1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Polémiques autour de règles d'organisation

Le Conseil général au conseil fédéral de la Suisse romande


Dans sa séance extraordinaire du 1er janvier 1870, le Conseil général a résolu [1].

1 Nous lisons dans L'Egalité du 11 décembre 1869 : « Il est certain qu'il [le Conseil général] néglige des choses extrêmement importantes... Nous les [les obligations du Conseil général] lui rappelons avec l'article premier du règlement... : ‘Le Conseil général est obligé d'exécuter les résolutions du Congrès’... Nous aurions assez de questions à poser au Conseil général pour que ses réponses constituent un assez long bulletin. Elles viendront plus tard... En attendant... », etc.

Le Conseil général ne connaît pas d'article, ni dans les statuts, ni dans les règlements, qui l'oblige d'entrer en correspondance ou en polémique avec L'Égalité ou de faire des réponses aux « questions » des journaux.

Seul le conseil fédéral de la Suisse romande représente, face au Conseil général, les branches de la Suisse romande. Lorsque le conseil fédéral romand nous adressera des demandes ou des reproches par la seule voie légitime, à savoir par son secrétaire, le Conseil général sera toujours prêt à y répondre. Mais le conseil fédéral romand n'a le droit ni d'abdiquer ses fonctions dans les mains de L'Égalité et du Progrès, ni de laisser ces journaux usurper ses fonctions. D'une façon générale, la correspondance du Conseil général avec les comités nationaux et locaux ne pourrait pas être publiée sans porter grand préjudice à l'intérêt général de l'Association. Ainsi donc, si les autres organes de l'Internationale imitaient Le Progrès et L'Égalité, le Conseil général se trouverait placé devant l'alternative, ou de se discréditer devant le public en se taisant, ou de violer ses devoirs en répondant publiquement. Le Progrès, qui n'est pas envoyé au Conseil général, comme il devrait l'être d'après les résolutions trois fois réitérées des congrès généraux, a pris l'initiative de l'usurpation des fonctions du Conseil général.

L'Égalité se joint au Progrès pour inviter Le Travail [journal parisien qui jusqu'ici ne s'est pas déclaré organe de l'Internationale et qui n'est pas envoyé non plus au Conseil général] à exiger des explications au Conseil général. C'est presque une ligue du Bien public. En fait, il semble que les mêmes personnes qui, l'année passée, après une adhésion tardive, ont formé le projet dangereux de fonder au sein de l'Association internationale des travailleurs une autre association internationale, sous leur contrôle personnel et siégeant à Genève, aient repris leur projet, en croyant toujours à leur mission spéciale d'usurper la direction suprême de l'Association internationale.

Le Conseil général rappelle au conseil fédéral romand qu'il est responsable des journaux L'Égalité et Le Progrès [2].

2. En admettant que les questions posées par L'Égalité procèdent du conseil fédéral romand, nous allons y répondre à condition qu'à l'avenir de telles questions ne nous parviennent pas par cette voie.

3. La question du bulletin

Les résolutions du Congrès de Genève insérées dans les règlements prescrivent que les comités nationaux enverront au Conseil général des documents sur le mouvement prolétarien, et qu'ensuite le Conseil général publiera un bulletin dans les différentes langues aussi souvent que ses moyens le lui permettront.

L'obligation du Conseil général était donc liée à des conditions qui n'ont jamais été remplies. Même l'enquête statistique, ordonnée par les statuts, décidée par les congrès généraux consécutifs, annuellement demandée par le Conseil général, n'a jamais été faite. Aucun document n'a jamais été remis au Conseil général. Quant aux moyens, le Conseil général aurait depuis longtemps cessé d'exister sans les contributions « régionales » de l'Angleterre et sans les sacrifices personnels de ses membres.

Ainsi le règlement, passé au Congrès de Genève, est resté lettre morte, et traité comme tel par le Congrès de Bâle.

Quant au Congrès de Bâle, il n'a pas discuté l'exécution de ce règlement existant, il a discuté l'opportunité d'un bulletin à faire, et il n'a pris aucune résolution (voir le rapport allemand, imprimé à Bâle sous les yeux du congrès).

