1844

La propriété privée nous a rendus si sots et si bornés qu'un objet n'est nôtre que lorsque nous l'avons, qu' [il] existe donc pour nous comme capital ou qu'il est immédiatement possé­dé, mangé, bu, porté sur notre corps, habité par nous, etc., bref qu'il est utilisé par nous, bien que la propriété privée ne saisisse à son tour toutes ces réalisations directes de la possession elle-même que comme des moyens de subsistance, et la vie, à laquelle elles servent de moyens, est la vie de la propriété privée, le travail et la capitalisation.

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Manuscrits de 1844

Karl Marx


Premier manuscrit [15]

Salaire

[I] Le salaire est déterminé par la lutte ouverte entre capitaliste et ouvrier. Nécessité de la victoire pour le capitaliste. Le capitaliste peut vivre plus longtemps sans l'ouvrier, que l'ou­vrier sans le capitaliste. Union entre capitalistes habituelle et efficace, celle entre ouvriers inter­dite et pleine de conséquences fâcheuses pour eux. En outre, le propriétaire foncier et le capitaliste peuvent ajouter à leurs revenus des avantages industriels ; l'ouvrier ne peut ajouter à son revenu industriel ni rente foncière, ni intérêts de capitaux. C'est pourquoi la concur­rence est si grande entre les ouvriers. C'est donc pour l'ouvrier seul que la séparation du capi­tal, de la propriété foncière et du travail est une séparation nécessaire, essentielle et nuisible. Le capital et la propriété foncière peuvent ne pas rester dans les limites de cette abstraction, mais le travail de l'ouvrier ne peut en sortir.

Donc, pour l'ouvrier, la séparation du capital, de la rente foncière et du travail est mortelle.

Le taux minimum et le seul nécessaire pour le salaire est la subsistance de l'ouvrier pen­dant le travail, et l'excédent nécessaire pour pouvoir nourrir une famille et pour que la race des ouvriers ne s'éteigne pas. Le salaire ordinaire est, d'après Smith, le plus bas qui soit com­pa­tible avec la simple humanité   [16] , c'est-à-dire avec une existence de bête.

La demande d'hommes règle nécessairement la production des hommes comme de toute autre marchandise   [17] . Si l'offre est plus grande que la demande, une partie des ouvriers tombe dans la mendicité ou la mort par inanition. L'existence de l'ouvrier est donc réduite à la con­dition d'existence de toute autre marchandise. L'ouvrier est devenu une marchandise et c'est une chance pour lui quand il arrive à se placer. Et la demande, dont dépend la vie de l'ou­­­vrier, dépend de l'humeur des riches et des capitalistes. Si [la] quantité de l'offre [dépasse]  [18] la demande, un des éléments consti[tuant]  [19] le prix (profit, rente foncière, salaire) sera payé au-dessous du prix, [une partie de]  [20] ces déterminations se soustrait donc à cette utili­sa­tion et ainsi le prix du marché gravite [autour]  [21] de son centre, le prix naturel  [22] . Mais 1º à un niveau élevé de la division du travail, c'est l'ouvrier pour lequel il est le plus difficile de donner une orientation différente à son travail, 2º c'est lui le premier touché par ce préjudice, étant donné son rapport de subordination au capitaliste.

Du fait que le prix du marché gravite autour du prix naturel, c'est donc l'ouvrier qui perd le plus et qui perd nécessairement. Et précisément la possibilité qu'a le capitaliste de donner une autre orientation à son capital a pour conséquence ou bien de priver de pain l'ouvrier [23] limité à une branche d'activité déterminée, ou de le forcer à se soumettre à toutes les exigen­ces de ce capitaliste.

[II] Les fluctuations contingentes et soudaines du prix du marché affectent moins la rente foncière que. la partie du prix qui se résout en profit et en salaires, mais elles affectent moins le profit que le salaire. Pour un salaire qui monte, il y en a la plupart du temps un qui reste stationnaire et un qui baisse.

L'ouvrier ne gagne pas nécessairement lorsque le capitaliste gagne, mais il perd néces­sai­re­ment avec lui. Ainsi l'ouvrier ne gagne pas, lorsque, en vertu du secret de fabrication ou du secret commercial, en vertu des monopoles ou de la situation favorable de sa propriété, le capitaliste maintient le prix du marché au-dessus du prix naturel.

En outre : les prix du travail sont beaucoup plus constants que les prix des moyens de subsistance. Souvent ils sont en rapport inverse. Dans une année de vie chère, le salaire est diminué à cause de la réduction de la demande, augmenté à cause de la hausse des moyens de subsistance. Donc compensé. En tout cas, une quantité d'ouvriers privés de pain. Dans les années de bon marché, salaire élevé par l'élévation de la demande, diminué à cause des prix des moyens de subsistance. Donc compensé.

Autre désavantage de l'ouvrier :

Les prix du travail des différentes sortes d'ouvriers sont beaucoup plus variés que les gains des diverses branches dans lesquelles le capital s'investit. Dans le travail, toute la diversité naturelle, intellectuelle et sociale de l'activité individuelle apparaît et elle est payée différemment, tandis que le capital inerte marche toujours du même pas et est indifférent à l'activité individuelle réelle.

D'une manière générale, il faut remarquer que là où l'ouvrier et le capitaliste souffrent également, l'ouvrier souffre dans son existence, le capitaliste dans le profit de son veau d'or inerte.

L'ouvrier n'a pas seulement à lutter pour ses moyens de subsistance physiques, il doit aussi lutter pour gagner du travail, c'est-à-dire pour la possibilité, pour les moyens de réaliser son activité.

Prenons les trois états principaux dans lesquels peut se trouver la société et considérons la situation de l'ouvrier en elle.

1º Si la richesse de la société décline, c'est l'ouvrier qui souffre le plus, car: quoique la clas­se ouvrière ne puisse pas gagner autant que celle des propriétaires dans l'état de pros­pé­rité de la société, aucune ne souffre aussi cruellement de son déclin que la classe des ouvriers   [24] .

[III] 2º Prenons maintenant une société dans laquelle la richesse progresse. Cet état est le seul favorable à l'ouvrier. Là intervient la concurrence entre les capitalistes. La demande d'ouvriers dépasse l'offre. Mais :

D'une part, l'augmentation du salaire entraîne l'excès de travail parmi les ouvriers. Plus ils veulent gagner, plus ils doivent sacrifier leur temps et, se dessaisissant entièrement de toute liberté, accomplir un travail d'esclave au service de la cupidité. Ce faisant, ils abrègent ainsi le temps qu'ils ont à vivre. Ce raccourcissement de la durée de leur vit est une circons­tan­ce favorable pour la classe ouvrière dans son ensemble, parce qu'elle rend sans cesse né­ces­saire un apport nouveau. Cette classe doit tou­jours sacrifier une partie d'elle-même pour ne pas périr dans son ensemble.

En outre : Quand une société se trouve-t-elle en état d'enrichissement croissant ? Quand les capitaux et les revenue d'un pays augmentent. Mais ceci est possible seulement

a) si beaucoup de travail est amoncelé, car le capital est du travail accumulé ; donc si une partie toujours plus grande de ses produits est enlevée des mains de l'ouvrier, si son propre travail s'oppose à lui de plus en plus en tant que propriété d'autrui et si ses moyens. d'exis­tence et d'activité sont de plus en plus concentrés dans la main du capitaliste.

b) L'accumulation du capital accroît la division du travail. La division du travail accroît le nombre des ouvriers ; inversement, le nombre des ouvriers augmente la division du travail, tout comme la division du travail augmente l'accumulation des capitaux. Du fait de cette divi­sion du travail d'une part et de l'accumulation des capitaux d'autre part, l'ouvrier dépend de plus en plus purement du travail, et d'un travail déterminé, très unilatéral, mécanique. Donc, de même qu'il est ravalé intellectuellement et physiquement au rang de machine et que d'hom­­me il est transformé en une activité abstraite et en un ventre, de même il dépend de plus en plus de toutes les fluctuations du prix du marché, de l'utilisation des capitaux et de l'hu­meur des riches. L'accroissement de la classe d'hommes [IV] qui n'ont que leur travail aug­mente tout autant la concurrence des ouvriers, donc abaisse leur prix. C'est dans le régime des fabriques que cette situation de l'ouvrier atteint son point culminant.

c) Dans une société dans laquelle la prospérité augmente, seule les plus riches peuvent encore vivre de l'intérêt de l'argent. Tous les autres doivent soit investir leur capital dans une entreprise, soit le jeter dans le commerce. Par suite, la concurrence entre les capitaux s'accroît donc, la concentration des capitaux devient plus grande, les grands capitalistes ruinent les petits et une partie des anciens capitalistes tombe dans la classe des ouvriers qui, du fait de cet apport, subit pour une part une nouvelle compression du salaire et tombe dans une dépen­dance plus grande encore des quelques grands capitalistes ; du fait que le nombre des capita­listes a diminué, leur concurrence dans la recherche des ouvriers n'existe à peu près plus, et du fait que le nombre des ouvriers a augmenté, leur concurrence entre eux est devenue d'au­tant plus grande, plus contraire à la nature et plus violente. Une partie de la classe ouvrière tombe donc tout aussi nécessairement dans l'état de mendicité ou de famine, qu'une partie des capitalistes moyens tombe dans la classe ouvrière.

Donc, même dans l'état de la société qui est le plus favorable à l'ouvrier, la conséquence nécessaire pour celui-ci est l'excès de travail et la mort précoce, le ravalement au rang de ma­chine, d'esclave du capital qui s'accumule dangereusement en face de lui, le renouveau de la concurrence, la mort d'inanition ou la mendicité d'une partie des ouvriers.

[V] La hausse du salaire excite chez l'ouvrier la soif d'enrichissement du capitaliste, mais il ne peut la satisfaire qu'en sacrifiant son esprit et son corps. La hausse du salaire suppose l'accumulation du capital et l'entraîne ; elle oppose donc, de plus en plus étrangers l'un à l'au­tre, le produit du travail et l'ouvrier. De même la division du travail accroît de plus en plus l'étroitesse et la dépendance de l'ouvrier, tout comme elle entraîne la concurrence non seule­ment des hommes, mais même des machines. Comme l'ouvrier est tombé au rang de machi­ne, la machine peut s'opposer à lui et lui faire concurrence. Enfin, de même que l'accumula­tion du capital augmente la quantité de l'industrie, donc des ouvriers, la même quantité d'in­dus­trie produit, du fait de cette accumulation, une plus grande quantité d'ouvrage, laquelle se transforme en surproduction et a pour résultat final soit de priver de leur pain une grande partie des ouvriers, soit de réduire leur salaire au minimum le plus misérable.

Telles sont les conséquences d'un état social qui est le plus favorable à l'ouvrier, à savoir l'état de la richesse croissante et progressive.

Mais enfin cet état de croissance doit finir par atteindre son point culminant. Quelle est alors la situation de l'ouvrier ?

3º Dans un pays qui aurait atteint le dernier degré possible de sa richesse, le salaire et l'intérêt du capital seraient tous deux très bas. La concurrence entre les ouvriers pour obtenir de l'occupation serait nécessairement telle que les salaires y seraient ré­duits à ce qui est pure­ment suffisant pour maintenir le même nombre d'ouvriers, et le pays étant déjà pleinement peuplé, ce nombre ne pourrait jamais augmenter  [25] .

Le + devrait mourir.

Donc, dans l'état de déclin de la société, progression de la misère de l'ouvrier, dans l'état de prospérité croissante, complication de la misère, à l'état de prospérité parfaite, misère sta­tionnaire.

[VI] Mais comme, d'après Smith, une société “ ne peut sûrement pas être réputée dans le bonheur et la prospérité quand la très majeure partie de ses membres  [26] ” souffre, que l'état le plus riche de la société entraîne cette souffrance de la majorité et que l'économie politique (la société de l'intérêt privé en général) mène à cet état de richesse extrême, le malheur de la société est donc le but de l'économie politique.

Quant au rapport entre ouvrier et capitaliste, il faut encore remarquer que l'élévation du salaire est plus que compensée pour le capitaliste par la diminution de la quantité de temps de travail et que la hausse du salaire et celle de l'intérêt du capital agissent sur le prix des marchandises comme l'intérêt simple et l'intérêt composé  [27] .

Il nous dit qu'à l'origine, et par conception même, “ le produit entier du travail appartient à l'ouvrier ”  [28] . Mais il nous dit en même temps qu'en réalité, c'est la partie la plus petite et strictement indispensable du produit qui revient à l'ouvrier ; juste ce qui est nécessaire, non pas pour qu'il existe en tant qu'homme, mais pour qu'il existe en tant qu'ouvrier ; non pas pour qu'il perpétue l'humanité, mais pour qu'il perpétue la classe esclave des ouvriers.

L'économiste nous dit que tout s'achète avec du travail et que le capital n'est que du tra­vail accumulé. Mais il nous dit en même temps que l'ouvrier, loin de pouvoir tout acheter, est obligé de se vendre lui-même et de vendre sa qualité d'homme.

Tandis que la rente foncière de ce paresseux de propriétaire foncier s'élève la plupart du temps au tiers du produit de la terre et que le profit de l'industrieux capitaliste atteint même le double de l'intérêt de l'argent, le sur­plus, ce que l'ouvrier gagne au meilleur cas, comporte juste assez pour que de ses quatre enfants, deux soient condamnés à avoir faim et à mourir. [VII] Tandis que, d'après les éco­nomistes, le travail est la seule chose par laquelle l'homme augmente la valeur des produits de la nature, tandis que le travail est sa propriété active, d'après la même économie politique le propriétaire foncier et le capitaliste qui, parce que propriétaire foncier et capitaliste, ne sont que des dieux privilégiés et oisifs, sont partout supérieurs à l'ouvrier et lui prescrivent des lois.

Tandis que d'après les économistes, le travail est le seul prix immuable des choses, rien n'est plus contingent que le prix du travail, rien n'est soumis à de plus grandes fluctuations.

Tandis que la division du travail augmente la force productive du travail, la richesse et le raffinement de la société, elle appauvrit l'ouvrier jusqu'à en faire une machine. Tandis que le travail entraîne l'accumulation des capitaux et par suite la prospérité croissante de la société, il fait de plus en plus dépendre l'ouvrier du capitaliste, le place dans une concurrence accrue, le pousse dans le rythme effréné de la surproduction, à laquelle fait suite un marasme tout aussi profond.

Tandis que d'après les économistes, l'intérêt de l'ouvrier ne s'oppose jamais à l'intérêt de la société, la société s'oppose toujours et nécessairement à l'intérêt de l'ouvrier.

D'après les économistes, l'intérêt de l'ouvrier ne s'oppose jamais à celui de la société : 1º parce que l'élévation du salaire est plus que compensée par la diminution de la quantité de temps de travail, en plus des autres conséquences exposées plus haut, et 2º parce que, rappor­té à la société, tout le produit brut est produit net et que le net n'a de sens que rapporté à l'individu privé.

Mais que le travail lui-même, non seulement dans les conditions présentes, mais en géné­ral dans la mesure où son but est le simple accroissement de la richesse, je dis que le travail lui-même soit nuisible et funeste, cela résulte, sans que l'économiste le sache, de ses propres développements.

***

De par leurs concepts mêmes, la rente foncière et le gain capitaliste sont des retenues que subit le salaire. Mais en réalité le salaire est une retenue que la terre et le capital font tenir à l'ouvrier, une concession du produit du travail à l'ouvrier, au travail.

C'est dans l'état de déclin de la société que l'ouvrier souffre le plus. Il doit le poids spéci­fi­que de la pression qu'il subit à sa situation d'ouvrier, mais il doit la pression en général à la situation de la société.

Mais dans l'état progressif de la société, la ruine et l'appauvrissement de l'ouvrier sont le pro­­­duit de son travail et de la richesse qu'il crée. Misère qui résulte donc de l'essence du tra­vail actuel.

L'état le plus prospère de la société, idéal qui n'est jamais atteint qu'approximativement et qui est tout au moins le but de l'économie politique comme de la société bourgeoise, signifie la misère stationnaire pour les ouvriers.

Il va de soi que l'économie politique ne considère le prolétaire, c'est-à-dire celui qui, sans capital ni rente foncière, vit uniquement du travail et d'un travail unilatéral et abstrait, que comme ouvrier. Elle peut donc établir en principe que, tout comme n'importe quel cheval, il doit gagner assez pour pouvoir travailler. Elle ne le considère pas dans le temps où il ne tra­vaille pas, en tant qu'homme, mais elle en laisse le soin à la justice criminelle, aux médecins, à la religion, aux tableaux statistiques, à la politique et au prévôt des mendiants.

Élevons-nous maintenant au-dessus du niveau de l'économie politique et cherchons, d'après ce qui précède et qui a été donné presque dans les termes mêmes des économistes   [29] , à ré­pondre à deux questions.

1º Quel sens prend dans le développement de l'humanité cette réduction de la plus grande partie des hommes au travail abstrait ?

2º Quelle faute commettent les réformateurs en détail qui, ou bien veulent élever le salaire et améliorer ainsi la situation de la classe ouvrière, ou bien considèrent comme Proudhon l'égalité du salaire comme le but de la révolution sociale  [30] ?

Le travail n'apparaît, en économie politique, que sous la forme de l'activité en vue d'un gain.

[VIII] On peut affirmer que des occupations qui supposent des dispositions spécifi­ques ou une formation plus longue sont dans l'ensemble devenues d'un meilleur rapport ; tan­dis que le salaire relatif pour une activité mécanique uniforme à laquelle n'importe qui peut être facilement et rapidement formé, a baissé à mesure que la concurrence aug­men­tait, et il devait nécessairement baisser. Et c'est précisément ce genre de travail qui, dans l'état d'organisation actuelle de celui-ci, est encore de loin le plus fréquent. Si donc un ouvrier de la première catégorie gagne maintenant sept fois Plus et un autre de la deuxième autant qu'il y a, disons cinquante ans, tous deux gagnent certes en moyenne quatre fois plus. Mais si, dans un pays, la première catégorie de travail occupe 1 000 ouvriers et la seconde un million d'hommes, 999 000 ne s'en trouvent pas mieux qu'il y a cinquante ans, et ils s'en trouvent plus mal si, en même temps, les prix des denrées de pre­mière nécessité ont monté. Et c'est avec ce genre de calculs de moyennes superfi­cielles u'on veut se leurrer sur la classe la plus nombreuse de la population. En outre, la grandeur du salaire n'est qu'un facteur dans l'appréciation du revenu de l'ouvrier  [31] , car pour mesurer ce dernier,. il est encore essentiel de considérer la durée assurée de celui-ci, ce dont toutefois il ne peut absolument être question dans l'anarchie de ce qu'on appelle la libre concurrence, avec ses fluctuations et ses à-coups qui se reproduisent sans cesse. Enfin, il faut encore tenir compte du temps de travail habituel, auparavant et main­­te­nant. Or, pour les ouvriers anglais de l'industrie cotonnière, depuis vingt-cinq ans, c'est-à-dire précisément depuis l'introduction des machines économisant le travail, celui-ci a été élevé, par la soif de gain des entrepreneurs, [IX] jusqu'à douze et seize heures par jour et l'augmentation dans un pays et dans une branche de l'industrie devait plus ou moins se faire sentir ailleurs aussi, car partout encore l'exploitation absolue des pauvres par les riches est un droit reconnu  [32] . (SCHULZ: Mouvement de la production, p. 65.)
Mais même s'il était aussi vrai qu'il est faux que le revenu moyen de toutes les classes de la société a aug­menté, les différences et les écarts relatifs du revenu peu­vent cependant avoir grandi et, par suite, les contrastes de la richesse et de la pauvreté se manifester avec plus de force. Car du fait précisément que la production globale augmente et dans la mesure même où cela se produit, les besoins, les désirs et les appétits augmentent aussi et la pau­­vreté relative peut donc augmenter, tandis que la pauvreté absolue diminue. Le Samoyède n'est pas pauvre avec son huile de baleine et ses poissons rances, parce que, dans sa société fermée, tous ont les mêmes besoins. Mais dans un État qui va de l'avant et qui, au cours d'une dizaine d'années par exemple, a aug­men­té sa production totale d'un tiers par rapport à la société  [33] , l'ouvrier qui gagne autant au début et à la fin des dix ans n'est pas resté aussi prospère, mais s'est appau­vri d'un tiers. ” (Ibid., pp. 65-66).

