1903

Article paru dans le Vorwärts, n° 62 du 14 mars 1903.

luxemburg

Rosa Luxemburg

Karl Marx

13 mars 1899

 

« Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c'est de le transformer » (XIe thèse de Marx sur Feuerbach) [1]

Il y a vingt ans que Marx a laissé sa tête puissante au repos, et bien que nous ayons vécu il y a quelques années seulement ce qu'on a appelé dans le langage des professeurs allemands "la crise du marxisme", il suffit de regarder les masses qui se réclament aujourd'hui du socialisme rien qu'en Allemagne, l’importance du socialisme dans la vie publique de tous les pays dits de culture, pour saisir l'œuvre de la pensée de Marx dans son gigantisme.

S'il fallait formuler en quelques mots ce que Marx a fait pour le mouvement ouvrier d'aujourd'hui, on pourrait dire que Marx a pour ainsi dire découvert la classe ouvrière moderne en tant que catégorie historique, c'est-à-dire en tant que classe soumise à des conditions d'existence déterminées et dont le mouvement historique répond à des lois précises. Avant Marx, il existait sans doute dans les pays capitalistes une masse de travailleurs salariés qui, conduits à la solidarité par la similitude de leur existence au sein de la société bourgeoise, cherchaient à tâtons une issue à leur situation et parfois un pont vers la terre promise du socialisme. Marx ne les a élevés au rang de classe qu'en les liant à une tâche historique particulière : la tâche de la conquête du pouvoir politique en vue d'une transformation socialiste de la société.

Le pont que Marx a jeté entre le mouvement prolétarien, tel qu'il surgit de manière élémentaire du sol de la société actuelle, et le socialisme était donc : la lutte des classes pour la prise du pouvoir politique. La bourgeoisie a toujours fait preuve d'un instinct sûr en poursuivant de sa haine et de sa crainte les aspirations politiques du prolétariat. Déjà en 1831, lorsque Casimir Périer rendit compte à la Chambre des députés française, en novembre, du premier mouvement de la classe ouvrière sur le continent, la révolte des canuts à Lyon [2], il dit : "Eh bien, Messieurs, nous pouvons être tranquilles ! Rien de politique n'a surgi des rassemblements de Lyon". Chaque mouvement politique du prolétariat était en effet, pour les classes dirigeantes, le signe avant-coureur de l'émancipation imminente des ouvriers de la tutelle politique de la bourgeoisie.

Mais c'est seulement Marx qui a réussi à placer la politique de la classe ouvrière sur le terrain de la lutte des classes consciente et à la forger ainsi en une arme fatale contre l'ordre social existant. La base de la politique ouvrière social-démocrate actuelle, c'est la conception matérialiste de l'histoire en général et la théorie de Marx du développement capitaliste en particulier. Seuls ceux pour qui l'essence de la politique sociale-démocrate et l'essence du marxisme sont un égal mystère peuvent concevoir la social-démocratie, et plus généralement une politique ouvrière de classe consciente, en dehors de la doctrine de Marx. Dans son livre sur Feuerbach, Friedrich Engels a formulé l'essence de la philosophie comme l'éternelle question de la relation entre la pensée et l'être, de la relation entre la conscience humaine et le monde matériel objectif. Si nous transposons les notions d'être et de pensée hors du monde de la nature, vue abstraitement, et de la spéculation individuelle, là où les philosophes professionnels se promènent avec hésitations, vers le domaine de la vie sociale, on peut dire en un certain sens la même chose du socialisme. Il a toujours été le tâtonnement, la recherche de moyens pour harmoniser l'être avec la pensée, c'est-à-dire les formes d'existence historiques avec la conscience sociale.

C'est à Marx et à son ami Engels qu'il est revenu de résoudre cette tâche pendante depuis des siècles.

En découvrant que l'histoire de toutes les sociétés passées est, en dernière instance, l'histoire de leurs rapports de production et d'échange et que, sous le règne de la propriété privée, l'évolution de ces rapports se manifeste par la lutte des classes dans les institutions politiques et sociales, Marx a mis à nu la principale force motrice de l'histoire. Cela a permis d'expliquer le nécessaire décalage entre la conscience et l'être, entre la volonté humaine et l'évolution sociale, entre les intentions et les résultats dans le domaine des formes sociales. Par la pensée de Marx, l'humanité a donc d'abord percé le secret de son propre processus social. La découverte des lois du développement capitaliste a également montré le chemin que la société emprunte pour passer de son stade naturel et inconscient, où elle fait son histoire comme les abeilles construisent leurs alvéoles de cire, au stade de l'histoire consciente, voulue, véritablement humaine, où pour la première fois depuis des millénaires, la volonté de la société et son action s'accordent l'une avec l'autre, où l'homme va faire ce qu'il veut de la société.

