère remettre cela jusqu'au congrès prochain. Pour ce qui est du capitalisme d'Etat, il me semble que notre presse en général, et en général notre Parti commettent la faute de verser dans le libéralisme, dans l'esprit propre à la gent intellectuelle ; nous raffinons sur la question de savoir ce qu'on doit entendre par capitalisme d'Etat, et nous consultons de vieux livres. Or, ces vieux livres parlent de tout autre chose : ils traitent du capitalisme d'Etat qui existe en régime capitaliste ; mais il n'y a pas un seul livre qui examine le capitalisme d'Etat en régime communiste. Même Marx ne s'est pas avisé d'écrire un seul mot à ce sujet, et il est mort sans avoir laissé une seule citation précise, une seule indication irréfutable. Aussi devons-nous aujourd'hui nous tirer d'affaire par nos propres moyens. Et si l'on passe mentalement en revue notre presse, si l'on considère d'un coup d'œil d'ensemble la façon dont elle traite le problème du capitalisme d'Etat - ce que j'ai essayé de faire en préparant mon rapport -, on arrive à cette conviction que l'on tire à côté, que l'on regarde dans une tout autre direction.

Le capitalisme d'Etat, dans toute la littérature économique, c'est celui qui existe en régime capitaliste, quand le pouvoir d'Etat se soumet directement telles ou telles entreprises capitalistes. Or, notre Etat est prolétarien; il prend appui sur le prolétariat auquel il donne tous les privilèges politiques ; par l'intermédiaire du prolétariat, il attire à soi les couches profondes de la paysannerie (vous vous souvenez que nous avons commencé ce travail en instituant des comités de paysans pauvres). Voilà pourquoi le terme de capitalisme d'Etat désoriente bien des gens. Pour éviter cela, il ne faut pas oublier cette vérité majeure, à savoir qu'aucune théorie, aucun ouvrage ne traitent la question du capitalisme d'Etat, tel qu'il existe chez nous, pour la simple raison que les notions habituelles rattachées à ces termes, ont trait au pouvoir de la bourgeoisie en société capitaliste. Tandis que notre société à nous est sortie des rails capitalistes ; elle ne s'est pas encore engagée sur une voie nouvelle, mais ce n'est plus la bourgeoisie qui gouverne l'Etat, c'est le prolétariat. Nous ne voulons pas comprendre que lorsque nous disons « Etat», cet Etat, c'est nous, c'est le prolétariat, c'est l'avant-garde de la classe ouvrière. Le capitalisme d'Etat est un capitalisme que nous saurons limiter, dont nous saurons fixer les bornes, ce capitalisme d'Etat est rattaché à l'Etat, mais l'Etat, ce sont les ouvriers, c'est la partie avancée des ouvriers, c'est l'avant-garde, c'est nous.

Le capitalisme d'Etat, c'est le capitalisme auquel nous devons assigner certaines limites, ce que nous n'avons pas su faire jusqu'à ce jour. Voilà le hic. Ce que sera ce capitalisme d'Etat ? Cela dépend de nous. Le pouvoir politique que nous possédons est suffisant, absolument suffisant. De même, nous disposons de ressources économiques suffisantes; mais l'avant-garde de la classe ouvrière appelée à gérer directement, à assigner les limites, à préciser sa position propre, à se subordonner les autres au lieu d'être elle-même subordonnée, - cette avant-garde manque de savoir-faire. C'est tout ce qu'il faut avoir, et c'est ce qui nous manque.

Cette situation est sans précédent dans l'histoire: le prolétariat, l'avant-garde révolutionnaire, possède un pouvoir politique absolument suffisant; et, à côté de cela, le capitalisme d'Etat. L'essentiel, c'est que nous comprenions que ce capitalisme est celui que nous pouvons et devons admettre, auquel nous pouvons et devons assigner certaines limites, car ce capitalisme est nécessaire à la grande masse paysanne et au capital privé qui doit faire du commerce de façon à satisfaire aux besoins des paysans. Il faut faire en sorte que le cours régulier de l'économie capitaliste et de l'échange capitaliste soit rendu possible, car cela est nécessaire au peuple. On ne saurait vivre sans cela. Pour eux, pour ce camp-là, le reste n'est pas absolument nécessaire, ils peuvent en prendre leur parti, mais vous, communistes, vous, ouvriers, vous, partie consciente du prolétariat, qui vous êtes chargés de gouverner l'Etat, saurez- vous faire en sorte que l'Etat, dont vous avez assumé la charge, fonctionne comme vous l'entendez? Nous avons vécu une année, l'Etat est entre nos mains ; eh bien, sur le plan de la nouvelle politique économique, a-t-il fonctionné comme nous l'entendions? Non. Nous ne voulons pas l'avouer : l'Etat n'a pas fonctionné comme nous l'entendions. Et comment a-t-il fonctionné? La voiture n'obéit pas : un homme est bien assis au volant, qui semble la diriger, mais la voiture ne roule pas dans la direction voulue ; elle va où la pousse une autre force - force illégale, force illicite, force venant d'on ne sait où -, où la poussent les spéculateurs, ou peut-être les capitalistes privés, ou peut-être les uns et les autres, - mais la voiture ne roule pas tout à fait, et, bien souvent, pas du tout comme se l'imagine celui qui est au volant. Voilà le point essentiel que nous ne devons pas oublier en traitant du capitalisme d'Etat. Dans ce domaine fondamental, nous devons apprendre par le commencement. Si nous faisons nôtre cette vérité, si elle pénètre notre conscience, c'est alors seulement que nous pouvons garantir le succès de notre apprentissage.

J'en viens maintenant à l'arrêt de notre retraite dont j'ai eu l'occasion de parler dans mon discours au congrès des métallurgistes. Depuis lors, je n'ai rencontré aucune objection, ni dans la presse du Parti, ni dans les lettres particulières des camarades, ni au sein du Comité central. Celui-ci a approuvé mon plan. Or, ce plan consiste à souligner avec force, dans le rapport présenté au nom du Comité central à ce congrès, cet arrêt de notre retraite, et à demander au congrès de donner une directive appropriée, cette fois au nom de l'ensemble du Parti, une directive qui serait obligatoire. Nous avons reculé pendant un an. Nous devons maintenant dire au nom du Parti : Assez ! Le but que visait le recul est atteint. Cette période se termine ou est terminée. Maintenant un autre objectif s'impose : regrouper les forces. Nous voici arrivés à une nouvelle étape; en somme, nous avons opéré la retraite à peu près en bon ordre. Il est vrai que, de différents côtés, les voix qui voulaient faire de cette retraite une fuite panique n'ont pas manqué. Les uns en prétendant que sur tel ou tel point nous avions tort de reculer, comme c'est le cas, par exemple, pour certains représentants du groupe qui portait le nom d'«opposition ouvrière». (Je pense qu'ils portaient ce nom à tort.) Par excès de zèle, ils se sont trompés de porte, et ils ont pu s'en convaincre aujourd'hui. Ils ne s'apercevaient pas alors que leur activité ne visait pas à redresser notre mouvement ; en réalité, elle n'avait qu'un sens: elle semait la panique, empêchait la retraite de s'effectuer avec discipline.

La retraite est chose difficile, surtout pour des révolutionnaires qui ont l'habitude de l'offensive, surtout quand ils ont pris l'habitude d'avancer plusieurs années durant avec un succès prodigieux ; surtout quand ils sont environnés de révolutionnaires d'autres pays qui ne rêvent que de déclencher l'offensive. Voyant que nous reculions, certains d'entre eux ont même scandaleusement fondu en larmes, comme des enfants ; il en fut ainsi au récent Comité exécutif élargi de l'Internationale Communiste [4]. Mus par les meilleurs sentiments et aspirations communistes, certains camarades ont fondu en larmes parce que, figurez-vous, les bons communistes russes opèrent un recul. Il m'est peut-être difficile maintenant de concevoir pleinement cette mentalité occidentale, bien que j'aie assez longtemps vécu dans ces beaux pays démocratiques en qualité d'émigré. Mais peut-être que de leur point de vue, la chose est très difficile à comprendre, difficile à en pleurer. Dans tous les cas, nous n'avons pas le temps de nous arrêter à ces sentimentalités. Il nous est apparu de toute évidence que, précisément parce que notre offensive s'était faite avec tant de succès pendant des années, et que nous avions remporté tant de victoires extraordinaires (tout cela dans un pays incroyablement ruiné, dépourvu des conditions matérielles nécessaires!) - il nous était absolument indispensable, du moment que nos conquêtes étaient si nombreuses, il nous était absolument indispensable de reculer pour consolider cette offensive. Nous ne pouvions garder toutes les positions dont nous nous étions emparés par un coup d'audace ; d'autre part, c'est uniquement parce que nous avions réalisé tant de conquêtes par un coup d'audace, portés par la vague d'enthousiasme des ouvriers et des paysans, que nous avons eu assez de marge pour reculer très loin, et que nous pouvons reculer loin encore aujourd'hui sans perdre le moins du monde le principal, l'essentiel. La retraite s'est effectuée, d'une façon générale, en assez bon ordre, bien que des voix paniques, au nombre desquelles figurait l'«opposition ouvrière» (et c'est là le plus grand tort qu'elle ait pu nous causer !) aient provoqué chez nous des défections partielles, des violations de la discipline et des principes d'une retraite régulière. La chose la plus dangereuse pendant la retraite, c'est la panique. Si toute l'armée (je parle ici au sens figuré) se replie, le moral ne saurait être celui qui règne quand tous marchent de l'avant. Ici, vous constaterez à chaque instant un état d'esprit plus ou moins déprimé. Nous avions même des poètes qui ont écrit que la famine et le froid, voyez-vous, sévissent à Moscou ; «tandis qu'autrefois c'était si propre, si beau, aujourd'hui c'est le commerce, la spéculation». Nous possédons bon nombre de ces œuvres poétiques.