Mais l'économie politique ne connaît l'ouvrier que comme bête de travail, comme un animal réduit aux besoins vitaux les plus stricts.

Pour qu'un peuple puisse se développer plus librement au point de vue intellectuel, il ne doit plus subir l'esclavage de ses besoins physiques, ne plus être le serf de son corps. Il doit donc lui rester avant tout du temps pour pouvoir créer intellectuellement et goû­ter es joies de l'esprit. Les progrès réalisés dans l'organisme du travail gagnent ce temps. Avec les forces motrices nouvelles et l'amélioration des machines, un seul ouvrier dans les fabriques de coton n'exécute-t-il pas souvent l'ouvrage de 100, voire de 250 à 350 ouvriers d'autrefois ? Conséquences semblables dans toutes les branches de la pro­duc­tion, parce que les forces extérieures de la nature sont de plus en plus  [34] contraintes [XI à participer au travail humain. Si, pour satisfaire une certaine quantité de besoins matériels, il fallait autrefois une dépense de temps et de force humaine qui, par la suite, a été réduite de moitié, la marge de temps nécessaire à la création et à la jouissance intel­lec­tuelle a été du même coup augmentée d'autant, sans que le bien-être physique en ait souffert.  [35] Mais même de la répartition du butin que nous gagnons sur le vieux Chronos lui-même dans son propre domaine, c'est encore le jeu de dés du hasard aveugle et injuste qui décide. On a calculé en France qu'au niveau actuel de la production, un temps moyen de travail de cinq heures par jour, réparti sur tous ceux qui sont aptes au travail, suffi­rait pour satisfaire tous les intérêts matériels de la société... Sans tenir compte des éco­no­mies  [36] de temps réalisées par le perfectionnement des machines, la durée du tra­vail d'esclave dans les fabriques n'a fait qu'augmenter pour une grande partie de la population (Ibid., pp. 67-68).
Le passage du travail manuel complexe [au travail mécanique] suppose sa décompo­si­tion en ses opérations simples ; or, ce n'est au début qu'une partie des opérations reve­nant uniformément qui incombera aux machines, tandis que l'autre écherra aux hommes. D'après la nature même de la chose et d'après Ie résultat concordant des expériences, une telle activité continûment uniforme est aussi néfaste pour l'esprit que pour le corps; et ainsi, dans cette union du machinisme avec la simple division du travail entre des mains plus nombreuses apparaissent nécessairement aussi tous les désavantages de cette dernière. Ces désavantages se manifestent entre autres dans l'accroissement de la mor­ta­lité des ouvriers [XI] de fabriques  [37] ... Cette grande distinction entre la mesure dans laquelle les hommes travaillent à l'aide de machines et celle où ils travaillent en tant que machines, on n'en a pas... tenu compte  [38] (Ibid., p. 69).
Mais pour l'avenir de la vie des peuples, les forces naturelles privées de raison qui agissent dans les machines seront nos esclaves et nos serves. (Ibid., p. 74.)
Dans les filatures anglaises, on occupe seulement 158 818 hommes et 196 818 fem­mes. Pour 100 ouvriers dans les fabriques de coton du comté de Lancaster, il y a 103 ouvriè­res et, en Écosse, il y en a même 209. Dans les fabriques anglaises de chanvre de Leeds, on comptait pour 100 ouvriers hommes 147 femmes. A Druden, et sur la côte orien­tale de l'Écosse, on en comptait même 280. Dans les fabriques de soierie anglaises, beau­coup d'ouvrières ; dans les fabriques de lainage qui demandent une plus grande force de travail, plus d'hommes  [39] ... Même dans les fabriques de coton d'Amérique du Nord, il n'y avait, en 1833, pas moins de 38 927 femmes occupées pour 18 593 hommes. Du fait des transformations survenues dans l'organisme du travail, un champ plus vaste d'activité en vue du gain est donc échu au sexe féminin... Les femmes [dans] une position économique plus indépendante... les deux sexes devenus plus proches dans leurs rapports sociaux  [40] . (Ibid., pp. 71-72).
Dans les filatures anglaises marchant à la vapeur et à la force hydraulique travail­laient, en 1835 : 20.558 enfants entre 8 et 12 ans ; 35 867 entre 12 et 13 ans et enfin 108.208 entre 13 et 18 ans... Certes, les progrès ultérieurs de la mécanique, en enlevant de plus en plus aux hommes toutes les occupations uniformes, tendent à éliminer [XII] peu à peu cette anomalie. Mais à ces progrès assez rapides eux-mêmes s'oppose précisé­ment enco­re le fait que les capitalistes peuvent s'approprier les forces des classes inférieures jusqu'à l'enfance de la manière la plus facile et à meilleur compte pour les em­­ployer à la place des auxiliaires mécaniques et pour en abuser. (Schulz : Mouv. de la production, pp. 70-71).
Appel de Lord Brougham aux ouvriers : “ Devenez capitalistes ! ”  [41] ... “ Le mal c'est que des millions d'hommes ne peuvent gagner chichement leurs moyens de vivre que par un travail astreignant, qui les mine physiquement et qui les étiole moralement et intellec­tu­ellement ; qu'ils doivent même tenir pour une chance le malheur d'avoir trouvé un tel travail. ” (Ibid., p. 60).
“ Pour vivre donc, les non-propriétaires sont obligés de se mettre, directement ou indi­rectement, au service des propriétaires, c'est-à-dire sous leur dépendance. ” (PECQUEUR : Théorie nouvelle d'économie sociale etc., p. 409)  [42] .
Domestiques - gages, ouvriers – salaires  [43] , employés - traitement ou émoluments (Ibid., pp. 409-410).
“ Louer son travail ”, “ prêter son travail à l'intérêt ” 3, “ travailler à la place d'autrui ”.
“ Louer la matière du travail ”, “ prêter la matière du travail à l'intérêt ”  [44] , “ faire travailler autrui à sa place ” (Ibid., p. 411).
[XIII] Cette constitution économique condamne les hommes à des métiers tellement abjects, à une dégradation tellement désolante et amère, que la sauvagerie apparaît, en comparaison, comme une royale condition (l.c., pp. 417-418). La prostitution de la chair non-propriétaire sous toutes les formes. (p. 421 sq.) Chiffonniers.

Ch. Loudon   [45] , dans son ouvrage : Solution du problème de la population, etc. (Paris 1842), e stime le nombre des prostituées en Angleterre à 60 000 ou 70 000. Le nombre des femmes d'une vertu douteuse serait tout aussi grand. (p. 228.)

La moyenne de vie de ces infortunées créatures sur le pavé, après qu'elles sont entrées dans la carrière du vice, est d'environ six ou sept ans. De manière que, pour maintenir le nombre de 60 000 à 70 000 prostituées, il doit y avoir, dans les trois royaumes, au moins 8.000 à 9 000 femmes qui se vouent à cet infâme métier chaque année, ou environ 24   [46] nouvelles victimes par jour, ce qui est la moyenne d'une par heure; et conséquent, si la même proportion a lieu sur toute la du globe, il doit y avoir cons­tamment un million et demi de ces malheureuses. (Ibid., p. 229.)
La population des misérables croît avec leur misère, et... c'est à la limite extrême du dénuement que les êtres humains se pressent en plus grand nombre pour se disputer le droit de souffrir... En 1821   [47] , la population de l'Irlande était de 6 millions 801.827. En 1831, elle s'était élevée à 7.764.010 ; c'est 14 % d'augmentation en dix ans. Dans le Leinster, province où il y a le plus d'aisance, la population n'a augmenté que de 8 %, tandis que, dans le Connaught, province la plus misérable, l'augmentation s'est élevée à 21 % (Extrait des Enquêtes publiées en Angleterre sur l'Irlande, Vienne 1840). BURET : De la misère etc., tome I, pp. [36]-37   [48] .
L'économie politique considère le travail abstraitement comme une chose ; le travail est une marchandise; si le prix en est élevé, c'est que la marchandise est très deman­dée; si, au contraire, il est très bas, c'est qu'elle est très offerte ; comme marchandise, le travail doit de plus en plus baisser de prix; soit la concurrence entre capitalistes et ouvriers soit la concurrence entre ouvriers y oblige  [49] .
... La population ouvrière, marchande de travail, est forcément réduite à la plus fai­ble part du produit... la théorie du travail marchandise est-elle autre chose qu'une thé­orie de servitude déguisée ? (l.c., p. 43). Pourquoi donc n'avoir vu dans le travail qu'une valeur d'échange ? (Ibid., p. 44) Les grands ateliers achètent de préférence le travail des femmes et des enfants qui coûte moins que celui des hommes. (l.c.) Le travail­leur n'est point, vis-à-vis de celui qui l'emploie, dans la position d'un libre vendeur... le capi­ta­liste est toujours libre d'employer le travail, et l'ouvrier est toujours forcé de le ven­dre. La valeur du travail est complètement détruite, s'il n'est pas vendu à chaque ins­tant. Le travail n'est susceptible, ni d'accumulation, ni même d'épargne, à la différen­ce des véritables [marchandises]. [XIV] Le travail c'est la vie, et si la vie ne s'échange pas chaque jour contre des aliments, elle souffre et périt bientôt. Pour que la vie de l'homme soit une marchandise, il faut donc admettre l'esclavage  [50] . (I.c., pp. 49-50.)
Si donc le travail est une marchandise, il est une marchandise douée des propriétés les plus funestes. Mais, même d'après les principes d'économie politique, il ne l'est pas, car il n'est pas le libre résultat d'un libre marché   [51] . Le régime économique actuel abaisse à la fois et le prix et la rémunération du travail, il perfectionne. l'ouvrier et dégrade l'homme. (l.c., pp. 52-53.) L'industrie est devenue une guerre et le commerce un jeu. (l.c., p. 62.)
Les machines à travailler le coton (en Angleterre) représentent à elles seules 84 millions d'artisans  [52] .
L'industrie se trouvait jusqu'ici dans l'état de la guerre de conquête. Elle a prodigué la vie des hommes qui composaient son armée avec autant d'indifférence que les grands con­quérants. Son but était la possession de la richesse, et non le bonheur des hommes. (BURET, I.c., p. 20.)
Ces intérêts (c'est-à-dire économiques), librement abandonnée à eux-mêmes... doi­vent nécessairement entrer en conflit ; ils n'ont d'autre arbitre que la guerre, et les déci­sions de la guerre donnent aux uns la défaite et la mort, pour donner aux autres la victoire... C'est dans le conflit des forces opposées que la science cherche l'ordre et l'équilibre : la guerre perpétuelle est selon elle le seul moyen d'obtenir la paix ; cette guerre s'appelle la concurrence. (I.c., p. 23.)
La guerre industrielle demande, pour être conduite avec succès, des armées nom­breu­ses qu'elle puisse entasser sur le même point et décimer largement. Et ce n'est ni par dévouement, ni par devoir, que les soldats de cette armée supportent les fatigues qu'on leur impose ; c'est uniquement pour échapper à la dure nécessité de la faim. Ils n'ont ni affection, ni reconnaissance pour leurs chefs ; les chefs ne tiennent à leurs infé­­rieurs par aucun sentiment de bienveillance ; ils ne les connaissent pas comme hom­mes, mais seulement comme des instruments de production qui doivent rapporter le plus possible  [53] en dépensant le moins possible. Ces populations de travailleurs de plus en plus pressées n'ont pas même la sécurité d'être toujours employées ; l'industrie qui les a convoquées ne les fait vivre que quand elle a besoin d'elles, et, sitôt qu'elle peut s'en passer, elle les abandonne sans le moindre souci; et les ouvriers  [54] ... sont forcés d'offrir leur personne et leur force pour le prix qu'on veut bien leur accorder. Plus le travail qu'on leur donne est long, pénible et fastidieux, moins ils sont rétribués ; on en voit qui, avec seize heures par jour d'efforts continus, achètent à peine le droit de ne pas mourir (l.c., pp. [68]-69).
[XV] Nous avons la conviction... partagée... par les commissaires chargés de l'enquête sur la condition des tisserands à la main, que les grandes villes industrielles perdraient, en peu de temps, leur population de travailleurs, si elles ne recevaient à chaque instant, des campagnes voisines, des recrues continuelles d'hommes sains, de sang nouveau (l.c., p. 362).

Profit du Capital

1º Le Capital

1º Sur quoi repose le capital, c'est-à-dire la propriété privée des produits du travail d'autrui ?

En supposant même que le capital ne soit le fruit d'aucune spoliation, il faut encore le concours de la législation pour en consacrer l'hérédité. (SAY, tome I, p. 136. Nota)  [55] .

Comment devient-on propriétaire de fonds productifs ? Comment devient-on propriétaire des produits qui sont créés à l'aide de ces fonds ?

Grâce au droit positif (SAY, tome II, p. 4)  [56] .

Qu'acquiert-on avec le capital, en héritant d'une grande fortune, par exemple ?

Celui qui acquiert une grande fortune par héritage  [57] , n'acquiert par là nécessaire­ment aucun pouvoir politique [...] Le genre de pouvoir que cette possession lui transmet immé­dia­tement et directement, c'est le pouvoir d'acheter; c'est un droit de commande­ment sur tout le travail d'autrui ou sur tout le produit de ce travail existant alors au marché (SMITH, tome I, p. 61).

Le capital est donc le pouvoir de gouverner le travail et ses produits. Le capitaliste pos­sède ce pouvoir, non pas en raison de ses qualités personnelles ou humaines, mais dans la mesure où il est propriétaire du capital. Son pouvoir, c'est le pouvoir d'achat de son capital, auquel rien ne peut résister.

Nous verrons plus loin, d'abord comment le capitaliste exerce son pouvoir de gouverne­ment sur le travail au moyen du capital, puis le pouvoir de gouvernement du capital sur le capitaliste lui-même.

Qu'est-ce que le capital ?

Une certaine quantité de travail amassé  [58] et mis en réserve (SMITH, tome II, p. 312).

Le capital est du travail amassé.

Fonds, stock .

signifie tout amas [quelconque] des produits de la terre ou du travail des manufac­tures. Il ne prend le nom de capital que lorsqu'il rapporte à son propriétaire un revenu ou. profit [quelconque]  [59] (SMITH, tome II, p. 191, note 1).

2º Le profit du Capital

Le profit ou gain du capital est tout à fait différent du salaire. Cette différence appa­raît d'une double manière. D'une part, les gains du capital “ se règlent en entier sur la valeur du capital employé ”, quoique le travail d'inspection et de direction puisse être le même pour des capitaux différents. A cela s'ajoute que, dans de grandes fabriques, “ tout le travail de ce genre est confié à un principal commis ” dont le traitement “ ne garde jamais de proportion réglée avec [II] le capital dont il surveille la régie. ” Quoique ici le travail du propriétaire se réduise à peu près à rien, “ il n'en compte pas moins que ses profits seront en proportion réglée avec son capital ” (SMITH, tome I., pp. 97-99).

Pourquoi le capitaliste réclame-t-il cette proportion entre gain et capital ?

Il n'aurait pas d'intérêt  [60] à employer ces ouvriers s'il n'attendait pas de la vente de leur ouvrage quelque chose de plus que ce qu'il fallait pour remplacer ses fonds avan­cés pour le salaire et il n'aurait pas d'intérêt à employer une grosse somme de fonds plutôt qu'une petite, si ses profits ne gardaient pas quelque proportion avec l'étendue des fonds employés (tome I, p. 97)

Le capitaliste tire donc un gain : primo, des salaires, secundo, des matières premières avan­cées.

Or quel est le rapport du gain au capital ?

Nous avons déjà observé qu'il était difficile de déterminer quel est le taux moyen des salaires du travail en un lieu et dans un temps déterminés  [61] ... Mais ceci  [62] ne peut guère s'obtenir à l'égard des profits de capitaux [...]. Ce profit se ressent, non seule­ment de chaque variation qui survient dans le prix des marchandises sur lesquelles il com­­mer­ce, mais encore de la bonne ou mauvaise fortune de ses rivaux et de ses prati­ques, et de mille autres accidents auxquels les marchandises sont exposées, soit dans leur transfert par terre ou par mer, soit même quand on les tient en magasin. Il varie donc non seulement d'une année à l'autre, mais même d'un jour à l'autre et presque d'heure en heure (SMITH, tome I, pp. 179-180). Mais quoiqu'il soit peut-être impossible de déterminer avec quelque précision quels sont ou quels ont été les profits moyens des ca­pi­taux, [...] cependant on peut s'en faire quelque idée d'après l'intérêt de l'argent  [63] . Partout où on pourra faire beaucoup de profits par le moyen de l'argent, on donnera communément beaucoup pour avoir la faculté de s'en servir; et on donnera en général moins quand il n'y aura que peu de profits à faire par son moyen (SMITH, tome I, pp. [180]-181). La proportion que le taux ordinaire de l'intérêt [...] doit garder avec le taux ordinaire du profit net varie nécessairement selon que le profit hausse ou baisse. Dans la Grande-Bretagne, on porte au double de l'intérêt ce que les commerçants appellent un pro­fit honnête, modéré, raisonnable. Toutes expressions qui [...] ne signifient autre chose qu'un profit commun et d'usage (SMITH, tome I, p. 198).

Quel est le taux le plus bas du profit ? Quel est le plus haut ?

