1842

Source. Marx : du "vol de bois" à la critique du droit
Edition critique de « Débats sur la loi relative au vol de bois » ; « Justification du correspondant de la Moselle »
de Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, collection philosophie d'aujourd'hui, Presses Universitaires de France, Paris 1984

K. Marx

 

Débats sur la loi
relative au vol de bois

1842

Rheinische Zeitung, n° 298,
25 octobre 1842. Supplément.

Les délibérations de la VIe Diète rhénane par un Rhénan
Troisième article [1]

Débats sur la loi relative au vol de bois

Nous avons relaté jusqu'ici deux affaires d'Etat majeures de la Diète, son trouble par rapport à la liberté de la presse et sa non-liberté par rapport à ce trouble. Nous jouons maintenant sur un terrain bien dégagé. Avant de passer à la question terrestre à proprement parler et de l'aborder dans sa dimension réelle, la question de la parcellisation de la propriété foncière, offrons à notre lecteur quelques scènes de genre qui refléteront, de maintes façons, l'esprit et, soyons plus précis encore, le naturel physique de la Diète.

Certes, la loi sur le vol de bois, comme la loi sur les méfaits [2] de chasse, les méfaits forestiers et agricoles, mériterait d'être discutée non seulement par rapport à la Diète, mais tout autant par rapport à elle-même. Toutefois, nous n'avons pas sous les yeux le texte de la proposition de loi [3]. Notre documen­tation se limite à des ébauches d'amendements de la Diète et de sa commis­sion, à des lois qui ne figurent qu'en tant que numéros d'articles. Quant aux délibérations de la Diète, leur publication est si étriquée, si éparpillée et si apocryphe qu'elle ressemble à une mystification. S'il nous est permis d'en juger d'après les bribes actuelles, la Diète a voulu, par son silence passif, rendre honneur à notre Province.

Un fait, caractérisant ces débats, saute tout de suite aux yeux. La Diète se situe aux côtés de l'Etat législateur en tant que législateur complémentaire. Il sera du plus haut intérêt de présenter les qualités législatives de la Diète par un exemple.

Partant de ce point de vue, le lecteur nous pardonnera d'abuser de sa patience et de sa persévérance, deux vertus dont nous devons constam­ment user dans l'étude de ce sujet stérile. En présentant les débats de la Diète concernant la loi sur le vol, nous présentons du même coup les débats de la Diète relatifs à sa vocation législative.

Dès l'ouverture des débats, un député des villes s'oppose à l'intitulé de la loi qui étend la catégorie « vol » aux simples délits forestiers.

Un député de la classe des propriétaires de terres nobles réplique que « c'est justement parce que l'on ne retient pas comme vol le fait de dérober du bois que cela arrive si souvent ».

Le même législateur, d'après cette analogie, devrait conclure : c'est parce que l'on ne considère pas un soufflet comme un meurtre que les soufflets sont si fréquents. Que l'on décrète alors qu'un soufflet est un meurtre.

Un autre député de la classe des propriétaires de terres nobles estime « encore plus préoccupant de ne pas prononcer le mot "vol", car les gens qui apprendraient qu'il y a eu discussion autour de ce mot pourraient facile­ment être amenés à croire que, même aux yeux de la Diète, dérober du bois n'est pas "voler" ».

Il appartient à la Diète de décider si elle considère un méfait forestier comme un vol ; mais si la Diète ne déclarait pas le méfait forestier comme vol, les gens pourraient croire que la Diète estime réellement qu'il n'en est pas un. Mieux vaut, par conséquent, en rester là de la question piégée de cette contro­verse. Il s'agit d'un euphémisme et il faut éviter les euphémismes. Les murs ayant des oreilles, le propriétaire de forêts ne donne pas la parole au législateur.

Le même député va plus loin encore. Il exprime sa préoccupation de voir l'assemblée plénière s'attarder, par cette recherche autour du terme « vol », à de l'amélioration rédactionnelle.

Après ces démonstrations limpides, la Diète vota l'intitulé de la loi.

Selon le point de vue qui vient d'être préconisé et qui tient la transforma­tion d'un citoyen en un voleur pour une pure négligence rédactionnelle, et rejette toute opposition comme purisme grammatical, il va de soi que dérober des ramilles ou ramasser des branchages morts se trouve subsumé aussi dans la rubrique vol et puni en conséquence, au même titre que dérober du bois vert sur pied.

Le même député des villes remarque, il est vrai : « Puisque la peine peut aller jusqu'à un long emprisonnement, une telle sévérité conduirait donc directement sur la voie du crime des gens, qui seraient, sinon, encore sur le bon chemin, et ceci parce qu'ils se retrouveraient, aussi, en prison, mêlés à des voleurs invétérés. Par conséquent, il conviendrait de pénaliser d'une simple peine de police le fait de ramasser ou dérober des fagots. » Mais un autre député des villes lui rétorque, par un subtil argument, que « dans les bois de sa région, il est fréquent que de jeunes arbres soient simplement entaillés dans un premier temps puis, une fois détruits, ultérieurement traités comme ramilles ».

Impossible d'aliéner, de façon plus élégante et plus simple, le droit des hommes à celui des jeunes arbres. L'adoption de ce paragraphe conduit d'une part à arracher de l'arbre vert de la morale concrète [4] toute une masse d'hommes sans intention criminelle et de les livrer, comme des ramilles, à l'enfer du crime, de l'infamie et de la misère. D'un autre côté, si l'on rejette ce paragraphe, subsiste pour quelques jeunes arbres le risque de mauvais traitements, ce qui se passe de commentaires ! Les idoles de bois l'emportent et l'on immole les victimes humaines !

L'Ordre de la cour criminelle du XVIe siècle [5] ne classe, parmi les vols de bois, que la soustraction de bois coupé et l'abattage illicite. Et notre Diète ne le croira pas : « Si quelqu'un soustrait en plein jour des fruits qu'il mange sur-le-champ, mais ne cause de ce fait aucun préjudice important, il sera puni civilement (et non pénalement) selon les circonstances personnelles et matérielles. » L'Ordre de la cour criminelle du XVIe siècle nous invite à défendre cet ordre contre une Diète rhénane du XIXe siècle qui lui reproche une trop grande humanité et nous suivons cette invitation.

Ramassage de ramilles et vol de bois avec préméditation ! Deux actes qui se laissent définir de la même façon : l'appropriation de bois étranger. Il y a donc vol dans les deux cas. Voilà à quoi se résume la logique souveraine qui vient de légiférer.

C'est pourquoi nous soulignerons d'abord la différence et, si l'on doit admettre que le fait est différent de par sa nature, on ne peut pratiquement pas prétendre qu'il soit le même sur le plan légal.

Pour s'approprier du bois vert, il faut l'arracher avec violence de son sup­port organique. Cet attentat manifeste contre l’arbre, et à travers l'arbre, est aussi un attentat manifeste contre le propriétaire de l'arbre. De plus, si du bois coupé est dérobé à un tiers, ce bois est un produit du propriétaire. Le bois coupé est déjà du bois façonné. Le lien artificiel remplace le lien naturel de propriété. Donc, qui dérobe du bois coupé dérobe de la propriété.

Par contre, s'il s'agit de ramilles, rien n'est soustrait à la propriété. On sépare de la propriété ce qui en est déjà séparé. Le voleur de bois porte de sa propre autorité un jugement contre la propriété. Le ramasseur de ramilles se contente d'exécuter un jugement, celui que la nature même de la propriété a rendu : vous ne possédez que l'arbre, mais l'arbre ne possède plus les branchages en question.

Ramassage de ramilles et vol de bois sont donc deux choses essentielle­ment différentes. L'objet est différent, l'action se rapportant à l'objet ne l'est pas moins, l'intention doit donc l'être aussi. Car, quel autre critère objectif devrions-nous appliquer à l'intention, si ce n'est le contenu de l'action et la forme de l'action ? Et, faisant fi de cette différence essentielle, vous appelez les deux actions vol et les punissez toutes deux en tant que tel. Bien mieux, vous punissez le ramassage de ramilles plus sévèrement que le vol de bois, puisque le fait de le considérer comme vol est déjà une punition en soi, une punition que vous épargnerez de toute évidence au vol de bois. Dans ce cas-là, vous auriez dû le nommer « assassinat du bois » et le punir comme un assas­sinat. La loi n'est pas déliée de l'obligation générale de dire la vérité. Elle y est même doublement obligée car elle est le porte-parole général et authentique de la nature juridique des choses. La nature juridique des choses ne peut s'orienter selon la loi, au contraire c'est la loi qui doit s'orienter d'après la nature juridique des choses. Lorsque la loi cependant dénomme vol de bois une action qui est tout juste un méfait forestier, la loi ment et le pauvre se trouve sacrifié à un mensonge légal. « Il y a deux genres de corruption, dit Montesquieu, l'un lorsque le peuple n'observe point les lois ; l'autre lorsqu'il est corrompu par les lois : mal incurable parce qu’il est dans le remède même » [6].

Autant vous ne parviendrez jamais à faire croire qu'il y a crime quand il n'y a pas crime, autant vous parviendrez à transformer le crime lui-même en acte légal. Vous avez effacé les frontières, mais vous faites erreur en croyant que vous ne les avez effacées que dans votre intérêt. Le peuple voit la peine, mais il ne voit pas le crime, et parce qu'il voit la peine là où il n’y a pas crime, il ne verra pas de crime là où il y a peine. En utilisant la catégorie vol là où elle ne doit pas être appliquée, vous l'avez aussi amoindrie là où elle doit être appliquée.

D'ailleurs, cette opinion brutale, qui ne retient de différentes actions qu'une désignation commune et qui fait abstraction de toute différenciation, ne se nie-t-elle pas elle-même ? En considérant indifféremment comme vol toute atteinte à la propriété sans désignation plus précise, toute propriété privée ne serait-elle pas du vol ? Est-ce que je n'exclus pas tout tiers de cette pro­priété en la considérant comme ma propriété privée ? Est-ce que je n'offense pas, par conséquent, son droit à la propriété ? Si vous niez la distinction entre des espèces essentiellement différentes du même crime, vous niez alors le crime comme distinct du droit et donc supprimez le droit lui-même, car tout crime a une part commune avec le droit. C'est un fait autant historique que raisonnable, la sévérité sans distinction supprime tout effet à la peine puis­qu'elle a supprimé la peine en tant qu'effet du droit.

Mais quel est le sujet de cette dispute ? La Diète, il est vrai, écarte toute distinction entre le ramassage des ramilles, le méfait forestier et le vol de bois. Elle écarte toute distinction interne à l'action comme déterminante de l'action dès qu'il s'agit de l'intérêt du malfaiteur forestier, mais la reconnaît, lorsqu'il s'agit de l'intérêt du propriétaire de forêt.

Ainsi la commission propose un amendement selon lequel « l'on considère », comme circonstance aggravante que du bois vert ait été coupé ou abattu au moyen d'un instrument tranchant ou qu'à la place de la hache, la scie ait été employée ». La Diète approuve cette distinction. Le même esprit sagace qui est assez scrupuleux pour distinguer dans son intérêt une hache d'une scie perd tout scrupule à ignorer la distinction entre des ramilles et du bois vert quand il s'agit de l'intérêt d'autrui. La distinction a son importance comme circonstance aggravante, mais perd toute signification comme circonstance atténuante, bien qu'il n'y ait pas circonstance aggravante dès qu'il y a impos­sibilité de circonstances atténuantes.

La même logique se répète à plusieurs reprises au cours des débats.

A propos de l'article 65, un député des villes souhaite « que la valeur du bois soustrait soit également prise en considération pour la fixation de la peine », « ce que le rapporteur conteste comme étant peu pratique ». Le même député des villes remarque, à propos de l'article 66, « que nulle part dans la loi, il n'est indiqué de valeur selon laquelle serait augmentée ou diminuée la peine ».

Dans les attentats contre la propriété, l'importance de la valeur, dans la détermination de la peine, va de soi.

De même que le concept de crime exige la peine, la réalité du crime exige une mesure de la peine. Le crime réel est limité. Pour être réelle, la peine devra être limitée, pour être juste, elle devra l'être selon un principe de droit. L'ob­jectif étant de faire de la peine la conséquence réelle du crime, elle doit apparaître au délinquant comme l'effet nécessaire de son propre acte, donc comme son propre acte. La limite de sa peine doit être celle de son acte. Le contenu déterminé qui est violé est la limite du crime déterminé. La mesure de ce contenu est donc la mesure du crime. Cette mesure de la propriété est sa valeur. Si la personnalité constitue toujours une totalité quelles qu'en soient ses limites, la propriété, par contre, n'existe que dans une limite qui n'est pas seulement déterminable mais déterminée, pas mesurable mais mesurée. La valeur est l'existence de la propriété dans la société civile, le terme logique par lequel la propriété acquiert son intelligibilité et sa commu­nicabilité sociales. Il va de soi que cette détermination objective, donnée par la nature même de l'objet, doit constituer de la même façon une détermination objective et essentielle de la peine.

Si la législation, s'agissant de chiffres, ne peut que procéder de manière extérieure afin de ne pas se perdre dans des évaluations sans fin, elle doit au moins établir une réglementation. Il ne s’agit pas tant d'épuiser les distinctions mais de les faire. Cependant, la Diète ne se souciait absolument pas d'ac­corder sa haute attention à de telles vétilles.

Mais pensez-vous pouvoir en conclure que la Diète ait exclu totalement la valeur dans la détermination de la peine ? Quelle conclusion irréfléchie et peu pratique ! Le propriétaire de forêts — nous aborderons ce point par la suite de façon plus détaillée — ne se contente pas de se faire rembourser par le voleur la simple valeur ordinaire, il attribue, en outre, à cette valeur un carac­tère individuel et fonde sur cette individualité poétique l'exigence d'une indemnité spéciale. Nous comprenons, à présent, ce que le rapporteur entend par pratique. Tel est le raisonnement du propriétaire de forêts pratique : cette disposition de la loi est bonne tant qu'elle m'est utile, car ce qui m'est utile est le bien. Elle est superflue, nuisible et peu pratique dans la mesure où, par pur caprice de théorie juridique, elle doit être appliquée aussi à l'accusé. L'accusé m'ayant nui, il va de soi que tout ce qui l'empêche d'être puni sévèrement m'est préjudiciable. Voilà ce que l'on nomme sagesse pratique.