Ce "saut définitif du règne animal dans le règne de la liberté humaine" [3], pour reprendre l'expression d'Engels, que seule la transformation socialiste réalisera pour l'ensemble de la société, s'accomplit déjà au sein de l'ordre actuel — dans la politique sociale-démocrate. En suivant le fil d'Ariane [4] de la doctrine de Marx, le parti ouvrier est aujourd'hui le seul à savoir, d'un point de vue historique, ce qu'il fait, et donc à faire ce qu'il veut. C'est là que réside tout le secret de la puissance social-démocrate. Le monde bourgeois se pâme depuis longtemps devant l'étonnante indestructibilité et le progrès constant de la social-démocratie. De temps en temps, il se trouve quelques enfants gâteux qui, éblouis par les succès moraux particuliers de notre politique, conseillent à la bourgeoisie de prendre "exemple" sur nous, de s'abreuver à la sagesse mystérieuse et à l'idéalisme de la social-démocratie. Ils n'ont pas compris que ce qui est source de vie et fontaine de jouvence pour la politique de la classe ouvrière en plein essor, est poison mortel pour les partis bourgeois. Car qu'est-ce qui, en effet, nous donne la force morale intérieure de supporter et de secouer les pires oppressions — comme les douze années de la loi antisocialiste — avec ce courage moqueur qui est le nôtre ? Serait-il la ténacité des déshérités dans la poursuite d'une petite amélioration matérielle de leur situation ? Le prolétariat moderne n'est pas semblable au philistin petit bourgeois, pour devenir un héros au nom du confort quotidien. L'étroitesse d'esprit plate et austère du monde des trade-unions anglais montre à quel point la simple perspective d'avantages matériels minimes est incapable de susciter l’élévation morale de la classe ouvrière. Est-ce, comme chez les chrétiens primitifs, le stoïcisme ascétique d'une secte qui flambe de plus en plus en proportion des persécutions ? Le prolétaire moderne, en tant qu'héritier et élève de la société bourgeoise, est bien trop matérialiste de naissance, trop sain et sensuel dans sa chair pour puiser, conformément à la morale des esclaves, dans les seules tortures l'amour et la force qu'il donne à ses idées. Est-ce finalement la "justice" de la cause que nous poursuivons qui nous rend si indomptables ? La cause des chartistes et des disciples de Weitling [5], la cause des écoles utopistes-socialistes n'était pas moins "juste", et pourtant elles ont toutes très vite succombé face aux résistances de la société existante. Si le mouvement ouvrier d'aujourd'hui, bravant tous les coups de force du monde adverse, agite victorieusement ses drapeaux, c'est avant tout par la compréhension tranquille du bien-fondé du développement historique objectif, la compréhension du fait que "la production capitaliste ... génère avec la nécessité d'un processus naturel sa propre expropriation" [6] — à savoir : l'expropriation des expropriateurs, la révolution socialiste — ; c'est dans cette compréhension qu’elle voit la ferme garantie de la victoire finale qu’elle puise non seulement son impétuosité, mais aussi sa patience, la force d'agir et le courage de persévérer. La première condition d'une politique de combat victorieuse est la compréhension des mouvements de l'adversaire. Mais qu'est-ce qui nous donne la clé pour comprendre la politique bourgeoise jusque dans ses moindres ramifications, jusque dans les méandres de la politique quotidienne, cette compréhension qui nous préserve tout autant des surprises que des illusions ? Rien d'autre que de savoir qu'il faut expliquer toutes les formes de la conscience sociale, dans leur déchirement interne, par les intérêts de classe et de groupe, par les contradictions de la vie matérielle et, en dernière instance, "par le conflit existant entre les forces productives sociales et les rapports de production".