Le taux le plus bas des profits ordinaires des capitaux doit toujours être quelque chose au-delà de  [64] ce qu'il faut, pour compenser les pertes accidentelles auxquelles est exposé chaque emploi de capital. Il n'y a que ce surplus qui constitue vraiment le profit ou le bénéfice net. Il en va de même pour le taux le plus bas de l'intérêt. (SMITH, tome I, p. 196.)
[III] Le taux le plus élevé auquel puissent monter les profits ordinaires est celui qui, dans la plus grande partie des marchandises, emporte la totalité de ce qui devrait aller à la rente de la terre  [65] et laisse seulement ce qui est nécessaire  [66] pour salarier le travail [...] ait taux le plus bas  [67] auquel le travail puisse jamais être payé [...]. Il faut toujours que, de manière ou d'autre, l'ouvrier ait été nourri pendant le temps que l'ouvrage l'a employé  [68] ; mais il peut très bien se faire que le propriétaire de la terre n'ait pas eu de rente. Exemple : au Bengale, les gens de la Compagnie de Commerce des Indes. (SMITH, tome I, pp. 197-198.)

Outre tous les avantages d'une concurrence réduite que le capitaliste est en droit d'exploi­ter dans ce cas, il peut d'une manière honnête maintenir le prix du marché au-dessus du prix naturel.

D'une part par le secret commercial.

Si le marché est à une grande distance de ceux qui le fournissent : notamment en te­nant secrets les changements de prix, en élevant celui-ci au-dessus de l'état naturel  [69] . Ce secret a en effet pour résultat que d'autres capitalistes ne jettent pas également leur capital dans cette branche.
Ensuite par le secret de fabrication, qui permet au capitaliste de livrer, avec des frais de production moindres, sa marchandise au même prix, ou même à des prix plus bas que ses concurrents, avec plus de profit. (La tromperie par maintien du secret n'est pas immorale. Commerce de la Bourse.) - En outre, là où la production est liée à une localité déterminée (comme par exemple un vin précieux) et où la demande effective ne peut jamais être satisfaite. Enfin par der, monopoles d'individus ou de compagnies. Le prix de monopole est aussi élevé que possible  [70] . (SMITH, tome I, pp. 120-124.)
Autres causes éventuelles qui peuvent élever le profit du capital : l'acquisition de terri­toires nouveaux ou de nouvelles branches de commerce augmente souvent, même dans un pays riche, le profit des capitaux parce qu'elle retire aux anciennes branches com­­­mer­ciales une partie des capitaux, diminue la concurrence, fait approvisionner le mar­­ché avec moins de marchandises, dont les prix montent alors ; les négociants de ces bran­ches peuvent alors payer l'argent prêté à un taux plus élevé (SMITH, tome I, p. 190)  [71] .
À mesure qu'une marchandise particulière vient à être plus manufacturée, cette partie du prix qui se résout en salaires et en profits devient plus grande à proportion de la partie qui se résout en rente. Dans les progrès que fait la main-d’œuvre sur cette mar­chan­dise, non seulement le nombre des profits augmente, mais chaque profit subséquent est plus grand que le précédent parce que le capital d'où [IV] il procède est nécessaire­ment toujours plus grand. Le capital qui met en oeuvre les tisserands, par exemple, est nécessairement plus grand que celui qui fait travailler les fileurs, parce que non seule­ment il remplace ce dernier capital avec ses profits, mais il paie encore en outre les sa­lai­res des tisserands ; et [...] il faut toujours que les profits gardent une sorte de pro­portion avec le capital (tome I, pp. 102-103).

Donc, le progrès que le travail humain fait sur le produit naturel, qu'il a transformé en produit de la nature travaillé, n'augmente pas le salaire, mais soit le nombre de capitaux qui font du profit, soit le rapport aux précédents de tout capital subséquent.

Nous reviendrons plus loin sur le profit que le capitaliste tire de la division du travail.

Il tire un double profit, premièrement de la division du travail, deuxièmement en général du progrès que le travail humain fait sur le produit naturel. Plus est grande la participation humaine à une marchandise, plus est grand le profit du capital inerte.

Dans une seule et même société, le taux moyen des profits du capital est beaucoup plus proche d'un même niveau que le salaire des diverses espèces de travail (tome I, p. 228)  [72] . Dans les divers emplois de capitaux, le taux ordinaire du profit varie plus ou moins suivant le plus ou moins de certitude des rentrées. Le taux  [73] du profit s'élève tou­jours plus ou moins avec le risque. Il ne paraît pas pourtant qu'il s'élève à proportion du risque, ou de manière à le compenser parfaitement. [Ibid. pp. 226-227).

Il va de soi que les profits du capital augmentent aussi avec l'allégement ou le prix de revient moindre des moyens de circulation (par exemple l'argent-papier).

3º La domination du Capital sur le travail et les motifs d capitaliste

Le seul motif qui détermine le possesseur d'un capital à l'employer plutôt dans l'agri­­­cul­ture ou dans les manufactures, ou dans quelque branche particulière de commer­ce en gros ou en détail, C'est le point de vue  [74] de son propre profit. Il n'entre jamais dans sa pensée de calculer combien chacun de ces différents genres d'emplois mettra de travail productif   [75] en activité ou [VI ajoutera de valeur au produit annuel des terres et du travail de son pays (SMITH, tome II, pp. 400-401).
L'emploi de capital le plus avantageux pour le capitaliste est celui qui, à sûreté égale, lui rapporte le plus gros profit ; mais cet emploi peut ne pas être le plus avantageux pour la société. [...] Tous les capitaux employés à tirer parti des forces productives de la nature sont les plus avantageusement employés (SAY, tome II, pp. 130-131).
Les opérations les plus importantes du travail sont réglées et dirigées d'après les plans et les spéculations de ceux qui emploient les capitaux ; et le but qu'ils se proposent dans tous ces plans et ces spéculations, c'est le profit. Donc  [76] , le taux du profit ne haus­se point, comme la rente et les salaires, avec la prospérité de la société, et ne tombe pas, comme eux, avec sa décadence. Au contraire, ce taux est naturellement bas dans les pays riches, et haut dans les pays pauvres ; et jamais il n'est si haut que dans ceux qui se pré­ci­pitent le plus rapidement vers leur ruine. L'intérêt de cette [...] classe n'a donc pas la même liaison que celui des deux autres, avec l'intérêt général de la société... L'intérêt particulier de ceux qui exercent une branche particulière de commerce ou de manufac­ture, est toujours, à quelques égards, différent et même contraire à celui du publie. L'in­té­rêt du marchand est toujours d'agrandir le marché et de restreindre la concur­rence des vendeurs... C'est là une classe de gens dont l'intérêt ne saurait jamais être exactement le même que l'intérêt de la société, qui ont, en général, intérêt à tromper le publie et à le surcharger (SMITH, tome II, pp. 163-165).

4º L’accumulation des capitaux et la concurrence entre les capitalistes

L'accroissement des capitaux qui fait hausser les salaires, tend à abaisser les pro­fits des capitalistes par la concurrence entre eux (SMITH, tome I, p. 179).
Quand, par exemple, le capital nécessaire au commerce d'épicerie d'une ville se trou­ve partagé entre deux épiciers différents, la concurrence fera que chacun d'eux ven­dra à meilleur marché que si le capital eut été dans les mains d'un seul ; et s'il est divisé entre vingt [VI] la concurrence en sera précisément d'autant plus active, et il y aura aussi d'autant moins de chances qu'ils puissent se concerter entre eux pour hausser le prix de leurs marchandises (SMITH, tome II, pp. 372-373).

Comme nous savons déjà que les prix de monopole sont aussi élevée que possible, que l'intérêt des capitalistes même du point de vue de l'économie politique commune est opposé à la société, que l'augmentation du profit du capital agit sur le prix de la marchandise comme l'intérêt composé (SMITH, tome I, pp. 199-201)  [77] , la concurrence est le seul remède contre les capitalistes qui, d'après les données de l'économie politique, agisse d'une façon aussi bienfaisante sur l'élévation du salaire que sur le bon marché des marchandises au profit du public des consommateurs.

Mais la concurrence n'est possible que si les capitaux augmentent, et qui plus est en de nombreuses mains. La naissance de capitaux nombreux n'est possible que par accumulation multilatérale, étant donné que le capital en général ne naît que par accumulation, et l'accumu­lation multilatérale se convertit nécessairement en accumulation unilatérale. La concurrence entre les capitaux augmente l'accumulation des capitaux. L'accumulation qui, sous le régime de la propriété privée, est concentration du capital en peu de mains, est, d'une manière générale, une conséquence nécessaire, si les capitaux sont abandonnés à leur cours naturel, et c'est seulement la concurrence qui ouvre vraiment la voie à cette destination naturelle du capital.

On nous a dit que le profit du capital est proportionnel à sa grandeur. Abstraction faite tout d'abord de la concurrence intentionnelle, un grand capital s'accumule donc, relativement à sa grandeur, plus vite qu'un petit capital.

[VIII] En conséquence, même abstraction faite de la concurrence, l'accumulation du grand capital est beaucoup plus rapide que celle du petit. Mais poursuivons-en la marche.

À mesure que les capitaux augmentent, du fait de la concurrence, leurs profits diminuent. Donc le petit capitaliste est le premier à souffrir.

L'augmentation des capitaux et un grand nombre de capitaux supposent en outre la progression de la richesse du pays.

Dans un pays qui est parvenu au comble de sa mesure de richesse, [...] comme le taux ordinaire du profit net y sera très petit, il s'ensuivra que le taux de l'intérêt ordinaire que ce profit pourra suffire à payer, sera trop bas pour qu'il soit possible, à d'autres qu'aux gens riches, de vivre de l'intérêt de leur argent. Tous les gens de fortune bornée ou médiocre seront obligés de diriger par leurs mains l'emploi de leurs capitaux. Il faudra absolument que. tout homme à peu près soit dans les affaires ou intéressé dans quelque genre de Commerce (SMITH, tome I, pp. [196]-197).

Cette situation est la situation préférée de l'économie politique.

C'est [...] la proportion existante entre la somme des capitaux et celle des revenus qui détermine partout la proportion dans laquelle se trouveront l'industrie et la fainé­antise ; partout où les capitaux l'emportent, c'est l'industrie qui domine ; partout où ce sont les revenus, la fainéantise prévaut (SMITH, tome II, p. 325).

Qu'en est-il donc de l'utilisation du capital dans cette concurrence accrue ?

À mesure que les capitaux se multiplient la quantité des fonds à prêter à intérêt  devient successivement plus grande. A mesure que la quantité des fonds à prêter à inté­rêt vient à augmenter, l'intérêt [...] va nécessairement en diminuant, non seulement en vertu de ces causes générales qui font que le prix de marché de toutes choses diminue à mesure que la quantité de ces choses augmente, mais encore en vertu d'autres causes qui sont particulières à ce cas-ci. A mesure que les capitaux se multiplient dans un pays   [78] , le profit qu'on peut faire en les employant diminue nécessairement; il devient successi­ve­ment de plus en plus difficile de trouver dans ce pays une manière profitable d'em­ployer un nouveau capital. En conséquence, il s'élève une concurrence entre les dif­fé­rents capitaux, le possesseur d'un capital faisant tous ses efforts pour s'emparer de l'emploi qui se trouve occupe par un autre. Mais le plus souvent, il ne peut espérer débus­quer de son emploi cet autre capital, sinon par des offres de traiter à de meilleures conditions. Il se trouve obligé non seulement de vendre la chose meilleur marché, mais encore, pour trouver occasion de la vendre, il est quel quelquefois aussi obligé de l'ache­ter plus cher. Le fonds destiné à l'entretien du travail pro­ductif grossissant de jour en jour, la demande qu'on fait de ce travail devient aussi de jour en jour plus grande : les ouvriers trouvent aisément de l'emploi, [IX] mais les pos­­ses­seurs de capitaux ont de la difficulté à trouver des ouvriers à employer. La con­cur­­rence des capitalis­tes fait hausser les salaires du travail et fait baisser les profits (SMITH, tome II, pp. 358-359).

Le petit capitaliste a donc le choix : 1º ou bien de manger son capital, puisqu'il ne peut plus vivre des intérêts, donc de cesser d'être capitaliste. Ou bien 2º d'ouvrir lui-même une affaire, de vendre sa marchandise moins cher et d'acheter plus cher que le capitaliste plus riche, et de payer un salaire élevé ; donc, comme le prix du marché est déjà très bas du fait qu'on suppose une haute concurrence, de se ruiner. Par contre, si le grand capitaliste veut dé­bus­­quer le petit, il a vis-à-vis de lui tous les avantages que le capitaliste a, en tant que capita­liste, vis-à-vis de l'ouvrier. Les profits moindres sont compensés pour lui par la masse plus grande de son capital et il peut même supporter des pertes momentanées, jusqu'à ce que le capitaliste plus petit soit ruiné et qu'il se voit délivré de cette concurrence. Ainsi, il accumule à son propre profit les gains du petit capitaliste.

En outre : le grand capitaliste achète toujours meilleur marché que le petit, puisqu'il achè­te par quantités plus grandes. Il peut donc sans dommage vendre meilleur marché.

Mais si la chute du taux de l'argent transforme les capitalistes moyens de rentiers en hom­me d'affaires, inversement l'augmentation des capitaux investis dans les affaires et la diminution du profit qui en résulte ont pour conséquence la chute du taux de l'argent.

Du fait que le bénéfice que l'on peut tirer de l'usage d'un capital diminue, le prix que l'on peut payer pour l'usage de ce capital diminue nécessairement (SMITH, tome II, p. 359)  [79] .

À mesure de l'augmentation des richesses, de l'industrie et de la population, l'inté­rêt de l'argent, donc le profit des capitaux diminue, mais les capitaux eux mêmes n'en augmentent pas moins ; ils continuent même à augmenter bien plus vite enco­re qu'aupara­vant, [malgré la diminution des profits]... Un gros capital, quoique avec de petits profits, augmente en général plus promptement qu'un petit capital avec de gros profits. L'argent fait l'argent, dit le proverbe (tome I, p. 189).

Si donc à ce grand capital s'opposent maintenant de petits capitaux avec de petits profits, com­me c'est le cas dans l'état de forte concurrence de notre hypothèse, il les écrase entière­ment.

Dans cette concurrence, la baisse générale de la qualité des marchandises, la falsification, la contrefaçon, l'empoisonnement général tel qu'on le voit dans les grandes villes, sont alors les conséquences nécessaires.

[X] Une circonstance importante dans la concurrence des capitaux grands et petits est en outre le rapport du capital fixe  [80] au capital circulant.

Le capital circulant est un capital qui est utilisé pour produire des moyens de subsis­tance, pour la manufacture ou le commerce. Le capital employé de cette manière ne peut rendre à son maître de revenu ou de profit tant qu'il reste en sa possession ou tant qu'il continue à rester sous la même forme [...]. Il sort continuellement de ses mains sous une forme, pour y rentrer sous une autre, et ce n'est qu'au moyen de cette circulation ou de ces échanges successifs qu'il peut lui rendre quelque profit. Le capital fixe se compose du capital employé à améliorer des terres ou à acheter des machines utiles et des instruments de métier ou d'autres choses semblables (SMITH, [tome II], pp. 197-198).
Toute épargne dans la dépense d'entretien du capital fixe est une bonification du reve­nu net [de la société]. La totalité du capital de l'entrepreneur d'un ouvrage quelcon­que est nécessairement partagée entre son capital fixe et son capital circulant. Tant que son capital total reste le même, plus l'une des deux parts est petite, plus l'autre sera nécessairement grande. C'est le capital circulant qui fournit les matières et les salaires du travail et qui met l'industrie en activité. Ainsi toute épar­gne [dans la dépense d'entretien) du capital fixe, qui ne diminue pas dans le travail la puissance productive, doit augmenter le fonds (SMITH, tome II, p. 226)  [81] .

On voit, dès l'abord, que le rapport entre capital fixe et capital circulant est bien plus favo­rable au grand capitaliste qu'au petit. Un très grand banquier n'a besoin que d'une quantité infinie de capital fixe de plus qu'un très petit. Leur capital fixe se limite à leur bu­reau. Les instruments d'un grand propriétaire foncier n'augmentent pas en proportion de la grandeur de sa propriété. De même, le crédit qu'un grand capitaliste a sur un petit l'avantage de posséder est une économie d'autant plus grande de capital fixe, c'est-à-dire de l'argent qu'il doit toujours avoir prêt. Enfin il va de soi que, là où le travail industriel a atteint un haut degré de développement, où donc presque tout le travail à la main s'est transformé en travail d'usine, tout son capital ne suffit pas au petit capitaliste pour posséder seulement le capital fixe nécessaire. On sait que les travaux de la grande culture n'occupent habituellement qu'un petit nombre de bra s  [82] .

En général, dans l'accumulation des grands capitaux, il se produit aussi une concentration et une simplification relatives du capital fixe par rapport aux petits capitalistes. Le grand capitaliste introduit pour lui un type [XII d'organisation des instruments du travail.