Au demeurant, le Conseil général pense que le but primitif du bulletin est en ce moment parfaitement rempli par les différents organes de l'Internationale publiés dans les différentes langues et s'échangeant entre eux. Il serait absurde de faire par des bulletins coûteux ce qui se fait déjà sans frais. De l'autre côté, un bulletin qui publierait ce qui ne se dit pas dans les organes de l'Internationale ne servirait qu'à admettre nos ennemis dans les coulisses.

4. Question de la séparation du Conseil général d'avec le conseil régional pour l'Angleterre

Longtemps avant la fondation de L'Egalité, cette proposition se faisait périodiquement au sein même du Conseil général par un ou deux membres anglais. Elle a toujours été rejetée presque unanimement.

Quoique l'initiative révolutionnaire partira probablement de la France [3], l'Angleterre seule peut servir de levier à une révolution sérieusement économique. En effet, c'est le seul pays où il n'y ait plus de grandes masses paysannes et où la propriété foncière soit concentrée en peu de mains. C'est le seul pays où la forme capitaliste, c'est-à-dire le travail combiné à une grande échelle sous la domination de capitalistes, se soit emparée de presque toute la production. C'est le seul pays où la grande majorité de la population consiste en ouvriers salariés. C'est le seul pays où la lutte de classes et l'organisation de la classe ouvrière par le moyen des syndicats aient acquis un certain degré de maturité et d'universalité.

À cause de sa domination sur le marché mondial, c'est le seul pays où chaque révolution dans les faits économiques doive réagir immédiatement sur le reste du monde. Si le landlordisme et le capitalisme ont leur siège classique dans ce pays, par contrecoup, les conditions matérielles de leur destruction y sont aussi les plus mûres.

Le Conseil général étant placé dans la position heureuse d'avoir la main directement sur ce grand levier de la révolution prolétaire, quelle folie, pour ne pas dire quel crime: que de le laisser tomber dans des mains purement anglaises  [4] !

Les Anglais ont toute la matière nécessaire à la révolution sociale. Ce qui leur manque, c'est l'esprit généralisateur et la passion révolutionnaire. C'est seulement le Conseil général qui peut y suppléer et accélérer ainsi le mouvement vraiment révolutionnaire dans ce pays, et en conséquence partout.

Les grands effets que nous avons déjà produits dans ce sens sont attestés jusque par les journaux les plus intelligents et les mieux accrédités auprès des classes dominantes, comme par exemple la Pall Mall Gazette, la Saturday Review, le Spectator et la Fortnightly Review, pour ne pas parler des membres, prétendument radicaux, de la Chambre des communes et de celle des lords qui, il y a peu de temps, exerçaient encore une grande influence sur ceux qui dirigent les ouvriers anglais. Ne nous accusent-ils pas publiquement d'avoir empoisonné et presque éteint l'esprit anglais de la classe ouvrière, et de l'avoir poussée dans la voie du socialisme révolutionnaire ?

La seule manière de produire ce changement est d'agir comme l'a fait le Conseil général de l'Association internationale. En tant que Conseil général, nous pouvons prendre l'initiative de mesures (par exemple, la Land and Labour League [5]) qui, plus tard, aux yeux du public, se produisent dans l'exécution devant le public comme des mouvements spontanés de la classe ouvrière anglaise.

Si un conseil régional était formé en dehors du Conseil général, quels en seraient les effets immédiats ?

Placé entre le Conseil général de l'Internationale et celui des syndicats, le conseil régional n'aurait aucune autorité. En outre, le Conseil général de l'Internationale perdrait le maniement du grand levier. Si à notre action sérieuse et souterraine nous voulions substituer l'éclat des tréteaux, nous serions amenés à commettre la faute de répondre publiquement à la question de L'Égalité : pourquoi le Conseil général « subit ce cumul si fâcheux de fonctions » ?

L'Angleterre ne doit pas être traitée comme un pays parmi d'autres pays. Elle doit être considérée comme la métropole du capital  [6]

Au reste, les doctrines plus que naïves de L'Égalité et du Progrès sur la liaison ou plutôt l'absence de liaison entre le mouvement social et le mouvement politique n'ont jamais, à ce que nous sachions, été reconnues par aucun de nos congrès internationaux. Elles sont contraires à nos statuts, dans lesquels on lit : « Que par conséquent l'émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen. » Ces mots « comme moyen » ont été supprimés dans la traduction française, faite en 1864 par le comité de Paris [7]. Interpellé par le Conseil général, le comité de Paris s'excusa en invoquant les difficultés de sa situation politique. Il existe encore d'autres mutilations du texte authentique. Le premier considérant de nos statuts est ainsi conçu : « La lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière n'est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l'établissement des droits et des devoirs égaux, et pour l'abolition de toute domination de classe  [8]. »

La traduction parisienne reproduit les « droits et devoirs égaux », c'est-à-dire la phrase générale qui se trouve à peu près dans tous les manifestes démocratiques depuis un siècle et qui a un sens différent dans la bouche des différentes classes, mais elle supprime la chose concrète : « l'abolition de toute domination de classe ».