Mais nous autres, gens qui ne sommes pas pratiques, nous revendiquons, au nom de la foule pauvre, démunie politiquement et socialement, ce que cette horde docte et docile de domestiques, ces soi-disant historiens ont inventé comme la véritable pierre philosophique pour transformer toute pré­tention impure en pur or juridique. Nous réclamons pour la pauvreté le droit coutumier, plus précisément un droit coutumier qui ne soit pas local, mais qui soit celui de la pauvreté dans tous les pays. Nous allons plus loin encore, et nous soutenons que le droit coutumier par sa nature ne peut être que le droit de cette masse du bas de l'échelle, de cette masse élémentaire qui ne possède rien.

Par les soi-disant coutumes des privilégiés, on entend des coutumes contraires au droit. La date de leur naissance remonte à la période où l'histoire de l'humanité forme une partie de l'histoire naturelle et où, vérifiant la légende égyptienne, tous les dieux se dissimulent sous des figures animales. L'huma­nité apparaît décomposée en diverses races animales dont le rapport n'est pas l'égalité mais l'Inégalité, une inégalité qui est fixée par les lois. Le monde de la non-liberté exige des droits de non-liberté, car si le droit humain est l'être-là de la liberté, ce droit animal est celui de la non-liberté. Le féodalisme, dans son sens le plus large, c’est le règne animal de l'esprit [7], le monde de l'humanité divisée, contrairement au monde de l'humanité se différenciant en elle-même, dont l'inégalité n'est rien d'autre que la réfraction des couleurs de l'égalité. Dans les pays au féodalisme naïf, dans les pays à système de castes, où l'humanité est, au sens propre du terme, cloisonnée, et où les membres nobles, librement entrecroisés du grand Saint, du Saint Humanus, sont sciés, mis en pièces, arrachés violemment les uns aux autres, nous trou­vons alors l'adoration de l'animal, la religion animale sous sa forme archaïque, car l'homme considère toujours comme son essence suprême ce qui est son essence vraie. La seule égalité qui émerge de la vie réelle des animaux, c'est l'égalité d'un animal vis-à-vis des autres animaux de son espèce spécifique, l'égalité de l'espèce spécifique avec elle-même, mais non l'égalité du genre. Le genre animal lui-même n'apparaît qu'à travers le comportement hostile des diverses espèces animales qui affirment les unes contre les autres leurs pro­priétés particulières et distinctives. C’est dans l'estomac de l'animal de proie que la nature a établi le lieu d'élection de l'unification, le creuset de la fusion la plus étroite, l'organe de cohésion des différentes espèces animales. De même, dans le féodalisme, une race dévore l'autre jusqu'à cette race qui, tel un polype, pousse à même la glèbe, ne possède que les nombreux bras qui récoltent pour les races supérieures les fruits de la terre tandis qu'elle-même dévore la poussière ; car, si dans le règne animal de la nature, les abeilles ouvrières tuent les frelons, dans le règne animal de l'esprit, ce sont les frelons qui tuent les abeilles ouvrières, et ceci justement par le travail. Si les privilégiés en appellent du droit légal à leurs droits coutumiers, ils réclament, au lieu du contenu humain, la forme animale du droit qui, à présent, s'est déréalisée en un pur masque animal.

Rheinische Zeitung, n° 300,
27 octobre 1842. Supplément.

Les droits coutumiers nobles se refusent, de par leur contenu, à la forme de la loi générale. Ils ne peuvent prendre forme de loi parce qu'ils se sont formés [8] en l'absence de loi. En s’opposant, par leur contenu, à la forme de la loi, à l'universalité et à la nécessité, ces droits coutumiers prouvent justement qu'ils sont des non-droits coutumiers qu'il importe non pas de faire valoir contre la loi, mais d'abroger et, même, à l'occasion, de punir en tant que s'opposant à la loi ; en effet, personne ne cesse d'agir hors du droit sous prétexte que sa manière d'agir est sa coutume, pas plus qu'on n'excuse le brigand, fils de brigand, à cause de ses idiosyncrasies familiales. Quand un homme agit intentionnellement contre le droit, qu'on punisse son intention, et s'il le fait par coutume, qu'on punisse sa coutume comme une mauvaise coutume. A l'époque des lois universelles, le droit coutumier raisonnable n'est autre que la coutume du droit légal, car le droit n'a pas cessé d'être coutume en se cons­tituant en loi, il a cessé d'être uniquement coutume. Pour l'homme juridique, le droit devient sa propre coutume ; le droit s'impose à l'homme non juridique bien que ce ne soit pas sa coutume. Le droit ne dépend plus du hasard d'une coutume raisonnable, c'est, au contraire, la coutume qui devient raisonnable parce que le droit est devenu légal et la coutume d'Etat.

Le droit coutumier, en tant que domaine particulier à côté du droit légal, n'est donc raisonnable que là où le droit existe à côté et en dehors de la loi, là où la coutume est l'anticipation d’un droit légal. Par conséquent, on ne peut absolument pas parler de droits coutumiers des états sociaux privilégiés. Ceux-ci ont trouvé dans la loi non seulement la reconnaissance de leur droit raisonnable, mais, souvent même, la reconnaissance de leurs prétentions déraisonnables. Ils n'ont pas le droit d'anticiper sur la loi, car la loi a anticipé toutes les conséquences possibles de leur droit. C'est pourquoi ces droits coutumiers ne sont revendiqués qu'au titre de domaines de « menus plaisirs » [9] afin que le même contenu, traité par la loi dans lés limites de sa raison, trouve dans la coutume un champ libre à l'expression de caprices et de prétentions allant à l'encontre de ses limites raisonnables.

Mais si ces droits coutumiers nobles sont des coutumes contraires à la notion du droit raisonnable, les droits coutumiers de la pauvreté sont des droits contraires à la coutume du droit positif. Leur contenu ne se heurte pas à la forme légale, mais plutôt à l'absence de forme qui fui est propre. Il n'a pas la forme de la loi en face de lui car il n'a même pas encore atteint celle-ci. Il suffit d'un peu de réflexion pour se rendre compte de la partialité avec laquelle les législations éclairées ont traité et ont dû traiter les droits coutumiers de la pauvreté dont les différents droits germaniques constituent la source la plus abondante [10].

En matière de droit privé, les législations les plus libérales se sont limitées à formuler les droits déjà en vigueur et à les élever à un niveau de généralité. Là où elles ne trouvèrent pas de droits en vigueur, elles n’en accordèrent pas. Elles abolirent les coutumes particulières en oubliant cependant que, si le non-droit des états sociaux se manifestait sous la forme de prétentions arbi­traires, le droit de ceux qui n’appartenaient à aucun état social apparaissait sous la forme de concessions accidentelles. Leur procédé était adéquat vis-à-vis de ceux qui avaient des coutumes en plus du droit, mais inadéquat vis-à-vis de ceux qui avaient des coutumes sans avoir de droit. De même qu'elles avaient dû transformer les prétentions arbitraires, dans la mesure où elles présentaient un contenu juridique raisonnable, en revendication légale, de même elles auraient dû transformer les concessions accidentelles en conces­sions nécessaires. Nous pouvons facilement expliquer cela à l'aide d'un exemple, celui des couvents. On les a supprimés, on a sécularisé leurs biens, ce n’était que justice. Cependant, aucune ressource positive n'a été proposée pour remplacer le secours accidentel que les pauvres recevaient dans les couvents. En faisant de la propriété des biens monacaux une propriété privée, et même si l'on a indemnisé les couvents, on n'a pas indemnisé pour autant les pauvres gens vivant des couvents. Bien plus, on leur a imposé une nouvelle limite et on les a privés d'un droit ancien. C'est ce qui se produisit lors de chaque transformation de privilège en droits. Ces abus avaient un côté positif, qui était aussi un abus dans la mesure où il fondait le droit d'une des parties sur un hasard ; on n'a pas écarté ce côté positif en faisant du hasard une nécessité, mais en faisant abstraction de ce hasard.

Ces législations étaient partielles par nécessité, car tous les droits coutumiers des pauvres reposaient sur le fait que certain type de propriété avait un caractère indécis qui ne déterminait pas si, en dernière instance, cette propriété était privée ou commune ; elle alliait droit privé et droit public tel que nous le rencontrons dans toutes les institutions médiévales. L'organe auquel les législations recouraient pour saisir l'ambiguïté de tels phénomènes était l'entendement ; or, l'entendement n'est pas seulement partiel, mais sa tâche essentielle est de rendre le monde partiel, grand et admirable travail, puisque seul le caractère exclusif [11] forme le particulier et l'arrache à la visco­sité inorganique du tout. Le caractère des choses est un produit de l'entende­ment. Chaque chose doit s'isoler et être isolée pour être quelque chose. En confinant chaque contenu du monde à une détermination ferme et en pétri­fiant, pour ainsi dire, l’essence fluide, l'entendement révèle la diversité du monde car, sans les nombreuses partialités, le monde ne serait pas multiple.

Ainsi, l'entendement a supprimé les formations hybrides et incertaines de la propriété en appliquant les catégories existantes du droit privé abstrait dont le schéma se trouvait dans le droit romain. Et l'entendement législatif croyait d'autant plus être autorisé à lever les obligations de cette propriété indécise à l'égard de la classe des plus pauvres qu'il supprimait également ses privi­lèges publics. Il oublia pourtant que, même d'un point de vue de droit stricte­ment privé, il se trouvait face à un double droit privé : celui du possédant et celui du non-possédant, sans tenir compte du fait qu'aucune législation n'a abrogé les privilèges de droit public de la propriété, mais les a simplement dépouillés de leur caractère aléatoire et leur a conféré un caractère civil. Mais, si toute forme médiévale du droit, et donc la propriété, était de nature hybride, dualiste, ambivalente sous tous les aspects, et si l'entendement faisait valoir, à juste titre, son principe d'unité contre cette contradiction de la détermi­nation [médiévale du droit (N.d.T.)], l'entendement omit cependant de prendre en considération le fait que certains objets de la propriété ne peuvent, de par leur nature, prendre, en aucun cas, le caractère de propriété privée prédéterminée et relèvent, à travers leur nature élémentaire et leur existence fortuite, du droit d'occupation ; ces objets relèvent, par conséquent, du droit d'occupation de la classe qui, exclue par ce droit de toute autre propriété, occupe dans la société civile, la même position que ces objets dans la nature.

On constatera que les coutumes, qui sont les coutumes de toute la classe pauvre, savent saisir, avec un instinct sûr, la propriété par son côté indécis ; on constatera non seulement que cette classe ressent d'instinct la nécessité de satisfaire un besoin naturel, mais aussi qu'elle ressent le besoin de satisfaire un instinct juridique. Les ramilles nous serviront d'exemple. Le lien organique qu'elles entretiennent avec l'arbre vivant est aussi inexistant que celui du serpent et de sa dépouille. Par l'opposition entre les branchages et les rameaux morts, abandonnés par toute vie organique, brisés, et les arbres solidement enracinés, pleins de sève, assimilant eux-mêmes organiquement l'air, la lumière, l'eau et la terre pour alimenter leur propre forme et leur vie indivi­duelle, la nature elle-même expose, en quelque sorte, l'opposition entre la pauvreté et la richesse. C'est la représentation physique de la pauvreté et de la richesse. La pauvreté humaine ressent cette parenté et déduit de ce senti­ment de parenté son droit de propriété ; or, si elle attribue au propriétaire obtenant par préméditation la richesse physique et organique, elle reven­dique donc la pauvreté physique pour le besoin et ses hasards. Dans ce mouvement des forces élémentaires, elle ressent une force alliée, une force plus humaine que la force humaine. L'arbitraire fortuit des privilégiés fait place au hasard des éléments qui arrachent à la propriété privée ce dont elle ne veut plus se dessaisir. Ces aumônes de la nature ne reviennent pas aux riches, pas plus que ne leur reviennent les aumônes jetées sur la chaussée. Mais la pau­vreté trouve déjà son droit dans son activité. Par le ramassage, la classe élé­mentaire de la société humaine se confronte aux produits de la puissance élémentaire de la nature et les met en ordre. C'est aussi le cas pour les pro­duits qui, en poussant sauvagement, constituent un pur accident de la pos­session et, en raison même de leur insignifiance, ne sont pas objet de l'activité du véritable propriétaire.

C'est aussi le cas pour le glanage, la seconde récolte, et d'autres droits coutumiers de ce genre.

Ces coutumes propres à la classe pauvre sont régies ainsi par un sens instinctif du droit ; leur racine est positive et légitime, et la forme du droit coutumier est ici d'autant plus proche de la nature que l'existence même de ia classe pauvre n’est, jusqu'à présent, qu'une simple coutume de la société civile qui n'a pas encore trouvé une position adéquate au sein de l'organisation consciente de l'Etat.

Le présent débat nous offre d'emblée un exemple de la façon dont on traite ces droits coutumiers, un exemple qui fait le tour de la méthode et de l'esprit régissant tout le procédé.

Un député des villes s'élève contre la disposition qui conduit à traiter la cueillette des baies sauvages et des airelles comme des vols. Il parle en parti­culier pour les enfants de familles pauvres qui cueillent ces fruits pour procurer à leurs parents un petit gain, chose qui est tolérée par les propriétaires depuis des temps immémoriaux et qui a constitué pour les petits un droit coutumier. Un autre député réfute ce fait en remarquant que « dans sa région, ces fruits seraient passés dans le commerce et expédiés par tonneaux en Hollande ».

Effectivement, en un Heu, on a déjà réussi à faire d'un droit coutumier des pauvres, un monopole des riches. On a ainsi la preuve absolue qu'il est pos­sible de monopoliser un bien commun ; il va donc de soi qu'il faut le mono­poliser. La nature de l'objet réclame le monopole puisque l'intérêt de la pro­priété privée l'a inventé. La trouvaille moderne de quelques âmes mercantiles devient irréfutable dès qu'elle offre quelques déchets à l'intérêt foncier teuton.

Le sage législateur préviendra le crime afin de ne pas devoir le châtier ; mais il ne le préviendra pas en allant à l'encontre de la sphère du droit, au contraire, il dépouillera tout instinct juridique de son caractère négatif en lui ménageant une sphère d’action positive. Il ne se contentera pas de supprimer aux membres d'une classe l'impossibilité d'appartenir à une sphère légitime supérieure, mais il élèvera leur propre classe à une possibilité réelle de droits. Toutefois, si l'Etat ne se montre pas suffisamment humain, riche et généreux, il a, au moins, le devoir sans condition de ne pas transformer en crime ce que les circonstances ont fait contravention. C'est avec la plus grande indulgence qu'il doit corriger, comme un désordre social, ce qu'il ne peut punir comme crime antisocial qu'en commettant la plus grande injustice. Sinon, il lutte contre l'instinct social tout en croyant combattre la forme asociale de cet instinct. En un mot, en réprimant les droits coutumiers populaires, on ne peut traiter leur pratique que comme une simple contravention de police, mais, en aucun cas, les punir comme crime.