Et qu'est-ce qui nous donne la capacité d'adapter notre politique aux nouveaux phénomènes de la vie politique, comme par exemple la politique mondiale, et surtout la capacité de les évaluer, même sans talent ni profondeur particulier, avec une puissance de jugement qui touche le cœur même du phénomène, alors que les critiques les plus talentueux de la bourgeoisie ne font que tâtonner à sa surface ou s'empêtrent dans des contradictions sans issue à chaque regard en profondeur ? Encore une fois, rien d'autre qu'une vue d'ensemble du cours historique du développement à l'aide de la loi selon laquelle c'est "le mode de production de la vie matérielle" qui "conditionne le processus de la vie sociale, politique et spirituelle".

Mais surtout, qu'est-ce qui nous donne un critère pour le choix des moyens et des voies dans la lutte, pour éviter les expérimentations sans plan et les pas de côté utopiques qui gaspillent les forces ? C’est la direction du processus économique et politique dans la société actuelle — une fois reconnue — qui nous permet d’élaborer non seulement notre plan de campagne dans ses grandes lignes, mais aussi chaque détail de nos efforts politiques.

C'est en suivant ce fil conducteur que la classe ouvrière est parvenue, pour la première fois, à changer la grande idée du but final socialiste en monnaie courante de la politique quotidienne et à faire du modeste travail politique quotidien l'instrument d'exécution de cette grande idée. Avant Marx, il y avait une politique bourgeoise menée par les ouvriers, et il y avait le socialisme révolutionnaire. Ce n'est que depuis Marx et grâce à Marx qu'il existe une politique ouvrière socialiste, qui est en même temps et au sens le plus complet des deux mots une Realpolitik révolutionnaire. Si par Realpolitik nous entendons précisément une politique qui se donne seulement des objectifs réalisables et qui sait les poursuivre par les moyens les plus efficaces et la voie la plus courte, alors la politique de classe prolétarienne se distingue, dans l'esprit de Marx, de la politique bourgeoise en ce que la politique bourgeoise est Realpolitik du point de vue des succès matériels momentanés, tandis que la politique socialiste l'est du point de vue de la tendance historique du développement. C'est exactement la même différence qu'entre la théorie vulgaire de la valeur, qui considère la valeur comme un phénomène réel, du point de vue de l'état du marché, et la théorie de Marx, qui la conçoit comme un rapport social d'une époque historique déterminée.

Mais la Realpolitik prolétarienne est aussi révolutionnaire en ce que, par l’ensemble de ses aspirations partielles, elle dépasse le cadre de l'ordre existant dans lequel elle travaille, en ce qu'elle ne se considère consciemment que comme le stade préliminaire de l'acte qui la fera politique du prolétariat dominant et révolutionnaire. De cette façon, tout : la force morale avec laquelle nous surmontons les embûches, notre tactique dans la lutte jusque dans ses moindres détails, la critique que nous faisons de nos adversaires, notre agitation quotidienne qui nous fait gagner les masses, toute notre action jusqu'au bout des doigts, est imprégnée et éclairée par la doctrine que Marx a créée. Et si nous nous berçons ici et là de l'illusion que notre politique actuelle, avec toute sa puissance interne, est indépendante de la théorie de Marx, cela montre seulement que, dans notre pratique, Marx parle même là où nous ne le savons pas, comme le bourgeois de Molière faisait de la prose. Il suffit de se représenter la contribution de Marx pour comprendre que, par le bouleversement qu'il a provoqué dans le socialisme comme dans la politique ouvrière, il devait nécessairement faire de la société bourgeoise son ennemie mortelle. Pour les classes dirigeantes, il devenait clair que surmonter le mouvement ouvrier moderne signifiait surmonter Marx. Les vingt années qui se sont écoulées depuis la mort de Marx sont une série ininterrompue de tentatives visant à détruire théoriquement et pratiquement l'esprit de Marx dans le mouvement ouvrier. L'histoire du mouvement ouvrier se débat, depuis ses débuts, entre l'utopisme socialiste révolutionnaire et la Realpolitik bourgeoise. Le terrain historique du premier est la société pré-bourgeoise, entièrement ou à moitié absolutiste. La phase révolutionnaire-utopiste du socialisme en Europe occidentale s'achève dans l'ensemble avec le développement de la domination de classe bourgeoise, même si nous observons quelques rechutes jusqu'à l'époque la plus récente. L'autre danger — l'enlisement dans le patchwork de la Realpolitik bourgeoise — n'apparaît qu'avec le renforcement du mouvement ouvrier sur le terrain du parlementarisme. Du parlementarisme bourgeois, devait être aussi tirées des armes pour triompher, dans la pratique, de la politique révolutionnaire du prolétariat. L'union démocratique des classes et un réformisme de paix sociale devaient remplacer la lutte des classes.