Encore dans le deuxième considérant de nos statuts, on lit : « Que l'assujettissement économique du travailleur aux détenteurs des moyens de travail, c'est-à-dire des sources de la vie », etc., alors que la traduction parisienne met « capital » au lieu des « moyens du travail, c'est-à-dire des sources de la vie », expression qui inclut la terre aussi bien que les autres moyens du travail.

Au reste, le texte primitif et authentique a été restauré dans la traduction française, publiée à Bruxelles par la Rive gauche (1866) et imprimée comme pamphlet.

5. La question Liebknecht-Schweitzer

L'Egalité écrit que « ces deux groupes font partie de l'Internationale ». Or, c'est faux. Le groupe d'Eisenach (que Le Progrès et L'Egalité veulent ainsi transformer en groupe du citoyen Liebknecht) appartient à l'Internationale. Le groupe de Schweitzer n'y appartient pas. Dans son journal (le Sozial-demokrat), Schweitzer lui-même a longuement expliqué pourquoi l'organisation lassallienne ne pourrait se fondre dans l'Internationale sans se détruire elle-même ‑ sans le savoir il a dit la vérité [9]. En effet, son organisation de secte est artificielle, et elle s'oppose à l'organisation historique et spontanée de la classe ouvrière.

Le Progrès et L'Egalité ont sommé le Conseil général de donner publiquement son « avis » sur les différends personnels de Liebknecht et Schweitzer [10]. Comme le citoyen Johann Philipp Becker (que le journal de Schweitzer calomnie aussi bien que Liebknecht) est membre du comité de rédaction de L'Egalité, il paraît vraiment étrange que ses éditeurs ne soient pas mieux informés des faits. Ils devraient savoir que Liebknecht, dans le Demokratisches Wochenblatt, a publiquement invité Schweitzer à prendre le Conseil général pour arbitre dans leurs différends, et que Schweitzer a non moins publiquement refusé de reconnaître l'autorité du Conseil général [11].

Pour sa part, le Conseil général n'a rien négligé pour mettre fin à ce scandale, qui fait honte au parti prolétarien en Allemagne [12]. Il a chargé son secrétaire pour l'Allemagne d'entrer en correspondance avec Schweitzer, ce qui a été fait pendant deux années. Cependant, toutes les tentatives du Conseil ont échoué du fait de la résolution bien prise de Schweitzer de conserver à tout prix son pouvoir autocrate en même temps que son organisation de secte.

C'est au Conseil général de déterminer le moment favorable pour intervenir publiquement dans cette querelle de manière plus utile que nuisible.

6. Comme les accusations de L'Egalité sont publiques, et pourraient être considérées comme émanant du comité romand de Genève, le Conseil général communiquera cette réponse à tous les comités correspondant avec lui.

Par ordre du Conseil général [13].


Les comités français (bien que Bakounine intrigue beaucoup à Lyon et à Marseille, et qu'il a gagné quelques jeunes têtes chaudes), de même que le conseil général belge (Bruxelles), se sont déclarés en accord complet avec cette résolution du Conseil général.

La copie pour Genève a subi un léger retard (parce que le secrétaire pour la Suisse, Jung, était très occupé). Elle se croisa donc avec une lettre officielle, envoyée au Conseil général par Perret, le secrétaire du comité central romand de Genève.

En fait, la crise avait éclaté à Genève avant l'arrivée de notre lettre. Certains rédacteurs de L'Egalité s'étaient opposés à l'orientation dictée par Bakounine. Celui-ci et ses partisans (dont six rédacteurs de L'Egalité) voulaient forcer le comité central de Genève à renvoyer les récalcitrants. En revanche, le comité de Genève en avait assez depuis longtemps du despotisme de Bakounine, et à contrecœur se voyait entraîné par lui dans un conflit avec les autres comités allemands de Suisse, le Conseil général, etc. L'effet en fut donc inverse sur les rédacteurs de L'Egalité qui virent Bakounine d'un mauvais oeil. Les six partisans de Bakounine donnèrent donc leur congé, en croyant ainsi arrêter le journal.