La peine de police est l'issue pour un acte que les circonstances taxeraient de désordre de surface sans qu’il soit une violation de l'ordre éternel du droit. La peine ne doit pas inspirer plus l'horreur que le délit, la honte du crime ne doit pas se commuer en honte de la loi ; le sol de l'Etat est miné dès que le malheur devient crime ou que le crime devient malheur. Loin d'envisager ce point de vue, la Diète n'observe même pas les règles élémentaires de la législation.

L'âme étriquée, endurcie, stupide et égoïste de l'intérêt ne voit qu'un point, celui où elle est lésée, tout comme l'homme rustre, parce qu'un passant lui a marché sur les œils-de-perdrix, tient cette créature pour la plus infâme et la plus abjecte qui soit au monde. Cet homme fait de ses œils-de-perdrix les yeux qui lui permettent de voir et de juger ; il fait du seul point où le passant est en contact avec lui, le point unique où l'être de cet homme est en contact avec le monde. Or, un homme peut fort bien me marcher sur les œils-de-perdrix sans, pour cela, cesser d'être un homme honnête, voire excellent. Vous ne devez pas plus juger les hommes avec vos œils-de-perdrix qu'avec les yeux de votre intérêt privé. L'intérêt privé fait de la seule sphère où un homme se heurte à un autre dans un conflit, la sphère vitale de cet homme. L'intérêt privé fait de la loi un chasseur de rats qui veut détruire la vermine, car, n'étant pas naturaliste, il ne voit dans les rats que de la vermine. Mais l'Etat doit voir dans un malfaiteur forestier plus que celui qui commet un méfait contre le bois, plus qu'un ennemi du bois. Chacun de ses citoyens ne dépend-il pas de lui par mille nerfs vitaux et peut-il couper tous ces nerfs sous prétexte que ce citoyen-là a lui-même coupé un seul nerf de son propre chef ? L'Etat doit donc également voir dans chaque malfaiteur forestier un homme, un membre vivant dont les veines transportent son propre sang, un soldat capable de défendre la patrie, un témoin dont la voix doit valoir devant le tribunal, un membre de la commune qui doit revêtir des fonctions publiques, un père de famille dont l'existence est sacrée, et, par-dessus tout, un citoyen. L'Etat ne doit pas exclure à la légère un de ses membres de toutes ces attri­butions, car, en faisant d'un citoyen un criminel, l'Etat s'ampute chaque fois lui-même. Mais, surtout, le législateur moral considérera comme le travail le plus sérieux, le plus douloureux et le plus dangereux le fait de classer dans fa sphère des actions criminelles une action qui jusque-là n'était pas blâmable.

Mais l'intérêt est pratique et rien n'est plus pratique sur terre que d'abattre son ennemi ! « Qui donc hait une chose sans désirer la détruire » [12], nous enseigne déjà Shylock. Le vrai législateur n'a rien à redouter hormis le non-droit, mais l'intérêt qui légifère ne connaît que la crainte des conséquences du droit, la crainte des scélérats contre lesquels il existe des lois. La cruauté caractérise les lois dictées par la lâcheté, car la lâcheté n'est capable d'énergie que dans la cruauté. Mais l'intérêt privé est toujours lâche puisque son cœur, son âme, est un objet extérieur, sans cesse susceptible d'être arraché et endommagé ; et qui ne tremblerait pas face au danger de perdre cœur et âme ? Comment le législateur égoïste devrait-il être humain, puisque l'inhumain, un être matériel étranger, est son être suprême ? « Quand il a peur, il est terrible [13] », nous dit Le National parlant de Guizot. Cette devise, nous pouvons l'inscrire au-dessus de toutes les législations dictées par l'utilité personnelle, c'est-à-dire par la lâcheté.

Lorsque les Samoyèdes tuent un animal, ils lui affirment sans rire, avant de le dépouiller, que seuls les Russes sont à l'origine de ce malheur, que le couteau qui le dépèce est russe et que, donc, la vengeance ne doit s'exercer que contre les Russes. On peut transformer la loi en un couteau russe même quand on a la prétention de ne pas être un Samoyède. Regardons-y de près [14] !

A l'article 4, la commission proposait : « Lorsque la distance excède deux milles, le garde dénonciateur détermine la valeur d'après le prix local en usage. »

Un député des villes objecte à cela : « La proposition de laisser le garde forestier qui verbalise fixer la taxe du bois dérobé serait très préoccupante. Ce fonctionnaire serait cependant digne de foi, mais uniquement quant au fait, nullement quant à la valeur. Cette valeur devrait être fixée selon une taxation proposée par l'une des autorités locales et arrêtée par le sous-préfet. Or, lui proposera « de rejeter l'article 14 en vertu duquel le propriétaire de forêt percevrait l'amende », etc. « Si l'on maintenait l'article 14, la disposition présentée deviendrait dangereuse à double titre. En effet, le garde forestier au service du propriétaire de forêt et payé par lui, devra bien sûr évaluer aussi haut que possible la valeur du bois dérobé, cela tient à la nature de leurs rapports. » La Diète adopta la proposition de la commission.

Nous voyons se constituer ici la juridiction seigneuriale. Le garde seigneu­rial est, en même temps, celui qui prononce en partie le jugement ; la fixation de la valeur constituant une partie du jugement, celui-ci est donc partielle­ment anticipé dans le procès-verbal dénonciateur. Le garde dénonciateur siège au tribunal, il est l'expert dont le jugement engage le tribunal ; il remplit une fonction d'où il exclut les autres juges. Il est insensé de s'élever contre la procédure inquisitoriale s'il existe même des gendarmes seigneuriaux et des dénonciateurs qui font en même temps fonction de juges !

Abstraction faite de cette violation fondamentale de nos institutions, si nous examinons ses qualités, il va de soi que le garde dénonciateur possède bien peu la capacité objective d'être également celui qui taxe le bois dérobé.

En sa qualité de garde protecteur, il est le génie protecteur personnifié du bois. La protection, et tout particulièrement la protection personnelle, corporelle, exige du gardien forestier à l'égard de son protégé une relation amoureuse effective et dynamique, une relation au sein de laquelle il se con­fond en quelque sorte avec le bois. Celui-ci doit lui être tout, doit avoir pour lui une valeur absolue. Par contre, le taxateur scrute le bois dérobé avec une méfiance sceptique, l'évalue d'un œil perspicace et prosaïque selon une mesure profane et vous dit, au liard près, combien ça vaut. Un protecteur et un taxateur sont aussi différents qu'un minéralogiste et un marchand de minéraux. Le garde ne peut estimer la valeur du bois dérobé, car, dans tout procès-verbal, en taxant l'objet volé il taxe sa propre valeur, parce que c'est la valeur de sa propre activité ; croyez-vous qu'il ne protégera pas tout aussi bien la valeur de son objet que sa substance ?

Les activités que l'on donne à un homme dont le devoir officiel est la brutalité sont contradictoires en elles-mêmes autant par rapport à l'objet de la protection que par rapport aux personnes.

En sa qualité de gardien du bois, le garde forestier doit protéger l'intérêt du propriétaire privé ; mais, en sa qualité de taxateur, il doit protéger tout autant l'intérêt du malfaiteur forestier contre les exigences extravagantes du propriétaire privé. Tandis qu'il a peut-être joué tout à l'heure du poing dans l’intérêt de la forêt, il doit immédiatement après fonctionner avec son cerveau dans l'intérêt de l'ennemi de la forêt. Intérêt personnifié du propriétaire fores­tier, il doit être une garantie contre l'intérêt de celui-ci.

De plus, le garde est dénonciateur. Le procès-verbal est une dénonciation. La valeur de l'objet devient donc l'objet de la dénonciation ; elle perd sa respectabilité judiciaire et la fonction du juge est dépréciée au maximum puisque, pour un instant, elle ne se différencie plus de celle du dénonciateur.

Enfin, ce garde dénonciateur, que ni sa qualité de garde ni celle de dénon­ciateur n'habilite au rôle d'expert, est à la solde et au service du propriétaire forestier. On pourrait tout aussi bien laisser au propriétaire la taxation sous la foi du serment, puisqu'en fait, dans son garde il n'a fait que prendre la figure d'une tierce personne.

Au lieu de trouver ne serait-ce que quelque peu préoccupante cette posi­tion du garde dénonciateur, la Diète, au contraire, trouve préoccupante la seule disposition qui constitue encore la dernière apparence de l'Etat au sein de la Seigneurie forestière : l'inamovibilité du garde dénonciateur. Cette disposition a provoqué les plus vives protestations et la tempête semble à peine être calmée par la déclaration suivante du rapporteur : « Déjà des Diètes précédentes auraient réclamé la suppression de cette inamovibilité, mais le gouvernement d'Etat aurait répondu par une fin de non-recevoir, considérant que l'inamovibilité était une sécurité pour les sujets. »

La Diète, par conséquent, a déjà précédemment marchandé auprès du gouvernement la renonciation à la protection de ses sujets et la Diète en est restée au marchandage. Examinons les raisons aussi généreuses qu'irréfu­tables qu'on invoque contre l'inamovibilité.

Un député des communes rurales « estime que la disposition d'après laquelle les gardes sont dignes de foi parce que inamovibles constitue un réel danger pour les petits propriétaitaires forestiers, et un autre insiste sur le fait que la protection devrait être efficace autant pour les petits que pour les gros propriétaires forestiers ».

Un membre de la principauté relève « que les inamovibilités sont très déconseillées pour les propriétaires privés et qu'en France elles ne sont même pas nécessaires pour rendre dignes de foi les procès-verbaux des gardes ; mais qu'il faudrait absolument faire quelque chose pour contrer l'accroisse­ment excessif des méfaits ». Selon un député des villes « on devrait considérer comme dignes de foi tous les procès-verbaux des officiers forestiers dûment nommés et assermentés. L'inamovibilité serait, pour ainsi dire, impossible pour de nombreuses communes et, particulièrement, pour les propriétaires de petites parcelles. Déclarer que seuls les gardes forestiers inamovibles sont dignes.de foi, reviendrait à léser ces propriétaires de forêts de toute protection forestière. Dans une grande partie de la province, les communes et les pro­priétaires privés auraient, et y ont été obligés, confié aux gardes champêtres la garde de leurs forêts, parce que leur propriété forestière ne justifiait pas qu'ils engagent leurs propres gardes forestiers. Il serait étrange de ne pas avoir totale confiance en ces gardes champêtres assermentés pour la garde des forêts lorsqu'ils constatent une soustraction de bois tandis que leur témoi­gnage fait foi lorsqu'ils dressent des procès-verbaux sur la découverte de méfaits forestiers ».

Rheinische Zeitung, n° 303,
30 octobre 1842. Supplément.

Ainsi ont parlé les villes et les campagnes et les princes. Au lieu de sup­primer l'écart entre les droits du malfaiteur forestier et les prétentions du pro­priétaire de forêts, on ne trouve pas cet écart assez grand. On ne cherche pas une commune mesure à la protection du propriétaire de forêts et à celle du malfaiteur forestier, mais à la protection du grand et du petit propriétaire de forêts. Ici, l'égalité la plus minutieuse fera loi, là l'inégalité est axiome. Pour­quoi le petit propriétaire de forêts exige-t-il la même protection que le grand ? Parce que tous deux sont propriétaires de forêts. Cependant, le propriétaire de forêts et le malfaiteur forestier ne sont-ils pas tous deux citoyens ? Si un petit et un grand propriétaire de forêts ont le même droit à la protection de l'Etat, un petit et un grand citoyen ne l'ont-ils pas encore davantage ?

Si le député des princes se réfère à la France — l'intérêt ignore toute anti­pathie politique —, il oublie simplement d'ajouter qu'en France le garde dénonce le fait mais non la valeur. De même, l'honorable orateur des villes oublie que le cas présent est hors de la compétence du garde champêtre parce qu'il ne s'agit pas seulement de constater la soustraction du bois, mais encore de taxer la valeur du bois.

A quoi se limite le fond de tout ce raisonnement que nous venons d'en­tendre ? Le petit propriétaire de forêts n’aurait pas les moyens d'engager un garde inamovible. Sur quoi débouche ce raisonnement ? Que le petit pro­priétaire de forêts n'a pas vocation à cela. Qu'en déduit-il ? Qu'il a vocation à engager un garde taxateur qu'il peut congédier. Son manque de ressources vaut pour lui titre de privilège.

Le petit propriétaire de forêts n'a pas non plus les moyens d'entretenir un collège de magistrats indépendants. Que l'Etat et l'accusé renoncent donc au collège de magistrats indépendants et qu'on laisse le valet du petit proprié­taire exercer la justice, ou, s'il n’a pas de valet, sa servante, ou, à défaut de servante, lui-même. L'accusé n'a-t-il pas le même droit au pouvoir exécutif, organe de l’Etat, qu’au pouvoir judiciaire ? Pourquoi donc ne pas organiser le tribunal en fonction des moyens du petit propriétaire de forêts ?

La médiocrité des ressources du particulier, du propriétaire de forêts, peut-elle altérer le rapport existant entre l'Etat et l'accusé ? l'Etat a un droit contre l'accusé parce qu'il fait face à cet individu en tant qu'Etat. Il s'ensuit immédiatement pour lui le devoir de se comporter vis-à-vis du criminel en tant qu'Etat et à la façon de l'Etat. L'Etat n'a pas seulement les moyens d'agir d'une manière qui soit conforme à la fois à sa raison, à son universalité et à sa dignité, et à la fois au droit, à la vie et à la propriété du citoyen incriminé ; avoir et employer ces moyens constitue son devoir inconditionnel. Personne n'exige une telle chose du propriétaire de forêts dont la forêt n'est pas l'Etat et dont l'âme n'est pas âme d'Etat. Quelle conclusion en tirer ? La propriété privée n'ayant pas les moyens de s'élever au point de vue de l'Etat, l'Etat a l'obligation de s'abaisser aux moyens de la propriété privée contraires à la raison et au droit.

Cette prétention de l'intérêt privé, dont l'âme médiocre n'a jamais été éclairée ni transpercée par une pensée d'Etat, se révèle être pour l'Etat une sérieuse et profonde leçon. Que l'Etat s'abaisse, ne fût-ce que sur un point, à agir non pas de sa propre façon, mais selon celle de la propriété privée, il s'ensuit immédiatement qu'il devra adapter la forme de ses moyens aux limites de la propriété privée. L'intérêt privé est suffisamment rusé pour pousser cette conséquence jusqu'à limiter et réglementer lui-même l'action de l’Etat sous sa forme la plus limitée et la plus mesquine : il en ressort inversement, en plus de l'avilissement complet de l'Etat, que les moyens les plus contraires à la raison et au droit seront mis en branle contre l'accusé ; en effet, l'égard maximal accordé à l'intérêt de la propriété privée bornée se renverse inévitablement en un manque d'égard sans limite vis-à-vis de l'intérêt de l'accusé. S'il devient clair ici que l'intérêt privé abaisse l'Etat au niveau des moyens de l'intérêt privé, comment ne s'ensuivrait-il pas qu'une représentation des intérêts privés, les états sociaux, veuille et doive ravaler l'Etat aux idées de l'intérêt privé ? Chaque Etat moderne, si peu conforme à son concept soit-il, sera contraint, dès le premier essai pratique d'un tel pouvoir législatif, de s'excla­mer : Tes voies ne sont pas les miennes et tes idées ne sont pas miennes !