On conçoit que tout ceci est le résultat de la retraite. Et là gît un immense danger : reculer après une grande et victorieuse offensive est terriblement difficile ; les rapports, ici, sont tout autres ; là-bas, même sans qu'on veille à la discipline, tous se ruent et volent en avant ; ici, la discipline doit être plus consciente, et elle est cent fois plus nécessaire, car au moment où toute l'armée se replie, elle ne se rend pas nettement compte, elle ne voit pas où elle doit s'arrêter, elle voit seulement la retraite, et parfois il suffit alors de quelques cris de panique pour que tous prennent la fuite. Le danger, ici, est énorme. Lorsque c'est une armée qui se replie ainsi, on poste des mitrailleuses, et au moment où, de bien ordonnée qu'elle était, la retraite devient désordonnée, on commande: «Feu!» Et l'on fait bien.

Si des gens sèment la panique, fût-ce dans les meilleures intentions du monde, à un moment où nous effectuons une retraite extraordinairement difficile et où le tout est de maintenir le bon ordre, il est nécessaire, à ce moment-là, de châtier sévèrement, cruellement, impitoyablement la moindre infraction à la discipline, cela non seulement pour certaines affaires intérieures de notre Parti, mais, il faut bien le savoir, encore davantage pour des gens comme messieurs les mencheviks et tous ces messieurs de l'Internationale II 1/2.

Ces jours-ci, j'ai lu dans le vingtième numéro de l'Internationale communiste un article du camarade Rakosi sur un nouvel opuscule d'Otto Bauer auprès duquel nous nous sommes tous instruits autrefois, mais qui, après la guerre, est devenu, de même que Kautsky, un pitoyable petit bourgeois. Il écrit maintenant: «Les voici qui reculent vers le capitalisme ; nous avons toujours dit : c'est une révolution bourgeoise.»

Et les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires qui prêchent tout cela s'étonnent lorsque nous disons que, pour ces choses-là, nous fusillerons. Ils sont stupéfaits. Pourtant, c'est clair : quand une armée bat en retraite, il faut une discipline cent fois plus grande que dans l'offensive, car dans l'offensive tous se précipitent en avant. Mais si, maintenant, tous commencent à se précipiter en arrière, ce sera la fin, inéluctable et immédiate.

C'est à ce moment-là que le principal est de se replier en bon ordre, d'établir exactement la limite du recul et de ne pas céder à la panique. Quand le menchevik dit : «Vous battez en retraite à présent, et moi, j'ai toujours été pour la retraite, je suis d'accord avec vous, je suis votre homme, - replions-nous ensemble», nous lui répondons: « Nos tribunaux révolutionnaires doivent fusiller ceux qui auront publiquement fait acte de menchevisme. Autrement ce ne seraient pas nos tribunaux à nous, mais Dieu sait quoi. »

Ils n'arrivent pas à comprendre et disent : « Quelles allures dictatoriales ont ces gens!» Ils pensent jusqu'à présent que nous poursuivons les mencheviks parce qu'ils se sont battus contre nous à Genève [5]. Mais si nous avions suivi cette voie, il est probable que nous ne serions pas restés même deux mois au pouvoir. En effet, les exhortations qu'articulent et Otto Bauer, et les dirigeants de la IIe Internationale et de l'Internationale II 1/2, et les mencheviks, et les socialistes-révolutionnaires, tiennent à leur propre nature : «La révolution est allée trop loin. Nous avons toujours dit ce que vous dites aujourd'hui. Permettez-nous de le répéter encore une fois.» Nous répondons : Permettez-nous, pour cela, de vous coller au mur. Ou bien vous aurez la bonté de vous abstenir d'exprimer vos idées, ou bien, si vous voulez exprimer vos idées politiques dans la situation actuelle, alors que nous sommes dans des conditions beaucoup plus difficiles que pendant l'invasion directe des gardes blancs, vous nous excuserez, mais nous vous traiterons comme les pires et les plus nuisibles éléments de la clique des gardes blancs.» Cela, nous ne devons pas l'oublier.

Quand je parle de cessation de la retraite, je n'entends nullement par là que nous ayons appris à commercer. Je suis, au contraire, de l'avis opposé, et je serais mal compris, et la preuve serait faite que je ne sais pas bien exposer ma pensée, si l'on gardait pareille impression de mon discours.

Ce qu'il faut, c'est faire cesser cette nervosité, cet état d'agitation que la NEP a provoqués chez nous, ce désir de tout remanier, de tout adapter. Nous avons aujourd'hui un certain nombre de sociétés mixtes. Très peu, il est vrai. Il a été constitué chez nous, avec la participation de capitalistes étrangers, neuf sociétés sanctionnées par le Commissariat du Commerce extérieur ; la commission de Sokolnikov [6] en a sanctionné 6, et le « Sévéroles » en a formé deux. Il existe donc aujourd'hui dix-sept sociétés avec un capital se chiffrant par millions, et qui ont été sanctionnées par différents organismes. (Certes, il y a assez de confusion dans nos organismes également, de sorte que, là aussi, des lacunes sont possibles). Mais, de toute façon, nous avons aujourd'hui des sociétés auxquelles participent des capitalistes russes et étrangers. Il y en a peu. Ce début, petit mais pratique, montre que les communistes ont été appréciés, appréciés pour leur activité pratique, appréciés non pas par des institutions de haut rang comme la Commission centrale de Contrôle ou le Comité exécutif central de Russie. Certes, la Commission centrale de Contrôle est une institution excellente, et nous allons maintenant lui donner plus de pouvoir. Mais, tout de même, lorsque ces organismes contrôlent les communistes... figurez-vous que, sur le marché international, on ne reconnaît pas leur autorité. (Rires.) Par contre, lorsque des capitalistes ordinaires, russes et étrangers, entrent dans une société mixte avec des communistes, nous disons : «Tout de même nous savons faire quelque chose ; tout de même, si défectueux, si misérable qu'il soit, c'est déjà un début.» Pas bien grand, certes ; songez qu'il y a déjà un an qu'on a déclaré s'y être appliqué avec le maximum d'énergie (et l'on dit que nous n'en manquons pas) ; et au bout d'une année, dix-sept sociétés seulement !

Cela montre à quel point nous sommes encore diablement gauches, maladroits, combien il y a encore, chez nous, de cette indolence qui nous vaudra infailliblement de recevoir encore des coups. Néanmoins, je le répète, il y a un commencement, la reconnaissance du terrain a été faite. Les capitalistes ne seraient pas venus à nous si les conditions élémentaires pour leur activité avaient fait défaut. Si une partie d'entre eux, ne fût-ce que minime, l'a fait, cela prouve que nous avons remporté une victoire partielle.

Sans doute, au sein de ces sociétés, ils nous rouleront encore et si bien qu'il faudra ensuite, durant des années, voir à s'y reconnaître. Mais peu importe. Je ne dis pas que c'est la victoire. C'est une reconnaissance montrant que nous avons déjà un champ d'action, un terrain, et que nous pouvons déjà arrêter notre recul.

Cette reconnaissance a révélé un nombre infime de contrats avec les capitalistes ; mais, tout de même, ces contrats ont été passés. Là-dessus il faut s'instruire et continuer d'agir. En ce sens, il est temps de ne plus s'énerver, crier, s'agiter. Billets et messages téléphonés pleuvent: « Ne pourrait-on nous réorganiser, nous aussi, puisque c'est la nouvelle politique économique chez nous ?» Tous s'agitent, c'est un tohu-bohu. Personne ne fait rien de pratique ; tous discutent de la façon de s'adapter à la NEP, et le résultat est nul.

Les marchands, eux, se moquent des communistes et disent probablement: « Avant, il y avait des maîtres-exhorteurs [7], et maintenant des maîtres-phraseurs.» Que les capitalistes nous aient raillés d'être en retard, d'avoir manqué le train, cela ne fait pas l'ombre d'un doute, et, en ce sens, je dis qu'il faut, au nom du congrès également, confirmer cette directive.

La retraite est terminée. Les principales formes d'activité avec les capitalistes sont ébauchées. Il y a des modèles, bien qu'en nombre minime.

Cessez de ratiociner, de discuter de la NEP. Laissez les poètes écrire des vers ; ne sont-ils pas des poètes? Vous autres, économistes, ne dissertez pas sur la NEP, mais multipliez ces sociétés, vérifiez le nombre de communistes qui savent organiser la compétition avec les capitalistes.

La retraite est terminée. Il s'agit maintenant de regrouper les forces. Voilà la directive que le congrès doit donner et qui doit mettre fin au remue-ménage, au charivari. Calmez-vous, ne raffinez pas trop, cela vous serait porté à charge. Vous devez prouver pratiquement que vous ne travaillez pas moins bien que les capitalistes. Ceux-ci font l'alliance économique avec les paysans pour s'enrichir; vous devez, quant à vous, faire l'alliance avec l'économie paysanne pour accroître le pouvoir économique de notre Etat prolétarien. Vous avez l'avantage sur les capitalistes parce que le pouvoir d'Etat est entre vos mains, parce que nombre de moyens économiques sont entre vos mains. Seulement vous ne savez pas vous en servir. Jugez les choses plus sainement, rejetez le clinquant, quittez vos solennels attributs communistes, apprenez simplement un simple métier, et alors nous battrons le capitaliste privé. Nous avons le pouvoir d'Etat, nous avons une masse de ressources économiques. Si nous battons le capitalisme et si nous réalisons l'alliance avec l'économie paysanne, nous serons une force absolument invincible. Et alors l'édification du socialisme ne sera pas le fait de cette goutte dans l'océan qu'est le Parti communiste, mais le fait de toute la masse travailleuse ; alors le simple paysan verra que nous l'aidons et nous suivra d'un pas cent fois plus lent, peut-être, mais en revanche, un million de fois plus ferme et assuré.

Voilà dans quel sens il faut parler de cessation de la retraite. Et il serait rationnel de faire de ce mot d'ordre, sous telle ou telle forme, une décision du congrès.

