1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Questions d'organisation

Luttes de tendances et dissolution de l'Internationale


Sur l'action politique de la classe ouvrière

Il est absolument impossible de s'abstenir des affaires politiques [1]. Même les journaux qui ne font pas de politique ne manquent pas, à l'occasion, d'attaquer le gouvernement, et se mêlent donc de politique. La seule chose dont il s'agit, c'est de savoir quelle politique on pratique et avec quels moyens ? Au demeurant, pour nous, l'abstention est impossible. Le parti ouvrier existe déjà comme parti politique dans la plupart des pays. Ce n'est certes pas à nous de le ruiner en prêchant l'abstention. La pratique de la vie réelle et l'oppression politique que les gouvernements en glace font subir aux ouvriers   à des fins politiques, aussi bien que sociales   contraignent les ouvriers à faire de la politique, qu'ils le veuillent ou non. Leur prêcher l'abstention en matière politique reviendrait à les pousser dans les bras de la politique bourgeoise. Plus que jamais après la Commune de Paris, qui a mis à l'ordre du jour l'action politique du prolétariat, l'abstention politique est tout à fait impossible.

Nous voulons abolir les classes. Par quel moyen y parviendrons-nous ? Par la domination politique du prolétariat. Or, maintenant que tout le monde est d'accord sur ce point, on nous demande de ne pas nous mêler de politique ! Tous les abstentionnistes se nomment des révolutionnaires, et même des révolutionnaires par excellence. Mais la révolution n'est-elle pas l'acte suprême en matière politique? Or, qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens   l'action politique qui prépare la révolution, éduque l'ouvrier et, sans elle, le prolétariat sera toujours frustré et dupé le lendemain de la bataille par les Favre et Pyat.

Cependant, la politique qu'il faut faire doit être celle du prolétariat : le parti ouvrier ne doit pas être la queue de quelque parti bourgeois que ce soit, mais doit toujours se constituer en parti autonome, ayant sa propre politique et poursuivant son propre but.

Les libertés politiques, le droit de réunion et d'association, la liberté de la presse   telles sont nos armes. Et nous devrions accepter de limiter cet armement en faisant de l'abstention, au moment même où on essaie de nous en priver ?

On prétend que toute action politique signifie reconnaître l'ordre existant. Or, si ce qui existe nous donne les moyens pour protester contre l'état existant, dès lors l'utilisation de ces moyens n'est pas une reconnaissance de l'ordre établi.

 

Dans la plupart des pays, certains membres de l'Internationale, en invoquant la déclaration tronquée des statuts votés au Congrès de Genève, ont fait de la propagande en faveur de l'abstention dans les affaires politiques, propagande que les gouvernements se sont bien gardés d'enrayer [2].

En Allemagne, von Schweitzer et consorts, à la solde de Bismarck, ont essayé de raccrocher l'activité de nos sections au char de la politique gouvernementale.

En France, cette abstention coupable a permis aux Favre, Trochu, Picard et autres de s'emparer du pouvoir le 4 septembre. Le 18 mars, cette même abstention permit à un comité dictatorial   le Comité central  , composé en majeure partie de bonapartistes et d'intrigants, de s'établir à Paris et de perdre sciemment, dans l'inaction, les premiers jours de la révolution, alors qu'il aurait dû les consacrer à son affermissement. En France le mouvement [de la Commune] a échoué, parce qu'il n'avait pas été assez préparé.

En Amérique, un congrès, tenu récemment et composé d'ouvriers, a décidé de s'engager dans les affaires politiques et de substituer aux politiciens de métier des ouvriers comme eux, chargés de défendre les intérêts de leur classe.

Certes, il faut faire de la politique en tenant compte des conditions de chaque pays. En Angleterre, par exemple, il n'est pas facile à un ouvrier d'entrer au Parlement. Les parlementaires ne recevant aucun subside et l'ouvrier n'ayant que les ressources de son travail pour vivre, le Parlement lui est inaccessible. Or, la bourgeoisie qui refuse obstinément une indemnité aux membres du Parlement sait parfaitement que c'est le moyen d'empêcher la classe ouvrière d'y être représentée.

Il ne faut pas croire que ce soit d'une mince importance d'avoir des ouvriers dans les parlements. Si l'on étouffe leur voix, comme c'est le cas pour De Potter et Castiau, ou si on les expulse comme Manuel, l'effet de ces rigueurs et de cette intolérance est profond sur les masses. Si, au contraire, comme Bebel et Liebknecht, ils peuvent parler de cette tribune, c'est le monde entier qui les entend. D'une manière comme d'une autre, c'est une grande publicité pour nos principes.

 

Lorsque Bebel et Liebknecht ont entrepris de s'opposer à la guerre qui se livrait contre la France, leur lutte pour dégager toute responsabilité de la classe ouvrière dans tout ce qui se passait a secoué toute l'Allemagne; Munich même, cette ville où l'on n'a jamais fait de révolution que pour des questions de prix de la bière, se livra à de grandes manifestations pour réclamer la fin de la guerre.

Les gouvernements nous sont hostiles. Il faut leur répondre avec tous les moyens que nous avons à notre disposition. Envoyer des ouvriers dans les parlements équivaut à une victoire sur les gouvernements, mais il faut choisir les hommes, et ne pas prendre un Tolain.

 

Les gens qui propageaient dans le temps la doctrine de l'abstention étaient de bonne foi, mais ceux qui reprennent le même chemin aujourd'hui ne le sont pas [3]. Ils rejettent la politique après qu'a eu lieu une lutte violente (Commune de Paris), et poussent le peuple à une opposition bourgeoise toute formelle, ce contre quoi nous devons lutter en même temps que contre les gouvernements. Nous devons démasquer Gambetta, afin que le peuple ne soit pas, une fois de plus, abusé. Nous devons mener une action non seulement contre les gouvernements, mais encore contre l'opposition bourgeoise qui n'est pas encore arrivée au gouvernement.

Comme le propose Vaillant, il faut que nous jetions un défi à tous les gouvernements, partout, même en Suisse, en réponse aux persécutions contre l'Internationale. La réaction existe sur tout le continent; elle est générale et permanente, même aux États-Unis, voire en Angleterre, sous une autre forme.

Nous devons déclarer aux gouvernements : nous savons que vous êtes la force armée contre les prolétaires. Nous agirons pacifiquement contre vous là où cela nous sera possible, et par les armes quand cela sera nécessaire.


Notes

[1] Cf. Engels, compte rendu, rédigé par l'auteur lui-même, de son intervention à la séance du 21 septembre 1871 à la Conférence de Londres de l'A.I.T. Extrait de Werke, 17, p. 416-417.

[2] Cf. Marx, notes pour l'intervention à la séance du 20 septembre 1871 de la Conférence de Londres de l'A.I.T. Voir Werke, 17, p. 650-651.

[3] Cf. Marx, compte rendu de l'intervention à la séance du 21 septembre 1871 de la Conférence de Londres de l'A.I. T. Voir Werke, 17, p. 652.


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