Nous ne pouvons pas montrer de façon plus évidente à quel point il est absolument indéfendable de prendre en louage un garde dénonciateur qu'en ayant recours à un argument avancé contre l'inamovibilité, dont nous ne pouvons dire qu'il a échappé aux députés ; en effet, un député des villes donna lecture de la considération suivante : « Les gardes forestiers commu­naux inamovibles ne sont pas et ne peuvent pas être soumis au même contrôle sévère que les fonctionnaires royaux. Leur inamovibilité paralyse toute inci­tation à remplir fidèlement leur devoir. Si le garde forestier n'accomplit que la moitié de son devoir et se garde de fautes réelles qu'on pourrait lui imputer, il trouvera toujours des intercesseurs en nombre suffisant pour rendre vaine toute proposition de renvoi selon l'article 56. Et, dans ces conditions, les inté­ressés n'oseront même pas présenter une telle demande. »

Rappelons que l'on a accordé une confiance totale au garde dénonciateur quand il s'est agi de lui abandonner la taxation.

Rappelons que l'article 4 fut un vote de confiance en faveur du garde.

Nous découvrons, pour la première fois, que le garde dénonciateur néces­site un contrôle et même un contrôle sévère. Pour la première fois, il n'appa­raît pas seulement en tant qu'homme, mais comme cheval dans la mesure où seuls l'éperon et le pain stimulent sa conscience et que l'inamovibilité ne se contente pas de relâcher, mais paralyse totalement ses muscles au service du devoir. Nous constatons que l'intérêt particulier a deux poids et deux mesures pour peser et mesurer les hommes, deux conceptions du monde et deux sortes de besicles, dont l'une teint en noir, et l'autre en couleurs. Lorsqu'il s'agit de livrer d'autres hommes à ses instruments et d'enjoliver des moyens ambigus, l'intérêt particulier chausse ses besicles colorées qui lui font apparaître ses instruments et ses moyens dans une auréole de gloire : il se leurre, et leurre les autres, de rêveries idylliques et hors de la pratique d'une âme tendre et confiante. Chaque pli de son visage est souriante bonhomie. Il serre la main de son adversaire à lui faire mal, mais ceci, pour lui témoigner sa confiance. Mais tout à coup, l'avantage personnel entre en jeu, il s'agit de vérifier consciencieusement dans les coulisses, là où les illusions de la scène disparaissent, l'utilité des instruments et des moyens. Ayant une connais­sance rigoureuse des hommes, il chausse, prudent et méfiant, ses besicles, les noires, celles de la pratique. Tel un maquignon expert, il soumet les hommes à un long examen oculaire auquel rien n'échappe et, ceux-ci lui semblent aussi petits, aussi misérables et aussi malpropres que l'intérêt particulier lui-même.

Notre but n'est pas de contester la vision du monde de l'intérêt particulier, mais de la contraindre à être conséquente. Nous ne voulons pas qu'elle se réserve, à elle seule, l'expérience du monde et abandonne aux autres les fantaisies. Nous retenons un instant l'esprit sophistiqué de l'intérêt privé par ses propres conséquences.

Si le garde dénonciateur est l'homme que vous dépeignez, à savoir un homme auquel l'inamovibilité, loin de procurer un sentiment d'indépendance, une sécurité et une dignité dans l'exercice de son devoir, ravit plutôt toute incitation à remplir son devoir, que pourrions-nous attendre, pour l'accusé, de l'impartialité de cet homme dès qu'il sera le serviteur absolu de votre arbi­traire ? Même si, seuls, les éperons poussent cet homme au devoir et que vous portiez les éperons, que devons-nous prédire à l'accusé qui ne porte pas d'éperons ? Si même vous ne pouvez exercer de contrôle suffisamment sévère sur cet homme, comment l'Etat et la partie poursuivie pourraient-ils le contrôler ? Ce que vous affirmez au sujet de l'inamovibilité ne vaut-il pas plutôt pour un engagement révocable : « Si le garde n'accomplit que la moitié de son devoir, il trouvera toujours des intercesseurs en nombre suffisant pour rendre vaine toute proposition de renvoi, selon l'article 56 » ? N'interviendrez-vous pas tous en sa faveur tant qu’il remplira une moitié de son devoir : la préservation de vos intérêts ?

En passant de la confiance naïve et débordante à l'égard du garde forestier à une méfiance hargneuse et mesquine, vous nous éclairez sur la clé de l'histoire. Ce n'est pas au garde forestier, mais à vous-mêmes que vous avez octroyé l'énorme confiance à laquelle l'Etat et le malfaiteur forestier doivent croire comme à un dogme.

Ce ne sont ni la position officielle, ni le serment, ni la conscience du garde forestier qui doivent constituer les garanties de l'accusé contre vous, non, ce sont votre sentiment du droit, votre humanité, votre désintéressement, votre modération qui doivent être les garanties de l'accusé contre le garde forestier. Votre contrôle est son ultime et unique garantie. Ayant une vague idée de votre supériorité personnelle et un enchantement lyrique à l'égard de vous-mêmes, vous offrez à l'intéressé vos individualités comme palliatifs de vos lois. Je reconnais ne pas partager cette représentation romanesque des proprié­taires de forêts. Je ne crois pas du tout que des personnes soient des garanties contre des lois, je crois, plutôt, que des lois doivent être des garanties contre des personnes. Et l'imagination la plus hardie pourra-t-elle concevoir que des hommes qui, dans leur noble activité législative, ne sont capables à aucun moment de s'élever au-dessus de la disposition angoissée, pratiquement basse, de l'intérêt particulier, à la hauteur théorique de points de vue généraux et objectifs, des hommes qui tremblent déjà à l'idée de préjudices à venir et s'accrochent à leur place pour défendre leurs intérêts, que ces mêmes hommes s'avéreront des philosophes face à un danger réel ? Mais aucun législateur, pas même le plus remarquable, n'est en droit de placer sa personne au-dessus de sa loi. Personne n'est autorisé à s'octroyer à lui-même des votes de confiance tirant à conséquence pour des tiers.

Les faits suivants vont dire si seulement vous êtes en droit de vous voir accorder une confiance particulière.

« Un député des villes déclare devoir s'opposer à l'article 87, parce que les dispositions de cet article entraîneraient des enquêtes diffuses et stériles qui détruiraient la liberté personnelle et celle du libre échange. Par conséquent, on ne devrait pas d'emblée tenir chacun pour un criminel et présumer un acte repréhensible avant de détenir la preuve qu'il ait été effectivement commis. » « Un autre député des villes dit que ce même article doit être supprimé parce qu'il est vexatoire : « Puisque toute personne doit prouver d’où elle détient le bois », si bien que tout un chacun serait soupçonné de vol et de recel, ce qui constituerait une atteinte brutale et blessante à la vie civile. » L'article fut adopté.

Vraiment, vous présumez trop de l'inconséquence humaine si elle doit proclamer comme maxime la méfiance à son détriment et la confiance à votre avantage, si sa confiance et sa méfiance doivent voir avec les yeux de votre intérêt privé et sentir avec le cœur de votre intérêt privé.

Il y a encore une raison à opposer à l'inamovibilité, une raison dont on ne saurait dire si c'est le méprisable ou le ridicule qui la caractérise le mieux.

« En outre, la libre volonté des particuliers ne doit pas être à ce point limitée, seuls des engagements révocables devraient être autorisés. »

Certes, la nouvelle que l'homme dispose d'une libre volonté qu'il convient de ne pas limiter de n'importe quelle façon est aussi réjouissante qu'inat­tendue. Les oracles que nous avons entendus jusqu'ici ressemblaient à l'oracle antique de Dodone [15]. C'est le bois qui les rendait. La libre volonté n'avait pas la qualité d'état social. Comment comprendre alors cette apparition soudaine et rebelle de l'idéologie, puisque, pour ce qui concerne les idées, nous n'avons devant nous que des successeurs de Napoléon [16] ?

La volonté du propriétaire de forêts réclame la liberté de pouvoir traiter le malfaiteur forestier à sa guise, comme cela lui convient et aux moindres frais. Cette volonté veut que l'Etat lui laisse le vaurien à discrétion. Elle réclame « plein pouvoir » [17]. Elle ne combat pas la restriction de la libre volonté, elle combat le mode de cette restriction qui restreint tellement qu'elle atteint non seulement celui qui dérobe le bois, mais encore celui qui possède le bois. Cette libre volonté ne veut-elle pas de nombreuses libertés ? Ne s'agit-il pas d’une volonté très libre, éminemment libre ? Et n'est-il pas scandaleux d’oser, au XIXe siècle, restreindre « tant » la libre volonté de ces particuliers qui font les lois publiques ? C'est scandaleux.

Même le réformateur obstiné, qu'est la libre volonté, doit s'engager dans la troupe des bonnes raisons qui a pour chef de file la sophistique de l'intérêt. Mais cette libre volonté doit avoir un savoir-vivre, doit être une volonté pru­dente et loyalement libre, une volonté libre qui sache s'arranger pour que sa sphère coïncide avec celle de l'arbitraire de ces particuliers privilégiés. La libre volonté n'est citée qu'une fois, et cette seule fois, elle apparaît sous la forme d'un particulier râblé qui catapulte des blocs de bois contre l'esprit de la volonté raisonnable. Mais que pourrait d'autre cet esprit là où la volonté se trouve enchaînée, tel un galérien, au banc de nage des intérêts les plus mesquins et les plus étriqués ?

Le point culminant de tout ce raisonnement se trouve résumé par la remarque qui suit, remarque qui inverse le rapport en question :

« Que les gardes forestiers et les gardes-chasses royaux soient toujours inamovibles, cela soulève cependant, pour les communes et les particuliers, la plus grande des préoccupations. » Comme si la seule préoccupation n'était pas, dans ce cas, que des employés privés agissent à la place d'employés publics ! Comme si l'inamovibilité n'était pas justement dirigée contre le particulier préoccupant. « Rien n'est plus terrible que la logique dans l'absur­dité » [18], c’est-à-dire que rien n’est plus terrible que la logique de l'intérêt personnel.

Cette logique, qui fait de l'employé du propriétaire de forêts une autorité publique, transforme les autorités publiques en employés du propriétaire de forêts. L'organisation de l'Etat, la fonction des diverses autorités administra­tives, tout doit sortir de ses gonds afin que tout soit réduit à un moyen du pro­priétaire de forêts et que son intérêt apparaisse comme l'âme régissant tout le mécanisme. Tous les organes de l'Etat deviennent des oreilles, des yeux, des bras et des jambes grâce auxquels l'intérêt du propriétaire de forêts entend, épie, évalue, protège, saisit et court.

A l'article 62, la commission propose, en dernier alinéa, d'exiger un certi­ficat de défaut de comparution délivré au domicile du malfaiteur par le per­cepteur, le Maire et deux conseillers municipaux. Un député des communes rurales estime que l'intervention du percepteur est en contradiction avec la législation en vigueur. Bien entendu, on ne tiendra pas compte de cette contradiction.

A l'article 20, la commission avait fait la proposition suivante :

« Dans la Province rhénane, l'ayant droit, propriétaire de forêts, sera auto­risé à remettre les détenus à l'autorité locale pour qu'ils exécutent des corvées d'entretien des voies communales qui, en tant que service, incombent au propriétaire de forêts dans la commune, ces corvées étant déduites du service dû par le propriétaire. »

Il fut objecté « que les Maires ne pouvaient avoir la charge d’agents exé­cutifs pour quelques membres de la commune et que les travaux des condamnés ne pouvaient pas être acceptés comme compensation des ser­vices qui devaient être assurés par des journaliers rémunérés ou des domes­tiques ».

Le rapporteur fait remarquer : « Bien que ce soit une charge pour Messieurs les Maires de contraindre au travail les détenus forestiers récalcitrants et excités, il appartient, cependant, aux fonctions de ces officiers de ramener au devoir des administrés désobéissants et malveillants. Et n'est-ce pas une belle action que de remettre sur le droit chemin le détenu qui s'en était écarté ? Qui donc, à la campagne, disposerait pour cela de plus de moyens que Mes­sieurs les Maires ? »

Et Goupil avait fait mine si triste et sombre
Que plus d'un brave homme en avait pris pitié
Couard, le lièvre, surtout, était fort chagrin !

La Diète adopta la proposition.

Rheinische Zeitung, n° 305,
1er novembre 1842, Supplément.

Ce brave Monsieur le Maire doit assumer une charge et accomplir une belle action afin que Monsieur le propriétaire de forêts puisse s'acquitter sans frais de son devoir à l'égard de la commune. Sur la base de ce même droit, le propriétaire de forêts pourrait faire appel au Maire comme chef cuisinier ou chef sommelier. N'est-ce pas là une belle action pour le Maire de main­tenir en état la cuisine et la cave de ses administrés ? Le criminel condamné n'est pas un administré du Maire, il est un administré du gardien de prison. Le Maire ne perd-il pas les moyens et la dignité de sa position, quand, de chef de la commune, il devient l'exécuteur de quelques membres de la commune et que, de Maire, il devient geôlier ? Les autres membres de la commune, qui eux sont libres, ne sont-ils pas offensés de voir leur honnête travail au service de la collectivité abaissé à un travail forcé au service de quelques individus ?

Mais il est superflu de révéler ces sophismes. Monsieur le rapporteur aura bien l’amabilité de nous dire lui-même comment des gens avisés des affaires du monde jugent les belles paroles humanitaires. Il fait ainsi haranguer le propriétaire des champs, enclin à l'humanité, par le propriétaire de forêts :

« Si l'on coupait des épis de blé à un propriétaire de terre, le voleur dirait :

"Je n'ai pas de pain, c'est pourquoi je prends quelques épis dans tout ce que vous possédez", comme le voleur de bois dit : "Je n'ai pas de bois à brûler, c'est pourquoi je vole du bois." Le propriétaire d'une terre serait protégé par l'article 444 du Code pénal qui prononce une peine de deux à cinq ans d'emprisonnement pour les coupes d'épis ; le propriétaire de forêts ne bénéficierait pas d'une protection aussi forte. »

Cette dernière exclamation du propriétaire de forêts, qui louche de convoi­tise, contient toute une profession de foi. Pourquoi te montres-tu, toi le propriétaire de champs, si généreux lorsqu'il s'agit de mon intérêt ? Parce que le tien est déjà satisfait. Alors, point d'illusions ! La générosité ou bien ne coûte rien ou bien rapporte quelque chose. Donc, toi le propriétaire de champs, tu ne trompes pas le propriétaire de forêts ! Et toi, le propriétaire de forêts, tu ne trompes pas le Maire !