Je voudrais, à ce propos, toucher la question suivante : qu'est-ce que la nouvelle politique économique des bolcheviks? Evolution ou tactique? C'est ainsi que la question a été posée par les gens de la Smiéna Viekh [8] ; ils représentent, comme vous le savez, un courant qui a pris racine parmi les émigrés russes à l'étranger, courant social et politique ayant à sa tête des cadets [9] marquants, certains ministres de l'ancien gouvernement de Koltchak, des hommes ayant acquis la conviction que le pouvoir des Soviets bâtit l'Etat russe et qu'il faut, par conséquent, le suivre. «Mais quel est l'Etat que bâtit ce pouvoir des Soviets? Les communistes disent que c'est un Etat communiste, assurant qu'il s'agit là de tactique : les bolcheviks circonviendront les capitalistes privés dans une passe difficile pour, ensuite, arriver à leurs fins, comme ils le prétendent. Les bolcheviks peuvent dire ce qui leur plaît, en réalité, ce n'est pas une tactique, c'est une évolution, une dégénérescence intérieure. Ils aboutiront à l'Etat bourgeois ordinaire, et nous devons les soutenir. L'histoire va par différents chemins.» Ainsi raisonnent les gens de la Smiéna Viekh.

Certains d'entre eux se posent en communistes, mais il y a des hommes plus francs et, entre autres, Oustrialov. Je crois qu'il a été ministre sous Koltchak. Il n'est pas d'accord avec ses amis et déclare : «Vous pouvez dire ce que vous voulez à propos du communisme; quant à moi, j'affirme que, chez eux, ce n'est pas une tactique, mais une évolution.» Je pense que cet Oustrialov, par cette franche déclaration, nous rend un grand service. Il nous arrive très souvent d'en entendre, à moi surtout, en raison de mes fonctions, de doucereux mensonges communistes, d'entendre tous les jours, et, parfois, cela devient vraiment écœurant. Et voici que, à la place de ces « mensonges communistes », vous recevez un numéro de la Smiéna Viekh qui dit sans détour: «Chez vous, il n'en est pas du tout ainsi, ce sont des idées que vous vous faites ; en réalité vous roulez dans le marais bourgeois ordinaire où les petits drapeaux communistes s'agiteront avec toutes sortes de belles paroles.» Voilà qui est très utile, car ce n'est plus une simple redite de ce que nous entendons sans cesse autour de nous, mais, tout bonnement, la vérité de classe d'un ennemi de classe. Il est très utile de voir cette chose, écrite non parce que c'est l'usage d'écrire ainsi dans un Etat communiste, ou qu'il est interdit d'écrire autrement, mais parce que c'est réellement la vérité de classe exprimée brutalement, ouvertement, par un ennemi de classe. «Je suis pour le soutien du pouvoir des Soviets en Russie, dit Oustrialov - bien qu'il soit un cadet, un bourgeois, bien qu'il ait soutenu l'intervention armée -, je suis pour le soutien du pouvoir des Soviets, parce qu'il s'est engagé dans une voie où il roule vers le pouvoir bourgeois ordinaire.»

C'est une chose très utile et qu'il faut, me semble-t-il, prendre en considération. Quand les gens de la Smiéna Viekh écrivent ainsi, cela vaut beaucoup mieux, pour nous, que de voir certains d'entre eux se poser presque en communistes, de sorte que, de loin, on risque de ne pas s'y reconnaître : croient-ils en Dieu ou en la révolution communiste? Ces francs ennemis sont utiles, disons-le carrément. Les choses dont parle Oustrialov sont possibles, disons-le sans ambages. L'histoire connaît des transformations de tous genres : en politique, compter sur la conviction, le dévouement et autres excellentes qualités morales, n'est guère sérieux. Les excellentes qualités morales sont le propre d'un petit nombre ; or, l'issue historique est décidée par les masses immenses qui, lorsque le petit nombre n'est pas de leur goût, le traitent parfois sans excès de politesse.

II y a eu beaucoup d'exemples semblables. Aussi faut-il saluer cette franche déclaration de la Smiéna Viekh, L'ennemi dit une vérité de classe en signalant le danger que nous courons. L'ennemi voudrait que cela devînt inévitable. Les gens de la Smiéna Viekh expriment l'état d'esprit de milliers et de dizaines de milliers de bourgeois de tout acabit ou d'employés soviétiques participant à notre nouvelle politique économique. Là est le danger essentiel et réel. Et c'est pourquoi il faut réserver l'attention principale à cette question : qui, effectivement, l'emportera ? J'ai parlé de compétition. Il n'y a pas d'attaque directe contre nous, on ne nous prend pas à la gorge. Nous verrons ce qui en sera demain, mais, aujourd'hui, on ne nous attaque pas les armes à la main ; et néanmoins la lutte contre la société capitaliste est devenue cent fois plus acharnée et périlleuse, car nous ne voyons pas toujours nettement où est l'ennemi qui nous combat, et qui est notre ami.

J'ai parlé de compétition communiste non du point de vue des sympathies communistes, mais de celui du développement des formes de l'économie et des formes du système social. Ce n'est pas une compétition, c'est une bataille acharnée, furieuse, sinon finale, du moins proche de la lutte finale ; une lutte à mort entre le capitalisme et le communisme.

Et il faut poser nettement cette question : qu'est-ce qui fait notre force et qu'est-ce qui nous manque ? Le pouvoir politique, nous en avons autant qu'il faut. Il ne se trouvera probablement personne ici pour dire qu'à l'endroit de telle ou telle question pratique, dans telle ou telle institution, les communistes, le Parti communiste n'ont pas suffisamment de pouvoir. Il y a des gens qui ont constamment cette pensée en tête, mais ce sont des gens tournés désespérément vers le passé, qui ne comprennent pas qu'il faut se tourner vers l'avenir. La force économique essentielle est entre nos mains. Toutes les grandes entreprises clés, les chemins de fer, etc., sont entre nos mains. Le bail, si largement qu'il soit pratiqué en certains lieux, ne joue, dans l'ensemble, qu'un rôle minime. C'est, dans l'ensemble, une part tout à fait insignifiante. La force économique dont dispose l'Etat prolétarien de Russie est tout à fait suffisante pour assurer le passage au communisme. Qu'est-ce donc qui manque? C'est clair : ce qui manque, c'est la culture chez les communistes dirigeants. De fait, si nous considérons Moscou - 4700 communistes responsables - et si nous considérons la machine bureaucratique, cette masse énorme, qui donc mène et qui est mené ? Je doute fort qu'on puisse dire que les communistes mènent. A dire vrai ce ne sont pas eux qui mènent. C'est eux qui sont menés. Il s'est passé là quelque chose de pareil à ce qu'on nous racontait dans notre enfance, aux leçons d'histoire. Il arrive, nous enseignait-on, qu'un peuple en subjugue un autre, et alors le peuple qui a subjugué est un peuple conquérant, et celui qui a été subjugué est un peuple vaincu. Voilà qui est simple et compréhensible pour chacun. Mais qu'advient-il de la culture de ces peuples? Cela n'est pas si simple. Si le peuple conquérant est plus cultivé que le peuple vaincu, il lui impose sa culture. Dans le cas contraire, il arrive que c'est le vaincu qui impose sa culture au conquérant. Ne s'est-il pas produit quelque chose de pareil dans la capitale de la R.S.F.S.R. et n'est-il pas arrivé ici que 4700 communistes (presque toute une division, et des meilleurs) ont été soumis à une culture étrangère ? Il est vrai qu'on pourrait, ici, avoir l'impression d'un niveau culturel élevé chez les vaincus. Erreur. Leur culture est misérable, insignifiante. Mais, tout de même, elle est supérieure à la nôtre. Si piètre, si misérable qu'elle soit, elle surpasse celle de nos communistes responsables, parce que ceux-ci ne savent pas suffisamment diriger. Les communistes qui se mettent à la tête des institutions - parfois des saboteurs les y poussent habilement, à dessein, pour se faire une enseigne -, se trouvent souvent dupés. Aveu très désagréable. Ou, tout au moins, pas très agréable. Mais il faut le faire, me semble-t-il, car c'est là, à présent, le nœud de la question. C'est à cela que se ramène, selon moi, la leçon politique de l'année, et c'est sous ce signe que la lutte se déroulera en 1922.

Les communistes responsables de la R.S.F.S.R. et du Parti communiste de Russie sauront-ils comprendre qu'ils ne savent pas diriger? Qu'ils s'imaginent mener les autres, alors qu'en réalité c'est eux qu'on mène ? S'ils arrivent à le comprendre, ils apprendront certainement à diriger, car c'est possible. Mais, pour cela, il faut étudier, or, chez nous, on n'étudie pas. On lance à tour de bras ordres et décrets, et le résultat n'est pas du tout celui que l'on souhaite.

La compétition que nous avons inscrite à l'ordre du jour en proclamant la NEP, est sérieuse. On l'observe, semble-t-il, dans toutes les institutions, mais, en réalité, c'est là encore une forme de lutte entre deux classes irréductiblement hostiles. C'est encore une forme de lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat ; cette lutte n'est pas encore achevée ; même dans les organismes centraux de Moscou, le niveau de culture n'est pas encore assez élevé pour mener à bien cette lutte. Car très souvent les bourgeois sont plus compétents que nos meilleurs communistes qui ont tout le pouvoir, toutes les possibilités, et qui, avec tous leurs droits et tout leur pouvoir, ne savent pas faire un pas.

Je voudrais citer un petit livre d'Alexandre Todorski [10]. Cet opuscule a paru à Vessiégonsk (petit chef-lieu de district dans la province de Tver) ; il a paru au premier anniversaire de la révolution soviétique de Russie, le 7 novembre 1918, en une période depuis longtemps révolue. Apparemment, ce camarade de Vessiégonsk est membre du Parti. J'ai lu ce livre il y a longtemps et je ne garantis pas de le citer sans erreur. L'auteur dit comment il a entrepris d'outiller deux usines soviétiques, comment il a fait collaborer deux bourgeois, cela de la façon dont on procédait alors : en les menaçant de les priver de liberté et de confisquer tous leurs biens. Il les a fait participer au relèvement de l'usine. Nous savons comment, en 1918, on faisait collaborer la bourgeoisie (rires), de sorte qu'il est inutile d'entrer dans les détails à ce sujet ; aujourd'hui nous employons d'autres moyens. Mais voici la conclusion du camarade : « Il ne suffit pas de vaincre la bourgeoisie, de l'achever, ce n'est que la moitié de la tâche; il faut encore la faire travailler pour nous.»