De même, dans le domaine de l'industrie, toute manufacture et toute fabrique est déjà l'union assez large d'une assez grande fortune matérielle avec des facultés intel­lec­­tuelles et des habiletés techniques nombreuses et variées dans un but commun de production… Là où la législation maintient de vastes propriétés foncières, l'excédent d'une population croissante se presse vers les industries et c'est donc, comme en Grande-Bretagne, le champ de l'industrie sur lequel s'accumule principalement la masse la plus grande des prolétaires. Mais là où la législation autorise le partage continu de la terre, on voit, comme en France, augmenter le nombre des petits propriétaires endettés qui sont jetés, par la progression du morcellement continuel, dans la classe des indigents et des mécontents. Si enfin ce morcellement et ce surcroît de dettes sont poussés à un niveau plus élevé, la grande propriété absorbe à nouveau la petite, comme la grande industrie anéantit la petite ; et comme de grands ensembles de biens fonciers se recons­ti­tuent, la masse des ouvriers sans biens qui n'est pas stricte­ment indispensable à la culture du sol est de nouveau poussée vers l'industrie (SCHULZ, Mouvement de la pro­duction, pp. [58]-59).
La nature des marchandises de même sorte change du fait des modifications dans le mode de production et en particulier de l'utilisation des machines. Ce n'est qu'en écar­tant la force humaine qu'il est devenu possible de filer, à l'aide d'une livre de coton d'une valeur de 3 shillings 8 pence, 350 écheveaux d'une longueur de 167 milles anglais, c'est-à-dire 36 milles allemands, et d'une valeur commerciale de 25 guinées (Ibid., p. 62).
En moyenne les prix des cotonnades ont baissé en Angleterre depuis 45 ans des 11/12e et, d'après les calculs de Marshall, la même quantité de produits fabriqués pour laquelle on payait en 1814 16 shillings est livrée maintenant pour 1 shilling 10 pence. Le bon marché plus grand des produits industriels a augmenté et la consommation à l'inté­rieur, et le marché à l'étranger ; et à cela est lié le fait qu'en Grande-Bretagne, non seule­ment le nombre des ouvriers en coton n'a pas diminué après l'introduction des machines, mais qu'il est passé de 40 000 à 1 million 1/2. [XII] En ce qui concerne mainte­nant le gain des entrepreneurs et ouvriers industriels, du fait de la concurrence crois­sante entre propriétaires de fabriques, le profit de ceux-ci a nécessairement diminué relativement à la quantité de produits qu'ils livrent. Entre 1820 et 1833, le bénéfice brut du fabricant à Manchester est tombé pour une pièce de calicot de 4 shillings 1 1/3 pence à 1 shilling 9 pence. Mais, pour recouvrer cette perte, le volume de la fabrication a été augmenté d'autant. La conséquence en est... que, dans diverses bran­ches de l'indus­trie, apparaît par moments une surproduction; qu'il se produit des ban­que­routes nom­breu­ses qui ont pour effet, à l'inté­rieur de la classe des capitalistes et des patrons du travail, un flottement et une fluc­tua­tion peu rassurants de la propriété, ce qui rejette dans le prolétariat une partie de ceux qui ont été économiquement ruinés; que souvent et brutalement un arrêt ou une dimi­­nu­tion du travail devient nécessaire, dont la classe des salariés ressent toujours amère­ment le préjudice (Ibid., p. 63).
Louer son travail, c'est commencer son esclavage louer la matière du travail, c'est consti­tuer sa liberté... Le travail est l'homme  [83] , la matière au contraire n'est rien de l'homme. (PECQUEUR : Théorie sociale etc., pp. 411-412)  [84] .
L'élément matière, qui ne peut rien pour la création de la richesse sans l'autre élé­ment travail, reçoit la 'vertu magique d'être fécond pour eux comme s'ils y avaient mis, de leur propre fait, cet indispensable élément (Ibid., l.c.).
En supposant que le travail quotidien d'un ouvrier lui rapporte en moyenne 400 fr. par an, et que cette somme suffise à chaque adulte pour vivre d'une vie grossière, tout pro­prié­taire de 2 000 fr. de rente, de fermage, de loyer, etc., force donc indirectement cinq hommes à travailler pour lui ; 100 000 fr. de rente représentent le travail de deux cent cinquante hommes, et 1 000 000 le travail de 2 500 individus (donc 300 millions (Louis-Philippe) le travail de 750 000 ouvriers)  [85] (Ibid., pp. 412-413).
Les propriétaires ont reçu de la loi des hommes le droit d'user et d'abuser, c'est-à-dire de faire ce qu'ils veulent de la matière de tout travail... ils [ne] sont nullement obli­gés par la loi de fournir à propos et toujours du travail aux non-propriétaires, ni de leur payer un salaire toujours suffisant, etc... (l.c., p. 413). Liberté entière quant à la nature, à la quantité, à la qualité, à l'opportunité de la production, à l'usage, à la consom­ma­tion des richesses, à la disposition de la matière de tout travail. Chacun est libre d'échanger sa chose comme il l'entend, sans autre considération que son propre intérêt d'individu (l.c., p. 413).
La concurrence n'exprime pas autre chose que l'échange facultatif, qui lui-même est la conséquence prochaine et logique du droit individuel d'user et d'abuser des instru­ments de toute production. Ces trois moments économiques, lesquels n'en font qu'un : le droit d'user et d'abuser, la liberté d'échange et la concurrence arbitraire, entraînent les con­sé­quences suivantes : chacun produit ce lu il veut, comme il veut, quand il veut, où il veut ; produit bien ou produit mal, trop ou pas assez, trop tôt ou trop tard, trop cher ou à trop bas prix ; chacun ignore s'il vendra, à qui il vendra  [86] , comment il vendra, quand il vendra, où il vendra ; et il en est de même quant aux achats. [XIII] Le producteur ignore les be­soins et les ressources, les demandes et les offres. Il vend quand il veut, quand il peut, où il veut, à qui il veut, au prix qu'il veut. Et il achète de même. En tout cela, il est tou­jours le jouet du hasard, l'esclave de la loi du plus fort, du moins pressé, du plus riche... Tandis que, sur un point, il y a disette d'une richesse, sur l'autre il y a trop-plein et gaspillage. Tandis qu'un producteur vend beaucoup ou très cher, et à bénéfice énorme, l'autre ne vend rien ou vend à perte... L'offre ignore la demande, et la demande ignore l'offre. Vous produisez sur la foi d'un goût, d'une mode qui se manifeste dans le public des consommateurs ; mais déjà, lorsque vous êtes prêts à livrer la marchandise, la fantaisie a passé et s'est fixée sur un autre genre de produit... consé­quences infaillibles, la permanence et l'universalisation es banqueroutes ; les mécomp­tes, les ruines subites et les fortunes improvisées ; les crises commerciales, les chômages, les encombrements ou les disettes périodiques ; l'instabilité et l'avilissement des sa­laires et des profits ; la déperdition ou le gaspillage énorme de richesses, de temps et d'efforts, dans l'arène d'une concurrence acharnée (l.c., pp. 414-416).

Ricardo, dans son livre  [87] (La rente foncière) : Les nations ne sont que des ateliers de pro­duc­tion. L'homme est une machine à consommer et à produire ; la vie humaine est un capital; les lois économiques régissent aveuglément le monde. Pour Ricardo, les hommes ne sont rien, le produit est tout. Dans le 26° chapitre  [88] de la traduction française, il est dit  [89] :

Il serait tout à fait indifférent pour une personne qui, sur un capital de 20.000 £, ferait 2.000 £ par an de profits, que son capital employât cent hommes ou mille... L'inté­rêt réel d'une nation n'est-il pas le même ? Pourvu que son revenu net et réel, et que ses fermages et profits soient les mêmes, qu'importe qu'elle se compose de dix ou de douze millions d'indi­vidus ? (tome Il, pp. 194-195). En vérité, dit M. de Sismondi   [90] (tome II, p. 331), il ne reste plus qu'à désirer que le roi, demeuré tout seul dans l'île, en tour­nant constamment une mani­velle, fasse accomplir, par des automates, tout l'ouvrage de l'Angleterre.
Le maître, qui achète le travail de l'ouvrier à un prix si bas qu'il suffit à peine aux besoins les plus pressants, n'est responsable ni de l'insuffisance des salaires, ni de la trop longue durée du travail : il subit lui-même la loi qu'il impose... ce n'est pas tant des hommes que vient la misère, que de la puissance des choses ([BURET], l.c., p. 82)  [91] .
Il y a beaucoup d'endroits dans la Grande-Bretagne où les habitants n'ont pas de capi­taux suffisants pour cultiver et améliorer leurs terres. La laine des provinces du midi de l'Écosse vient, en grande partie, faire un long voyage par terre sur de fort mau­vaises routes pour être manufacturée dans le Comté d'York, faute de capital pour être manufacturée sur les lieux. Il y a, en Angleterre, plusieurs petites villes de fabriques, dont les habitants manquent de capitaux suffisants pour transporter le produit de leur propre industrie à ces marchés éloignés où ils trouvent des demandes et des consommateurs. Si on y voit quelques marchands, ce ne sont [XIV] proprement que les agents de marchands plus riches qui résident dans quelques-unes des grandes villes commerçantes. (Smith, tome II, pp. 381­-382). Pour augmenter la valeur du produit annuel de la terre et du travail, il n'y a pas d'autres moyens que d'augmenter, quant au nombre  * , les ouvriers productifs  * , ou d'aug­menter, quant à la puissance, la faculté productive des ouvriers  * , précédemment employés... Dans l'un et dans l'autre cas, il faut presque toujours un surcroît de capital (SMITH, tome II, p. 338)  [92] .
Puis donc que, dans la nature des choses, l'accumulation  * d'un capital est un préa­lable nécessaire à la division du travail, le travail ne peut recevoir de subdivisions ulté­rieures qu'à proportion que les capitaux se sont préalablement accumulés de plus en plus. A mesure que le travail vient à se subdiviser, la quantité de matières qu'un même nombre de personnes peut mettre en oeuvre augmente dans une grande proportion; et comme la tâche de chaque ouvrier se trouve successivement réduite à un plus grand degré de sim­pli­cité, il arrive qu'on invente une foule de nouvelles machines pour faciliter et abré­ger ces tâches. A mesure donc, que la division du travail va en s'étendant, il faut, pour qu'un même nombre d'ouvriers soit constamment occupé, qu'on accumule d'avance une égale provision de vivres et une provision de matières et d'outils plus forte que celle qui aurait été nécessaire dans un état de choses moins avancé. Or, le nombre des ou­vriers augmen­te en général dans chaque branche d'ouvrage, en même temps qu'y aug­men­te la division du travail, ou plutôt c'est l'augmentation de leur nombre qui les met à portée de se clas­ser et de se subdiviser de cette manière (SMITH, tome II, pp. 193-194).
De même que le travail ne peut acquérir cette grande extension de puissance produc­tive sans une accumulation préalable des capitaux, de même l'accumulation des capitaux amène naturellement cette extension. Le capitaliste veut en effet par son capital pro­duire la quantité la plus grande possible d'ouvrage. Il tâche donc à la fois d'établir entre ses ouvriers la distribution de travail la plus convenable et de les fournir des meilleures machines qu'il puisse imaginer ou qu'il soit à même de se procurer. Ses moyens pour réussir dans ces deux objets [XV] sont proportionnés en général à l'étendue de son capital ou au nombre de gens que ce capital peut tenir occupés. Ainsi, non seulement la quantité d'industrie augmente dans un pays à mesure de l'accroissement du capital  [93] qui la met en activité, mais encore, par une suite de cet accroissement, la même quantité d'industrie produit une beaucoup plus grande quantité d'ouvrage (SMITH, l.c., pp. 194-195).

Donc surproduction.

Combinaisons plus vastes des forces productives... dans l'industrie et le commerce par la réunion de forces humaines et de forces naturelles plus nombreuses et plus diver­ses, en vue d'entreprises à plus grande échelle. Çà et là aussi... liaison déjà plus étroite des branches principales de la production entre elles. Ainsi de grands fabricants chercheront en même temps à acquérir de grandes propriétés foncières pour au moins ne pas être obligés d'acquérir d'abord de troisième main une partie des matières pre­miè­­res nécessaires à leur industrie ; ou bien ils mettront en liaison avec leurs entre­prises industrielles un commerce, non seulement pour la vente de leurs propres produits, mais aussi pour l'achat de produits d'autre sorte et pour la vente de ceux-ci à leurs ouvriers. En Angleterre, où certains patrons de fabriques sont quelquefois à la tête de 10.000 à 12.000 ouvriers... de telles réunions de branches de production différentes sous la direction d'une seule intelligence directrice, de tels petits États ou provinces dans l'État ne sont pas rares. Ainsi récemment les propriétaires de mines de Birmingham prennent à leur compte tout le processus de fabrication du fer, qui se répartissait autrefois entre différents entrepreneurs et différents propriétaires. Cf. le district minier de Birmingham, Deutsche Viertelj [ahresschrift] 3,1838   [94] . Enfin, nous voyons, dans les grandes entreprises par actions devenues si nombreuses, de vastes combinai­sons des forces financières, de nombreux participants avec les connaissances et l'expé­rience scientifiques et techniques d'autres personnes auxquelles est confiée l'exécution du travail. Par là, possibilité pour les capitalistes d'utiliser leurs économies d'une manière plus diverse et aussi simultanément dans la production agricole, industrielle et commerciale, ce qui élargit en même temps le cercle de leurs intérêts, [XVI] adoucit et fond ensemble les oppositions entre les inté­rêts de l'agriculture, de l'industrie et du commerce. Mais même cette possibilité accrue de rendre le capital producteur de la manière la plus diverse doit augmenter l'opposition entre les classes aisées et les classes sans moyens (SCHULZ, l.c., pp. 40-41).

Énorme profit que les propriétaires d'immeubles tirent de la misère, Le loyer 1 est inver­se­ment proportionnel à la misère industrielle.

De même, tantièmes tirés des vices des prolétaires ruinés. (Prostitution, ivrognerie, prêteur sur gages * .)

L'accumulation des capitaux augmente et leur concurrence diminue du fait que le capital et la propriété foncière se trouvent en une seule main, et aussi parce que le capital, de par son ampleur, a la possibilité de combiner des branches de production différentes.

Indifférence à l'égard des hommes. Les vingt billets de la loterie de Smith  [95] .

Revenu net et brut   de Say.

Rente foncière

[I] Le droit des propriétaires fonciers tire son origine de la spoliation (SAY [l.c.] tome I, p. 136 note). Les propriétaires fonciers, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir où ils n'ont pas semé et ils demandent une rente même pour le produit natu­rel de la terre (SMITH, tome I, p. 99).
On pourrait se figurer que la rente foncière n'est souvent autre chose qu'un profit [...] du capital que le propriétaire a employé à l'amélioration de la terre... Il y a des circonstances où la rente pourrait être regardée comme telle en partie... mais le pro­prié­taire exige : 1º une rente même pour la terre non-améliorée, et ce qu'on pourrait suppo­ser être intérêt ou profit des dépen­ses d'amélioration, n'est, en général, qu'une addi­tion à cette rente primitive ; 2º d'ail­leurs ces améliorations ne sont pas toujours faites avec les fonds du propriétaire, mais quelquefois avec ceux du fermier ; cependant, quand il s'agit de renouveler le bail, le proprié­taire exige ordinairement la même augmentation de rente, que si toutes ces améliorations eussent été faites de ses propres fonds ; 3º il exige quelquefois une rente pour ce qui est tout à fait incapable d'être amélioré par la main des hommes (SMITH, tome I, pp. 300-301).

Smith donne comme exemple de ce dernier cas, la salicorne, espèce de plante marine qui donne, quand elle est brûlée, un sel alkali dont on se sert pour faire du verre, du savon, etc. Elle pousse en Grande-Bretagne, particulièrement en différents lieux d'Écosse, mais seule­ment sur des rochers situés au-dessous de la haute marée, qui sont deux fois par jour couverts par les eaux de la mer, et dont le produit, par conséquent, n'a jamais été augmenté par l'industrie des hommes. Cependant, le propriétaire d'une terre où pousse ce genre de plante en exige une rente, tout aussi bien que de ses terres à blé. Dans le voisinage des îles de Shetland, la mer est extraordinairement abondante en poisson... Une grande partie des habitants [II] vivent de la pêche.

Mais pour tirer parti du produit de la mer, il faut avoir une habitation sur la terre voisine. La rente du propriétaire est en proportion non de ce lue le fermier peut faire avec la terre, mais de ce qu'il peut faire avec la terre et la mer ensemble (SMITH, tome I, pp. 301-302).
On peut considérer cette rente comme le produit de cette puissance de la nature  * , dont le propriétaire prête l'usage au fermier. Ce produit est plus ou moins grand selon qu'on suppose à cette puissance plus ou moins d'étendue, ou, en d'autres termes, selon qu'on suppose à la terre plus ou moins de fertilité naturelle ou artificielle. C'est l'œuvre de la nature qui reste après qu'on a fait la déduction ou la balance de tout ce qu'on peut regarder comme l’œuvre de l'homme (SMITH, tome Il, pp. 377-378).
La rente de la terre , considérée comme le prix payé pour l'usage de la terre, est donc naturellement un prix de monopole . Elle n'est nullement en proportion de ce que le propriétaire peut avoir placé sur sa terre en améliorations, ou de ce qu'il lui suffirait de prendre pour ne pas perdre, mais bien de ce que le fermier peut suffire à donner sans perdre (SMITH, tome I, p. 302).
Des trois classes primitives  [96] , c'est la seule (les propriétaires de terre) à laquelle son revenu ne coûte ni travail, ni souci, mais à laquelle il vient pour ainsi dire de lui-même, et sans qu'elle y apporte aucun dessein  [97] , ni plan quelconque (SMITH, tome II, p. 161).

On nous a déjà dit que la quantité de la rente foncière dépend de la fertilité proportion­nelle du sol.

Un autre facteur de sa détermination est la situation.

La rente varie selon la fertilité  de la terre quel que soit son produit et selon sa situation , quelle que soit sa fertilité (SMITH, tome I, p. 306).
En supposant des terres, des mines et des pêcheries d'une égale fécondité, le pro­duit qu'elles rendront sera en proportion de l'étendue des capitaux qu'on emploiera à leur culture et exploitation, et de la manière plus [MI ou moins convenable dont ces capitaux seront appliqués. En supposant des capitaux égaux et également bien appliqués, ce produit sera en proportion de la fécondité naturelle des terres, des mines et des pêcheries ([SMITH], tome II, p. 210).

Ces phrases de Smith sont importantes parce que, à frais de production et à étendue égaux, elles réduisent la rente foncière à la fertilité plus ou moins grande de la terre. Elles mon­trent donc nettement le renversement des notions en économie politique, laquelle trans­forme la fertilité de la terre en une qualité du propriétaire foncier.

Mais considérons maintenant la rente foncière sous la forme qu'elle prend dans le com­merce réel des hommes.

La rente foncière est fixée par la lutte entre fermier et propriétaire foncier. Partout, en économie, nous trouvons l'opposition ouverte des intérêts, la lutte, la guerre, reconnues comme le fondement de l'organisation sociale.

Voyons maintenant quels sont les rapports de propriétaires à fermiers.

Le propriétaire, lors de la stipulation des clauses du bail, tâche, autant qu'il peut, de ne pas laisser [au fermier] dans le produit une portion plus forte que ce qu'il faut pour remplacer le capital qui fournit la semence, paie le travail, achète et entretient les bes­tiaux et autres instruments de labourage, et pour lui donner en outre les profits ordinai­res que rendent les autres fermes dans le canton. Cette portion est évidemment la plus petite dont le fermier puisse se contenter sans être en perte et le propriétaire est ra­re­ment d'avis de lui en laisser davantage. Tout ce qui reste du produit ou de son prix [...] au-delà de cette portion, quel que puisse être ce reste, le propriétaire tâche de se le ré­ser­ver comme rente de sa terre ; ce qui est évidemment la plus forte rente que le fermier puisse suffire à payer, dans l'état actuel [IV] de la terre [...]. Ce surplus peut tou­jours être regardé comme la rente naturelle de la terre ou la rente moyennant la­quelle on peut naturellement penser que sont louées la plupart des terres. (SMITH, tome I, pp. 299-300).
Les propriétaires. terriens, dit Say, exercent une espèce de monopole envers les fermiers. La demande de leur denrée, qui est le terrain, peut s'étendre sans cesse ; mais la quantité de leur denrée ne s'étend que jusqu'à un certain point... Le marché qui se con­clut entre le propriétaire et le fermier, est toujours aussi avantageux qu'il peut l'être pour le premier... Outre cet avantage que le propriétaire tient de la nature des cho­­ses, il en tire un autre de sa position, qui d'ordinaire lui donne sur le fermier l'ascen­dant d'une fortune plus grande, et quelquefois celui du crédit et des places ; mais le premier de ces avantages suffit pour qu'il soit toujours à même de profiter seul des circonstances favorables au profit de la terre. L'ouverture d'un canal, un chemin, les pro­grès de la population et dé l'aisance d'un canton élèvent toujours le prix des fer­mages... Le fermier lui-même peut certes  [98] améliorer le fonds à ses frais ; mais c'est un capi­tal dont il ne tire les intérêts que pendant la durée de son bail, et qui, à l'expira­tion de ce bail, ne pouvant être emporté  [99] , demeure au propriétaire ; dès ce moment, celui-ci en retire les intérêts sans en avoir fait les avances, car le loyer s'élève en proportion (SAY, tome II, pp. 142-143).
La rente, considérée comme le prix payé pour l'usage de la terre, est naturellement le prix le plus haut que le fermier soit en état de payer, dans les circonstances où se trouve la terre pour -le moment (SMITH, tome I, p. 299).
La rente d'un bien à la surface de la terre, monte communément à ce qu'on suppose être le tiers du produit total, et c'est pour l'ordinaire une rente fixe et indépendante des variations accidentelles [V] de la récolte (SMITH, tome I, p. 151). C'est rarement moins du quart [...] du produit total (Ibid., tome Il, p. 378)  [100] .