Ce seul intermède prouverait le peu de sens que peuvent avoir des « belles actions » dans notre débat, si le débat tout entier ne prouvait que les raisons morales et humanitaires n'ont été ici que de belles paroles. Mais l'intérêt est avare de belles paroles, il ne les découvre qu'en cas de besoin, lorsque le jeu en vaut la chandelle. Il devient alors disert, la circulation de son sang se fait plus rapide, il en arrive même à commettre de belles actions qui lui rapportent au détriment des autres, il trouve des propos flatteurs et des douceurs agui­chantes. Et tout cela est exploité dans le seul but de faire du méfait forestier une affaire qui tourne pour le propriétaire de forêts, d'en faire un malfaiteur forestier rentable et de pouvoir placer le capital plus commodément, car le malfaiteur forestier est devenu un capital pour le propriétaire de forêts. Il s'agit d'abuser du Maire non pas dans l'intérêt du malfaiteur forestier, mais dans l'intérêt du propriétaire de forêts. Quelle curieuse destinée, quel fait surprenant qu'aux rares moments où l'on mentionne un bien problématique pour le malfaiteur, soit assuré à Monsieur le propriétaire de forêts un bien apodictique !

Voici un autre exemple de ces incidents humanistes !

Le rapporteur : « Que la loi française ignore la substitution du travail forestier à la peine d'emprisonnement, que lui considère comme sage et bien­faisante, car le séjour en prison n'aboutirait pas toujours à une amélioration, mais très souvent à une dégradation. »

Lorsque, précédemment, l'on faisait d'innocents des criminels, et lorsqu'un député remarquait, à propos des ramasseurs de ramilles, que les emprisonner revenait à les mêler à des voleurs récidivistes, les prisons étaient bonnes. Soudain, les établissements de correction se sont métamorphosés en établis­sements de dégradation, car il est, dès lors, dans l'intérêt du propriétaire de forêts que les prisons mènent à la dégradation. Lorsque l'on parle d'améliora­tion des criminels, on entend amélioration des pourcentages que les criminels ont la généreuse tâche de rapporter au propriétaire de forêts.

Ne pensant qu'à lui-même, l'intérêt n'a aucune mémoire. La seule chose qui lui importe, il ne l'oublie pas, c’est lui-même. Les contradictions ne lui importent pas, puisqu'il n'entre pas en contradiction avec lui-même. N'ayant pas de système, il improvise constamment, mais il dispose d'expédients.

Tandis que les raisons humanitaires et juridiques ne font rien d'autre que

« Ce qu'au bal, nous autres, sots humains.
Nous appelons faire tapisserie » [19],

les expédients sont les agents les plus actifs au sein du mécanisme raisonneur de l'intérêt. Nous relevons parmi ces expédients deux d'entre eux qui, toujours, reviennent dans ces débats et constituent les principales catégories : les « bons motifs » et les « conséquences préjudiciables ». Nous voyons, tantôt le rapporteur de la commission, tantôt un autre membre de la Diète, préserver chaque disposition ambiguë des flèches de la contradiction par le bouclier que constituent les motifs pondérés, sages et bons.

Nous constatons com­ment chaque conséquence aux aspects juridiques est réfutée en invoquant les suites préjudiciables ou préoccupantes. Examinons un instant ces vastes expédients, ces expédients par excellence, ces expédients pour toutes choses et quelques autres encore.

L'intérêt sait noircir le droit en dessinant la perspective de conséquences préjudiciables, en montrant ses effets sur le monde extérieur ; il sait blanchir le non-droit par le truchement de bons motifs, donc en se retirant à l'intérieur du monde de ses idées. Le droit a des conséquences préjudiciables dans le monde extérieur chez les méchants hommes, le non-droit a de bons motifs dans le cœur du brave homme qui le décrète ; mais tous les deux, les bons motifs et les conséquences préjudiciables, partagent la particularité suivante : ils ne traitent pas la chose par rapport à elle-même, ils ne considèrent pas le droit comme un objet autonome, mais ils éloignent du droit et renvoient soit au-dehors vers le monde, soit au-dedans vers leur propre tête, tant et si bien qu'ils manœuvrent derrière le dos du droit.

Que sont des conséquences préjudiciables ? Tout notre exposé montre que l'on ne doit pas entendre par là des conséquences préjudiciables pour l'Etat, la loi et l'accusé. Nous voulons, en quelques traits, mettre en évidence que l'on ne saisit pas non plus, par là, des conséquences préjudiciables pour la sécurité civile.

Des membres de la Diète eux-mêmes nous ont déjà appris à quel point « la disposition selon laquelle chacun doit prouver d'où il détient son bois » interviendrait de façon sauvage et blessante dans la vie civile et livrerait tout citoyen à des chicanes vexatoires. Une autre disposition désigne comme voleur quiconque sera trouvé détenteur de bois volé, bien qu'un député déclare :
« Cela pourrait devenir dangereux pour plus d'un homme équitable. » Dans son entourage, on aurait jeté du bois volé dans la cour de quelqu'un et cet innocent aurait encouru une peine, l'article 66 condamne à une peine correc­tionnelle allant de quatre semaines à deux ans, tout citoyen qui achète un balai qui ne serait pas un balai monopolisé, ce à quoi un député des villes ajoute une glose marginale : « Cet article menace d'une peine correctionnelle tous les habitants des arrondissements d'Elberfeld, Lennep et Solingen. » Enfin, l'on a fait de la surveillance et de l'exercice de la police de la chasse et de la forât un droit aussi bien qu'un devoir du militaire, bien que l'article 9 du Code d'instruction criminelle ne se réfère qu'aux fonctionnaires placés sous le contrôle des procureurs d'Etat, pouvant donc être directement poursuivis par ceux-ci, ce qui n'est pas le cas des militaires. Par là même sont menacées aussi bien l'indépendance des tribunaux que la liberté et la sécurité des citoyens.

Ainsi, il ne saurait être question de conséquences préjudiciables concer­nant la sécurité civile, on en est plutôt à considérer la sécurité civile elle-même comme une circonstance aux conséquences préjudiciables.

Que recouvrent donc ces conséquences préjudiciables ? Est préjudiciable ce qui est préjudiciable à l'intérêt du propriétaire de forêts. Si donc les consé­quences du droit ne vont pas dans le sens de son intérêt, elles sont alors des conséquences préjudiciables. Et c'est là que se révèle la perspicacité de l'in­térêt. Si, tout à l'heure, il ne voyait pas ce qui est visible à l'œil nu, il voit maintenant, même, ce que seul un microscope nous révèle. Le monde entier lui est une mouche dans l'œil, un monde de dangers justement parce qu'il n'est pas le monde d'un seul intérêt, mais le monde de beaucoup d'intérêts. L'intérêt privé se considère comme le but ultime du monde. Si le droit ne parvient pas à réaliser ce but ultime, il est donc un droit contraire à son but. Un droit préjudiciable à l'intérêt privé est alors un droit aux conséquences préjudiciables.

Les bons motifs vaudraient-ils mieux que les conséquences préjudi­ciables ?

L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. Le motif est un mobile pour supprimer les fondements du droit, et qui pourrait douter que l'intérêt privé n'avance dans ce but de multiples mobiles ? La valeur du motif réside dans la souplesse opportune avec laquelle il parvient à soustraire le fait objectif et à se bercer, lui et les autres, de l'illusion que ce n'est pas la bonne cause qu'il importe de méditer, mais que la bonne idée suffit dans une mauvaise cause.

Reprenons le fil de notre exposé en donnant tout d'abord un pendant aux belles actions conseillées à Monsieur le Maire.

« La commission a proposé une version de l'article 34 modifiée de la façon suivante : si l'inculpé exige la comparution du garde verbalisateur, il doit, au préalable, déposer au tribunal forestier le montant des frais exigés. »

L'Etat et le tribunal ne doivent rien faire dans l'intérêt de l'inculpé à titre gracieux. Ils doivent, au préalable, se faire payer, ce qui, de toute évi­dence, entrave préalablement la confrontation du garde dénonciateur et de l'accusé.

Une belle action ! Rien qu'une seule belle action ! Un royaume pour une belle action ! Mais la seule belle action proposée, c'est Monsieur le Maire qui doit l'accomplir pour le bien de Monsieur le propriétaire de forêts. Le Maire est le représentant des belles actions, leur expression personnifiée, et l'on a épuisé et clos pour toujours la série des belles actions avec la charge qu'on lui a imposée en un douloureux sacrifice.

Si Monsieur le Maire doit, au service de l'Etat et pour le bien moral du criminel, faire plus que son devoir, Messieurs les propriétaires de forêts ne devraient-ils pas, en vue de ce même bien, réclamer moins que leur intérêt ne l'exige ?

On pourrait croire que la partie des débats, que nous avons rapportée jusqu'ici, répond déjà à cette question, mais on se trompe. Nous arrivons aux dispositions pénales.

« Un député de la classe des propriétaires de terres nobles considère que le dédommagement du propriétaire de forêts ne serait pas encore suffisant, même si, outre le remboursement de la simple valeur, il touchait les amendes, qui seraient souvent irrécouvrables. »

Un député des villes remarque : « Les dispositions de cet article 15 pour­raient avoir les conséquences les plus préoccupantes. De cette façon, le propriétaire de forêts se trouverait dédommagé trois fois ; par la valeur, par une amende de quatre, six ou huit fois la peine et, encore, par un dédommage­ment particulier dont le montant, souvent fixé d'une façon totalement arbi­traire, serait plus le résultat d'une fiction que de la réalité. Il lui semblerait, en tout cas, qu'il faille décréter que l'indemnisation spéciale en question devrait être exigée aussitôt devant le tribunal forestier et qu'elle devrait être accordée lors du jugement. Il tiendrait à la nature de la cause que la preuve du dommage devrait être produite séparément, et ne pourrait pas être uniquement basée sur le procès-verbal. » Monsieur le rapporteur et un autre membre de la Diète exposèrent comment le surplus de valeur [20] en question pourrait être obtenu dans divers cas mentionnés par eux. L'article fut adopté.

Le crime devient une loterie où le propriétaire de forêts, avec de la chance, peut encore tirer des lots gagnants. Il peut y avoir un surplus de valeur, mais il est aussi possible que le propriétaire de forêts, qui déjà obtient la valeur simple, fasse une affaire grâce à l'amende de quatre, six ou huit fois la peine. S'il touche, encore, en plus de la valeur simple, une indemnité spéciale, l'amende de quatre, six ou huit fois la peine est, en tout cas, un gain net. Si un membre de la classe des propriétaires de terres nobles croit que les amendes dues ne présentent pas des garanties suffisantes parce que fréquemment irrécouvrables, elles ne deviendront pas plus recouvrables parce que, en dehors d'elles, il faudra recouvrer encore la valeur et l'indemnité. Nous ver­rons, du reste, comment l'on s'entend à arracher son dard à cette irrécouvrabilité.

Le propriétaire de forêts pouvait-il prendre meilleure assurance pour son bois qu'il ne l'a fait ici où le crime a été converti en une rente ? Général habile, il convertit l'attaque portée contre lui en une occasion infaillible de butin, car même le surplus de valeur du bois, cette exaltation économique, se convertit, grâce au vol, en une substance. Ce n'est pas seulement son bois, mais également son commerce de bois qui doivent être garantis au proprié­taire de forêts, tandis que l'hommage facile qu'il rend à son gérant, l'Etat, consiste à ne pas le payer. C'est une idée exemplaire de convertir la sanction du crime, d'une victoire du droit sur les attentats contre le droit, en une vic­toire de l'intérêt personnel sur les attentats contre l'intérêt personnel !

Mais nous attirons l'attention de nos lecteurs de préférence sur la dispo­sition de l'article 14, face à laquelle il nous faut nous défaire de l'habitude de considérer les leges barbarorum comme des lois de barbares. En effet, la peine en tant que telle, qui est le rétablissement du droit, à bien distinguer du remboursement de la valeur et de l'indemnité, c'est-à-dire du rétablissement de la propriété privée, se transforme d'une peine publique en une composition privée ; les amendes ne tombent pas dans la caisse de l'Etat, mais dans la caisse privée du propriétaire de forêts.

Un député des villes pense certes : « que cela serait contraire à la dignité de l'Etat et aux principes d'une bonne administration de la justice pénale », mais un député de la classe des propriétaires de terres nobles fait appel au sentiment de droit et d'équité de l'assemblée pour protéger l'intérêt du propriétaire de forêts, c'est-à-dire à un sentiment particulier de droit et d'équité.

Les peuples barbares exigent que soit payée à la victime d'un crime déter­miné une composition déterminée. La notion de la peine publique se fit jour uniquement en opposition à cette idée qui ne voit dans le crime qu'une atteinte à l'individu, mais il reste encore à inventer le peuple et la théorie qui auraient la complaisance de revendiquer pour l'individu la peine privée et publique.

Les Etats provinciaux sont, semble-t-il, sous l'emprise d'un quiproquo total. Le propriétaire de forêts qui légifère a confondu un instant les personnes, lui comme législateur et lui comme propriétaire de forêts. Tantôt il s'est fait payer le bois en tant que propriétaire de forêts, tantôt il s'est fait payer l'inten­tion criminelle du voleur en tant que législateur, ce en quoi c’est tout à fait un hasard que le propriétaire de forêts ait été payé à deux reprises. Nous ne sommes donc plus en présence du simple « droit des seigneurs » [21]. Le temps du droit public nous a fait atteindre le temps du droit patrimonial redoublé, élevé au carré. Les propriétaires de biens patrimoniaux utilisent le progrès du temps qui réfute leurs exigences, pour usurper aussi bien la peine privée de la vision barbare du monde que la peine publique de la vision moderne du monde.