Voilà des paroles remarquables et qui montrent que même à Vessiégonsk, même en 1918, on comprenait bien les rapports entre le prolétariat vainqueur et la bourgeoisie vaincue. Ce ne sera que la moitié de la tâche, si nous tapons sur les doigts de l'exploiteur, si nous le mettons hors d'état de nuire et lui donnons le coup de grâce. Or, chez nous, à Moscou, environ 90 travailleurs responsables sur 100 s'imaginent que tout est là : donner le coup de grâce, mettre hors d'état de nuire, taper sur les doigts. Ce que j'ai dit des mencheviks, des socialistes-révolutionnaires, des gardes blancs, cela signifiait très souvent les mettre hors d'état de nuire, taper sur les doigts (et, peut-être, pas seulement sur les doigts, peut-être aussi sur un autre endroit) et donner le coup de grâce. Mais ce n'est que la moitié de la tâche. Même en 1918, lorsque la chose a été dite par le camarade de Vessiégonsk, c'était la moitié de la tâche, et maintenant c'est moins du quart. Nous devons les contraindre, faire en sorte qu'ils travaillent de leurs mains pour notre compte, et non que les communistes responsables soient à la tête aient des grades, tout en voguant au fil de l'eau avec la bourgeoisie. Toute la question est là.

Bâtir la société communiste par les mains des communistes est une idée puérile s'il en fut. Les communistes sont une goutte dans l'océan, une goutte dans l'océan populaire. Ils ne sauront conduire le peuple dans leur voie qu'à la condition de la tracer d'une façon juste non pas seulement du point de vue de l'orientation historique mondiale. A cet égard, nous avons tracé notre voie d'une façon absolument juste, et chaque pays en témoigne. Dans notre patrie, dans notre propre pays également, nous devons tracer la voie juste. Mais il faut encore qu'il n'y ait pas d'intervention militaire, que nous sachions donner au paysan des marchandises en échange du blé. Le paysan dira : «Tu es un excellent homme, tu as défendu notre patrie ; c'est pourquoi nous t'avons obéi : mais si tu ne sais pas conduire les affaires, va-t-en.» Oui, le paysan dira cela.

Nous pourrons diriger l'économie si les communistes savent bâtir cette économie par les mains d'autrui en s'instruisant eux-mêmes auprès de cette bourgeoisie et en l'orientant dans la voie qu'ils désirent. Mais si un communiste s'imagine tout savoir parce qu'il est communiste responsable ; s'il se dit : j'en ai maté bien d'autres qu'un vulgaire commis ; avons battu sur les fronts des adversaires autrement redoutables - eh bien, cet état d'esprit qui prédomine nous coupe bras et jambes.

C'est la partie la moins importante de notre tâche : mettre l'exploiteur hors d'état de nuire, lui taper sur les doigts, le rogner. Il faut le faire. Et notre Direction politique d'Etat, et nos tribunaux doivent le faire moins mollement qu'ils ne l'ont fait jusqu'à ce jour, et se souvenir qu'ils sont des tribunaux prolétariens, entourés d'ennemis dans le monde entier. Cela n'est pas difficile, nous avons appris à le faire pour l'essentiel. Il faut ici exercer une certaine pression, mais c'est facile.

La deuxième partie de la victoire - pour bâtir le communisme par des mains non communistes, pour savoir faire pratiquement ce qu'on est tenu de faire, sur le plan économique -, consiste à trouver le contact avec l'économie paysanne, à satisfaire le paysan de façon qu'il dise : « Si pénible, si dure, si cruelle que soit la faim, je vois que le pouvoir, bien que peu habituel et sortant de l'ordinaire, donne des résultats pratiques, tangibles.» Il faut obtenir que les éléments nombreux, nous surpassant de beaucoup numériquement, avec lesquels nous collaborons, travaillent de telle sorte que nous puissions surveiller et comprendre leur travail, de façon qu'une œuvre utile pour le communisme soit faite de leurs mains. C'est le nœud de la situation actuelle, car si certains communistes l'ont compris et vu, la grande masse de notre Parti n'a pas conscience de la nécessité de faire travailler les sans-parti. Que de circulaires n'a-t-on pas écrites, que n'a-t-on pas dit à ce sujet ! Mais au cours de cette année a-t-on fait quelque chose ? Rien. Sur cent comités de notre Parti, il ne s'en trouvera pas cinq qui puissent montrer leurs résultats pratiques. Voilà à quel point nous retardons sur les besoins de l'heure, à quel point nous vivons dans les traditions des années 1918 et 1919. Ce furent de grandes années ; une œuvre historique grandiose, de portée mondiale, a été accomplie. Mais si nous considérons ces années, si nous regardions en arrière sans voir la tâche du jour, ce serait la fin, une fin certaine, absolue ; et tout le nœud de la question est que nous ne voulons pas nous en rendre compte.

Je voudrais maintenant citer deux exemples pratiques montrant ce qu'il en est de notre gestion des affaires. J'ai déjà dit qu'il serait préférable de prendre pour cela un des trusts d'Etat. Je dois m'excuser de ne pouvoir employer cette bonne méthode. Il faudrait pour cela étudier de la façon la plus concrète la documentation concernant ne fût-ce qu'un de ces trusts. Malheureusement, je n'ai pu le faire, c'est pourquoi je prendrai deux petits exemples. Premier exemple : la M.P.O. (Société des Coopératives de consommation de Moscou) a accusé de bureaucratie le Commissariat du Peuple au Commerce extérieur. L'autre concerne le bassin du Donetz.

Le premier exemple convient peu, mais je n'ai pas la possibilité d'en prendre un meilleur. Il me permettra tout de même d'illustrer mon idée fondamentale. Dans ces derniers mois, comme vous le savez par les journaux, il ne m'a pas été possible de m'occuper des affaires directement, je n'ai pas travaillé au Conseil des Commissaires du Peuple, je n'ai pas été non plus au Comité central. Au cours de mes rares et passagères visites à Moscou, j'ai été frappé des plaintes terribles, désespérées, portées contre le Commissariat du Peuple au Commerce extérieur. Que ce Commissariat soit mauvais, que l'esprit bureaucratique y règne, je n'en ai jamais douté un instant. Mais quand les plaintes sont devenues particulièrement passionnées, j'ai voulu m'y reconnaître : prendre un cas concret, pousser les recherches une bonne fois jusqu'à la base, voir ce qui se passe là-bas et pourquoi cette machine ne marche pas.

La M.P.O. voulait acheter des conserves. Là-dessus un citoyen français s'est présenté. Je ne sais s'il l'a fait dans l'intérêt de la politique internationale, et au su des dirigeants de l'Entente, ou bien avec l'approbation de Poincaré et des autres ennemis du pouvoir des Soviets (je pense que nos historiens établiront cela après la conférence de Gênes), mais le fait est que la bourgeoisie française participait, non seulement théoriquement mais pratiquement aussi, à cette affaire, puisqu'un représentant de la bourgeoisie française est arrivé à Moscou pour vendre des conserves. Moscou souffre de la faim ; elle en souffrira encore davantage en été ; il n'y a pas d'arrivages de viande et il n'y en aura sûrement pas, étant donné les qualités que chacun sait de notre Commissariat du Peuple des Voies de communication.

On vend les conserves de viande (la future enquête montrera naturellement si elles ne sont pas entièrement pourries) en échange de devises soviétiques. Quoi de plus simple ? Or, si l'on raisonne à la manière soviétique, comme il se doit, ce n'est pas simple du tout. Je n'étais pas à même de suivre cette affaire directement ; j'ai donc organisé une enquête et je suis maintenant en possession d'un cahier où est dit comment cette fameuse histoire s'est déroulée. Elle a commencé par une décision prise le 11 février au Bureau politique du Comité central du P.C.R. sur un rapport de Kaménev, disant qu'il serait désirable d'acheter des vivres à l'étranger. Sans le Bureau politique du C.C. du P.C.R. des citoyens russes ne sauraient évidemment pas trancher une pareille question ! Concevez-vous que 4700 responsables (rien que d'après le recensement [11]) puissent, sans le Bureau politique du Comité central, statuer sur l'achat de vivres à l'étranger ? C'est là une idée fantastique, évidemment. Sans doute, Kaménev connaît parfaitement notre politique et nos conditions réelles. Aussi n'a-t-il pas trop compté sur le grand nombre de responsables ; il a commencé par prendre le taureau par les cornes, ou sinon un taureau du moins le Bureau politique, et a obtenu aussitôt (je n'ai pas entendu dire qu'il y ait eu des débats à ce sujet) la résolution suivante : «Attirer l'attention du Commissariat du Peuple au Commerce extérieur sur le fait qu'il serait désirable d'importer des vivres de l'étranger ; en ce qui concerne les droits de douane », etc. L'attention du Commissariat du Peuple au Commerce extérieur a été attirée. L'affaire démarre. Cela se passait le 11 février. Je me rappelle m'être trouvé à Moscou dans les tout derniers jours de février ou vers ce moment, et ce à quoi je me suis heurté aussitôt, ce furent les lamentations vraiment désespérées des camarades de Moscou. De quoi s'agit-il ? Pas moyen d'acheter les vivres. Pourquoi ? A cause de la filière bureaucratique du Commissariat du Peuple au Commerce extérieur. Il y avait longtemps que je ne prenais point part aux affaires et je ne savais pas alors qu'il y avait une décision du Bureau politique à ce sujet. Je me suis borné à dire au chef du service administratif : suivez l'affaire, procurez-vous un papier et montrez-le-moi. Finalement, lorsque Krassine est arrivé, Kaménev lui a parlé, l'affaire a été réglée et nous avons acheté les conserves. Tout est bien qui finit bien.