La rente foncière ne peut pas être payée pour toutes les marchandises. Par exemple, dans beaucoup de régions, on ne paie pas de rente foncière pour les pierres.

On ne peut porter ordinairement au marché que ces parties seulement du produit de la terre dont le prix ordinaire est suffisant pour remplacer le capital qu'il faut employer pour les y porter, et les profits ordinaires de ce capital. Si le prix ordinaire est plus que suffisant, le surplus en ira naturel­le­ment à la rente de la terre. S'il n'est juste que suf­fi­sant, la marchandise pourra bien être portée au marché, mais elle ne peut fournir à payer une rente au propriétaire. Le prix sera-t-il ou ne sera-t-il pas plus que suffisant ? C'est ce qui dépend de la demande (SMITH, tome I, pp. 302-303).

La rente entre  [101] dans la composition du prix des marchandise * , d'une autre ma­nière * que n'y entrent les salaires et les profits. Le taux haut ou bas des salaires et des profits * est la cause du haut ou bas prix des marchandises : le taux haut ou bas de la rente est l'effet * du prix (SMITH, tome I, p. 303).

Parmi les produits qui toujours rapportent une rente foncière, on compte la nourriture.

Les hommes, comme toutes les autres espèces animales se multipliant naturellement en proportion des moyens de leur subsistance, il y a toujours plus ou moins demande de nour­ri­ture. Toujours la nourriture pourra acheter [...] [VI] une quantité plus ou moins grande de travail et toujours il se trouvera quelqu'un disposé à faire quelque chose pour la gagner. A la vérité, ce qu'elle peut acheter de travail n'est pas toujours égal * à ce qu'elle pourrait en faire subsister, si elle était distribuée de la manière la plus écono­mique, et cela à cause des forts salaires qui sont quelquefois donnés au travail. Mais elle peut toujours acheter autant de travail qu'elle peut en faire subsister, au taux auquel ce genre de travail subsiste communément dans le pays. Or la terre, dans presque toutes les situations possibles, produit plus de nourriture que ce qu'il faut pour faire subsister tout le travail qui concourt à mettre cette nourriture au marché [...] Te sur­plus de cette nourriture est aussi toujours plus que suffisant pour remplacer avec profit le capital qui fait mouvoir ce travail. Ainsi il reste toujours quelque chose pour donner une rente au propriétaire (SMITH, tome I, pp. 305-306). Non seulement c'est de la nourriture que la rente tire sa première origine, mais encore si quelqu'autre partie du produit de la terre vient aussi par. la suite à rapporter une rente, elle doit cette addition de valeur à l'accroissement de puissance qu'a acquis le travail pour produire la nourriture, au moyen de la culture et de l'amélioration de la terre (SMITH, tome I, p. 345). La nourri­ture de l'homme [parait être le seul des produits de la terre qui] fournisse toujours [et nécessairement] de quoi payer une rente quelconque au propriétaire  [102] (tome I, p. 337). Les pays ne peuplent pas en proportion du nombre que leur produit peut vêtir et loger, mais en raison de celui que ce produit peut nourrir (SMITH, tome I, p. 342).
Les deux plus grands besoins de l'homme après la nourriture sont le vêtement, le loge­ment, le chauffage. Ils rapportent la plupart du temps une rente foncière, mais pas tou­jours obligatoirement (Ibid., tome I, pp. 337-338)  [103] .

[VIII] Voyons maintenant comment le propriétaire foncier exploite tous les avantages de la société.

1º La rente foncière augmente avec la population (SMITH, tome I, p. 335).

2º Say nous a déjà dit comment la rente foncière augmente avec les chemins de fer, etc., avec l'amélioration de la sécurité et la multiplication des moyens de communications.

Toute amélioration qui se fait dans l'état de la société, tend, d'une manière di­rec­te ou indirecte  [104] , à faire monter la rente réelle de la terre, à augmenter la richesse réelle du proprié­taire, c'est-à-dire son pouvoir d'acheter le travail d'autrui ou le produit du travail d'autrui... L'extension de l'amélioration des terres et de la culture y tend d'une manière directe. La part du propriétaire dans le produit augmente nécessairement a mesure que le produit augmente. La hausse qui survient dans le prix réel de ces sortes de produits bruts, [...] la hausse, par exemple, du prix du bétail tend aussi à élever, d'une manière directe, la rente du propriétaire et dans une proportion encore plus forte. Non seulement la valeur réelle de la part du propriétaire, le pouvoir réel que cette part lui donne sur le travail d'autrui, augmentent avec la valeur réelle du produit, mais encore la proportion de cette part, relativement au produit total, augmente aussi avec cette valeur. Ce produit, après avoir haussé dans son prix réel, n'exige pas plus de travail pour être recueilli [...] et pour suffire à rempla­cer le capital qui fait mouvoir ce travail, avec les profits ordinaires de ce capital. La portion restante du produit, tu est la part du propriétaire, sera donc le, relativement au tout, qu'elle ne l'était auparavant (SMITH, tome Il, pp. 157-159).

[IX] L'accroissement de la demande de produits bruts et par conséquent l'élévation de la valeur peut résulter, en partie, de l'augmentation de la population et de l'augmentation de ses besoins. Mais toute invention nouvelle, toute utilisation nouvelle que fait la manufacture d'une matière première qu'on n'avait pas encore ou peu utilisée auparavant, augmente la rente foncière. Ainsi, par exemple, la rente des mines de charbon a monté énormément avec les chemins de fer, les bateaux à vapeur, etc.

Outre cet avantage que le propriétaire foncier tire de la manufacture, des inventions, du travail, nous en verrons immédiatement un autre encore.

Ces sortes d'améliorations dans la puissance productive du travail, qui tendent directement à réduire le prix réel des ouvrages de manufacture, tendent indirectement à élever la rente réelle de la terre. C'est contre du produit manufacturé que le proprié­taire échange cette partie de - son produit brut, qui excède sa consommation person­nelle, ou [...] le prix de cette partie. Tout ce qui réduit le prix réel de ce premier genre de produit, élève le prix réel du second ; une même quantité de ce produit brut répond dès lors à une plus grande quantité de ce produit manufacturé, et le propriétaire se trou­ve à portée d'acheter une plus grande quantité des choses de commodité, d'orne­ment ou de luxe qu'il désire se procurer (SMITH, tome II, p. 159).

Mais, si du fait que le propriétaire foncier exploite tous les avantages de la société, Smith [XI conclut (tome II, p. 161) que l'intérêt du propriétaire est toujours identique à celui de la société, c'est une stupidité. En économie politique, sous le régime de la propriété privée, l'intérêt que quelqu'un peut porter à la société est en proportion exactement inverse de l'intérêt que la société peut lui porter, de même que l'intérêt que l'usurier porte au dissipateur n'est absolument pas identique à l'intérêt de ce dernier.

Nous ne mentionnerons qu'en passant la soif de monopole du propriétaire foncier à l'égard de la propriété foncière des pays étrangers, dont datent par exemple les lois sur les blés  [105] . De même, nous passerons ici sous silence le servage moyenâgeux, l'esclavage aux colo­nies, la misère des journaliers à la campagne en Grande-Bretagne. Tenons-nous en aux thèses de l'économie politique elle-même.

1º Dire que le propriétaire foncier est intéressé au bien de la société, c'est dire, d'après les principes de l'économie, qu'il est intéressé à la progression de sa population, de sa production artistique, à l'augmentation de ses besoins, en un mot à la croissance de la richesse; et d'après ce que nous avons vu jusqu'ici, cette croissance va de pair avec la croissance de la misère et de l'esclavage. La liaison entre l'accroissement du loyer et celui de la misère est un exemple de l'intérêt que le propriétaire foncier porte à la société, car avec le loyer, la rente foncière, l'intérêt du sol sur lequel est bâtie la maison augmente.

2º D’après les économistes eux-mêmes, l'intérêt du propriétaire foncier est le contraire direct de celui du fermier; donc déjà d'une partie importante de la société.

[XI] 3º Comme le propriétaire foncier peut exiger d'autant plus de rente [du] fermier que le fermier paie moins de salaire et comme le fermier rabaisse d'autant plus le salaire que le propriétaire exige plus de rente foncière, l'intérêt du propriétaire est tout aussi opposé à l'intérêt des travailleurs agricoles que celui des patrons de manufactures l'est à celui de leurs ouvriers. Il rabaisse également le salaire a un minimum.

4º Comme la baisse réelle du prix des produits manufacturés élève la rente de la terre, le propriétaire foncier a un intérêt direct à l'abaissement du salaire des ouvriers de manufacture, à la concurrence entre capitalistes, à la surproduction, à toute la misère qu'engendre la manufacture.

5º Si donc l'intérêt du propriétaire foncier, bien loin d'être identique à l'intérêt de la société, est le contraire direct de l'intérêt des fermiers, des travailleurs agricoles, des ouvriers des manufactures et des capitalistes, l'intérêt d'un propriétaire n'est même pas identique à celui de l'autre du fait de la concurrence que nous allons maintenant considérer.

Déjà, d'une manière générale, la grande propriété foncière est à la petite, comme le grand capital l'est au petit. Mais il s'y ajoute encore des circonstances spéciales qui amènent d'une façon obligatoire l'accumulation de la grande propriété et l'absorption de la petite par celle-ci.

[XII] 1º Nulle part le nombre relatif des ouvriers et des instruments ne diminue plus avec la grandeur du fonds que dans la propriété foncière. De même nulle part la possibilité de l'exploitation sous toutes les formes, l'économie des frais de production et la division habile du travail n'augmentent plus avec la grandeur du fonds que dans la propriété foncière. Si petit que soit un champ, les instruments de travail qu'il exige comme la charrue, la scie, etc., ont une certaine limite au-dessous de laquelle on ne peut plus descendre, tandis que la petitesse de la propriété peut descendre beaucoup au-dessous de cette limite.

2º La grande propriété foncière accumule à son profit les intérêts que le capital du fermier a appliqués à l'amélioration du sol. La petite propriété foncière doit utiliser son propre capi­tal. Tout ce profit est donc perdu pour elle.

3º Alors que toute amélioration sociale sert la grande propriété foncière, elle nuit à la petite, parce qu'elle exige d'elle toujours plus d'argent liquide.

4º Deux lois importantes pour cette concurrence sont encore à considérer :

a) La rente des terres cultivées pour produire la nourriture des hommes règle la rente de la plupart des autres terres cultivées (SMITH, tome I, p. 331).

Les moyens de subsistance comme le bétail, etc. ne peuvent, en dernière analyse, être produits que par la grande propriété. C'est donc elle qui règle la rente des autres terres et elle peut la réduire à un minimum.

Le petit propriétaire foncier qui travaille lui-même se trouve alors, vis-à-vis du grand pro­priétaire, dans le rapport d'un artisan qui possède son propre instrument vis-à-vis du patron de fabrique. La petite propriété est devenue un simple instrument de travail. [XVI] La rente foncière disparaît entièrement pour le petit propriétaire, il lui reste tout au plus l'intérêt de son capital et son salaire; car la concurrence peut amener la rente foncière à n'être plus que l'intérêt du capital que le propriétaire n'a pas lui-même investi.

b) Nous avons d'ailleurs vu déjà que, à fertilité égale et à habileté égale d'exploitation des terres, mines et pêcheries, le produit est en proportion de l'extension des capitaux. Donc vic­toi­re de la grande propriété fon­cière. De même, à égalité des capitaux en proportion de la fertilité. Donc à égalité de capi­taux, c'est le propriétaire du sol le plus fertile qui gagne.

c) On peut dire d'une mine, en général, qu'elle est féconde ou qu'elle est stérile selon que la quantité de minerai que peut en tirer une certaine quantité de travail est plus ou moins grande que celle qu'une même quantité de travail tirerait de la plupart des autres mines de la même espèce (SMITH, tome I, pp. 345-346). Le prix de la mine de charbon la plus féconde règle le prix du charbon pour toutes les autres mines de son voisinage. Le propriétaire et l'entrepreneur trouvent tous deux qu'ils pourront se faire l'un une plus forte rente, l'autre un plus gros profit, en vendant quelque chose au-des­sous de tous leurs voisins. Les voisins sont bientôt obligés de vendre au même prix, quoiqu'ils soient moins en état d'y suffire et quoique ce prix aille toujours en diminuant et leur enlève même quelquefois toute leur rente et tout leur profit. Quelques exploita­tions se trouvent alors entièrement abandonnées, d'autres ne rapportent plus de rente et ne peuvent plus être continuées que par le propriétaire de la mine (SMITH, tome I, p. 350). Après la découverte des mines du Pérou, les mines d'argent d'Europe furent pour la plupart abandonnées... La même chose arriva à l'égard des mines de Cuba et de Saint-Domingue, et même à l'égard des anciennes mines du Pérou, après la découverte de celles du Potosi (tome I, p. 353).

Tout ce que Smith dit ici des mines est plus ou moins valable de la propriété foncière en général.

d) Il est à remarquer que partout le prix courant des terres dépend du taux courant de l'intérêt... Si la rente de la terre tombait au-dessous de l'intérêt de l'argent d'une différence plus forte, personne ne voudrait acheter de terres, ce qui réduirait bientôt leur prix courant. Au contraire, si les avantages faisaient beaucoup plus que compenser la différence, tout le monde voudrait acheter des terres, ce qui en relèverait encore bientôt le prix courant ([SMITH], tome II, pp. 367-368).

Il résulte de ce rapport entre la rente foncière et le taux de l'argent que la rente foncière doit tomber de plus en plus, de sorte qu'en fin de compte, il n'y aura plus que les gens les plus riches qui pourront vivre de la rente foncière. Donc concurrence toujours plus grande entre les propriétaires fonciers qui n'afferment pas. Ruine d'une partie d'entre eux. -Nouvelle accu­mu­lation de la grande propriété foncière.

[XVII] Cette concurrence a en outre comme conséquence qu'une grande partie de la propriété foncière tombe entre les mains des capitalistes et que les capitalistes deviennent ainsi en même temps propriétaires fonciers, de même que, somme toute, les petits proprié­taires fonciers ne sont déjà plus que des capitalistes. De même, une partie de la grande propriété foncière devient en même temps industrielle.

La conséquence dernière est donc la résolution de la différence entre capitaliste et pro­prié­taire foncier, de sorte que, dans l'ensemble, il n'y a plus que deux classes de la popu­lation : la classe ouvrière et la classe des capitalistes. Cette mise dans le commerce de la pro­pri­été foncière, cette transformation de la propriété foncière en marchandise est la dernière chute de l'ancienne aristocratie et le dernier achèvement de l'aristocratie de l'argent.

1º Nous ne partageons pas les larmes sentimentales que le romantisme verse à ce sujet. Il confond l'infamie qu'il y a à trafiquer de la terre avec la logique tout à fait rationnelle, souhai­table et nécessaire dans le cadre de la propriété privée, que comporte la mise dans le com­merce de la propriété privée de la terre. Premièrement, la propriété foncière féodale est déjà, par nature, de la terre dont on a trafiqué, qui est aliénée à l'homme et qui, par consé­quent, l'affronte en la personne de quelques grands seigneurs.

Déjà la propriété féodale comporte la domination de la terre sur les hommes en tant que puissance qui leur est étrangère. Le serf est l'accessoire de la terre. De même le majorataire, le fils aîné appartient à la terre. C'est elle qui le reçoit en héritage. D'une manière générale, le règne de la propriété privée commence avec la propriété foncière, elle en est le fondement. Mais dans la propriété foncière féodale, le seigneur apparaît tout au moins comme le roi de la propriété. De même il existe encore l'apparence d'un rapport plus intime que celui de la simple richesse matérielle entre le possesseur et la terre. La terre s'individualise avec son maître, eue a son rang, elle est baronnie ou comtat avec lui, elle a ses privilèges, sa juridic­tion, ses relations politiques, etc. Elle apparaît comme le corps non-organique de son maître. D'où le proverbe : “ nulle terre sans maître ”  qui exprime la soudure entre la seigneurie et la propriété foncière. De même le règne de la propriété foncière n'apparaît pas directe­ment com­me le règne du simple capital. Ses ressortissante sont plutôt, vis-à-vis d'elle, comme vis-à-vis de leur patrie. C'est un type étroit de nationalité.

[XVIII] De même la propriété foncière féodale donne son nom à son maître, comme un royaume le donne à son roi. L'histoire de sa famille, l'histoire de sa maison, etc., tout cela individualise pour lui la propriété foncière et en fait formellement sa maison, en fait une personne. De même ceux qui cultivent sa propriété foncière n'ont pas la situation de journa­liers salariés, mais ou bien ils sont eux-mêmes sa propriété comme les serfs, ou bien ils sont vis-à-vis de lui dans un rapport d'allégeance, de sujétion et d'obligation. Sa situation vis-à-vis d'eux est donc directement politique mais elle a également un côté sentimental. Les mœurs, le caractère, etc. changent d'une terre à l'autre et semblent ne faire qu'un avec la parcelle, tandis que plus tard ce n'est plus que la bourse de l'homme qui le lie à la terre, et non son caractère ou son individualité. Enfin, il ne cherche pas à tirer le plus grand avantage possible de sa propriété foncière. Au contraire, il consomme ce qui est sur place et laisse tranquille­ment le soin de procurer le nécessaire au serf et au fermier. C'est la condition noble de la propriété foncière qui donne à son maître une auréole romantique.