Le remboursement de la valeur et, encore plus, le paiement d’une indem­nité particulière ont fait disparaître tout rapport entre le voleur de bois et le propriétaire de forêts, car l'atteinte au bois est complètement supprimée. Tous deux, voleur et propriétaire, ont regagné l'intégrité de leur état premier. Quant au vol de bois, le propriétaire de forêts n’est affecté que dans la mesure où c'est le bois et non le droit qui est atteint. Seul le côté physique du criminel l'atteint : la nature criminelle de l'action ne réside pas dans l'attaque contre le bois matériel, mais dans l'attaque contre la veine publique du bois, contre le droit de propriété en tant que tel, c'est-à-dire réside dans la réalisation d'une intention contraire au droit. Le propriétaire de forêts a-t-il des titres privés sur l'intention légale du voleur ? Et que signifie la multiplication de la peine en cas de récidive si ce n'est la peine appliquée à l'intention criminelle ? Ou bien le propriétaire de forêts peut-il avoir des exigences privées là où il n'a pas de titres privés ? Le propriétaire de forêts était-il l'Etat avant le vol de bois ? Non, mais il le devient après le vol de bois. Le bois a donc cette propriété parti­culière que, dès qu'il est volé, il confère à son propriétaire des qualités d'Etat qu’il n'avait pas auparavant. Pourtant, le propriétaire de forêts ne peut récu­pérer que ce qui lui a été pris. Si l'Etat lui est rendu, et c'est bien le cas ici lorsqu'il obtient outre le droit privé, le droit public sur le malfaiteur, c'est que l'Etat doit lui avoir été ravi, c'est que l'Etat doit avoir été sa propriété privée. Par conséquent, le voleur de bois, nouveau Saint-Christophe, portait, parmi les bûches volées, l'Etat lui-même sur son dos.

La peine publique effectue une péréquation entre le crime et la raison d'Etat, elle est donc un droit de l'Etat, mais elle est un droit de l'Etat que celui-ci ne peut pas plus céder aux particuliers qu'un individu ne peut aban­donner sa conscience à autrui. Chaque droit de l'Etat contre le criminel est aussi un droit public du criminel. Aucune substitution de membres intermédiaires ne peut changer le rapport du criminel à l'Etat en un rapport à des parti­culiers. Même si l'on voulait autoriser l'Etat à renoncer à ses droits et à se suicider, il n'en resterait pas moins que cette renonciation à ses devoirs constituerait non seulement une négligence, mais un crime.

Le propriétaire de forêts ne peut donc obtenir de l'Etat un droit privé sur la peine publique pas plus qu'il ne possède en soi et pour soi un droit quel­conque sur cette peine.

Mais, lorsque n'ayant pas de titres légaux, je ne fais, de l’acte criminel d'un tiers, qu'une source indépendante de revenus, ne suis-je pas, par là même, son complice ? Ou bien suis-je moins son complice parce que c'est à lui qu'incombe la peine et à moi le bénéfice du crime ? La culpabilité n'est pas adoucie lorsqu'un particulier abuse de sa qualité de législateur pour s'attribuer lui-même des droits publics à travers le crime d'un tiers. Le détour­nement de fonds publics de l'Etat est un crime contre l'Etat, et les amendes ne sont-elles pas l'argent public de l'Etat ?

Le voleur de bois a dérobé du bois au propriétaire de forêts, mais celui-ci a utilisé le voleur de bois pour dérober l'Etat lui-même. Cela est littéralement vrai, comme le démontre l'article 19 où l'on n'en reste pas à réclamer l'amende, mais aussi l'accusé, corps et âme. Selon l'article 19, le malfaiteur forestier est livré aux mains du propriétaire de forêts pour lequel il doit accomplir un travail forestier, ce qui, selon un député des villes, « pourrait déboucher sur des inconvénients importants. Il voudrait seulement attirer l'attention sur le danger que représente cette procédure s'agissant de personnes de l'autre sexe ».

Un député de la classe des propriétaires de terres nobles a cette réplique historique : « Qu'il serait aussi nécessaire qu'approprié, dans la discussion d'une proposition de loi, d'en débattre et d'en poser d'abord les principes, mais, cela étant fait, de ne pas pouvoir y revenir lors de la discussion de chaque article. » Et là-dessus l'article fut adopté sans objection.

Soyez assez habiles pour partir de mauvais principes, et vous obtiendrez un titre légal infaillible, aux mauvaises conséquences. Certes, vous pourriez penser que la nullité du principe est révélée par l’anomalie de ses consé­quences, mais, si vous avez l'expérience du monde, vous comprendrez que le malin épuise jusqu'à la dernière conséquence le succès déjà obtenu. Toute­fois, ce qui nous étonne, c'est que le propriétaire de forêts ne puisse aussi alimenter son fourneau avec les voleurs forestiers. Dans la mesure où cette question ne concerne pas le droit, mais les principes dont la Diète aime à partir, cette conséquence ne rencontrerait même pas le moindre grain de sable sur son chemin.

En contradiction directe avec le dogme qui vient d'être établi à l'instant, un court regard en arrière nous apprend à quel point il aurait été utile, pour chaque article, de discuter de nouveau les principes, et nous montre que, par le vote d'articles apparemment sans relation entre eux et tenus à une distance convenable les uns des autres, l'on a fait passer subrepticement les disposi­tions l'une après l'autre et, une fois passée subrepticement la première, on laissa tomber pour la suivante jusqu'à l'apparence de la condition sans laquelle la première n'aurait pas été acceptable.

Rheinische Zeitung, n° 307,
3 novembre 1842. Supplément.

Lorsqu'il s'est agi, à propos de l'article 4, de laisser l'estimation aux soins du garde dénonciateur, un député des villes fit remarquer : « Que si l'on n'acceptait pas fa proposition de verser les amendes dans la caisse de l'Etat, la disposition présente serait donc doublement dangereuse. » Il est aussi évident que le garde forestier n'a pas le même motif de surestimation selon qu'il taxe pour le compte de l'Etat ou pour celui de son employeur. On eut la légèreté de ne pas discuter ce point, on entretint l'illusion que l'article 14, qui attribue les amendes au propriétaire de forêts, pourrait être rejeté. On a fait accepter l'article 4. Après le vote de dix articles on est arrivé, enfin, à l'article 14 qui confère à l'article 4 un sens différent et dangereux. Cette connexion n'est pas du tout abordée, on adopte l'article 14 et les amendes sont attribuées à la caisse privée du propriétaire de forêts. La principale raison, mise alors en avant, et ce fut bien la seule, est l'intérêt du propriétaire de forêts que le remboursement de la valeur simple ne suffit pas à satisfaire. Cependant, pour l'article 15, on oublie de nouveau le fait que l'on a, par un vote, attribué les amendes au propriétaire de forêts et on lui alloue, outre la valeur simple, une indemnité spéciale, car on imagine un surplus de valeur, comme s'il n'avait pas déjà obtenu un surplus par les amendes qui lui échoient. De plus, on a aussi constaté que les amendes ne sont pas toujours recouvra­bles. On fit donc semblant de vouloir se mettre à la place de l'Etat uniquement en ce qui concerne l'argent ; mais, à l’article 19, on jette le masque et l'on s'attribue non seulement l'argent, mais aussi le criminel lui-même, non seule­ment la bourse de l'homme, mais l'homme.

C'est alors que la méthode de la subreption émerge avec netteté et sans la moindre réserve, et même avec une clarté tout à fait consciente, car elle n'hésite plus à s'ériger en principe.

La valeur simple et l'indemnité ne donnaient visiblement au propriétaire de forêts qu'un titre de créance privée contre le malfaiteur forestier pour le recouvrement duquel il a recours aux tribunaux civils. Si le malfaiteur fores­tier ne peut pas payer, le propriétaire de forêts se trouve dans la situation de tout particulier dont le débiteur est insolvable ; il ne possède pas pour autant, comme on sait, le droit d'exiger un travail forcé, une rémunération en services, en un mot, un servage temporaire de son débiteur. D'où le propriétaire de forêts tient-il donc ce titre ? Des amendes. En s'attribuant les amendes, il s'est attribué, ainsi que nous l'avons vu, outre son droit privé, un droit public sur le voleur de bois, et s'est mis lui-même à la place de l'Etat. Mais en s'attribuant les amendes, le propriétaire de forêts a dissimulé astucieusement le fait qu'il s'est attribué la peine elle-même. Auparavant, il désignait les amendes comme de simples sommes d'argent, à présent, il les désigne comme peine, et il avoue triomphalement qu'il a, par le biais des amendes, fait du droit public sa propriété privée. Au lieu de reculer, tremblant, devant cette consé­quence aussi criminelle que révoltante, on revendique cette conséquence, justement parce qu'elle est une conséquence. Si le bon sens prétend qu'il est contraire à notre droit, qu'il est contraire à tout droit de livrer et de remettre un citoyen à un autre comme un serf temporaire, on explique avec un hausse­ment d'épaules que les principes ont été débattus, même s'il n'y a eu ni prin­cipes ni débat. C'est ainsi que le propriétaire de forêts obtient, subrepticement, la personne du malfaiteur forestier par le biais des amendes. Seul, l'article 19 dévoile le double sens de l'article 14.

On constate donc que l'article 4 aurait dû être rendu impossible par l'ar­ticle 14, l'article 14 par l'article 15, l'article 15 par l'article 19, l'article 19 aurait dû être tout simplement impossible et aurait dû rendre impossible tout le principe pénal, précisément parce que la dépravation de ce principe se mani­feste en lui.

On ne saurait manier plus adroitement la devise, diviser pour régner. En considérant l'article précédent, on ne pense pas au suivant, en considérant le suivant, on oublie le précédent. L'un est déjà discuté et l'autre ne l'est pas encore que tous deux sont, pour des raisons opposées, au-dessus de toute discussion. Cependant, le principe reconnu, c'est « le sentiment de droit et d'équité au service de la protection de l'intérêt du propriétaire de forêts », sentiment qui s'oppose, directement, au sentiment de droit et d'équité au service de la protection de l'intérêt de celui qui est propriétaire de la vie, de la liberté, de la dignité humaine, de l'Etat et qui n'est propriétaire de rien d'autre que de lui-même. Voilà cependant où nous en sommes. Que le propriétaire de forêts obtienne, plutôt qu'une bûche de bois, ce qui fût autrefois un être humain.

Shylock. — Suprême juge savant ! Quelle sentence ! Allons, préparez-vous.

Porcia. — Encore un instant : ce n'est pas tout. Ce billet-ci ne te donne pas une goutte de sang, les termes exprès sont : une livre de chair. Prends ce qui t’est dû, prends ta livre de chair, mais si, en la coupant, tu verses une seule goutte de sang chrétien, tes terres et tes biens sont, de par les lois de Venise, confisqués au profit de l'Etat de Venise.

Gratiano. — O juge émérite ! Attention, juif, O le savant juge !

Shylock. — Est-ce là la loi ?

Porcia. — Tu verras toi-même le texte [22].

Et vous verrez vous-même le texte !

D'où tenez-vous votre titre de servage du malfaiteur forestier ? Des amendes. Nous avons montré que vous n'avez aucun droit sur les amendes. Mais, passons. Quel est votre principe de base ? Que soit assuré l'intérêt du propriétaire de forêts, même si le monde du droit et de la liberté doit s'en trouver anéanti. Vous êtes inébranlablement convaincus que les dommages infligés à votre bois doivent être compensés par le malfaiteur forestier de quelque façon que ce soit. Le fondement de bois, qui supporte fermement votre raisonnement, est si vermoulu, qu'un seul souffle de raison saine l'épar­pille en mille morceaux.

L'Etat peut et doit dire : je garantis le droit contre tous les hasards. Seul le droit est en moi éternel et, à ce titre, je vous prouve le caractère périssable du crime en le supprimant. Mais l'Etat ne peut ni ne doit dire : un intérêt privé, > une existence déterminée de la propriété, une surveillance forestière, un arbre, un éclat de bois, et, par rapport à l'Etat, l'arbre le plus gros est à peine un éclat de bois, est garanti contre tous les hasards, est immortel. L'Etat ne peut aller contre la nature des choses, il ne peut prémunir le fini contre les conditions du fini, contre le hasard. Pas plus que votre propriété ne pouvait être garantie par l'Etat, avant le crime, contre tout hasard, le crime ne peut changer en son contraire cette nature incertaine de votre propriété. Sans doute, l'Etat assurera-t-il votre intérêt privé pour autant que celui-ci peut être assuré par des lois raisonnables et des mesures préventives raisonnables, mais l'Etat ne peut accorder à votre titre de créance sur le criminel d'autre droit que le droit des titres de créances, que la protection de la juridiction civile. Si, parce que le criminel est démuni, vous ne pouvez obtenir par cette voie aucune compensation, il en résulte simplement que toute voie juridique menant à cette compensation s'arrête là. Le monde n'en tremble pas pour autant sur ses bases, l'Etat n'en abandonne pas l'orbite solaire de la justice et vous avez connu le caractère éphémère des choses terrestres ; cette expérience apparaîtra à votre solide religiosité tout juste comme une nouvelle piquante ou lui semblera à peine plus étrange que des tempêtes, un incendie ou une fièvre. Si l'Etat voulait, cependant, faire du criminel votre serf tempo­raire, il sacrifierait à votre intérêt privé, qui est fini, l'immortalité du droit. Ainsi, il démontrerait au criminel la mortalité du droit dont il doit, par la peine, lui démontrer l'immortalité.

Anvers, à l'époque du roi Philippe, aurait pu aisément tenir les Espagnols à distance en inondant son territoire, mais la corporation des bouchers le refusa parce qu'elle avait des boeufs gras dans les pâturages. Et vous, vous réclamez à l'Etat l'abandon de son territoire spirituel pour venger votre morceau de bois.

Quelques dispositions secondaires de l'article 16 restent encore à exposer.

Un député des villes fit remarquer : « D'après la législation en vigueur, huit jours de prison équivaudraient à une amende de cinq thalers. Il n'existerait pas de raison suffisante d'y renoncer. » (C'est-à-dire de remplacer huit jours par quinze.) Concernant ce même article, la commission avait proposé l'additif suivant : « Qu'en aucun cas la peine d'emprisonnement ne devrait être inférieure à vingt-quatre heures. » Lorsque l'on fit remarquer que ce minimum était trop élevé, l'un des membres de la classe des propriétaires de terres nobles rappela que « La loi forestière française ne contenait pas de peine inférieure à trois jours ».

Le même souffle qui remplace, contrairement à la disposition de la loi française, cinq thalers par quinze jours de prison, et non huit, se refuse, par dévotion envers la loi française, à passer de trois jours à vingt-quatre heures.