En réponse à notre missive, le comité central de Genève déclara que les attaques de L'Egalité avaient eu lieu contre sa volonté, qu'il n'avait jamais souscrit à la politique qu'on y avait prêchée, que le journal était maintenant rédigé sous le strict contrôle du comité, etc.

Sur ces entrefaites, Bakounine quitta Genève pour se retirer dans le Tessin. En ce qui concerne la Suisse, il ne tient plus en main que Le Progrès (Locle).

Peu après, Herzen mourut. Bakounine, qui, au temps où il voulait prétendre être le guide du mouvement ouvrier européen, avait renié son vieil ami et patron Herzen, emboucha aussitôt après sa mort la trompette pour sa plus grande gloire. Pourquoi ? Parce que, malgré sa fortune personnelle, Herzen se faisait envoyer chaque année 25 000 francs pour la propagande par le parti panslaviste de Russie avec lequel il était lié [14]. En chantant sa gloire, Bakounine a orienté ces fonds vers lui et, ce faisant, a repris « l'héritage de Herzen » ‑ malgré sa haine de l'héritage, du point de vue pécuniaire et moral ‑ sans bénéfice d'inventaire.

En même temps, une jeune colonie de réfugiés russes s'est établie à Genève, et elle se compose d'étudiants en fuite qui sont vraiment honnêtes et le prouvent, en adoptant dans leur programme la lutte contre le panslavisme comme point essentiel de leur programme.

Ils publient à Genève un journal, La Voix du peuple.

Il y a environ quinze jours, ils se sont adressés à Londres, lui ont envoyé leurs statuts et leur programme, et ont demandé au Conseil général de confirmer la création d'une branche russe.

Dans une lettre privée, ils ont prié Marx de les représenter provisoirement au Conseil central, et cette demande fut acceptée. Ils ont également annoncé ‑ et semblaient vouloir s'en excuser auprès de Marx ‑ qu'ils devraient bientôt arracher publiquement le masque à Bakounine, celui-ci parlant deux langages tout à fait différents, l'un pour la Russie, l'autre pour l'Europe.

De la sorte, ce très dangereux intrigant aura bientôt fini de jouer son jeu ‑ du moins sur le terrain de l'Internationale.


Notes

[1] Le 1° janvier 1870 Marx rédigea cette circulaire en réponse à la campagne de dénigrement menée contre le Conseil général par Bakounine et ses partisans en novembre 1869. Comme Marx l'a précisé dans le préambule à cette circulaire, Bakounine, après avoir échoué dans sa tentative de faire transférer le Conseil général à Genève, changea de tactique et attaqua directement le Conseil général, après que ses partisans eurent mis la main sur l'hebdomadaire L'Égalité. Dès le 6 novembre, un éditorial y accusait le Conseil général d'avoir violé un article des statuts prévoyant la publication d'un bulletin d'informations sur la situation des ouvriers dans les différents pays. Le 13 novembre, un second éditorial proposait la création en Angleterre d'un conseil fédéral distinct du Conseil général. Dans sa réponse, Marx en profitera pour exprimer de manière inégalable le principe prolétarien de la centralisation du parti de classe. Un autre éditorial prôna ensuite l'abstention en matière politique et publia une traduction française erronée des statuts. Enfin, un éditorial critiqua violemment la position du Conseil général relative à la résolution en faveur de l'amnistie irlandaise.
Le Conseil général évoque pour la première fois les attaques de L'Égalité et du Progrès dans sa séance du 14 décembre. Le texte ci-dessus de Marx fut adopté le 1° janvier 1870 et envoyé aux différentes sections de l'Internationale.
Mais, avant même l'arrivée de cette circulaire, 1e conseil fédéral romand mena une vive lutte contre les bakouninistes, et réussit à chasser les alliancistes (Robin, Perron, etc.) de la rédaction de L'Égalité.