Que Kaménev et Krassine sachent s'entendre et déterminer avec justesse la ligne politique requise par le Bureau politique du Comité central du P.C.R. je n'en doute nullement. Si la ligne politique était décidée par Kaménev et Krassine en matière commerciale également, nous aurions la meilleure des républiques soviétiques du monde. Mais il n'est pas possible d'appeler à la rescousse, pour chaque marché à conclure, Kaménev, membre du Bureau politique, et Krassine, celui-ci, à la veille de Gênes, étant pris par les affaires diplomatiques, affaires qui exigent un travail énorme, colossal, - il n'est pas possible de déranger ces camarades pour acheter des conserves à un citoyen français. On ne peut pas travailler ainsi. Ce n'est pas une politique nouvelle, ni économique, ce n'est même pas de la politique du tout ; c'est se moquer du monde tout simplement. Maintenant j'ai une enquête sur cette affaire. J'en ai même deux : une faite par Gorbounov, chef du service administratif au Conseil des Commissaires du Peuple, et son adjoint Mirochnikov; l'autre faite par la Direction politique d'Etat. Pourquoi la Direction politique d'Etat s'est-elle intéressée à cette affaire, à vrai dire, je l'ignore, et je ne suis pas bien sûr qu'elle ait eu raison, mais je ne m'attarderai pas là-dessus, par crainte qu'il ne faille une nouvelle enquête. L'important, c'est que la documentation a été réunie et que maintenant je l'ai en main.

Comment se fait-il qu'à la fin de février, à mon arrivée à Moscou, j'aie entendu une véritable clameur : « Nous ne pouvons acheter les conserves », alors que le bateau est à Liban, que les conserves sont à bord, et qu'on accepte même des devises soviétiques pour de vrais conserves ! (Rires.) Si ces conserves ne sont pas entièrement pourries (et je souligne maintenant ce « si », parce que je ne suis pas absolument sûr que je n'aurais pas à ordonner alors une deuxième enquête, dont il me faudra exposer les résultats à un autre congrès), si ces conserves ne sont pas pourries, si elles sont achetées, je demande: comment se fait-il qu'une affaire de ce genre n'ait pu démarrer sans Kaménev et Krassine ? D'après l'enquête que je possède, je vois qu'un communiste responsable a envoyé au diable un autre communiste responsable. Cette même enquête m'apprend qu'un communiste responsable a dit à un autre communiste responsable : « Dorénavant je ne vous parlerai que par devant notaire.» En lisant cette histoire, je me suis souvenu comment, il y a vingt-cinq ans, étant déporté en Sibérie, j'eus à exercer la profession d'avocat. Illégalement, car déporté par mesure administrative, cela m'était interdit. Mais comme il n'y avait pas d'autres avocats, les gens venaient me voir et me racontaient leurs affaires. Le plus difficile, là-bas, c'était de comprendre de quoi il s'agissait. Une bonne femme vient me trouver ; elle commence, comme de juste, par me parler de ses parents et proches, et j'ai toutes les peines du monde à apprendre de quoi il s'agit. Je lui dis : «Apporte-moi une copie du procès-verbal. » Elle parle d'une vache blanche. On lui dit : apporte la copie. Alors elle s'en va et dit : « II ne veut pas m'écouter sans une copie de la vache blanche.» Nous avons bien ri, dans notre colonie, de cette copie. Néanmoins j'ai pu réaliser un petit progrès : quand on venait me consulter, on apportait une copie, et je pouvais me rendre compte de quoi il s'agissait, de quoi l'on se plaignait et ce qu'on réclamait. Cela se passait il y a vingt-cinq ans, en Sibérie, dans un endroit situé à des centaines de verstes de la plus proche station de chemin de fer.

Mais pourquoi, après trois ans de révolution, dans la capitale de la République soviétique, a-t-il fallu deux enquêtes, l'intervention de Kaménev et de Krassine ainsi que des directives du Bureau politique, pour acheter des conserves? Qu'est-ce qui manquait? Le pouvoir politique? Non. L'argent, on en a trouvé. Donc, on avait le pouvoir économique et le pouvoir politique. Toutes les administrations étaient sur place. Qu'est-ce qui manquait? Une culture suffisante chez les 99°/o des collaborateurs de la M.P.O. - à qui je n'ai rien à reprocher et que je considère comme d'excellents communistes, - ainsi que chez ceux du Commissariat du Commerce extérieur : ils n'ont pas été capables de mener l'affaire comme il convenait.

Quand j'ai appris cela pour la première fois, j'ai adressé la proposition écrite que voici au Comité central : tous les collaborateurs des administrations de Moscou, sauf les membres du Comité exécutif central de Russie qui, vous le savez, jouissent de l'immunité, tous, dis-je, sauf les membres du Comité exécutif central, devraient être enfermés dans la pire des prisons de Moscou pour six heures, et ceux du Commissariat du Peuple au Commerce extérieur pour trente-six. Or, il se trouve à présent qu'on n'a pas découvert le coupable. (Rires.) En effet, de ce que je viens de raconter, il ressort avec évidence qu'on ne découvrira pas le coupable. C'est là, simplement, l'habituelle incapacité de l'intellectuel russe de faire pratiquement les choses : le gâchis, le laisser-aller. D'abord on s'y met, on fait quelque chose, et puis on réfléchit ; quand rien ne va, on court se plaindre à Kaménev, on traîne l'affaire au Bureau politique. Certes, il faut saisir le Bureau politique de toutes les questions d'Etat ardues - j'aurai encore l'occasion d'en parler -, mais il faut d'abord réfléchir et après seulement agir. Si vous voulez agir, prenez la peine de vous documenter. Commencez par téléphoner,- il y a encore des téléphones à Moscou, - envoyez un message téléphoné aux services compétents, faites tenir une copie à Tsiouroupa. Dites : je considère le marché comme urgent, et si l'on fait traîner les choses en longueur, j'intenterai des poursuites. Il faut penser à cette culture élémentaire. Il faut procéder d'une façon réfléchie ; si l'affaire n'est pas réglée du coup, en deux minutes, par une conversation téléphonique, prenez des documents, munissez-vous-en et dites : « Si vous faites de la bureaucratie, je vous mettrai en prison. » Or, il n'y a pas eu ici un brin de réflexion, aucune préparation, l'affairement habituel, plusieurs commissions, tous sont fatigués, harassés, malades et l'affaire ne peut être poussée qu'à la condition de conjuguer les efforts de Kaménev et de Krassine. Le cas est typique. Et nullement particulier à la capitale, à Moscou ; il s'observe aussi dans les autres capitales, dans celles de toutes les Républiques indépendantes et les chefs-lieux des différentes régions. Et dans les villes qui ne sont pas des capitales, on observe constamment des choses semblables, ou même cent fois pires.

Dans notre lutte, il ne faut pas oublier que les communistes doivent agir après mûre réflexion. Ils vous parleront à merveille de la lutte révolutionnaire, de l'état de cette lutte dans le monde entier. Mais pour se tirer du besoin, de la misère la plus noire, il faut être réfléchi, cultivé, sensé. Ils ne savent pas s'y prendre. Nous aurions tort d'accuser les communistes responsables d'être peu consciencieux. L'immense majorité d'entre eux - 99% - ne sont pas seulement des gens consciencieux ; ils ont prouvé leur dévouement à la révolution dans les conditions les plus difficiles, et avant la chute du tsarisme et après la révolution, ils ont sacrifié littéralement leur vie. Si on cherchait ici les causes, on aurait foncièrement tort. Ce qu'il faut, c'est aborder comme il sied l'affaire publique la plus simple, comprendre que c'est une affaire publique, une affaire commerciale ; s'il y a des obstacles, il faut savoir les écarter et poursuivre ceux qui se seront rendus coupables de lenteurs bureaucratiques. Nous avons à Moscou un tribunal prolétarien qui doit juger les personnes responsables de ce que des dizaines de mille pouds de conserves n'ont pas été achetés. Je pense que le tribunal prolétarien saura punir. Mais pour punir, il faut trouver les coupables ; or, je vous garantis que les coupables resteront introuvables. Que chacun de vous examine cette affaire : du remue-ménage, de la confusion, du méli-mélo, mais pas de coupables. Personne ne sait comment s'y prendre, personne ne comprend que, dans une affaire publique, il faut s'y prendre de cette façon-ci, et non point de celle-là. Et tous les gardes blancs, tous les saboteurs en profitent. Nous avons eu une phase de lutte acharnée contre les saboteurs ; cette lutte est toujours à l'ordre du jour. Certes, il est exact qu'il y a des saboteurs, et qu'il faut les combattre. Mais peut-on les combattre quand la situation est telle que je viens de dire ? Cela est plus nuisible que n'importe quel sabotage ; le saboteur ne demande qu'à voir deux communistes discuter entre eux pour savoir à quel moment s'adresser au Bureau politique afin d'en obtenir une directive de principe pour l'achat de vivres ; il ne demande qu'à s'insinuer dans cette fissure. Si un saboteur tant soit peu intelligent se met à côté de l'un ou de l'autre de ces communistes, ou de chacun des deux, à tour de rôle, et les soutient, alors c'en est fait. Ce sera le fiasco définitif. A qui la faute ? A personne. Car deux communistes responsables, deux révolutionnaires dévoués, discutent à propos des neiges d'antan, discutent pour savoir à quel moment saisir de l'affaire le Bureau politique afin d'en obtenir une directive de principe pour l'achat de vivres.

Voilà comment la question se pose, voilà où est la difficulté. N'importe quel commis, passé par l'école d'un grand établissement capitaliste, sait faire cela, mais 99% des communistes responsables ne le savent pas, et ne veulent pas comprendre qu'ils n'ont pas ce savoir-faire, qu'il leur faut commencer par l'a b c. Si nous ne le comprenons pas, si nous ne nous remettons pas aux rudiments, nous ne résoudrons jamais le problème économique qui est aujourd'hui à la base de toute notre politique.

L'autre exemple que je voudrais citer concerne le bassin du Donetz. Vous savez que c'est le centre, la vraie base de toute notre économie. Il ne saurait être question d'aucun relèvement de la grande industrie en Russie, d'aucune édification véritable du socialisme - car on ne peut l'édifier autrement que par la grande industrie - si nous ne relevons pas, si nous ne portons pas à la hauteur voulue le bassin du Donetz. Au Comité central nous avons suivi de près cette affaire.

Pour ladite région, il n'y a pas eu cette chose arbitraire, ridicule, absurde qui consiste à porter une question de détail au Bureau politique. Il s'agissait là d'une affaire sérieuse, absolument urgente.