Et qu'a-t-il été obtenu ? L'illusion a pu durer un moment ici ou là, mais l'inadaptation pour la classe ouvrière des méthodes bourgeoises de la Realpolitik a été très vite démontrée. Avec le fiasco du ministérialisme en France [7], la trahison du libéralisme en Belgique [8], l'effondrement du parlementarisme en Allemagne [9] — coup sur coup, le rêve éphémère du "développement tranquille" est tombé en morceaux. La loi de Marx sur l'exacerbation tendancielle des contradictions sociales comme base de la lutte des classes s’est révélée victorieusement, et chaque jour apporte son lot de signes et de miracles. En Hollande, 24 heures de grève des cheminots ont ouvert du jour au lendemain, comme un tremblement de terre, une brèche béante au cœur de la société, la lutte des classes en a jailli, et la Hollande est en feu. [10]

C'est ainsi que, d’un pays à l'autre, sous le "pas massif des bataillons ouvriers", le sol de la démocratie bourgeoise, de la légalité bourgeoise, se fissure comme une mince couche de glace. La classe ouvrière, encore et toujours, prend conscience que ses aspirations finales ne peuvent pas être réalisées sur ce sol. Voilà le résultat des nombreuses tentatives de dépassement "pratique" de Marx.

Des centaines d'apologistes ambitieux de la bourgeoisie ont fait du dépassement théorique du marxisme la tâche de leur vie, le tremplin de leur carrière. Qu'ont-ils obtenu ? Ils ont réussi à faire naître, dans les cercles de l'intelligentsia naïve, la conviction des "unilatéralités" et des "exagérations" de Marx. Mais même les plus sérieux parmi les idéologues bourgeois, comme Stammler [11], ont reconnu que "face à une doctrine aussi profonde", on ne pouvait rien obtenir avec "ces demi-mesures", avec "un peu plus ou un peu moins"". Mais qu'est-ce que la science bourgeoise peut opposer à la doctrine de Marx dans son ensemble ?

Depuis que Marx a fait valoir le point de vue historique de la classe ouvrière dans le domaine de la philosophie, de l'histoire et de l'économie, le fil de la recherche bourgeoise dans ces domaines est coupé. La philosophie de la nature au sens classique du terme est terminée. La philosophie bourgeoise de l'histoire est terminée. L'économie politique scientifique est terminée. Dans la recherche historique, là où ne règne pas un matérialisme inconscient ou inconséquent, toutes les théories unifiées ont fait place à un éclectisme chatoyant de toutes les couleurs, c'est-à-dire au renoncement à une explication uniforme du processus historique, c'est-à-dire à toute philosophie de l'histoire en général. L'économie oscille entre deux écoles, l'"historique" et la "subjective", dont l'une est une protestation contre l'autre, et toutes deux une protestation contre Marx, l'une niant par principe, pour nier Marx, la théorie économique, c'est-à-dire toute connaissance dans ce domaine, et l'autre niant la seule méthode de recherche — objective — ayant fait de l'économie politique une science.

Certes, la foire aux livres de sciences sociales continue d'apporter chaque mois des montagnes entières de témoignages du zèle bourgeois, et des professeurs modernes ambitieux lancent sur le marché les livres les plus volumineux avec une précipitation mécanique digne du grand-capital. Mais il s'agit soit, de monographies studieuses, où la recherche se plonge, comme l'autruche, la tête dans le sable des petits phénomènes épars, pour ne pas avoir à considérer de plus grandes perspectives et ne travailler que pour les besoins quotidiens, soit de simulations de pensées et de "théories sociales", qui ne sont jamais, en dernière analyse, qu’un reflet de la pensée de Marx, cachée sous des ornements de paillettes surchargés au goût d’une marchandise de bazar "moderne". On ne trouve nulle part un mouvement de pensée autonome, un regard audacieux vers le large, une déduction vivifiante.

Et si le progrès social a de nouveau posé une série de nouveaux problèmes scientifiques qui attendent encore d'être résolus, seule la méthode de Marx offre vraiment le moyen de les résoudre.

Ce n'est donc partout qu’une absence de théorie que la science sociale bourgeoise oppose à la théorie de Marx, et qu’un scepticisme envers la connaissance qu'elle oppose à la connaissance de Marx. La doctrine de Marx est un enfant de la science bourgeoise, mais la naissance de cet enfant a coûté la vie à sa mère.