[2] Dans sa lettre à Engels 17 décembre 1869 Marx explique sa position dans cette affaire : « Ce gaillard [Bakounine] dispose maintenant de quatre organes de l'Internationale : L'Egalité et Le Progrès à Locle, Federacion à Barcelone et l'Eguaglianza à Naples. Il cherche à prendre pied en Allemagne, en s'alliant avec Schweitzer, et à Paris en flagornant le journal Le Travail. Il croit que le moment est venu d'ouvrir une polémique publique avec nous. Il se donne pour le gardien du vrai prolétarianisme. Mais des surprises l'attendent. La semaine prochaine (heureusement que le Conseil central s'est ajourné jusqu'à mardi, de sorte que nous pourrons agir librement au sous-comité sans la brave intervention des Anglais), nous enverrons un avertissement au conseil fédéral romand à Genève, et comme ces messieurs (dont au demeurant la plus grande partie est sans doute contre Bakounine) savent que nous pouvons le cas échéant les suspendre conformément aux résolutions du dernier congrès, ils y réfléchiront à deux fois.
« Le point essentiel de notre missive sera : la seule représentation des branches romandes en Suisse est pour nous le comité fédéral. Celui-ci doit nous faire parvenir ses demandes et réprimandes en privé par son secrétaire Perret...
« En ce qui concerne les criailleries des cosaques (Bakounine et ses partisans), voici ce qui en est : le Congrès de Bruxelles avait décidé que nous fassions publier des bulletins sur les grèves, etc., dans les diverses langues ‘aussi souvent que ses moyens [du Conseil général] le permettront’. Mais à condition que, pour notre part, nous recevions des comptes rendus, documents, etc., des comités fédéraux au moins tous les trois mois. Comme nous n'avons reçu ni les informations ni les moyens de publier ces comptes rendus, cette résolution est naturellement restée lettre morte. En fait, la création des nombreux journaux internationaux qui procèdent à des échanges (Bee-Hive enregistrant les grèves anglaises, etc.) a rendu ce projet superflu.
« La question fut de nouveau présentée au Congrès de Bâle. Celui-ci traite les décisions sur le bulletin comme non existantes. Sinon, il aurait dû charger simplement le Conseil central de les exécuter (ce qui de nouveau eût été lettre morte sans les moyens d'exécution matériels). Il s'agissait d'un bulletin dans un autre sens (non pas un résumé des grèves, etc., mais des réflexions générales sur le mouvement). Cependant, le congrès ne vota pas le projet. »

[3] Lorsqu'il s'agit du phénomène révolutionnaire, Marx distingue fondamentalement, en théorie comme en pratique, entre l'élément politique et l'élément économique. À tous les niveaux, géographique, historique, organisationnel, cette distinction est essentielle. Dans les statuts de l'Internationale, Marx proclamait que « l'émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ». C'est effectivement par le moyen politique ‑ pouvoir politique ‑ que le prolétariat peut transformer le mode de production capitaliste en socialiste. C'est toujours dans les pays les moins développés ‑ France du siècle dernier, puis Russie, Chine, etc. ‑ que se trouve le maillon le plus faible du système mondial capitaliste et qu'éclate en premier la révolution politique qui se propage ensuite dans les pays économiquement plus développés du point de vue de la production capitaliste.

[4] Le parti de classe ‑ dirigé par le Conseil général de Marx ‑ a pour tâche principale de pénétrer, d'organiser et de diriger les syndicats, qui sont les moyens ultérieurs de la transformation économique socialiste, sans limiter son action aux frontières de telle nation, ni à telle ou telle branche d'activité particulière. Conscient du développement social et international, il développe son action sur le plan international en se basant économiquement sur les centres industriels les plus développés et politiquement sur les conditions de tous les autres pays peu développés, ce qui exige précisément une centralisation stricte et rigoureuse du parti de classe. Ainsi, aux yeux de Marx, la direction de l'action révolutionnaire ne sera pas le privilège du prolétariat ou du parti de la nation économiquement la plus avancée ‑ l'Angleterre du siècle dernier ‑, mais sera confiée à la direction de l'Internationale qui, seule„ peut défendre efficacement les intérêts généraux du mouvement révolutionnaire dans son ensemble en unifiant toutes ses luttes en un développement cohérent, de façon qu'elles aient un objectif et une méthode communs, grâce à quoi seulement on peut parler d'une classe, par-delà les situations locales, les diverses catégories professionnelles, les frontières et les races.