Le Comité central devrait veiller à ce que, dans ces véritables centres, ces bases, ce fondement de toute notre économie, on travaille d'une façon vraiment convenable. Il y avait là-bas, à la tête de la Direction centrale de l'industrie houillère, des hommes non seulement dévoués sans conteste, mais réellement instruits, très doués. Et même je ne me tromperai pas si je dis que ce sont des hommes de talent. Aussi l'attention du Comité central s'est portée de ce côté. L'Ukraine est une République indépendante. C'est très bien. Mais au point de vue du Parti, elle prend parfois - comment le dire plus poliment ? - une voie détournée, et il nous faudra un jour nous en occuper de plus près, car les gens y sont rusés. Quant au Comité central, je ne dirais pas qu'il nous donne le change, mais enfin il s'écarte un peu de nous. Pour mieux nous rendre compte, nous avons examiné les choses au Comité central d'ici, et nous avons constaté des frottements et des divergences. Il y a là-bas la « Kimka », la Commission pour l'exploitation des petits puits de mines. Certes, entre la Kimka et la Direction centrale de l'industrie houillère, il se produit de grands tiraillements. Mais nous, le Comité central, nous avons tout de même une certaine expérience, et nous avons unanimement décidé de ne pas écarter les éléments dirigeants ; en cas de friction, on nous informerait, au besoin même avec tous les détails, car, dès l'instant que nous possédons dans cette région des hommes non seulement dévoués mais capables, nous devons nous efforcer de les soutenir pour qu'ils achèvent de s'instruire, si l'on admet qu'ils ne sont pas encore instruits. Finalement il y a eu en Ukraine un congrès du Parti. Je ne sais pas ce qui s'y est passé ; il y a eu de tout. Je me suis renseigné auprès des camarades ukrainiens ; j'ai prié spécialement le camarade Ordjonikidzé - et le Comité central l'en a également chargé - d'aller là-bas pour voir ce qui s'y était passé. Apparemment, il y a eu une intrigue et l'embrouillamini, et la Commission pour l'étude de l'Histoire du Parti [12], si elle s'en occupe, ne s'y reconnaîtra pas même après dix ans. Mais le fait est qu'en dépit des directives unanimes du Comité central, ce groupe s'est trouvé remplacé par un autre. Que s'était-il passé ? Pour l'essentiel, une partie de ce groupe, malgré toutes ses grandes qualités, a commis une faute. Ces gens se sont trouvés dans la situation d'hommes qui ont administré à l'excès [13]. Là-bas nous avons affaire à des ouvriers. Très souvent quand on dit: «ouvriers », on pense que cela signifie prolétariat des usines. Pas du tout. Chez nous, depuis la guerre, des gens qui n'avaient rien de prolétaire sont venus aux fabriques et aux usines; ils y sont venus pour s'embusquer. Et aujourd'hui, les conditions sociales et économiques sont-elles, chez nous, de nature à pousser de vrais prolétaires dans les fabriques et les usines ? Non. C'est faux. C'est juste d'après Marx. Mais Marx ne parlait pas de la Russie ; il parlait du capitalisme dans son ensemble, à dater du quinzième siècle. Ç'a été juste durant six cents années, mais c'est faux pour la Russie d'aujourd'hui. Bien souvent ceux qui viennent à l'usine ne sont pas des prolétaires, mais toutes sortes d'éléments de rencontre.

Savoir bien organiser le travail pour ne pas rester en arrière, pour mettre fin, en temps voulu, aux tiraillements qui se produisent, et ne pas détacher la gestion administrative de la politique, - telle est la tâche. Car notre politique et notre gestion administrative reposent sur ceci : toute l'avant-garde doit être liée à toute la masse prolétarienne, à toute la masse paysanne. Si d'aucuns oublient ces rouages, s'ils s'emballent pour l'administration seule, ce sera un vrai malheur. La faute que nos camarades du Donetz ont commise est insignifiante en comparaison d'autres fautes commises par nous. Mais c'est un exemple typique. Le Comité central avait exigé unanimement : « Gardez ce groupe; soumettez-nous, au Comité central, même les menus conflits, car le bassin du Donetz n'est pas une région quelconque ; c'est une région sans laquelle l'édification socialiste restera un simple souhait pieux. » Mais tout notre pouvoir politique et toute l'autorité du Comité central se sont avérés insuffisants.

Pour cette fois, c'est une faute d'administration, évidemment, qui a été commise ; il y a eu en outre une quantité d'autres fautes.

Vous avez là un exemple qui montre que le « hic» n'est pas dans le pouvoir politique; le « hic», c'est de savoir diriger, savoir mettre les gens à la bonne place, savoir éviter les petits heurts de façon que l'activité économique de l'Etat ne soit pas interrompue. Cela, nous ne savons pas le faire et c'est là notre faute.

Je pense que lorsque nous parlons de notre révolution et pesons ses destinées, il nous faut rigoureusement discerner les tâches de la révolution qui ont été entièrement accomplies, et qui sont entrées, comme une chose absolument imprescriptible, dans l'histoire du bouleversement du capitalisme sur le plan mondial. Notre révolution a de ces œuvres à son actif. Naturellement, les mencheviks et Otto Bauer, représentant de l'Internationale II 1/2, peuvent crier : «Chez eux, là- bas, c'est une révolution bourgeoise. » Nous disons, nous, que notre tâche est de faire aboutir la révolution bourgeoise. Ainsi que l'a dit une publication de gardes blancs : « Durant quatre cents ans, on avait amassé du fumier dans nos administrations publiques.» Et nous avons, nous, balayé ce fumier en quatre ans. Là est notre plus grand mérite. Les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, eux, qu'ont-ils fait ? Rien. Ni chez nous ni même dans l'Allemagne avancée, éclairée ; même là-bas, ils ne peuvent déblayer le fumier moyenâgeux. Et notre plus grand mérite, ils nous en font grief. Avoir mené à bonne fin l'œuvre de la révolution est notre mérite imprescriptible.

Aujourd'hui, cela sent la guerre. Les syndicats ouvriers, par exemple les syndicats réformistes, votent des résolutions contre la guerre et menacent de faire grève contre la guerre. Dernièrement, si je ne me trompe, j'ai vu un télégramme de presse annonçant qu'à la Chambre française un excellent communiste avait prononcé un discours contre la guerre et déclaré que les ouvriers préféreraient l'insurrection à la guerre [14]. On ne saurait poser la question comme nous l'avons posée en 1912, lors de la publication du Manifeste de Bâle. Seule la révolution russe a montré comment on peut sortir de la guerre, les efforts que cela coûte, ce que signifie sortir d'une guerre réactionnaire par la voie révolutionnaire. Les guerres réactionnaires impérialistes sont inévitables sur tous les points du globe. Et en résolvant tous les problèmes de cet ordre, l'humanité ne peut oublier et n'oubliera pas que des dizaines de millions d'hommes ont été massacrés alors et seront encore massacrés. Car nous vivons au XXe siècle, et le seul peuple qui soit sorti de la guerre réactionnaire par la voie révolutionnaire, non pas au profit de tel ou tel gouvernement, mais en les jetant tous à bas, est le peuple russe ; et c'est la révolution russe qui l'en a tiré. Et ce qui a été conquis par la révolution russe est imprescriptible. Nulle force ne peut l'enlever, de même que nulle force au monde ne peut revenir sur la création de l'Etat soviétique. C'est une victoire historique d'une portée universelle. Durant des centaines d'années on a bâti les Etats selon le type bourgeois, et c'est la première fois qu'une forme d'Etat non bourgeois a été trouvée. Peut-être notre appareil est-il mauvais, mais on dit que la première machine à vapeur était aussi mauvaise, et l'on ignore même si elle fonctionnait. Ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est que la machine ait été inventée. La première machine à vapeur, à cause de sa forme, était inutilisable. Qu'importe! En revanche, nous avons maintenant la locomotive. Notre appareil d'Etat est franchement mauvais. Qu'importe ! Il a été créé, c'est une immense œuvre historique ; un Etat de type prolétarien a été créé. C'est pourquoi l'Europe entière, des milliers de journaux bourgeois ont beau dépeindre nos horreurs et notre misère, dire que le peuple travailleur ne connaît que des tourments, cela n'empêche que, dans le monde entier, tous les ouvriers se sentent attirés vers l'Etat des Soviets. Voilà les grandes conquêtes que nous avons obtenues et qui ne peuvent nous être enlevées. Mais pour nous, représentants du Parti communiste, cela signifie seulement ouvrir la porte. Maintenant la tâche se pose devant nous de jeter les fondements de l'économie socialiste. Cela a-t-il été fait ? Non, cela n'a pas été fait. Nous n'avons pas encore de fondements socialistes. Ceux des communistes qui s'imaginent que ces fondements existent déjà, commettent une très grande erreur. Tout le nœud de la question consiste à séparer fermement, nettement et sainement ce qui, chez nous, constitue un mérite historique mondial de la révolution russe, d'avec ce qui s'accomplit chez nous aussi mal que possible, ce qui n'a pas encore été créé, ce qui, maintes fois encore, devra être refait.

Les événements politiques sont toujours très embrouillés et très complexes. On peut les comparer à une chaîne. Pour saisir toute la chaîne il faut s'accrocher à son maillon principal. On ne peut choisir artificiellement le maillon auquel on voudrait s'accrocher. Quel était, en 1917, le nœud de la situation? Sortir de la guerre ; tout le peuple l'exigeait et cela primait tout. La Russie révolutionnaire est parvenue à sortir de la guerre. Cela lui a coûté de grands efforts, mais, en revanche, le besoin essentiel du peuple a été pris en considération, et cela nous a donné la victoire pour de longues années. Et le peuple a senti, le paysan a vu, chaque soldat revenant du front a parfaitement compris qu'avec le pouvoir des Soviets il recevait un pouvoir plus démocratique, plus proche des travailleurs. Nous pouvons avoir commis bien des sottises, bien des erreurs scandaleuses dans d'autres domaines, mais du moment que nous avons su tenir compte de cette tâche principale, tout a bien été.

Quel était le nœud de la situation en 1919 et 1920 ? La riposte militaire. Alors l'Entente, avec sa puissance mondiale, marchait contre nous, nous étouffait. Point n'était besoin de propagande : n'importe quel paysan sans-parti comprenait de quoi il retournait. Le grand propriétaire foncier revient. Les communistes savent lutter contre lui. Voilà pourquoi les paysans, dans leur masse, étaient pour les communistes, voilà pourquoi nous avons remporté la victoire.