Il est nécessaire que cette apparence soit supprimée ; que la propriété foncière, racine de la propriété privée, soit entraînée tout entière dans le mouvement de celle-ci et devienne une marchandise; que la suprématie du propriétaire apparaisse comme la pure suprématie de la propriété privée, du capital, dépouillée de toute teinture politique ; que le rapport de proprié­tai­re à ouvrier se réduise au rapport économique d'exploiteur à exploité; que tout rapport per­son­nel du propriétaire à sa propriété cesse et que celle-ci devienne seulement la richesse matérielle concrète; que le mariage de l'intérêt prenne la place du mariage d'honneur avec la terre et que la terre soit tout autant ramenée à une valeur commerciale que l'homme. Il est néces­­saire que ce qui est la racine de la propriété foncière, la cupidité sordide, apparaisse aussi sous sa forme cynique. Il est nécessaire que le monopole immobile se convertisse en monopole mobile et harcelé, en concurrence ; que la jouissance oisive de la sueur de sang d'autrui se transforme en l'affairement du commerce qu'on en fait. Il est enfin nécessaire que, sous la forme de capital, la propriété manifeste dans cette concurrence sa domination tant sur la classe ouvrière que sur les propriétaires eux mêmes, du fait que les lois de mouvement du capital les ruinent ou les élèvent. Alors, à la place de l'adage moyenâgeux : “ nulle terre sans seigneur ” , apparaîtra le proverbe moder­ne: “ l'argent n'a pas de maître ”, où s'exprime toute la domination de la matière inerte sur les hommes.

[XIX] 2° Quant à la querelle de la division ou de la non-division de la propriété foncière, il faut faire les remarques suivantes.

La division de la propriété nie le grand monopole de la propriété foncière, elle l'abolit, mais seulement en le généralisant. Elle ne supprime pas le fondement du monopole, la propriété privée. Eue s'en prend à l'existence du monopole, mais non à son essence. Il s'ensuit qu'elle tombe sous le coup des lois de la propriété privée. La division de la propriété foncière correspond en effet au mouvement de la concurrence sur le terrain industriel. Outre les désavantages économiques de cette division des instruments et de cet isolement du travail de chacun (qu'il faut bien distinguer de la division du travail : le travail n'est pas réparti entre beaucoup d'individus, mais le même travail est fait chacun pour soi, c'est une multiplication du même travail), ce morcellement, comme ailleurs la concurrence, se convertit à nouveau nécessairement en accumulation.

Où donc se produit la division de la propriété foncière, il ne reste rien d'autre à faire que de revenir au monopole sous une forme encore plus odieuse ou de nier, d'abolir la division même de la propriété. Mais cela ne veut pas dire retour à la propriété féodale, mais au contraire abolition de la propriété privée du sol en général. La première abolition du mono­pole est toujours sa généralisation, l'extension de son existence. L'abolition du monopole qui a atteint son existence la plus large et la plus vaste possible est sa destruction complète. L'as­so­ciation appliquée au sol partage, au point de vue économique, les avantages de là grande propriété foncière et elle est la première à réaliser la tendance primitive de la division, c'est-à-dire l'égalité, de même qu'elle restaure, d'une manière rationnelle et non plus par la média­tion de la servitude, de la domination et d'une absurde mystique de la propriété, le rapport senti­mental de l'homme à la terre : en effet, la terre cesse d'être un objet de trafic et, par le travail et la jouissance libre, elle redevient une propriété vraie et personnelle de l'homme. Un grand avantage de la division est que la masse, qui ne peut plus se résoudre à la servitude, périt ici de la propriété d'une autre manière que [celle] de l'industrie.

Quant à la grande propriété foncière, ses défenseurs ont toujours identifié d'une manière sophistique les avantages économiques qu'offre l'agriculture à grande échelle avec la grande propriété terrienne, comme si ce n'était pas l'abolition de la propriété qui commençait préci­sément à donner à ces avantages soit leur [XX] extension maximum, soit leur utilité sociale. De même, ils ont attaqué l'esprit mercantile de la petite propriété foncière comme si la grande propriété, même déjà sous sa forme féodale, n'incluait pas le trafic d'une façon latente. Pour ne rien dire de la forme anglaise moderne où s'allient le féodalisme du proprié­taire et l'esprit mercantile et l'industrie du fermier.

De même que la grande propriété foncière peut retourner à la division de la propriété le reproche de monopole que celle-ci lui fait, car la division est aussi fondée sur le monopole de la propriété privée, de même la division de la propriété foncière peut retourner à la grande propriété le reproche de division, car là aussi celle-ci règne, mais sous une forme rigide, figée. En général, la propriété privée repose bien sur la division. D'ailleurs, de même que la divi­sion de la propriété foncière ramène à la grande propriété sous la forme de richesse capi­taliste, de même la propriété féodale doit nécessairement aller jusqu'à la division ou tout au moins tomber entre les mains des capitalistes, quoi qu'elle fasse.

Car la grande propriété foncière, comme en Angleterre, pousse la majorité écrasante de la population dans les bras de l'industrie et réduit ses propres ouvriers à la misère complète. Elle engendre et accroît donc la force de ses ennemis, la capital, l'industrie, en jetant des pauvres et toute une activité du pays dans l'autre camp. Elle rend la majorité du pays industrielle, en fait donc l'adversaire de la grande propriété foncière. Si l'industrie a atteint une grande puis­sance, comme c'est aujourd'hui le cas en Angleterre, elle arrache peu à peu à la grande pro­pri­été ses monopoles par rapport à [ceux] de l'étranger et les jette dans la concurrence avec la propriété foncière de l'étranger. Sous le règne de l'industrie, la propriété foncière ne pouvait, en effet, assurer sa grandeur féodale que par des monopoles vis-à-vis de l'étranger pour se mettre ainsi à l'abri des lois générales du commerce qui sont contraires à sa nature féodale. Une fois jetée dans la concurrence, elle en suit les lois comme toute autre marchandise qui y est soumise. Elle se plie aux mêmes fluctuations, augmentations ou diminu­tions, passages d'une main à l'autre, et aucune loi ne peut plus la maintenir dans quelques mains prédestinées. [XXI] La conséquence directe est l'éparpillement en de nombreuses mains; en tout cas, elle tombe au pouvoir des capitaux industriels.

Enfin, la grande propriété foncière, qui s'est ainsi maintenue par la force et qui a engendré auprès d'elle une industrie redoutable, conduit plus rapidement encore à la crise que la division de la propriété foncière, auprès de laquelle la puissance de l'industrie reste toujours de second ordre.

La grande propriété foncière a, comme nous le voyons en Angleterre, déjà perdu son caractère féodal et pris un caractère individuel dans la mesure où elle veut faire le plus d'argent possible. Elle [donne] au propriétaire la rente foncière la plus forte possible, au fermier le profit de son capital le plus grand possible. Les ouvriers agricoles sont donc déjà réduits au minimum et, à l'intérieur de la propriété foncière, la classe des fermiers représente déjà la puissance de l'industrie et du capital. Du fait de la concurrence avec l'étranger, la rente foncière cesse pour la plus grande part de pouvoir constituer un revenu indépendant. Une grande partie des propriétaires fonciers prend nécessairement la place des fermiers qui, de cette manière, tombent dans le prolétariat. D'autre part, beaucoup de fermiers s'empareront aussi de la propriété foncière; car les grands propriétaires qui, avec leurs revenus faciles, se sont en majorité adonnés à la dissipation et la plupart du temps sont également impropres à diriger l'agriculture à grande échelle, ne possèdent pour une part ni le capital, ni les capacités nécessaires pour exploiter le soi. Donc une partie d'entre eux est entièrement ruinée. Enfin, le salaire réduit déjà à un minimum doit être réduit plus encore pour faire face à la concurrence. Cela conduit alors nécessairement à la révolution.

Il fallait que la propriété foncière se développât de chacune des deux manières pour con­naître en l'une et en l'autre son déclin nécessaire, de même que l'industrie devait aussi se ruiner sous la forme du monopole et sous celle de la concurrence pour apprendre à croire en l'homme.

Le travail aliéné

[XXII] Nous sommes partis des prémisses de l'économie politique. Nous avons accepté son langage et ses lois. Nous avons supposé la propriété privée, la séparation du travail, du capital et de la terre, ainsi que celle du salaire, du profit capitaliste et de la rente foncière, tout comme la division du travail, la concurrence, la notion de valeur d'échange, etc. En partant de l'économie politique elle-même, en utilisant ses propres termes, nous avons montré que l'ouvrier est ravalé au rang de marchandise, et de la marchandise la plus misérable, que la mi­sè­re de l'ouvrier est en raison inverse de la puissance et de la grandeur de sa production  [106] , que le résultat nécessaire de la concurrence est l'accumulation du capital en un petit nombre de mains, donc la restauration encore plus redoutable du monopole ; qu'enfin la distinction entre capitaliste et propriétaire foncier, comme celle entre paysan et ouvrier de manufacture, dispa­raît et que toute la société doit se diviser en deux classes, celle des propriétaires et celle des ouvriers non propriétaires.

L'économie politique part du fait de la propriété privée. Elle ne nous l'explique pas. Elle exprime le processus matériel que décrit en réalité la propriété privée, en formules générales et abstraites, qui ont ensuite pour elle valeur de lois. Elle ne comprend  [107] pas ces lois, c'est-à-dire qu'elle ne montre pas comment elles résultent de l'essence de la propriété privée. L'éco­nomie politique ne nous fournit aucune explication sur la raison de la séparation du travail et du capital, du capital et de la terre. Quand elle détermine par exemple le rapport du salaire au pro­fit du capital, ce qui est pour elle la raison dernière, c'est l'intérêt des capitalistes c'est-à-dire qu'elle suppose donné ce qui doit être le résultat de son développement. De même la con­cur­rence intervient partout. Elle est expliquée par des circonstances extérieures. Dans quelle mesure ces circonstances extérieures, apparemment contingentes, ne sont que l'expres­sion d'un développement nécessaire, l'économie politique ne nous l'apprend pas. Nous avons vu comment l'échange lui-même lui apparaît comme un fait du hasard. Les seuls mobiles qu'elle mette en mouvement sont la soif de richesses et la guerre entre convoitises, la concurrence.

C'est précisément parce que l'économie ne comprend pas l'enchaînement du mouvement que, par exemple, la doctrine de la concurrence a pu s'opposer à nouveau à celle du mono­pole, la doctrine de la liberté industrielle à celle de la corporation, la doctrine de la division de la propriété foncière à celle de la grande propriété terrienne, car la concurrence, la liberté indus­trielle, la division de la propriété foncière n'étaient développées et comprises que com­me des conséquences contingentes, intentionnelles, arrachées de force, et non pas nécessai­res, inéluctables et naturelles du monopole, de la corporation et de la propriété féodale.

Nous avons donc maintenant à comprendre l'enchaînement essentiel qui lie la propriété pri­vée, la soif de richesses, la séparation du travail, du capital et de la propriété, celle de l'échan­­ge et de la concurrence, de la valeur et de la dépréciation de l'homme, du monopole et de la concurrence, etc., bref le lien de toute cette aliénation   [108] avec le système de l'argent.

Ne faisons pas comme l'économiste qui, lorsqu'il veut expliquer quelque chose, se place dans un état originel fabriqué de toutes pièces. Ce genre d'état originel n'explique rien. Il ne fait que repousser la question dans une grisaille lointaine et nébuleuse. Il suppose donné dans la forme du fait, de l'événement, ce qu'il veut en déduire, c'est-à-dire le rapport ”nécessaire entre deux choses, par exemple entre la division du travail et l'échange. Ainsi le théologien explique l'origine du mal par le péché originel, c'est-à-dire suppose comme un fait, sous la forme historique, ce qu'il doit lui-même expliquer.

Nous partons d'un fait économique actuel.

L'ouvrier devient d'autant plus pauvre qu'il produit plus de richesse, que sa production croît en puissance et en volume. L'ouvrier devient une marchandise d'autant plus vile qu'il crée plus de marchandises. La dépréciation du monde des hommes augmente en raison directe de la mise en valeur du monde des choses. Le travail ne produit pas que des marchan­dises; il se produit lui-même et produit l'ouvrier en tant que marchandise, et cela dans la mesure où il produit des marchandises en général.

Ce fait n'exprime rien d'autre que ceci : l'objet que le travail produit, son produit, l'affron­te comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, concrétisé dans un objet, il est l'objectivation du travail. L'actualisation du travail est son objectivation. Au stade de l'économie, cette actualisation du travail apparaît comme la perte pour l'ouvrier de sa réalité, l'objectivation comme la perte de l'objet ou l'asservissement à celui-ci, l'appropriation comme l'aliénation, le dessaisissement.

La réalisation du travail se révèle être à tel point une perte de réalité que l'ouvrier perd sa réalité jusqu'à en mourir de faim. L'objectivation se révèle à tel point être la perte de l'objet, que l'ouvrier est spolié non seulement des objets les plus nécessaires à la vie, mais encore des objets du travail. Oui, le travail lui-même devient un objet dont il ne peut s'emparer qu'en faisant le plus grand effort et avec les interruptions les plus irrégulières. L'appropriation de l'objet se révèle à tel point être une aliénation que plus l'ouvrier produit d'objets, moins il peut posséder et plus il tombe sous la domination de son produit, le capital.

Toutes ces conséquences se trouvent dans cette détermination l'ouvrier est à l'égard du produit de son travail dam le même rapport qu'à l'égard d'un objet étranger. Car ceci est évi­dent par hypothèse : plus l'ouvrier s'extériorise dans son travail, plus le monde étranger, ob­jec­tif, qu'il crée en face de lui, devient puissant, plus il s'appauvrit lui-même et plus son mon­de intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. Il en va de même dans la religion. Plus l'homme met de choses en Dieu, moins il en garde en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet. Mais alors celle-ci ne lui appartient plus, elle appartient à l'objet. Donc plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet  [109] . Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail. Donc plus ce produit est grand, moins il est lui-même. L'aliénation de l'ouvrier dans son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et devient une puissance autonome vis-à-vis de lui, que la vie qu'il a prêtée à l'objet s'oppose à lui, hostile et étrangère.

[XXIII] Examinons maintenant de plus près l'objectivation, la production de l'ouvrier et, en elle, l'aliénation, la perte de l'objet, de son produit.

L'ouvrier ne peut rien créer sans la nature, sans le monde exté rieur sensible. Elle est la matière dans laquelle son travail se réalise, au sein de laquelle il s'exerce, à partir de laquelle et au moyen de laquelle il produit.

Mais, de même que la nature offre au travail les moyens de sub sistance, dans ce sens que le travail ne peut pas vivre sans objets sur lesquels il s'exerce, de même elle fournit aussi d'autre part les moyens de subsistance au sens restreint, c'est-à-dire les moyens de subsis­tance physique de l'ouvrier lui-même.

Donc, plus l'ouvrier s'approprie par son travail le monde extérieur, la nature sensible, plus il se soustrait de moyens de subsis tance sous ce double point de vue : que, premièrement, le monde extérieur sensible cesse de plus en plus d'être un objet appartenant à son travail, un moyen de subsistance de son travail; et que, deuxièmement, il cesse de plus en plus d'être un moyen de subsistance au sens immédiat, un moyen pour la subsistance physique de l'ouvrier.

De ce double point de vue, l'ouvrier devient donc un esclave de son objet : premièrement, il reçoit un objet de travail, c'est-à-dire du travail, et, deuxièmement, il reçoit des moyens de subsistance. Donc, dans le sens qu'il lui doit la possibilité d'exister premièrement en tant qu'ouvrier et deuxièmement en tant que sujet physique. Le comble de cette servitude est que seule sa qualité d'ouvrier lui permet de se conserver encore en tant que sujet physique, et que ce n'est plus qu'en tant que sujet physique   [110] qu'il est ouvrier.

(L'aliénation de l'ouvrier dans son objet s'exprime selon les lois de l'économie de la façon suivante : plus l'ouvrier produit, moins il a à consommer; plus il crée de valeurs, plus il se déprécie et voit diminuer sa dignité; plus son produit a de forme, plus l'ouvrier est difforme; plus son objet est civilisé, plus l'ouvrier est barbare; plus le travail est puissant, plus l'ouvrier est impuissant; plus le travail s'est rempli d'esprit, plus l'ouvrier a été privé d'esprit et est devenu esclave de la nature.)

L'économie politique cache l'aliénation dans l'essence du travail  [111] par le fait qu'elle ne considère pas le rapport direct entre l'ouvrier (le travail) et la production. Certes, le travail produit des merveilles pour les riches, mais il produit le dénuement pour l'ouvrier. Il produit des palais, mais des tanières pour l'ouvrier. Il produit la beauté, mais l'étiolement pour l'ouvrier. Il remplace le travail par des machines, mais il rejette une partie des ouvriers dans un travail barbare et fait de l'autre partie des machines. Il produit l'esprit, mais il produit l'imbécillité, le crétinisme pour l'ouvrier.

Le rapport immédiat du travail à ses produits est le rapport de l'ouvrier aux objets de sa production. Le rapport de l'homme qui a de la fortune aux objets de la production et à la pro­duc­tion elle-même n'est qu'une conséquence de ce premier rapport. Et il le confirme. Nous examinerons cet autre aspect plus tard.

Si donc nous posons la question : Quel est le rapport essentiel du travail, nous posons la question du rapport de l'ouvrier à la production.

Nous n'avons considéré jusqu'ici l'aliénation, le dessaisissement de l'ouvrier que sous un seul aspect, celui de son rapport aux produits de son travail. Mais l'aliénation n'apparaît pas seulement dans le résultat, mais dans l'acte de la production, à l'intérieur de l'activité produc­tive elle-même. Comment l'ouvrier pourrait-il affronter en étranger le produit de son activité, si, dans l'acte de la production même, il ne devenait pas étranger à lui-même : le produit n'est, en fait, que le résumé de l'activité, de la production. Si donc le produit du travail est l'aliéna­tion, la production elle-même doit être l'aliénation en acte, l'aliénation de l'activité, l'activité de l'aliénation. L'aliénation de l'objet du travail n'est que le résumé de l'aliénation, du dessaisissement, dans l'activité du travail elle-même.

Or, en quoi consiste l'aliénation du travail ?

D'abord, dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-à-dire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie, ne se sent pas à l'aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l'ouvrier n'a le sentiment d'être auprès de lui-même  [112] qu'en dehors du travail et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est com­me chez lui. quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son tra­vail n'est donc pas volontaire, mais contraint, c'est du travail forcé. Il n'est donc pas la satis­faction d'un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu'il n'existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l'homme s'aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparaît dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre. De même que, dans la religion, l'activité propre de l'imagination humaine, du cerveau humain et du cœur humain, agit sur l'individu indépen­dam­ment de lui, c'est-à-dire comme une activité étrangère divine ou diabolique, de même l'acti­vité de l'ouvrier n'est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même.

On en vient donc à ce résultat que l'homme (l'ouvrier) ne se sent plus librement actif que dans ses fonctions animales, manger, boire et procréer, tout au plus encore dans l'habitation, qu'animal. Le bestial devient l'humain et l'humain devient le bestial.

