1904

— LUXEMBURG Rosa, Vive la lutte ! Correspondance 1891-1914, Textes réunis, traduits et annotés sous la direction de Georges HAUPT par Claudie WEILL, Irène PETIT, Gilbert BADIA, Editions François Maspero, Bibliothèque Socialiste nº31, Paris, 1975, p. 200-201.

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Rosa Luxemburg

Lettre à Paul Löbe

21 janvier 1904

 

A Paul Löbe ( ?) [1]

Cher camarade,

Grand merci pour votre sympathie, mais, en réalité, je ne prends l´affaire que du bon côté et m´étonne que tous mes amis prennent une telle vétille autant au sérieux ! N´oubliez pas que je viens d´un pays où on a l´habitude de mesurer les peines de prison en années et non pas en mois. J´arriverai à surmonter merveilleusement ces trois mois et je me réjouis déjà de la rare occasion de pouvoir lire tranquillement toute la journée. [2]

Votre demande en mariage à l´Association sociale [3] m´a beaucoup amusée. Donnez à l´occasion à monsieur le Pasteur l´assurance que Rosa Luxemburg souhaite tout aussi peu l´épouser qu´il ne le souhaite lui-même, même s´il était l´unique représentant de l´espèce « homme » sur terre.

Encore une petite affaire. S´il vous plaît, utilisez votre autorité de chef pour régler le service de correspondance de Poznanie pour la Volkswacht. Vous devez savoir qu´il règne à Posen un certain désordre et qu´il est par conséquent d´autant plus utile que le correspondant soit à peu près mûr politiquement et doué de tact. Le seul qui convienne est le secrétaire actuel du parti là-bas, le cam.[arade] Mletzko. A mon avis, il a en tant qu´expéditeur le droit de gagner quelques sous par des correspon.[dances] (son salaire est médiocre). Werner, en revanche, qui, pour autant que je sache, a été publié récemment dans la Volkswacht, est formellement suspect de relations avec la police, l´association électorale fait actuellement une enquête à ce propos ; sans compter qu´il s´est compromis en tant que fauteur de troubles, il est, par conséquent, tout à fait inadéquat. S´il vous plaît, décidez donc une fois pour toutes que c´est Mletzko qui doit écrire la corr.[espondance], car il est le seul sur qui on puisse compter.

Et enfin, mon cher, soyez prudent quand vous publiez des nouvelles de Pologne russe sur les hauts faits du PPS. C´est la plupart du temps de la poudre aux yeux passée en contrebande dans la presse du parti allemand pour la publicité des social-nationalistes.

Ce pauvre Bruhns a eu récemment des ennuis à la suite de ragots. En avez-vous entendu parler ?

Meilleures salutations à vous et à votre femme.

Rosa Luxemburg

Répondez à l´occasion en mon nom amicalement aux salutations du camarade Fröhlich.

Notes

[1] La mention du destinataire est absente de cette lettre. Le contenu nous suggère qu´elle était adressée à Paul Löbe qui faisait partie de la Société pour la réforme sociale et était rédacteur en chef de la Volkswacht. Nos hésitations dans l´attribution sont dues au fait que la lettre contient des éléments, par exemple l´allusion à Bruhns, qui nous ont fait d´abord penser qu´elle était adressée à Oskar Schütz.

[2] A ce propos, elle écrivait à Löbe le 3 août : « Ne m´en veuillez pas, mon ami, mais je ne peux vraiment pas. Je goûte ici la fraîcheur estivale pour prendre quelques forces avant mes vacances de trois mois, j´ai en outre beaucoup à faire, de sorte que je profite fort peu de mon “repos’. C´est pourquoi j´ai déjà refusé trois réu.[nions] à propos des Russes et que je suis partie. [ ... ] » ZStA, Postdam (lettre imcomplète).
Et à Bruhns, une quinzaine de jours après être sortie de prison :
« Ce n´est que maintenant que je parviens à vous remercier pour votre salut amical. Depuis que je suis de nouveau en liberté, je perds énormément de temps avec toute sorte de « maux nécessaires ». Je vous dirai donc en bref que j´ai supporté fort bien mes 9 semaines de prison et que j´ai beaucoup travaillé. La prison était tout à fait supportable, bien qu´agrémentée de toute une série de chicanes ridicules du règlement. » (ZN 8, p. 99-100.)

[3] Il s´agit de la Gesellschaft für soziale Reform fondée en 1901 comme section allemande de l´Association internationale pour la protection ouvrière et dont Werner Sombart était le président. On avait peut-être demandé à Rosa Luxemburg d´y adhérer, ce qui expliquerait la formule sur la demande en manage.