En 1921, le nœud de la situation était de se replier en bon ordre. Voilà pourquoi il fallait une discipline particulièrement rigoureuse. L'«opposition ouvrière » disait : « Vous sous-estimez les ouvriers. Les ouvriers doivent montrer plus d'initiative. » L'initiative doit consister à se replier en bon ordre et à observer une rigoureuse discipline. Celui qui jetterait la moindre note de panique ou enfreindrait la discipline, ferait périr la révolution, car rien n'est plus difficile que de battre en retraite avec des hommes habitués à conquérir, pénétrés des conceptions et idéaux révolutionnaires, et qui, en leur for intérieur, considèrent toute retraite à peu près comme une ignominie. Le plus grand péril est que le bon ordre soit troublé, et la tâche essentielle est de maintenir le bon ordre.

Et aujourd'hui, quel est le nœud de la situation? C'est à cela que je veux aboutir, c'est par là que je veux conclure mon rapport,- ce nœud n'est pas dans notre politique, dans le sens d'un changement d'orientation. On en parle énormément à propos de la NEP. On parle à vide. Bavardage des plus nuisibles. En relation avec la NEP, on commence, chez nous, à s'affairer, à réorganiser les institutions, à en créer de nouvelles. Bavardage des plus nuisibles. Nous en sommes arrivés à une situation où l'essentiel est dans les hommes, dans le choix des hommes. C'est une chose que s'assimile difficilement un révolutionnaire habitué à lutter contre les petites choses, les menues questions culturelles. Mais nous en sommes arrivés à une situation qu'au point de vue politique il faut apprécier sainement. Nous avons poussé si loin que nous ne pouvons garder toutes les positions et ne devons pas les garder.

Au point de vue international, notre situation, dans ces dernières années, s'est immensément améliorée. Nous avons conquis le type d'Etat soviétique; c'est un pas en avant fait par toute l'humanité. L'Internationale Communiste nous le confirme chaque jour par les informations qu'elle reçoit de tous les pays. Personne n'a l'ombre d'un doute à ce sujet. Mais pour ce qui est du travail pratique, voici comment les choses se présentent : si les communistes ne sont pas en mesure d'aider pratiquement la masse paysanne, celle-ci ne les soutiendra pas. Ce qui doit être au centre de notre attention, ce n'est pas de légiférer, de publier d'excellents décrets, etc. Nous avons connu une période où les décrets étaient une forme de propagande. On se moquait de nous, on disait : les bolcheviks ne comprennent pas qu'on n'applique pas leurs décrets ; toute la presse des gardes blancs abonde en railleries à ce sujet. Mais cette phase était légitime quand les bolcheviks ont pris le pouvoir et ont dit au simple paysan, au simple ouvrier : voici comment nous voudrions que l'Etat fût gouverné ; voici un décret ; essayez-le. Au simple ouvrier ou paysan, nous exposions d'emblée nos conceptions politiques, sous forme de décrets. Résultat : nous avons conquis cette énorme confiance, dont nous avons joui et dont nous continuons de jouir parmi les masses populaires. Se fut une période, une phase nécessaire au début de la révolution ; autrement nous n'aurions pas été à la tête de la vague révolutionnaire, mais nous nous serions traînés à la remorque. Autrement, nous n'aurions pas eu la confiance de tous les ouvriers et paysans qui voulaient bâtir la vie sur une base nouvelle. Or, cette phase est révolue et nous ne voulons pas le comprendre. Maintenant les paysans et les ouvriers riront si on leur enjoint de créer, de réorganiser telle ou telle administration. Maintenant le simple ouvrier et le simple paysan ne s'y intéresseront pas, et ils auront raison, car le centre de gravité n'est pas là. Aujourd'hui, ce n'est pas avec cela que vous, communistes, devez vous présenter au peuple. Bien que nous autres, dans les administrations publiques, nous soyons toujours surchargés de ces détails, ce n'est cependant pas ce maillon de la chaîne qu'il faut saisir ; le nœud n'est pas là ; le nœud de la question, c'est que les gens ne sont pas à leur place, que tel communiste responsable, qui a très bien fait toute la révolution, est affecté à une entreprise commerciale, industrielle où il ne comprend rien, où il empêche de voir la vérité, car derrière lui se cachent à merveille filous et mercantis. L'essentiel, c'est que nous n'avons pas de vérification pratique de ce qui a été accompli. C'est une tâche prosaïque, petite, ce sont de menues affaires, mais nous vivons après un immense bouleversement politique, et il nous faut, durant un certain laps de temps, vivre au sein d'un système capitaliste ; le nœud de toute la situation n'est pas dans la politique, au sens étroit du terme (ce qui se dit dans les journaux n'est que verbiage politique, et il n'y a là rien de socialiste) ; le nœud de toute la situation n'est pas dans les résolutions, dans les administrations, dans la réorganisation. Pour autant que ces choses nous sont nécessaires, nous les ferons. Mais n'allez pas servir cela au peuple; choisissez les hommes qu'il faut et vérifiez l'exécution pratique : cela, le peuple l'appréciera.

C'est que dans la masse populaire, nous sommes comme une goutte d'eau dans l'océan et nous ne pouvons exercer le pouvoir qu'à la condition d'exprimer exactement ce dont le peuple a conscience. Sinon, le Parti communiste ne conduira pas le prolétariat, celui-ci n'entraînera pas derrière lui les masses, et toute la machine se disloquera. Aujourd'hui, pour le peuple, pour toutes les masses laborieuses, l'essentiel est uniquement de parer en fait à la misère atroce et à la famine, et de montrer qu'il y a réellement cette amélioration dont le paysan a besoin et qui lui est coutumière. Le paysan connaît le marché et connaît le commerce. Nous n'avons pu établir la répartition communiste directe, faute d'un nombre suffisant de fabriques et de machines. Dès lors, nous devons ravitailler le pays par le commerce, mais pas le ravitailler moins bien que le faisait le capitaliste, sinon le peuple ne supportera pas une telle gestion. Tout le nœud de la situation est là. Et s'il ne se passe rien d'inattendu, cela doit devenir le nœud de tout notre travail pour 1922, à trois conditions.

Premièrement, à la condition qu'il n'y ait pas d'intervention armée. Nous faisons tout pour l'éviter par notre diplomatie ; néanmoins, elle est possible chaque jour. Nous devons réellement nous tenir sur le qui-vive, et consentir, pour l'Armée Rouge, de durs sacrifices, bien entendu, en en fixant rigoureusement les proportions. Nous avons en face de nous le monde bourgeois tout entier qui ne cherche que le moyen de nous étrangler. Nos mencheviks et socialistes-révolutionnaires ne sont que des agents de cette bourgeoisie, pas autre chose. Telle est leur position politique.

La deuxième condition est que la crise financière ne soit pas trop forte. Cette crise approche. Vous en entendrez parler quand on vous exposera la politique financière. Si elle est trop aiguë et dure, il nous faudra de nouveau réorganiser beaucoup de choses et concentrer toutes nos forces sur un point. Si elle n'est pas trop dure elle peut même nous être utile : elle passera au crible les communistes dans les trusts d'Etat de tout genre. Seulement il ne faudra pas oublier de le faire. La crise financière aère administrations et entreprises ; les mauvaises sautent les premières. Seulement il ne faudra pas oublier qu'on ne doit pas tout mettre sur le dos des spécialistes, sous prétexte que les communistes responsables sont excellents, qu'ils ont lutté sur les fronts et ont toujours bien travaillé. Ainsi donc, si la crise financière n'est pas sévère à l'excès, on pourra en tirer profit et épurer autrement que ne le font la Commission centrale de Contrôle ou la Commission centrale de vérification [15], passer au crible comme il se doit tous les communistes responsables dans les services économiques.

Et la troisième condition est de ne pas commettre, entre-temps, de fautes politiques. Il est évident que si nous faisons des fautes politiques, toute l'édification économique sera compromise ; alors il faudra engager la discussion en vue de corriger et d'orienter. Mais en l'absence de semblables et tristes erreurs, le nœud, pour l'avenir immédiat, ne sera pas dans les décrets, ni dans la politique au sens étroit de ce terme, ni dans les administrations et leur organisation - on s'en occupera, pour autant que cela est nécessaire, dans les milieux communistes responsables et les administrations soviétiques - mais le nœud de tout le travail sera dans le choix des hommes et le contrôle de l'exécution. Si sous ce rapport nous apprenons à faire les choses pratiquement, si nous nous rendons pratiquement utiles, nous surmonterons cette fois encore toutes les difficultés.

En terminant, je dois toucher le côté pratique de la question concernant les organismes soviétiques, les grandes administrations et l'attitude du Parti à leur égard. Il s'est établi des rapports défectueux entre le Parti et les institutions soviétiques ; nous sommes tous absolument d'accord là-dessus. J'ai montré par un exemple comment, même pour une menue affaire concrète, on va au Bureau politique. Formellement, il est très difficile d'y remédier, car un parti gouvernemental unique dirige chez nous, et l'on ne peut interdire à un de ses membres de porter plainte. C'est pourquoi, du Conseil des Commissaires du Peuple, on va, à propos de tout, au Bureau politique. La faute en a été à moi aussi, à bien des égards, car c'est moi qui assurais personnellement, pour une grande part, la liaison entre le Conseil des Commissaires du Peuple et le Bureau politique. Or, quand j'ai dû me retirer, il s'est trouvé que les deux rouages ne fonctionnaient pas à l'unisson, et Kaménev a dû travailler pour trois afin de maintenir cette liaison. Comme il y a bien peu de chances que je reprenne prochainement le travail, tous les espoirs reposent sur l'existence de deux nouveaux vice-présidents du conseil, le camarade Tsiouroupa, qui a été épuré par les Allemands, et le camarade Rykov, qui a été épuré par eux, de façon tout à fait remarquable. Il se trouve que même l'empereur allemand Guillaume nous a été utile, ce à quoi je ne m'attendais nullement. Il avait un docteur et chirurgien, et c'est ce docteur qui s'est trouvé soigner le camarade Rykov, lui coupant sa partie la plus mauvaise pour la laisser en Allemagne et lui laissant sa meilleur partie pour nous la renvoyer ici tout à fait épurée. Si cette méthode continue à être appliquée, ce sera tout à fait bien.