Manger, boire et procréer, etc., sont certes aussi des fonctions authentiquement humaines. Mais, séparées abstraitement du reste du champ des activités humaines et devenues ainsi la fin dernière et unique, elles sont bestiales.

Nous avons considéré l'acte d'aliénation de l'activité humaine pratique, le travail, sous deux aspects : Premièrement, le rapport de l'ouvrier au produit du travail en tant qu'objet étran­ger et ayant barre sur lui. Ce rapport est en même temps le rapport au monde extérieur sen­sible, aux objets de la nature, monde qui s'oppose à lui d'une manière étrangère et hostile. Deuxièmement, le rapport du travail à l'acte de production à l'intérieur du travail. Ce rapport est le rapport de l'ouvrier à sa propre activité en tant qu'activité étrangère qui ne lui appartient pas, c'est l'activité qui est passivité, la force qui est impuissance, la procréation qui est castra­tion, l'énergie physique et intellectuelle propre de l'ouvrier, sa vie personnelle - car qu'est-ce que la vie sinon l'activité - qui est activité dirigée contre lui-même, indépendante de lui, ne lui appartenant pas. L'aliénation de soi comme, plus haut, l'aliénation de la chose.

[XXIV] Or, nous avons encore à tirer des deux précédentes, une troisième détermination du travail aliéné.

L'homme est un être générique  [113] . Non seulement parce que, sur le plan pratique et théo­rique, il fait du genre, tant du sien propre que de celui des autres choses, son objet, mais encore - et ceci n'est qu'une autre façon d'exprimer la même chose - parce qu'il se comporte vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis du genre actuel vivant, parce qu'il se comporte vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis d'un être universel, donc libre.

La vie générique tant chez l'homme que chez l'animal consiste d'abord, au point de vue physique, dans le fait -que l'homme (comme l'animal) vit de la nature non-organique, et plus l'homme est universel par rapport à l'animal, plus est universel le champ de la nature non-orga­ni­que dont il vit. De même que les plantes, les animaux, les pierres, l'air, la lumière, etc., constituent du point de vue théorique une partie de la conscience humaine, soit en tant qu'ob­jets des sciences de la nature, soit en tant qu'objets de l'art - qu'ils constituent sa nature intel­lec­tuelle non-organique, qu'ils sont des moyens de subsistance intellectuelle que l'hom­me doit d'abord apprêter pour en jouir et les digérer - de même ils constituent aussi au point de vue pratique une partie de la vie humaine et de l'activité humaine. Physiquement, l'homme ne vit que de ces produits naturels, qu'ils apparaissent sous forme de nourriture, de chauffage, de vêtements, d'habitation, etc. L'universalité de l'homme apparaît en pratique précisément dans l'universalité qui fait de la nature entière son corps non-organique, aussi bien dans la mesu­re où, premièrement, elle est un moyen de subsistance immédiat que dans celle où, [deuxième­ment], elle est la matière, l'objet et l'outil de son activité vitale. La nature, c'est-à-dire la natu­re qui n'est pas elle-même le corps humain, est le corps non-organique de l'homme. L'homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit main­te­nir un processus cons­tant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l'homme est indis­so­lu­blement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissoluble­ment liée avec elle-même, car l'homme est une partie de la nature.

Tandis que le travail aliéné rend étrangers à l'homme 1º la nature, 2º lui-même, sa propre fonction active, son activité vitale, il rend étranger à l'homme le genre : il fait pour lui de la vie générique le moyen de la vie individuelle. Premièrement, il rend étrangères la vie généri­que et la vie individuelle, et deuxièmement il fait de cette dernière, réduite à l'abstraction, le but de la première, qui est également prise sous sa forme abstraite et aliénée.

Car, premièrement, le travail, l'activité vitale, la vie productive n'apparaissent eux-mêmes à l'homme que comme un moyen de satisfaire un besoin, le besoin de conservation de l'existence physique. Mais la vie productive est la vie générique. C'est la vie engendrant la vie. Le mode d'activité vitale renferme tout le caractère d'une espèce  [114] , son caractère généri­que, et l'activité libre, consciente, est le caractère générique de l'homme. La vie elle-même n'appa­raît que comme moyen de subsistance.

L'animal s'identifie directement avec son activité vitale. Il ne se distingue pas d'elle. Il est cette activité. L'homme fait de son activité vitale elle-même l'objet de sa volonté et de sa conscience. Il a une activité vitale consciente. Ce n'est pas une détermination avec laquelle il se confond directement. L'activité vitale consciente distingue directement l'homme de l'acti­vi­té vitale de l'animal. C'est précisément par là, et par là seulement, qu'il est un être géné­rique  [115] . Ou bien il est seulement un être conscient, autrement dit sa vie propre est pour lui un objet, précisément parce qu'il est un être générique. C'est pour cela seulement que son acti­vité est activité libre. Le travail aliéné renverse le rapport de telle façon que l'homme, du fait qu'il est un être conscient, ne fait précisément de son activité vitale, de son essence qu'un moyen de son existence.

Par la production pratique d'un monde objectif, l'élaboration de la nature non-organique, l'homme fait ses preuves en tant qu'être générique conscient, c'est-à-dire en tant qu'être qui se comporte à l'égard du genre comme à l'égard de sa propre essence, ou à l'égard de soi, comme être générique. Certes, l'animal aussi produit. Il se construit un nid, des habitations, comme l'abeille, le castor, la fourmi, etc. Mais il produit seulement ce dont il a immédiate­ment besoin pour lui ou pour son petit ; il produit d'une façon unilatérale, tandis que l'homme produit d'une façon universelle ; il ne produit que sous l'empire du besoin physique immé­diat, tan­dis que l'homme produit même libéré du besoin physique et ne produit vraiment que lorsqu'il en est libéré; l'animal ne se produit que lui-même, tandis que l'homme reproduit toute la nature ; le produit de l'animal fait directement partie de son corps physique, tandis que l'homme affronte librement son produit. L'animal ne façonne qu'à la mesure et selon les besoins de l'espèce à laquelle il appartient, tandis que l'homme sait produire à la mesure de toute espèce et sait appliquer partout à l'objet sa nature inhérente; l'homme façonne donc aussi d'après les lois de la beauté.

C'est précisément dans le fait d'élaborer le monde objectif que l'homme commence donc à faire réellement ses preuves d'être générique. Cette production est sa vie générique active. Grâce à cette production, la nature apparaît comme son oeuvre et sa réalité. L'objet du travail est donc l'objectivation de la vie générique de l'homme : car celui-ci ne se double pas lui-même d'une façon seulement intellectuelle, comme c'est le cas dans la conscience, mais acti­ve­­ment, réellement, et il se contemple donc lui-même dans un monde qu'il a créé. Donc, tan­dis que le travail aliéné arrache à l'homme l'objet de sa production, il lui arrache sa vie géné­rique, sa véritable objectivité générique, et il transforme l'avantage que l'homme a sur l'animal en ce désavantage que son corps non-organique, la nature, lui est dérobé.

De même, en dégradant au rang de moyen l'activité propre, la libre activité, le travail aliéné fait de la vie générique de l'homme le moyen de son existence physique.

La conscience que l'homme a de son genre se transforme donc du fait de l'aliénation de telle façon que la vie générique devient pour lui un moyen.

Donc le travail aliéné conduit aux résultats suivants :

L'être générique de l'homme, aussi bien la nature que ses facultés intellectuelles géné­riques, sont transformées en un être qui lui est étranger, en moyen de son existence indivi­duelle. Il rend étranger à l'homme son propre corps, comme la nature en dehors de lui, comme son essence spirituelle, son essence humaine.

4º Une conséquence immédiate du fait que l'homme est rendu étranger au produit de son travail, à son activité vitale, à son être générique, est celle-ci : l'homme est rendu étranger à l'homme. Lorsque l'homme est en face de lui-même, c'est l'autre qui lui fait face  [116] . Ce qui est vrai du rapport de l'homme à son travail, au produit de son travail et à lui-même, est vrai du rapport de l'homme à l'autre ainsi qu'au travail et à l'objet du travail de l'autre.

D'une manière générale, la proposition que son être générique est rendu étranger à l'hom­me, signifie qu'un homme est rendu étranger à l'autre comme chacun d'eux est rendu étranger a l'essence humaine.

L'aliénation de l'homme, et en général tout rapport dans lequel l'homme se trouve avec lui-même, ne s'actualise, ne s'exprime que dans le rapport où l'homme se trouve avec les autres hommes.

Donc, dans le rapport du travail aliéné, chaque homme considère autrui selon la mesure et selon le rapport dans lequel il se trouve lui-même en tant qu'ouvrier.

[XXV] Nous sommes partis d'un fait économique, l'aliénation de l'ouvrier et de sa production. Nous avons exprimé le concept de ce fait : le travail rendu étranger, aliéné. Nous avons analysé ce concept, donc analysé seulement un fait économique.

Voyons maintenant comment le concept du travail rendu étranger, aliéné, doit s'exprimer et se représenter dans la réalité.

Si le produit du travail m'est étranger, m'affronte comme puissance étrangère, à qui appartient-il alors ?

Si ma propre activité ne m'appartient pas, si elle est une activité étrangère, de commande, à 'qui appartient-elle alors ?

À un être autre que moi.

Qui est cet être ?

Les Dieux? Certes, dans les premiers temps, la production principale, comme par exem­ple la construction des temples, etc., en Égypte, aux Indes, au Mexique, apparaît tout autant au service des Dieux que le produit en appartient aux Dieux. Mais les Dieux seuls n'ont jamais été maîtres du travail. Tout aussi peu la nature. Et quelle contradiction serait-ce aussi que, à mesure que l'homme se soumet la nature plus entièrement par son travail, que les miracles des Dieux sont rendus plus superflus par les miracles de l'industrie, l'homme doive pour l'amour de ces puissances renoncer a la joie de produire et à la jouissance du produit.

L'être étranger auquel appartient le travail et le produit du travail, au service duquel se trouve le travail et à la jouissance duquel sert le produit du travail, ne peut être que l'homme lui-même.

Si le produit du travail n'appartient pas à l'ouvrier, s'il est une puissance étrangère en face de lui, cela n'est possible que parce qu'il appartient à un autre homme en dehors de l'ouvrier. Si son activité lui est un tourment, elle doit être la jouissance d'un autre et la joie de vivre pour un autre. Ce ne sont pas les dieux, ce n'est pas la nature, qui peuvent être cette puissance étrangère sur l'homme, c'est seulement l'homme lui-même.

Réfléchissons encore à la proposition précédente : le rapport de l'homme à lui-même n'est objectif, réel, pour lui que par son rapport à l'autre. Si donc il se comporte à l'égard du produit de son travail, de son travail objectivé, comme à l'égard d'un objet étranger, hostile, puissant, indépendant de lui, il est à son égard dans un tel rapport qu'un autre homme qui lui est étranger, hostile, puissant, indépendant de lui, est le maître de cet objet. S'il se comporte à l'égard de sa propre activité comme à l'égard d'une activité non-libre, il se comporte vis-à-vis d'elle comme vis-à-vis de l'activité au service d'un autre homme, sous sa domination, sa contrainte et son joug.

Toute aliénation de soi de l'homme à l'égard de soi-même et de la nature apparaît dans le rapport avec d'autres hommes, distincts de lui, dans lequel il se place lui-même et place la nature. C'est pourquoi l'aliénation religieuse de soi apparaît nécessairement dans le rapport du laïque au prêtre ou, comme il s'agit ici du monde intellectuel, à un médiateur, etc. Dans le monde réel pratique, l'aliénation de soi ne peut apparaître que par le rapport réel pratique à l'égard d'autres hommes. Le moyen grâce auquel s'opère l'aliénation est lui-même un moyen pratique. Par le travail aliéné, l'homme n'engendre donc pas seulement son rapport avec l'objet et l'acte de production en tant que puissances étrangères et qui lui sont hostiles ; il engendre aussi le rapport dans lequel d'autres hommes se trouvent à l'égard de sa production et de son produit et le rapport dans lequel il se trouve avec ces autres hommes. De même qu'il fait de sa propre production sa propre privation de réalité, sa punition, et de son propre produit une perte, un produit qui ne lui appartient pas, de même il crée la domination de celui qui ne produit pas sur la production et sur le produit. De même qu'il se rend étrangère sa propre activité, de même il attribue en propre à l'étranger l'activité qui ne lui est pas propre.

Nous n'avons considéré jusqu'ici le rapport que du point de vue de l'ouvrier et nous l'exa­mi­nerons par la suite aussi du point de vue du non-ouvrier.

Donc, par l'intermédiaire du travail devenu étranger, aliéné, l'ouvrier engendre le rapport à ce travail d'un homme qui y est étranger et se trouve placé en dehors de lui. Le rapport de l'ouvrier à l'égard du travail engendre le rapport du capitaliste, du maître du travail, quel que soit le nom qu'on lui donne, à l'égard de celui-ci. La propriété privée est donc le produit, le ré­sultat, la conséquence nécessaire du travail aliéné, du rapport extérieur de l'ouvrier à la nature et à lui-même.

La propriété privée résulte donc par analyse du concept de travail aliéné, c'est-à-dire d'hom­me aliéné, de travail devenu étranger, de vie devenue étrangère, d'homme devenu étran­ger.

Nous avons certes tiré le concept de travail aliéné (de vie aliénée) de l'économie politique comme le résultat du mouvement de la propriété privée. Mais de l'analyse de ce concept, il ressort que, si la propriété privée apparaît comme la raison, la cause du travail aliéné, elle est bien plutôt une conséquence de celui-ci, de même que les dieux à l'origine ne sont pas la cause, mais l'effet de l'aberration de l'entendement humain. Plus tard, ce rapport se change en action réciproque.

Ce n'est qu'au point culminant du développement de la propriété privée que ce mystère qui lui est propre reparaît de nouveau, à savoir d'une part qu'elle est le produit du travail aliéné et d'autre part qu'elle est le moyen par lequel le travail s'aliène, qu'elle est la réalisation de cette aliénation.

Ce développement éclaire aussitôt diverses collisions non encore résolues.

1. L'économie politique part du travail comme de l'âme proprement dite de la production et pourtant elle ne donne rien au travail et tout à la propriété privée. Proudhon a, en partant de cette contradiction, conclu en faveur du travail contre la propriété privée. Mais nous voyons que cette apparente contradiction est la contradiction du travail aliéné avec lui-même et que l'économie politique n'a exprimé que les lois du travail aliéné.

Nous voyons par conséquent que le salaire et la propriété privée sont identiques : car le salaire, dans lequel le produit, l'objet du travail, rémunère le travail lui-même, n'est qu'une conséquence nécessaire de l'aliénation du travail, et dans le salaire le travail n'apparaît pas non plus comme le but en soi, mais comme le serviteur du salaire. Nous développerons ceci plus tard et nous n'en tirons plus pour l'instant que quelques [XXVI] conséquences.

Un relèvement du salaire par la force (abstraction faite de toutes les autres difficultés, abstraction faite de ce que, étant une anomalie, il ne pourrait être également maintenu que par la force) ne serait donc rien d'autre qu'une meilleure rétribution des esclaves et n'aurait con­quis ni pour l'ouvrier ni pour le travail leur destination et leur dignité humaines.

L'égalité du salaire elle-même, telle que la revendique Proudhon, ne fait que transformer le rapport de l'ouvrier actuel à son travail en le rapport de tous les hommes au travail. La société est alors conçue comme un capitaliste abstrait.

Le salaire est une conséquence directe du travail aliéné et le travail aliéné est la cause directe de la propriété privée. En conséquence la disparition d'un des termes entraîne aussi celle de l'autre.

2. De ce rapport du travail aliéné à la propriété privée, il résulte en outre que l'émancipa­tion de la société de la propriété privée, etc., de la servitude, s'exprime sous la forme politi­que de l'émancipation des ouvriers, non pas comme s'il s'agissait seulement de leur éman­cipation, mais parce que celle-ci implique l'émancipation universelle de l'homme ; or celle-ci y est incluse parce que tout l'asservissement de l'homme est impliqué dans le rapport de l'ouvrier à la production et que tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport.

De même que du concept de travail aliéné, rendu étranger, nous avons tiré par analyse le concept de propriété privée, de même à l'aide de ces deux facteurs, on peut exposer toutes les catégories de l'économie et, dans chaque catégorie, comme par exemple le trafic, la concur­rence, le capital, l'argent, nous ne retrouverons qu'une expression déterminée et développée de ces premières bases.

Toutefois, avant de considérer ces formes, cherchons à résoudre deux problèmes :

1° Déterminer l'essence générale de la propriété privée telle qu'elle apparaît comme résultat du travail aliéné dans son rapport à la propriété véritablement humaine et sociale.

2° Nous avons admis comme un fait l'aliénation du travail, son dessaisissement de soi, et nous avons analysé ce fait. Comment, demandons-nous maintenant, l'homme en vient-il à aliéner son travail, à le rendre étranger ? Comment cette aliénation est-elle fondée dans l'es­sen­ce du développement humain ? Nous avons déjà fait un grand pas dans la solution de ce problème en transformant la question de l'origine de la propriété privée en celle du rapport du travail aliéné à la marche du développe­ment de l'humanité. Car lorsqu'on parle de la propriété privée, on pense avoir affaire à une chose extérieure à l'homme. Et lorsqu'on parle du travail, on a directement affaire à l'homme lui-même. Cette nouvelle façon de poser la question implique déjà sa solution  [117] .

A propos du point 1. Essence générale de la propriété privée et son rapport à la propriété vraiment humaine.

Le travail aliéné s'est résolu pour nous en deux éléments qui se conditionnent réciproque­ment ou qui ne sont que des expressions différentes d'un seul et même rapport. L'appropria­tion apparaît comme aliénation, dessaisissement, et le dessaisissement comme appropriation, l'aliénation comme la vraie accession au droit de cité  [118] .

Nous avons considéré l'un des aspects, le travail aliéné par rapport à l'ouvrier lui-même, c'est-à-dire le rapport du travail aliéné à soi-même. Nous avons trouvé comme produit, com­me résultat nécessaire de ce rapport, le rapport de propriété du non-ouvrier à l'ouvrier et au travail. La propriété privée, expression matérielle résumée du travail aliéné, embrasse les deux rapports, le rapport de l'ouvrier au travail et au Produit de son travail ainsi qu'au non-ouvrier, et le rapport du non-ouvrier à l'ouvrier et au produit du travail de celui-ci.

Or, si nous avons vu que, par rapport à l'ouvrier qui s'approprie la nature par le travail, l'appropriation apparaît comme aliénation, l'activité propre comme activité pour un autre et comme activité d'un autre, le processus vital comme sacrifice de la vie, la production de l'objet comme perte de l'objet au profit d'une puissance étrangère, d'un homme étranger, con­si­­dé­­rons maintenant le rapport avec l'ouvrier, le travail et son objet, de cet homme étran­ger au travail et à l'ouvrier.