Le député des villes mentionné plus haut fait observer en outre : « Qu'il serait pour le moins très dur de remplacer une amende de cinq thalers par quatorze jours de prison pour des soustractions de bois qu'on ne peut tout de même pas considérer comme un crime méritant un châtiment sévère. Cela aboutirait à punir d'une peine simple l'homme aisé qui se rachète avec de l’argent, mais d’une double peine l'homme démuni. » Un député appartenant à la classe des propriétaires de terres nobles mentionne le fait que dans les environs de Clèves de nombreux méfaits forestiers sont commis dans le seul but de faire admettre leur auteur à la maison d'arrêt pour y être nourri comme tout prisonnier. Ce député ne prouve-t-il pas, précisément, ce qu'il cherche à réfuter, à savoir que c'est par pure légitime défense contre la faim et le manque d'abri que les gens commettent des méfaits forestiers ? Cette détresse épou­vantable constitue-t-elle une circonstance aggravante ?

Le député des villes susmentionné : « se doit de considérer la réduction de nourriture déjà désapprouvée comme trop dure, tout à fait irréalisable, surtout lorsqu'il s'agit de travaux forcés ». De plusieurs côtés, on désapprouva le fait que la réduction de la nourriture au pain et à l'eau serait trop dure. Un député des communes rurales fit remarquer que dans le département de Trêves on aurait déjà introduit la réduction de la nourriture et qu'elle se serait révélée très efficace.

Pourquoi l'honorable orateur tient-il à attribuer justement la cause des bons effets obtenus à Trêves au pain et à l'eau, et non au renforcement du sentiment religieux dont la Diète a su nous parler si abondamment et de façon si émouvante ? Qui aurait alors soupçonné que l'eau et le pain étaient les vrais moyens de la grâce ? Dans certains débats, on se croyait revenu au Parle­ment anglais des saints [23], et maintenant ? Au lieu de prière, de confiance et de chant, l'eau, le pain, la prison et le travail forestier ! Avec quelle générosité a-t-on prodigué de belles paroles en vue de procurer aux Rhénans une place au ciel ! Et quelle générosité, de nouveau, dans les discours destinés à contraindre à coups de fouet toute une classe de Rhénans au travail forestier, au pain et à l'eau, une trouvaille qu'un planteur hollandais ne s'autoriserait guère à l'égard de ses nègres. Que prouve tout cela ? Qu'il est facile d'être saint quand on ne veut pas être humain. Ainsi on comprendra ce passage : « Un membre de la Diète qualifia la disposition de l'article 23 d'inhumaine ; elle n'en fut pas moins adoptée. » Excepté l'inhumanité, rien ne nous est livré au sujet de cet article.

Tout notre exposé a montré comment la Diète abaisse le pouvoir exécutif, les autorités administratives, l'existence de l'accusé, la notion d'Etat, le crime lui-même et la peine à des moyens matériels de l'intérêt privé. On trouvera logique donc que la décision judiciaire soit ainsi traitée comme un simple moyen et la force de loi de ce jugement pour une prolixité superflue.

A l'article 6, la commission souhaite rayer le terme « ayant force de loi » car son insertion, en cas de jugement par défaut, donnerait aux voleurs de bois un moyen de se soustraire à la peine aggravée en cas de récidive ; cependant, plusieurs députés protestèrent à ce sujet et remarquèrent que l'on devrait s'opposer à la suppression proposée par la commission de l'expression « jugement ayant force de loi », dans l'article 6 de la proposition de loi. Cette spécification des jugements n'a certainement pas été insérée à cet endroit comme dans l'article 7 sans considération juridique. L'intention d'aggraver la punition en cas de récidive aboutirait en effet plus aisément et plus couram­ment si toute première sentence suffisait à fonder le recours à une peine plus sévère. Mais il reste à se demander si l'on veut de cette façon sacrifier un principe de droit essentiel aux intérêts de ia surveillance forestière que le rapporteur met en évidence. On ne saurait tomber d'accord sur le fait que, en violant un axiome incontestable de la procédure juridique, il soit attribué un tel effet à un jugement qui n'a pas encore d'existence légale. Un autre député des villes demanda également le rejet de l’amendement proposé par la com­mission. Celui-ci serait contraire aux dispositions du droit pénal selon les­quelles aucune aggravation de peine ne peut intervenir avant que la première peine ne soit établie par un jugement ayant force de loi.

Le rapporteur réplique : « que l'ensemble constituant une loi exception­nelle, une disposition exceptionnelle comme celle qui est proposée y serait donc admissible ». « La proposition de la commission visant à rayer le terme « ayant force de loi » est adoptée. »

Le jugement n'est là que pour constater la récidive. Les formes judiciaires apparaissent, à l'inquiétude avide de l'intérêt privé, comme des obstacles gênants et superflus imposés par une étiquette juridique pointilleuse. Le procès ne sert qu'à acheminer sûrement l'adversaire vers la prison, qu'à préparer simplement l'exécution, dès qu'il prétend être davantage, il est réduit au silence. L'intérêt personnel apeuré épie, calcule, combine avec le plus grand soin comment l'adversaire peut exploiter pour lui le terrain juri­dique, mal nécessaire, où l'on doit s'engager contre lui et où on le gagne de vitesse grâce aux manoeuvres les plus circonspectes. On se heurte au droit lui-même comme à un obstacle en voulant à tous crins faire valoir son intérêt privé et l'on traite le droit comme un obstacle. On marchande, on fait le maqui­gnon avec lui, on lui extorque un axiome par-ci par-là, on l'apaise en invo­quant avec la ferveur la plus grande le droit de l'intérêt, on lui tape sur l'épaule, on lui murmure à l'oreille qu'il s'agit d'exceptions et que toute règle a ses exceptions, on essaie, en quelque sorte, par le terrorisme et la rigueur qu'on lui permet à l'encontre de l'adversaire, de dédommager le droit pour l'élasticité lascive de la conscience avec laquelle on le traite comme garantie de l'accusé et comme objet indépendant. L'intérêt du droit a droit à la parole tant qu'il est le droit de l'intérêt, mais il doit se taire dès qu'il entre en conflit avec ce saint.

Le propriétaire de forêts, qui a lui-même puni, est assez conséquent pour faire exécuter lui-même car, de toute évidence, il fait exécuter en déclarant qu'un jugement, sans valeur exécutoire, a force de loi. Un juge impartial, n'est-ce pas une illusion insensée et maladroite quand le législateur est partial ? Que signifie un jugement désintéressé quand la loi est intéressée ? Le juge ne peut formuler l’intérêt particulier de la loi que d'une façon puritaine et ne peut l'appliquer que d'une façon impitoyable. L'impartialité est alors la forme et non le contenu du jugement. La loi a anticipé le contenu. Si le procès n'est rien d'autre qu'une forme sans contenu, une telle vétille formelle n'a aucune valeur propre. De ce point de vue, le droit chinois deviendrait du droit français, si on l'introduisait de force dans la procédure française. Mais le droit matériel a sa procédure nécessaire, innée, et, autant le bâton est nécessaire dans le droit chinois, autant la torture est inhérente, en tant que procédure, au contenu de l'Ordre de la Cour criminelle du XVIe siècle, autant, un contenu, public par sa nature et dicté par la liberté et non l'intérêt privé, appartient tout aussi nécessairement au procès public et libre. Le procès et le droit sont aussi peu indifférents l'un à l'autre que ne le sont, par exemple, les formes des plantes et des animaux à l'égard de la chair et du sang des animaux. Un esprit unique doit animer le procès et les lois, car le procès n'est jamais que le mode de vie de ia loi, et donc la manifes­tation de sa vie intérieure.

Pour s'assurer de leurs prisonniers, les pirates de Tidong leur rompent bras et jambes. Pour s'assurer des malfaiteurs forestiers, la Diète n'a pas seulement brisé bras et jambes au droit, mais elle lui a même transpercé le cœur. Par contre, nous tenons pour véritablement nul le mérite de la Diète d'avoir réintroduit notre procédure dans quelques catégories ; nous devons, au contraire, reconnaître la franchise et la logique qui donnent à un contenu non libre, une forme non libre. Si l'on introduit matériellement dans notre droit l'Intérêt privé, qui ne supporte pas la lumière de la publicité, qu'on lui donne aussi une forme appropriée, la procédure secrète, pour ne pas éveiller ni nourrir des illusions risquées et présomptueuses. Nous considérons qu'il est dans le devoir de tous les Rhénans et, particulièrement, des juristes rhénans, d'accor­der, en ce moment, l'essentiel de leur attention au contenu du droit, afin qu'il ne nous en reste pas, au bout du compte, que le masque vide. La forme est sens valeur si elle n'est pas la forme du contenu.

La proposition de la commission, que nous venons de discuter, et le vote approbateur de la Diète constituent le bouquet final de tout le débat, car la Diète elle-même prend conscience du heurt entre l'intérêt de ia surveillance forestière et les principes du droit, principes sanctionnés par notre propre loi. Le vote de la Diète portait sur cette question : faut-il sacrifier les principes du droit à l'intérêt de la surveillance forestière ou bien l'intérêt de la surveillance forestière aux principes du droit, et l'intérêt s'est imposé au droit. On a même reconnu que toute la loi est une exception à la loi et on en a conclu que toute disposition exceptionnelle y était admissible. On s'est contenté de tirer les conséquences que le législateur a omis de tirer. Sur tous les points où le législateur a oublié qu'il s'agit d'une exception à la loi et non pas d'une loi, où il a fait valoir le point de vue juridique, notre Diète intervient avec un tact souverain pour corriger et compléter, et entérine le fait que l'intérêt privé donne des lois au droit là où le droit donnait des lois à l'intérêt privé.

La Diète a donc parfaitement rempli sa mission. Conformément à sa vocation, elle a représenté un intérêt particulier déterminé et l'a traité comme son but final. Qu'elle ait, en celà, piétiné le droit est une simple conséquence de son devoir, car l'intérêt est, de par sa nature, un instinct aveugle, sans limites, partial, en un mot hors la loi. Et ce qui est hors la loi peut-il donner des lois ? On a beau placer l'intérêt privé sur le trône du législateur, il n'en est pas moins incapable de légiférer, tout comme un muet auquel on donne un porte-voix d'une taille immense ne retrouve pas pour autant la parole.

Ce n’est qu'avec répugnance que nous avons suivi ces débats ennuyeux at insipides, mais nous estimions qu’il était de notre devoir de montrer, à l'aide d'un exemple, ce que l'on peut attendre d'une assemblée d'états sociaux, assemblée des intérêts particuliers, si jamais elle était appelée à légiférer sérieusement.

Nous le répétons encore une fois : nos Etats provinciaux se sont acquittés de leur mission d'états provinciaux, mais nous sommes loin de vouloir les Justifier pour autant. En eux, le Rhénan devait l'emporter sur l'Etat provincial, et l'homme devait l'emporter sur le propriétaire de forêts. Légalement, ils sont chargés de représenter non seulement les intérêts particuliers, mais aussi ceux de la province, et, si contradictoires que soient ces deux devoirs, à aucun moment on ne devait, dans un cas de conflit, hésiter à sacrifier la repré­sentation de l’intérêt particulier à la représentation de la Province. C'est le sens du droit et de la loi qui constitue le provincialisme le plus révélateur des Rhénans ; mais il va de soi que l’intérêt particulier ne connaît pas davantage de patrie que de province, et pas davantage l'esprit général que l'esprit local. En contradiction directe avec ce que prétendent ces écrivains de l'imaginaire qui se plaisent à trouver dans une représentation des intérêts particuliers un romantisme idéal, une profondeur d'âme insondable et la source la plus fruc­tueuse en manifestations individuelles et particulières de la morale concrète 33, une telle représentation supprime toutes les différences naturelles et spiri­tuelles en hissant à leur place, sur le trône, l'abstraction immorale, incensée et sans âme d'une matière déterminée et d'une conscience déterminée qui lui est servilement soumise.

En Sibérie comme en France, le bois reste le bois ; au Kamtchatka comme en Rhénanie, le propriétaire de forêts reste le propriétaire de forêts. Si, par conséquent, le bois et le propriétaire du bois, en tant que tels, font les lois, ces lois n'auront d'autres différences que le lieu géographique où elles sont nées et la langue dans laquelle elles sont établies. Ce matérialisme perverti, ce péché contre l'esprit saint des peuples et de l'humanité est une consé­quence immédiate de la doctrine que la Preussische Staatszeitung prêche au législateur : ne penser qu'au bois et à la forêt en légiférant sur le bois et de ne pas accomplir chaque devoir matériel politiquement, c'est-à-dire hors de toute la raison d'Etat et de toute la morale concrète d'Etat.

Les sauvages de Cuba tenaient l'or pour le fétiche des Espagnols. Ils lui offrirent une fête, chantèrent autour de lui, à la suite de quoi ils le jetèrent dans la mer. Les sauvages de Cuba, s'ils avaient assisté à la séance des Etats pro­vinciaux de Rhénanie, n'auraient-ils pas tenu le bois pour le fétiche des Rhénans [24] ? Mais une prochaine séance les aurait instruits de ce que le fétichisme est lié à la zoolatrie et les sauvages de Cuba auraient jeté à la mer les lièvres pour sauver les hommes ? [25].


DOCUMENT ANNEXE

Proposition de loi remaniée relative au vol de bois et autres produits forestiers - Extraits limités aux articles commentés par Marx -

Nous, Friedrich Wilhelm, par la grâce de Dieu Roi de Prusse, etc., avons décidé de soumettre la loi relative à la poursuite et à la punition du vol de bois du 7 juin 1821 à un nouvel examen, après avoir pris connais­sance des diverses remarques et préoccupations et de l’élargir en y insé­rant des règlements concernant les dérobements d’autres produits fores­tiers qui ne font pas partie du bois et d’autres objets de la même catégorie.

Sur la demande de notre ministère d’Etat, nous ordonnons, par conséquent, ce qui suit en remplacement de la loi du 7 juin 1821 ainsi que des décrets qui la complètent et l’expliquent, en supprimant toutes les ordonnances forestières générales et particulières tant qu’elles sont contraires à la loi présente :

Section I

Article Premier. — Les règlements promulgués par cette loi quant au vol de bois simple s’appliquent aux dérobements suivants :

1) A tout bois de forêts n’étant pas encore abattu ;

2) A tout bois vert, hors des forêts, destiné à l’exploitation ;

3) A tout bois, cassé accidentellement ou renversé en troncs entiers dont l’ajustage n’a pas encore commencé ;

4) Aux copeaux de bois d’œuvre, se trouvant dans la forêt ou aux dépôts de bois non encore aménagés.

Art. 4. — La valeur simple du bois dérobé est évaluée d’après la taxe forestière en vigueur dans le district forestier royal où le dérobement a eu lieu ; et si le vol de bois a lieu dans les propriétés communales ou dans celles des particuliers, la valeur simple est évaluée d’après la taxe en vigueur dans le district forestier royal le plus proche, qui ne soit pas éloigné de plus de deux milles ; si le district forestier royal est éloigné de plus de deux milles, c’est le garde dénonciateur qui fixe la videur d’après les prix locaux.