Mais laissons les plaisanteries : pour ce qui est des principales directives, il y a pleine entente au Comité central. J'espère que le congrès s'occupera très attentivement de cette question et confirmera les directives en ce sens qu'il faut décharger le Bureau politique et le Comité central des questions secondaires et améliorer le travail des responsables. Il importe que les commissaires du peuple répondent de leur activité ; il ne faut pas aller d'abord au Conseil des Commissaires du Peuple, puis au Bureau politique. Nous ne pouvons, formellement, supprimer le droit de porter plainte au Comité central, puisque notre Parti est l'unique parti gouvernemental. On doit, en l'occurrence, mettre un terme à cet état de choses où toutes les questions de détail sont portées devant le Comité central ; il faut rehausser l'autorité du Conseil des Commissaires du Peuple, faire en sorte que ce soient surtout les commissaires qui siègent au Conseil et non leurs adjoints ; il convient de modifier le caractère des fondions du Conseil des Commissaires du Peuple, dans le sens où je n'ai réussi à le faire durant cette dernière année : réserver une attention beaucoup plus grande au contrôle de l'exécution. Nous aurons encore deux vice-présidents : Rykov et Tsiouroupa. Rykov, quand il travaillait comme Tchousosnabarm [16], a su remettre de l'ordre, et les affaires marchaient. Tsiouroupa a organisé un des meilleurs commissariats du peuple. S'ils concentrent tous les deux leur attention sur l'amélioration du travail des commissariats du point de vue de l'exécution et du sens de la responsabilité, nous marquerons un progrès, si petit soit-il. Sur les 18 commissariats que nous avons, 15 au moins ne valent rien ; il est impossible de trouver de bons commissaires, Dieu fasse que l'on soit plus attentif à ce point. Le camarade Rykov doit être membre du bureau du C.C. et membre du Présidium du C.E.C. de Russie, parce qu'il doit exister un lien entre ces organismes, parce que, faute de ce lien, il arrive que les principaux rouages tournent à vide.

A ce propos, il faut avoir soin de restreindre les commissions du Conseil des Commissaires du Peuple et du Conseil du Travail et de la Défense, afin qu'ils connaissent et remplissent leurs propres tâches, au lieu de disperser leurs efforts entre d'innombrables commissions. Ces jours-ci on a épuré les commissions. Il y en avait cent vingt. Combien étaient nécessaires ? Seize. Et ce n'est pas la première épuration. Au lieu de répondre de ses actes, au lieu de soumettre une décision au Conseil des Commissaires du Peuple, en sachant qu'on en porte la responsabilité, on se retranche derrière les commissions. Le diable lui-même se casserait la jambe dans les commissions ; pas moyen de trouver le responsable; tout est embrouillé ; en fin de compte, on prend une décision aux termes de laquelle tout le monde est responsable.

Notons, d'autre part, qu'il est nécessaire d'élargir et de développer l'autonomie et l'activité des conseils économiques régionaux. Maintenant, la division de la Russie en régions a été faite sur une base scientifique, en tenant compte des conditions économiques et climatiques, des conditions de vie, d'approvisionnement en combustible, de l'industrie locale, etc. En se fondant sur cette division on a institué des conseils économiques de district et de région [17]. Sans doute y aura-t-il des amendements pour telles ou telles questions de détail, mais il faut rehausser l'autorité de ces conseils économiques.

Ensuite, on doit faire en sorte que le Comité exécutif central de Russie travaille plus énergiquement et se réunisse régulièrement en sessions qui doivent être plus prolongées. Les sessions sont tenues d'examiner les projets de loi qui parfois sont soumis au Conseil des Commissaires du Peuple à la hâte, sans nécessité absolue. Mieux vaut remettre à plus tard et laisser nos responsables dans les localités examiner attentivement les choses ; il faut se montrer plus exigeants à l'égard des législateurs, ce qu'on ne fait pas chez nous.

Si les sessions de Comité exécutif central de Russie sont plus prolongées, elles se diviseront en sections et sous-commissions et sauront vérifier le travail plus rigoureusement en s'efforçant d'obtenir ce qui, selon moi, est le nœud, l'essence même de la situation politique présente ; porter l'effort principal sur le choix des hommes, sur le contrôle de l'exécution effective.

Il faut se rendre compte, et ne pas craindre de le reconnaître, que dans 99 cas sur 100, les communistes responsables ne sont pas employés selon leurs capacités ; ils ne savent pas s'acquitter de leur tâche ; ce qu'ils doivent faire, maintenant, c'est apprendre. Si on le reconnaît, et du moment que nous en avons la possibilité (à en juger d'après l'ensemble de la situation internationale, nous aurons assez de temps pour achever notre apprentissage), il faut le faire à tout prix. (Vifs applaudissements.)


Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1] La Conférence de Gênes («Conférence économique internationale») se tint du 10 avril au 19 mai 1922 à Gênes avec la participation de représentants des 29 pays. Les puissances impérialistes tentèrent d'exploiter les difficultés économiques de la Russie soviétique pour lui imposer des conditions asservissantes. Elles exigeaient le payement de toutes les dettes tsaristes, y compris celles d'avant-guerre, la restitution des entreprises nationalisées aux propriétaires étrangers, etc.

La délégation soviétique repoussa les exigences impudentes des impérialistes ; elle proposa le désarmement général et l'annulation de toutes les dettes d'avant-guerre.

En raison de la position de la France et de l'Angleterre, hostile à la Russie des Soviets, la conférence fut interrompue. [N.E.]

[2] Organisation internationale des partis et des groupes socialistes centristes qui avaient quitté la IIe Internationale sous la pression des masses révolutionnaires. Elle fut formée à la Conférence de Vienne, en février 1921. Les leaders de l'Internationale II 1/2 aspiraient à contrecarrer l'influence croissante des communistes dans les masses ouvrières.

En mai 1923, l'Internationale II 1/2 fusionna avec la IIe Internationale. [N.E.]

[3] Groupe opportuniste qui se constitua au sein du P.C.(b)R. au début de 1918, à l'occasion de la conclusion de la paix de Brest-Litovsk. Agissant sous le couvert d'une phraséologie de gauche sur la guerre révolutionnaire, le groupe, à la tête duquel se trouvait Boukharine, prônait une politique d'aventures tendant à entraîner dans la guerre contre l'Allemagne impérialiste la jeune République des Soviets qui n'avait pas encore d'armée, ce qui constituait une menace mortelle pour le pouvoir des Soviets. Les « communistes de gauche» se prononçaient aussi contre la mise en pratique de la direction unique et de la discipline du travail, contre l'utilisation des spécialistes bourgeois dans l'industrie. Le parti, dirigé par Lénine, s'opposa fermement aux «communistes de gauche». [N.E.]

[4] Il s'agit apparemment d'une partie de la délégation du Parti communiste français à la première session plénière élargie du Comité exécutif de l'Internationale Communiste (21 février - 4 mare 1922) qui ne comprit pas le sens de la nouvelle politique économique (NEP) du P.C.(b)R. et crut qu'elle risquait de mener à la restauration du capitalisme en Russie et d'affaiblir le mouvement révolutionnaire international. [N.E.]

[5] Allusion à la lutte entre les bolcheviks et les mencheviks en émigration. [N.E.]

[6] La Commission sur les problèmes des sociétés mixtes près le Conseil du Travail et de la Défense dont G. Sokolnikov fut le président. [N.E.]

[7] Maître-exhorteurs, sobriquet donné par les soldats à A. Kerenski, ministre de la Guerre et de la Marine dans le gouvernement provisoire, parce que lors d'une inspection du front pendant l'été 1917, il exhorta les soldats à passer à l'offensive. [N.E.]

[8] Les gens de la Smiéna Viekh (la Relève des Jalons), représentants d'un courant social e1 politique contre- révolutionnaire apparu en 1921 parmi les intellectuels de l'émigration blanche. Leur revue Smiéna Viekh parut à Paris d'octobre 1921 à mars 1922. [N.E.]

[9] Membres du parti constitutionnel démocratique, principal parti de la bourgeoisie libérale monarchiste en Russie, formé en octobre 1905.

Après la victoire de la Révolution d'Octobre, les cadets furent les ennemis irréductibles du pouvoir des Soviets, prirent part à toutes les actions armées contre-révolutionnaires et aux campagnes des interventionnistes. Emigrés à la suite de la débâcle des interventionnistes et des gardes blancs, ils continuèrent leur activité antisoviétique. [N.E.]

[10] Il s'agit du livre de A. TODORSKI Une année avec le fusil et la charrue publié en 1918 par le Comité exécutif du Soviet du district de Vessiégonsk (province de Tver). [N.E.]

[11] En juillet 1921 le Parti effectua une analyse quantitative et qualitative des militants responsables au niveau des provinces et des districts, ainsi que celle de leur répartition territoriale et de leur utilisation rationnelle. [N.E.]

[12] Commission créée le 21 septembre 1920 pour recueillir et étudier des matériaux sur l'histoire de la Révolution d'Octobre et celle du Parti communiste de Russie. [N.E.]

[13] Il s'agit de la Direction centrale de l'industrie houillère du Donbass qui sous-estimait la portée de la reconstruction des petites mines et d'autres branches de l'industrie et étouffait l'initiative des organisations du parti et des syndicats locaux dans la construction de l'économie. [N.E.]

[14] Il s'agit du discours du député communiste jean Renaud dirigé contre le militarisme et l'impérialisme. [N.E.]

[15] La Commission centrale de vérification fut créée par le Comité central du P.C.(b)R. le 25 juin 1921 en période d'épuration du parti pour diriger le travail des commissions de vérification locales. [N.E.]

[16] Délégué extraordinaire du Conseil de la Défense ouvrière et paysanne pour les questions du ravitaillement de l'Armée Rouge et de la Marine. [N.E.]

[17] Organes locaux du Conseil du Travail et de la Défense, formés au début de 1921. Les Conseils économiques de région furent institués pour coordonner et renforcer l'activité de tous les organismes économiques locaux et des conseils économiques de province. [N.E.]


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