Il convient d'abord de remarquer que ce qui apparaît chez l'ouvrier comme activité de dessaisissement, d'aliénation, apparaît chez le non-ouvrier comme état de dessaisissement, d'aliénation  [119] .

Deuxièmement, que le comportement pratique réel de l'ouvrier dans la production et par rapport à son produit (comme état d'âme) apparaît chez le non-ouvrier qui lui fait face comme comportement théorique.

[XXVII] Troisièmement, le non-ouvrier fait contre l'ouvrier tout ce que l'ouvrier fait contre lui-même, mais il ne fait pas à l'égard de soi-même ce qu'il fait contre l'ouvrier.

Considérons en détails ces trois rapports.


Notes

Texte surligné : en français dans le texte.

[15] Ce premier manuscrit se compose d'une liasse de 9 feuilles in-folio (soit 36 pages) réunies par Marx en cahier et paginées en chiffres romains. Chaque page est divisée par deux traits verticaux en trois colonnes qui portent les titres : Salaire, Profit du capital, Rente foncière. Ces titres, qui se retrouvent à chaque page, laissent à penser que Marx a conçu la division de son manuscrit en trois parties à peu près égales et qu'il a titré les colonnes préalablement à la rédaction. Mais à partir de la page XXII, titres et division en colonnes perdent toute signification. Le texte est écrit à la suite et il a été intitulé conformément à son contenu : Travail aliéné. Le premier manuscrit s'interrompt à la page XXVII.

[16] A. SMITH: Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Traduit par Germain Garnier, Paris 1802, tome I, p. 138. Les deux derniers mots sont en français chez Marx.

[17] Loc. cit., I, p. 162.

[18] Restitué d'après le sens. Le manuscrit est ici taché d'encre.

[19] Restitué d'après le sens. Le manuscrit est ici taché d'encre.

[20] Restitué d'après le sens. Le manuscrit est ici taché d'encre.

[21] Restitué d'après le sens. Le manuscrit est ici taché d'encre.

[22] Il faut noter ici que Marx adopte, comme d'ailleurs par la suite, la terminologie et les définitions des économistes dont il ne fait que résumer et commenter la pensée dans ces premiers chapitres.

[23] Gras-italique : en français dans le texte.

[24] SMITH : loc. cit., tome II, p. 162.

[25] SMITH : loc. cit., tome I, p. 193. Marx condense ici Adam Smith. Voici le texte intégral : “ Dans un pays qui aurait atteint le dernier degré de richesse auquel la nature de son sol et de son climat et sa situation à l'égard des autres pays peuvent lui permettre d'atteindre, qui par conséquent ne pourrait parvenir au-delà, et qui n'irait pas en rétrogradant, les salaires du travail et les profits des capitaux seraient probablement très bas tous les deux. Dans un pays aussi pleinement peuplé que le comporte la proportion de gens que peut nourrir son territoire ou que peut employer son capital, la concurrence, pour obtenir de l'occupation, serait nécessairement telle que les salaires y seraient réduits à ce qui est purement suffisant pour maintenir le même nombre d'ouvriers, et le pays étant déjà pleinement peuplé, ce nombre ne pourrait jamais augmen­ter. ”

[26] Ibid., tome I, p. 160.

[27] Ibid. tome I, p. 201.

[28] Ibid.: tome I, p. 129

[29] La plupart des développements qui ont précédé sont, en effet, le résumé des idées exprimées par A. Smith, quand ils n'en reprennent pas exactement les termes.

[30] Dans son premier mémoire : Qu'est-ce que la propriété ? (Paris 1840), Proudhon soutient que “ En tant qu'associés les travailleurs sont égaux, et il implique contradiction que l'un soit payé plus que l'autre ” (p. 99).

[31] Chez SCHULZ : du revenu du travail.

[32] Die Bewegung der Produktion. Eine geschichtlich-statistische Abhandlung von Wilhelm SCHULZ. Zürich und Winterthur 1843.

[33] Chez SCHULZ : la population.

[34] Marx résume ici la phrase de Schulz : “ On peut noter des résultats semblables dans toutes les branches de la production, même s'ils n'ont pas la même extension; comme conséquences nécessaires du fait que les forces extérieures ont été de plus en plus... ”

[35] Chez Schulz, cette phrase que Marx n'a pas reprise - “ Et ainsi, il nous faut reconnaître qu'avec les progrès de la production matérielle, les nations se conquièrent simultanément un monde nouveau de l'esprit. ”

[36] Chez Schulz : “ Quoi qu'il en soit de ce mouvement, il est du moins certain que, sans tenir compte... ”

[37] Cette phrase est en réalité le début d'une note de bas de page chez Schulz. La phrase suivante est la suite du texte.

[38] Chez SCHULZ : “ on n'en a pas toujours tenu compte. ”

[39] Chez SCHULZ : “ Dans les fabriques de soierie anglaises se trouvent également beaucoup d'ouvrières; tandis que dans les fabriques de lainage, qui demandent une plus grande force physique, plus d'hommes sont employés. ”

[40] Chez SCHULZ : “ Mais si, de ce fait, c'est en conséquence du développement progressif de l'industrie que les femmes gagnent une position économique plus indépendante, nous voyons comment en conséquence les deux sexes se rapprochent dans leurs rapports sociaux. ”

[41] Chez SCHULZ : “ Mais dans les circonstances actuelles l'appel de Lord Brougham aux ouvriers : “ Devenez capitalistes ” apparaît nécessairement comme une amère raillerie. ”

[42] * En français chez Marx.
C. PECQUEUR : Théorie nouvelle d'économie sociale et politique ou étude sur l'organisation des sociétés. Paris 1842. Les citations de Pecqueur sont en français dans le texte de Marx.

[43] Chez PECQUEUR salaire.

[44] Chez PECQUEUR à intérêt.

[45] Charles LOUDON Solution du problème de la population et de la subsistance, soumise à un médecin dans une série de lettres. Paris 1842.

[46] Dans le manuscrit, Marx copie par erreur 80. Toute la citation est recopiée en français.

[47] A partir d'ici tout le passage cité se trouve en note chez Buret.

[48] Eugène BURET : De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France. 2 vol. Paris 1840.

[49] Ibid., p. 42-43. Les phrases en italique sont reproduites en français par Marx. La dernière phrase résume l'argumentation de Buret.

[50] Cette citation est en français dans le manuscrit.

[51] La phrase en français chez Marx. Chez BURET : le résultat alun libre marché.

[52] Ibid., p. 193, note. Le début de la citation en français chez Marx.

[53] Chez BURET : beaucoup.

[54] Ici chez BURET : mis à la réforme.

[55] Jean-Baptiste SAY : Traité d'Économie politique, 3e édition, 2 vol. Paris 1817. Nous donnons ici le texte de J.-B. Say. Marx ajoute après “ spoliation ” : et de la fraude. Il traduit la fin de la phrase par “ pour consacrer l'héritage ”.

[56] Voici le texte de Say résumé par Marx : “ Comment est-on propriétaire de ces fonds productifs ? et par suite comment est-on propriétaire de produits qui peuvent en sortir ? Ici le droit positif est venu ajouter sa sanction an droit naturel. ”

[57] Chez SMITH : “ Mais celui qui acquiert une grande fortune ou qui l'a par héritage... ”

[58] Souligné par Marx.

[59] Le mot “ quelconque ” entre [] figure chez Smith et n'est pas repris par Marx.

[60] Souligné par Marx.

[61] Chez SMITH particuliers.

[62] Chez SMITH ceci même.

[63] Souligné par Marx

[64] Souligné par Marx.

[65] Souligné par Marx.

[66] Souligné par Marx.

[67] Souligné par Marx.

[68] Chez Marx : aussi longtemps qu'il est employé à un ouvrage.

[69] SMITH, I, p. 121.

[70] Chez SMITH : “ Le prix de monopole est, à tous les moments, le plus haut qu'il soit possible de retirer. ”

[71] Chez Smith: “ L'acquisition d'un nouveau territoire ou de quelques nouvelles branches de commerce peut quelquefois élever les profits des capitaux, et avec eux l'intérêt de l'argent, même dans un pays qui fait des progrès rapides vers l'opulence... Une partie de ce qui était auparavant employé dans d'autres commerces en est nécessairement retirée pour être versée dans ces affaires nouvelles qui sont plus profitables ; ainsi, dans toutes ces anciennes branches de commerce, la concurrence devient moindre qu'auparavant. Le marché vient à être moins complètement fourni de plusieurs différentes sortes de marchandises. Le prix de celles-ci hausse nécessairement plus ou moins, et rend un plus gros profit à ceux qui en trafiquent ; ce qui les met dans le cas de payer un intérêt plus fort des prêts qu'on leur fait. ”

[72] Chez SMITH : “ ... dans une même société ou canton, le taux moyen des profits ordinaires dans les différents emplois de capitaux se trouvera bien plus proche du même niveau, que celui des salaires pécuniaires des diverses espèces de travail... ”

[73] Chez SMITH “ Le taux ordinaire. ”

[74] Chez SMITH “ la vue. ”

[75] Souligné par Marx.

[76] Chez SMITH : Or.

[77] Chez Smith : “ La hausse des salaires opère en haussant le prix d'une marchandise, comme opère l'intérêt simple dans l'accumulation d'une dette. La hausse des profits opère comme l'intérêt composé. ”

[78] Souligné par Marx.

[79] Chez SMITH : “ Or lorsque le bénéfice qu'on peut retirer de l'usage d'un capital se trouve ainsi pour ainsi dire rogné à la fois par les deux bouts, il faut bien nécessairement que le prix qu'on peut payer pour l'usage de ce capital diminue en même temps que ce bénéfice. ”

[80] En français dans le texte. Marx adopte ici la définition du capital fixe et du capital circulant que donne A. Smith. Il en fera plus tard la critique dans le livre II du Capital, au chapitre X (Cf. Le Capital. Éditions Sociales, tome IV, pp. 176-198). Smith appelle capital circulant ce que Marx appellera capital de circulation. Quant au capital fixe, il serait selon Smith générateur de profit. L'économiste anglais distingue deux manières de placer son capital ; ce qui n'est pas une distinction scientifique.

[81] Nous donnons cette citation dans les termes mêmes d'Adam Smith. Nous avons mis entre [ ] les parties que Marx n'a pas reprises.

[82] Cette phrase en français a été rajoutée par Marx.

[83] Chez PECQUEUR : c'est l'homme.

[84] Toutes les citations de Pecqueur qui suivent sont en français dans le manuscrit.

[85] Cette parenthèse est en allemand. C'est une addition de Marx à la citation de Pecqueur.

[86] Chez PECQUEUR, “ à qui il vendra ” vient en dernier.

[87] David RICARDO : Des principes de l'économie politique et de l'impôt. Traduit de l'anglais par F.-S. Constancio. 2e édition, 2 vol. Paris 1835.

[88] Ibid., Chapitre XXVI : Du revenu brut et du revenu net.

[89] Marx a copié ici le texte de la traduction française.

[90] J.-C.-L. SIMONDE DE SISMONDI : Nouveaux principes d'économie politique. 2 vol. Paris 1819. Le passage cité se trouve dans une note dirigée contre Ricardo; les phrases précédant la citation sont : “ Quoi donc ! la richesse est tout, les hommes ne sont absolument rien? Quoi! la richesse elle-même n'est quelque chose que par rapport aux impôts ?... ” Tout ce paragraphe est repris de BURET, l.c., tome I, pp. 6-7.

[91] Toute cette citation est en français dans le texte de Marx.

[92] * Souligné par Marx.
Cette dernière citation en français dans le texte de Marx.

[93] Souligné par Marx.

[94] Deutsche Vierteljahresschrift, Stuttgart und Tübingen 1838 (l. Jg.) Helft 3 p. 47 sq. : Der Bergmnänische Distrikt zwischen Birmingham und Wolverhampton, von A.-V. TRESKOW.
Depuis “ Ainsi récemment... ” ce passage est en note dans le livre de SCHULZ.

[95] Marx pense ici au passage suivant d'A. SMITH (I.c., tome I, p. 216)
“ Dans une loterie parfaitement égale, ceux qui tirent les billets gagnants doivent gagner tout ce qui est perdu par ceux qui tirent les billets blancs. Dans une profession où il y en a vingt qui échouent contre un qui réussit, cet un doit gagner tout ce qui aurait pu être gagné par les vingt malheureux. ”

[96] * Souligné par Marx.
Ce mot, qui résume une phrase précédente, est une addition de Marx. Il avait d'ailleurs écrit par inadvertance dans son manuscrit : productives.

[97] Dans le manuscrit, Marx écrit “ Einsicht ” (jugement) pour “ Absicht ” (dessein).

[98] Ce mot est une addition de Marx.

[99] Ces quatre derniers mots ne figurent pas dans le manuscrit de Marx.

[100] Chez SMITH : “ C'est rarement moins. du quart et souvent plus du tiers du produit total. ”

[101] Souligné par Marx.

[102] Les passages entre crochets n'ont pas été repris par Marx.

[103] Voici les termes de Smith : “ Les deux plus grands besoins de l'homme après la nourriture sont le vêtement et le logement. Ils peuvent quelquefois en rapporter une et quelquefois ne le peuvent pas, selon les circonstances ”.

[104] Souligné par Marx.

[105] Marx fait ici allusion aux lois anglaises sur le blé de 1815. Il écrira plus tard dans Le Capital, livre III (tome VIII, p. 18) : “Elles instituaient une taxe sur le pain, qui, de l'aveu des législateurs, fut imposée au pays pour assurer aux propriétaires fonciers oisifs la pérennité de leurs rentes qui s'étaient anormalement accrues pendant les guerres contre les Jacobins. ”

[106] C'est-à-dire que plus il produit, plus sa misère est grande.

[107] Begreift, c'est-à-dire : elle ne saisit pas ces lois dans leur concept.

[108] Marx emploie ici le terme Entfremdung. Mais il utilise aussi, avec une fréquence pres­que égale, celui de Entäusserung. Étymologiquement, le mot Entfremdung insiste plus sur l'idée d'étranger tandis que Entdässerung marque plus l'idée de dépossession. Nous avons pour notre part renoncé à tenir compte d'une nuance que Marx n'a pas faite puisqu'il emploie indifféremment les deux termes. Hegel ne faisait pas non plus la différence et il nous a semblé inutile de recourir au procédé de M. Hippolyte qui a créé, dans sa traduction de la Phénoménologie, le mot extranéation. Là ou Marx, pour insister, utilise successivement les deux termes, nous avons traduit l'un des deux par dessaisissement. Quand Marx utilise l'adjectif entfremdet, nous avons traduit, lorsque c'était possible, par rendu étranger. Mais le terme aliéné n'a pas été réservé uniquement pour rendre entäussert.

[109] L'expression allemande est “ gegenstandslos ”.

[110] Le travail, oui est pour l'homme manifestation de sa personnalité, n'est plus pour l'ouvrier que le moyen de subsister. Il ne peut se conserver cri tant que sujet physique qu'en qua­li­té d'ouvrier, et non en qualité d'homme ayant directement accès aux moyens de subsis­tance que lui offre la nature.

[111] Pour Marx l'essence du travail c'est qu'il est une activité spécifique de l'homme, une mani­fes­tation de sa personnalité, l'objectivation de celle-ci. L'économie politique ne considè­re pas le travail dans son rapport à l'homme, mais seulement sous sa forme aliénée : dans la mesure où il est producteur de valeur, et que d'extériorisation des “ forces essentielles ” de l'homme il s'est transformé en activité en vue d'un gain.

[112] Bei sich, c'est-à-dire libéré des déterminations extérieures à son être

[113] Cette expression, courante dans la philosophie de l'époque, ne nous est plus guère familière aujourd'hui. Dans l'Encyclopédie (§ 177), Hegel définit le genre (die Gattung) comme “ l'Universel concret ”. Il dit aussi (§ 367) qu'il “ constitue une unité simple étant en soi avec la singularité du sujet, dont il est substance concrète ”. Dire que l'homme est un être générique, c'est donc dire que l'homme s'élève au-dessus de son individualité subjective, qu'il reconnaît en lui l'universel objectif et se dépasse ainsi en tant qu'être fini. Autrement dit, il est individuellement le représentant de l'Homme.

[114] Species

[115] La citation suivante de Feuerbach (L'Essence du christianisme, Introduction), illustre bien la parenté des positions respectives de Marx et de Feuerbach et ce qui les distingue - “ Quelle est donc cette différence essentielle qui distingue l'homme de l'animal ? A cette question, la plus simple et la plus générale des réponses, mais aussi la plus populaire est : c'est la conscience. Mais la conscience au sens strict ; car la conscience qui désigne le senti­ment de soi, le pouvoir de distinguer les objets sensibles, de percevoir et même de juger les choses extérieures sur des indices déterminés tombant sous le sens, cette conscience ne peut être refusée aux animaux. La conscience entendue dans le sens le plus strict n'existe que pour un être qui a pour objet sa propre espèce et sa propre essence... Être doué de conscience, c'est être capable de science. La science est la conscience des espèces... Or seul un être qui a pour objet sa propre espèce, sa propre essence, est susceptible de prendre pour objet, dans leur signification essentielle, des choses et des êtres autres que lui.
C'est pourquoi l'animal n'a qu'une vie simple et l'homme une vie double chez l'animal la vie intérieure se confond avec la vie extérieure, l'homme, au contraire, possède une vie intérieure et une vie extérieure. ” (Ludwig FEUERBACH : Manifestes philosophiques. Traduction de Louis Althusser, Paris 1960, pp. 57-58.)

[116] On trouve chez Feuerbach : “ Sans objet l'homme n'est rien... Or l'objet auquel un sujet se rapporte par essence et nécessité n'est rien d'autre que l'essence propre de ce sujet, mais objectivée. ” (Ibid., p. 61.)

[117] Pour Marx, à ce stade de la formation de sa pensée, ces conclusions sont particulière­ment importantes. L'aliénation du travail est un stade nécessaire du développement humain, mais elle a une origine dans l'histoire. La propriété privée est issue de l'aliénation du travail, elle est donc elle aussi historique. Cela signifie qu'elles sont toutes deux des phases du développement de l'humanité qui seront un jour dépassées.

[118] Dans la mesure où l'homme a cherché à s'approprier la nature, il est tombé dans l'aliénation. Cette aliénation, origine de la propriété privée, a été appropriation. L'homme en s'aliénant a développé la richesse de sa nature, de son inonde et il en est au stade où il peut réintégrer de plein droit ce monde qui, pour l'instant, lui est étranger.

[119] L'ouvrier, le producteur, s'aliène par son activité sa nature d'homme qui lui devient étrangère. Le non-ouvrier par contre. le capitaliste, qui ne travaille, ne produit pas, est de ce fait même étranger à la nature de l'homme qui est précisément de produire.


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