Art. 5. — Une peine de six fois la valeur est appliquée au cas où les circonstances suivantes accompagnent le vol de bois simple, soit seules, soit combinées :

1) Si le vol est commis pendant la nuit (...) ou un jour férié ;

2) Si l’auteur est emmitouflé, s’est noirci le visage ou a utilisé d’autres moyens pour se rendre méconnaissable ;

3) Si l’auteur a tenté de tromper frauduleusement le propriétaire ou le garde forestier sur sa personne en donnant de fausses informations sur son nom, domicile, etc.

.

Art. 6. — La peine de six fois la valeur est appliquée si l’auteur, après avoir été condamné effectivement pour dérobement de bois, commet un deuxième et un troisième vol, et la peine de huit fois la valeur si le vol de bois par récidive a eu lieu dans les circonstances aggravantes men­tionnées dans l’article 5.

Art. 7. — Les peines pour récidive (...) sont appliquées sans tenir compte du fait que la peine ait été, lors de la nouvelle infraction, déjà exécutée ou pas. Les vols de bois non soumis à cette loi (...) ne sont pas pris en considération pour la récidive.

Art. 10. — Celui qui cache ou possède du bois dont il sait qu’il a été dérobé ou qui se fait complice du recel ou de l’auteur, subit la même peine que l’auteur du vol de bois.

Art. 14. — Toutes les amendes dues pour vol de bois, même si elles doivent être acquittées par plusieurs personnes en tant que co-auteurs, complices ou bénéficiaires, reviennent toutes au propriétaire de forêt, ainsi que le travail forcé de tous les condamnés insolvables.

Art. 15. — Si le propriétaire de forêt a subi un dommage, causé par un vol de bois ou lors d’un vol de bois, qui n’est pas dédommagé par le montant de la valeur du bois taxé, il lui appartient de poursuivre l’auteur en procédure civile afin d’évaluer et d’obtenir de lui une indemnité com­plémentaire, la procédure civile doit reconnaître sans autre examen le fait pour lequel le défendeur a été condamné et le jugement ayant force de loi.

Si, d’ailleurs, il découle des circonstances que le dommage est supérieur à la valeur du bois, et l’indemnité exigée ne dépassant pas cinq thalers, le juge forestier est autorisé à fixer au même moment que la peine cette indemnité particulière jusqu’à cinq thalers.

Art. 16. — Si, en raison de l’indigence de l’auteur ou des personnes responsables à sa place, l’amende ne peut pas être recouvrée, celle-ci, mais non l’indemnisation de valeur, sera remplacée par un travail forcé ou une peine d’emprisonnement qui, en aucun cas, ne sera inférieure à vingt-quatre heures. Cinq thalers d’amende équivalent à une peine d’em­prisonnement de quinze jours avec réduction de la nourriture à l’eau et au pain, le prisonnier n’ayant droit que tous les trois jours à un repas chaud.

Le condamné peut se libérer de cette peine aggravée en exécutant des travaux forcés, dans ce cas-ci, un jour de travail équivaut à deux jours d’emprisonnement. S’il est, par contre, incapable de travailler ou bien qu’y étant disposé aucun travail ne lui est assigné, dans ce cas-là une journée de travail équivaut à une journée d’emprisonnement avec la nourriture normale de la prison.

Art. 19. — Le travail forcé que le condamné doit effectuer consiste d’abord dans le travail forestier pour le propriétaire de forêt.

Art. 20. — Si les propriétaires de forêts ne peuvent, ou ne veulent pas, faire exécuter le travail forestier auquel ils ont droit, ils sont autorisés, sous le consentement de leur autorité policière locale, à demander au coupable d’autres travaux adaptés à ses conditions et à ses forces. Si l’ayant droit propriétaire de forêt renonce à occuper les coupables à son propre avantage, alors, ceux-ci, au jugement et aux directives des autorités policières locales, doivent être employés afin d’effectuer d'autres travaux dans l’intérêt de l’administration publique et cela sans distinction si ces travaux sont effectués aux frais des communes ou de l’Etat.

Art. 23. — Les condamnés sont, eux-mêmes, responsables de se nourrir pendant les travaux forcés. S’ils en sont incapables, les propriétaires de forêts ou l’autorité pour laquelle ils effectuent les travaux leur fournissent 1,5 livre de pain (1 livre aux personnes de sexe féminin), ou une indemni­sation équivalente en argent.

Art. 34. — Le garde forestier verbalisateur, ayant découvert le vol de bois et enquêté dessus, n’est obligé de comparaître à la séance forestière du tribunal au jour fixé que dans les cas dans lesquels sa comparution est considérée comme nécessaire pour des raisons particulières et ordonnée par le juge.

Si l’inculpé exige la comparution, il doit au préalable déposer au tri­bunal forestier le montant des frais exigés.

Art. 41. — Font foi les témoignages des :

a) fonctionnaires forestiers inamovibles ;

b) fonctionnaires forestiers engagés par intérim, mais ayant droit à une rente à vie ;

c) chasseurs de corps, engagés au service militaire pour vingt ans, lesquels, après avoir été mis en réserve ou congédiés comme demi-invalides, sont engagés comme fonctionnaires forestiers par intérim.

Ces témoignages sont dignes de foi seulement dans la mesure où le fonctionnaire forestier a été assermenté par un tribunal, qu’il dénonce en toute fidélité, vérité et consciencieusement, les vols de bois et d’autres produits forestiers ayant lieu dans les districts du tribunal par lequel il a été assermenté et dont il a eu connaissance, tout ce qu’il apprend soit par sa propre perception, soit par information d’autrui, sur les cir­constances, les auteurs et les participants au délit, qu’il précise les faits avec distinction et qu'il évalue la valeur de l’objet dérobé consciencieu­sement et selon les règlements.

En général, ce serment a lieu au tribunal devant lequel le garde fores­tier doit comparaître, ou, si son district forestier fait partie de plusieurs districts judiciaires, devant le tribunal de son domicile...

Art. 42. — Afin de ne pas diminuer leur force probante, les gardes forestiers ne tireront, à l’avenir, par leur activité de dénonciation, aucun bénéfice des amendes.

Art. 43. — En général, il suffit de prouver la garde du bois volé afin d’appliquer la peine légale du vol de bois simple contre le possesseur de ce bois, si celui-ci ne peut pas prouver avoir obtenu le bois par un autre moyen ou réfuter de quelque manière le soupçon.

Art. 54. — Les chasseurs de corps, mentionnés à l’article 41, ne peu­vent, cependant, être acceptés et assermentés par intérim dans le service communal ou privé que dans la mesure où le commandant de leur déta­chement de chasseurs leur a certifié, lors de leur congé, que leur compor­tement officiel et moral fonde la supposition d’un degré de sûreté tel que puisse être permis, lors de leur emploi dans les services forestiers et de chasse, de leur accorder l’autorisation d’utiliser les armes et de prêter serment devant les tribunaux.

Art. 56. — ... les gouvernements sont autorisés, sous la demande soit des autorités policières, soit des employeurs, d’annuler les habilitations mentionnées, même celles des gardes forestiers communaux ou privés inamovibles, pour les mêmes raisons et par les mêmes démarches qu’ils sont autorisés à congédier, contre leur gré, les employés royaux inamo­vibles, dans ce cas-ci, les employeurs se réservent de résilier le contrat de service sous condition préalable ou de le demander par une procédure judiciaire.

Art. 62. — Les percepteurs reçoivent, en compensation de leurs efforts, outre les frais d’exécution, un dixième du montant qu’ils perçoivent et le déduisent du montant global qu’ils doivent remettre. Dans le cas de l’insolvabilité du condamné, par contre, ils ne disposent d’aucun droit de demander à la commune ou au propriétaire de forêt privé un dédom­magement pour leurs efforts, et ils sont obligés de délivrer, à titre gratuit, l’attestation d’insolvabilité. Dans la Province rhénane, l’insolvabilité doit être prouvée par une attestation, délivrée par le percepteur fiscal, le percepteur communal, le maire ou l’adjoint et deux conseillers municipaux. Ceux qui délivrent cette attestation sont responsables de sa véracité.

Section II

Art. 65. — Celui qui, après avoir été condamné pour une deuxième récidive ou au-delà, commet un vol de bois, pendant les deux années suivantes, sera condamné à une peine d’emprisonnement ou de maison de travail allant de quatre semaines à deux ans. Si le délit est commis après ces deux ans, seule la peine du deuxième vol de bois est appliquée.

Art. 66. — La peine d’emprisonnement ou de maison de travail allant de quatre semaines à deux ans est également appliquée lors du premier vol de bois si l’auteur vend le bois dérobé ou commet le délit dans l’in­tention démontrable de vendre le bois, soit contre l’auteur du délit et contre ceux qui y participent en connaissance de cause, soit contre celui qui, sachant que le bois a été volé, l’achète ou l’accepte à titre onéreux.

Art. 87. — Celui dans la garde duquel est trouvé du bois vert récemment abattu, et ne pouvant pas prouver ou attester son acquisition légale, sera privé de ce bois au bénéfice du fonds des pauvres, et cela sans qu’aucun dérobement du bois ou participation au dérobement n’ait été constatés. Mais, s’il peut prouver qu’il a acquis le bois d’une autre personne, et cette personne ne pouvant pas établir la preuve d’une acquisition légale de ce bois, le dernier doit, à la place d’une confiscation du bois, verser la valeur simple de celui-ci à la caisse des pauvres; dans le cas où la valeur est infé­rieure à cinq Silbergroschen, il est tenu à verser cinq Silbergroschen.


Notes

[1] Nous regrettons de n'avoir pu communiquer à nos lecteurs le deuxième article. (Note de la Rédaction de la Rheinische Zeitung).

Les circonstances de cette censure furent décrites par Marx dans une lettre qu’il envoya le 9 juillet à Ruge : « ... Ne croyez d’ailleurs pas que sur les bords du Rhin nous vivons dans un Eldorado politique. Il faut avoir la plus grande suite dans les idées et la plus grande ténacité pour mener à bien un journal comme la Rheinische. Mon second article sur la Diète, qui traite du conflit avec l’Eglise, a été écarté par la censure. J’y montrais comment les défenseurs de l’Etat se sont rangés au point de vue de l’Eglise et les défenseurs de l’Eglise au point de vue de l’Etat. Cette affaire est d’autant plus fâcheuse pour la Rheinische que les sots lecteurs catholiques de Cologne seraient tombés dans le panneau, et que le fait de prendre la défense de l’archevêque aurait attiré des abonnés. Vous n’avez du reste pas d’idée de quelle manière sotte et abjecte les gens du gouvernement en ont usé avec la grosse caboche orthodoxe. Mais leur travail a été couronné de succès ; la Prusse, devant tout le monde, a baisé la pantoufle du pape, ce qui n’empêche pas nos machines à gouverner de traverser les rues sans rougir. La Rheinische Zeitung intente une action en recours au sujet de cet article. D’une manière générale, c’est pour elle le commencement de la lutte... » (Marx/Engels, Correspondance, I, Ed. Badia/Mortier, p. 258).

[2] En allemand Frevel

[3] En allemand Sittlichkeit

[4] En allemand Sittlichkeit

[5] Constitutio Criminalis Carolina, adoptée sous Charles V en 1532 par la Diète impériale à Regensburg. La CCC fut de loin la plus grande et la plus importante des réformes criminelles entreprises au début du XVIe siècle. Elle est aussi la première dont l’application s’étend au territoire de l’Empire. L’article auquel Marx fait allusion est l’ar­ticle 167 qui, portant sur les vols dans les champs, préconise un traitement à part du vol par nécessité. Une personne ayant commis un vol par nécessité n’est pas soumise à la règle pénale, mais à la règle civile. L’article renvoie soit aux coutumes, soit au dédommagement.

[6] Montesquieu. De l'esprit des lois.

[7] Marx reprend ici la fameuse expression de La phénoménologie de l’esprit de Hegel, en allemand : Das geistige Thierreich. Il s’agit d’un passage de La phénoménologie qui porte le titre « Le règne animal de l’esprit et la tromperie, ou la chose même ».

[8] En allemand Gesetzlosigkeit.

[9] En français dans le texte.

[10] Il s’agit des soi-disant Leges Barbarorum, les premiers enregistrements des droits coutumiers des peuples et des tribus germaniques (500-900), dont le plus connu était la Lex Salica.

[11] En allemand Einseitigkeit.

[12] Shakespeare. Le marchand de Venise.

[13] En français dans le texte.

[14] Cette phrase est une libre citation de la traduction allemande de l’œuvre de Charles de Brosses, Du culte des dieux fétiches ou Parallèle de l’ancienne religion de l'Egypte avec la religion actuelle de Nigriti (1760), qui parut en 1785 à Stralsund. Juste avant d’écrire les articles pour la Rheinische Zeitung, Marx avait lu l’ouvrage de Charles de Brosses et en avait noté des extraits. Par rapport à l’original, la phrase de l’article diffère légèrement : l’animal que les Samoyèdes tuent est une « bête féroce ». L’article omet en outre une parenthèse notée par Marx, « car cette nation leur est un objet d’honneur », que Marx a probablement omise pour des raisons de censure (cf. MEGA (2), IV/1, 323).

[15] L’oracle de Dodone : oracle des Pélasges qui utilisait divers moyens de divination dont le bruit du vent dans les branches des chênes sacrés.

[16] M. Rubel suggère qu’une lettre de Heinrich Heine, parue en été 1842 dans la Augsburger Allgemeine Zeitung, soit à l’origine de cette comparaison. Cette lettre, datée du 2 juin 1842, fit partie d’une série de lettres que Heine écrivit de 1840 à 1843 pour cette gazette et qu’il publia plus tard comme livre sous le titre Lutetia. Heine y parle de la « distance prudente », voire de la « peur presque supersti­tieuse », que Napoléon garda face au monde des idées, en particulier celles de ceux qu’il nomma les « idéologues » (Heine, Werke, Bd. 9, Aufbau Verlag Berlin, 429).

[17] En français dans le texte.

[18] En français dans le texte.

[19] Évariste Parny, La Guerre des Dieux, chant second. (En français dans le texte.)

[20] En allemand Mehrwert.

[21] En français dans le texte.

[22] Shakespeare. Le marchand de Venise.

[23] Sobriquet pour le Parlement dit « Barebone » qui siégea du 4 juillet au 12 décembre 1953 sous Cromwell.

[24] Phrase de l’ouvrage cité ci-dessus de Charles de Brosses.

[25] Allusion de Marx au débat de la Diète sur une autre proposition de loi, relative aux délits de chasse.