Ainsi, en théorie comme en pratique, c'est précisément l'essor du mouvement ouvrier qui a arraché à la société bourgeoise les armes avec lesquelles elle voulait lutter contre le socialisme de Marx. Et aujourd'hui, vingt ans après la mort de Marx, elle est d'autant plus impuissante face à lui, mais Marx est plus vivant que jamais.

Bien sûr, il reste une consolation à la société actuelle. Tandis qu'elle s'efforce en vain de trouver un moyen de surmonter la doctrine de Marx, elle ne s'aperçoit pas que le seul véritable moyen de le faire se trouve dans cette doctrine elle-même. Celle-ci, historique de bout en bout, ne prétend qu'à une validité limitée dans le temps. Dialectique de bout en bout, elle porte en elle le germe certain de sa disparition.

La doctrine de Marx dans ses contours les plus généraux consiste, si nous faisons abstraction de sa partie impérissable, à savoir la méthode de recherche historique, dans la connaissance du chemin historique qui mène de la dernière forme de société "antagoniste", reposant sur des contradictions de classes, à la société communiste édifiée sur la solidarité des intérêts de tous ses membres.

Elle est avant tout, comme la théorie classique antérieure de l'économie politique, le reflet intellectuel d'une période déterminée de l'évolution économique et politique, à savoir le passage de la phase capitaliste à la phase socialiste de l'histoire. Mais elle est plus qu'un simple reflet. La transition historique identifiée par Marx ne peut en effet pas être réalisée sans que cette découverte de Marx devienne la connaissance d'une classe sociale déterminée, le prolétariat moderne. Le bouleversement historique formulé par la théorie de Marx a pour condition préalable que la théorie de Marx soit devenue la forme de conscience de la classe ouvrière et, en tant que telle, un facteur de l'histoire elle-même.

Ainsi, la doctrine de Marx se vérifie progressivement avec chaque nouveau prolétaire qui s'engage dans la lutte des classes. Elle est donc à la fois un élément du processus historique et un processus elle-même, et la révolution sociale sera le chapitre final du Manifeste communiste.

La doctrine de Marx, dans sa partie la plus dangereuse pour la société existante, sera donc tôt ou tard "dépassée". Mais seulement en même temps que cet ordre social existant.

Rosa Luxemburg

Notes

[1] Karl Marx, Thèses sur Feuerbach.

[2] La révolte des canuts lyonnais en 1831 fut le premier soulèvement politique indépendant de la classe ouvrière contre la bourgeoisie.

[3] "Ce n'est qu'alors que l'homme, dans un certain sens, quitte enfin le règne animal, sort des conditions d'existence animales pour entrer dans de véritables conditions humaines... C'est le saut de l'humanité du domaine de la nécessité au domaine de la liberté." (Friedrich Engels : Anti-Dühring)

[4] Dans la mythologie grecque, Ariane a donné un fil à Persée pour qu'il puisse trouver son chemin hors du labyrinthe.

[5] Chartistes : le premier mouvement politique ouvrier, qui a organisé la classe ouvrière britannique autour d'un programme de réforme politique radicale (la Charte du peuple) au cours des années 1830 et 1840. Après 1848, il subit un déclin. – Wilhelm Weitling : communiste utopiste allemand Wilhelm que Marx a salué comme le premier théoricien du prolétariat allemand.

[6] Karl Marx, Das Kapital, Volume I.

[7] Le 28 mai 1902, le gouvernement Waldeck-Rousseau, dans lequel le socialiste opportuniste Alexandre-Étienne Millerand était ministre du Commerce depuis 1899, dut démissionner.

[8] En avril 1902, malgré l'alliance avec le Parti travailliste dans la lutte pour le suffrage universel, la bourgeoisie libérale avait été ouvertement anti-ouvrière.

[9] C'est-à-dire la tendance croissante à ne pas discuter des questions politiques importantes au Reichstag jusqu'à ce que des marchandages en coulisses aient été organisés entre le gouvernement et les divers partis bourgeois.

[10] Une grève des dockers et des cheminots à Amsterdam et Rotterdam fin janvier 1903 incita le gouvernement à soumettre au Parlement des projets de loi contre le droit de grève. Il y eut de nombreuses protestations ouvrières contre ces projets de loi.

[11] Rudolf Stammler : philosophe qui a combattu le matérialisme historique à partir du néo-kantisme.