[5] La Ligue de la terre et du travail fut fondée en octobre 1869 à Londres grâce à l'action du Conseil général. Le comité exécutif de la Ligue comprenait plus de dix membres du Conseil général. Eccarius en élabora le programme d'après les directives de Marx outre les revendications de caractère général (réforme de l'impôt et de la finance, questions d'éducation, etc.), la Ligue réclamait la nationalisation de la terre, la réduction du temps de travail, ainsi que l'instauration du suffrage universel et la formation de colonies agricoles.
En reprenant en quelque sorte les revendications chartistes, Marx espérait contribuer à une prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière anglaise en assurant la continuité de son mouvement. En ce sens, la Ligue devait ouvrir la voie à un parti prolétarien en Angleterre. Cependant l'influence des éléments bourgeois y prévalut dès l'automne 1870, et la Ligue finit par perdre toute attache avec l'Internationale.

[6] Nous ne reproduisons pas ici le texte de la résolution du Conseil général à propos de l'amnistie irlandaise. Cette question est abordée dans la suite du recueil. En revanche, nous relevons ici la remarque supprimée dans le texte officiel, publié par l’organe du Conseil général, le Bee-Hive. Marx y fait état des difficultés auxquelles le Conseil général s'est heurté dans cette question vitale pour la classe ouvrière et la révolution internationale :
« On peut juger des difficultés et même des dangers personnels que le Conseil général encourt au fait que le Bee-Hive a supprimé nos résolutions dans le compte rendu qu'il faisait de nos séances et, qui plus est, a passé complètement sous silence le fait que le Conseil général se préoccupait de la question irlandaise. En conséquence, le Conseil général a été forcé de faire imprimer ses résolutions afin de les envoyer séparément à chaque société ouvrière et syndicat. Libre maintenant aux oracles de L'Égalité d'affirmer qu'il s'agit là d'un ‘mouvement politique local’ qu'elle veut bien permettre à un conseil régional de s'occuper de pareilles bagatelles et qu'il n'est pas nécessaire d' ‘améliorer les gouvernements existants’. Elle aurait pu dire avec le même droit que nous avions l'intention d' ‘améliorer’ le gouvernement belge, lorsque nous avons dénoncé les massacres d'ouvriers auxquels il a procédé. »

[7] Le texte parisien de 1864 du préambule et des statuts provisoires est reproduit dans La I° Internationale, recueil de documents, Librairie E. Droz, t. I, p. 10-12. On trouvera le texte de la traduction Longuet (1866) p. 13-15.

[8] Le texte parisien en donne la version suivante : « Les efforts des travailleurs pour conquérir leur émancipation ne doivent pas tendre à constituer de nouveaux privilèges, mais à établir pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs. »

[9] Alors que Schweitzer pensait que si son organisation entrait dans l'Internationale, la police prussienne la dissoudrait, Marx pensait que dans ce cas elle cesserait d'exister comme secte indépendante du mouvement ouvrier véritable.

[10] Marx reprochait à Liebknecht d'utiliser l'Internationale et le Conseil général quand cela l'arrangeait dans ses manœuvres (par exemple, pour « excommunier » certains lassalléens) et de ne pas en parler (par exemple, lorsqu'il s'alliait avec d'autres lassalléens qualifiés de bons par lui). Et Marx de condamner dans une formule tranchante tous les pieux mensonges qui font que le « parti » a toujours raison, quoi qu'il fasse, même s'il se contredit d'un jour à l'autre : « Le bonhomme pense que des mensonges officiels, comme ceux sur les prétendues décisions du Conseil général, sont, dans sa bouche, autorisés, mais, dans la bouche de Schweitzer, tout à fait inadmissibles. Et pourquoi donc s'est-il réconcilié à Lausanne avec ce monstre de Schweitzer ? » (Cf. Marx à Engels 24-7-1869.)

[11] Schweitzer avait publié ce refus dans le Sozial-demokrat du 24 février 1869.

[12] Ce dernier membre de phrase a été ajouté à l'exemplaire envoyé à Hermann Jung.

[13] La circulaire du 1er janvier 1870 incorporée à la communication confidentielle s'arrête à ce point.

[14] Le 13 mars 1870, J. P. Becker avait informé Marx que le propriétaire foncier russe P. A. Bachmetchev avait fait parvenir à Herzen des fonds pour des buts de propagande en 1858.


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