1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx – F. Engels

Information judiciaire contre la Nouvelle Gazette rhénane


n° 37, 7 juillet 1848

Cologne, 6 juillet

Nous recevons à l'instant, la réplique à l'article publié hier par la Nouvelle Gazette rhénane, daté de Cologne le 4 juillet, concernant l'arrestation de M. le Dr. Gottschalk et de M. Anneke :

Je déclare fausse l'assertion suivant laquelle j'aurais répondu aux plaintes de Mme Anneke concernant l'arrestation de son mari opérée en l'absence de tout magistrat :
Je n'ai pas donné l'ordre de se livrer à des brutalités. J'ai dit au contraire que je devais exprimer des regrets si les gendarmes s'étaient mal comportés.
Je déclare en outre qu'il est faux que je me sois servi de l'expression : « Les gendarmes ont reçu de l'autorité judiciaire l'ordre de procéder à l'arrestation ». J'ai seulement fait la remarque que l'arrestation a été opérée en vertu d'un mandat d'amener de M. le Juge d'instruction.
Les mandats d'amener sont, d'après la loi, exécutés par des huissiers ou des représentants de la force armée. La présence d'un fonctionnaire de la police judiciaire n'est prescrite nulle part.
Les diffamations contenues dans l'article, autrement dit les outrages à M. le procureur général Zweiffel et aux gendarmes ayant procédé à l'arrestation, seront appréciés au cours de l'information judiciaire qui sera ouverte à cet effet.
Cologne, le 5 juillet 1848
Le procureur, HECKER.

Nos chers lecteurs voient donc, d'après le texte qui précède, que la Nouvelle Gazette rhénane a gagné un nouveau collaborateur plein de promesses : le Parquet.

Nous nous sommes trompés sur un seul point de droit. Pour procéder à une arrestation, il n'est besoin d'aucun « fonctionnaire de la police judiciaire », mais seulement d'un représentant de la force publique. De quelles garanties pleines de sollicitude le code n'entoure-t-il pas la sécurité personnelle !

Il n'en demeure pas moins illégal, après comme avant, que Messieurs les gendarmes n'aient pas produit leur mandat d'arrêt. Il demeure illégal qu'ils aient examiné des papiers avant l'arrivée de M. Hecker et de M. son adjoint ainsi qu'on nous l'a assuré par la suite. Mais surtout ce qui demeure illégal ce sont les brutalités que M. Hecker a regrettées. Nous sommes étonnés de voir engager une information judiciaire non contre Messieurs les gendarmes, mais contre le journal qui dénonce les abus de Messieurs les gendarmes.

L'outrage ne pourrait concerner qu'un seul de ces Messieurs le gendarme dont on a assuré que pour des raisons plus ou moins spirituelles ou spiritueuses, il « titubait » déjà à une heure si matinale. Mais si l'enquête, comme nous n'en doutons pas un instant, confirme la véracité du fait - les brutalités exercées par Messieurs les représentants de la force publique - alors nous croyons avoir souligné très soigneusement avec toute l'impartialité qui convient à la presse et dans l'intérêt le mieux compris des Messieurs que nous accusons, la seule « circonstance atténuante ». Et le Parquet transforme la bienveillante indication de la seule circonstance atténuante en « outrage » !

Et maintenant voyons l'outrage, autrement dit la diffamation concernant M. le procureur général Zweiffel !

Comme nous l'indiquons nous-mêmes dans le compte-rendu, nous avons simplement rapporté des rumeurs, rumeurs qui nous viennent de bonne source. Mais la presse n'a pas seulement le droit, elle a le devoir de surveiller de très près Messieurs les représentants du peuple. Nous avons indiqué en même temps que l'activité parlementaire de M. Zweiffel jusqu'à ce jour ne rend pas improbables les déclarations hostiles au peuple qu'on lui attribue - et veut-on retirer à la presse le droit de juger l'activité parlementaire d'un représentant du peuple ? Alors à quoi bon la presse ?

Ou bien la presse n'a-t-elle pas le droit de trouver dans le représentant du peuple Zweiffel trop du procureur général, et dans le procureur général, trop du représentant du peuple ? Pourquoi alors en Belgique, en France, etc. les débats sur les incompatibilités ?

Quant à l'usus constitutionnel, que l'on relise comment Le Constitutionnel, Le Siècle [1], La Presse [2] jugent sous Louis-Philippe l'activité parlementaire de Messieurs Hébert, Plougoulm, etc. à l'époque où ces Messieurs étaient simultanément chefs suprêmes du Parquet et députés. Que l'on relise les feuilles belges et en particulier les journaux étroitement constitutionnels, L'Observateur [3], La Politique, L'Émancipation, pour voir comment ils jugeaient, il y a un an à peine, l'activité parlementaire de M. Bavay, lorsque M. Bavay réunissait en une même personne le député et le procureur général.

Et ce qui fut toujours autorisé sous le ministère Guizot, sous le ministère Rogier, ne devrait pas être autorisé dans la monarchie établie sur la base démocratique la plus large ? Un droit qui n'a été contesté par aucun ministère de la Restauration en France, devient illégal sous le ministère d'action qui reconnaît en principe la révolution ?

D'ailleurs par notre supplément spécial de ce matin, le public a pu se convaincre de l'exactitude avec laquelle nous avions jugé la marche des événements. Rodbertus est sorti du ministère et Ladenberg y est entré. Le ministère du centre gauche s'est transformé, en quelques jours, en un ministère résolument réactionnaire à la manière de la vieille Prusse. La droite a risqué un coup d'État, la gauche s'est retirée avec des menaces [4].

Et il ne serait pas manifeste que les récents événements de Cologne étaient inscrits dans le grand plan de campagne du ministère d'action ?

On nous communique à l'instant que l'accès de la maison d'arrêt est interdit à la Nouvelle Gazette rhénane. Le règlement pénitentiaire justifie-t-il cette interdiction ? Ou bien les prévenus politiques sont-ils condamnés à la peine de lire exclusivement la Kölnische Zeitung ?


Notes

[1] Le Siècle : quotidien qui parut de 1836 à 1839 à Paris. Il fut fondé par une société qui comptait Ledru-Rollin parmi ses membres. Il représentait les tendances de la petite-bourgeoisie qui se contentait de réclamer des réformes constitutionnelles modérées.

[2] La Presse : quotidien qui paraissait à Paris depuis 1836. En 1848-1849, il soutint les républicains bourgeois et plus tard les bonapartistes. Émile de Girardin en fut le rédacteur en chef de 1836 à 1857.

[3] L'Observateur (abréviation de L'Observateur belge) : quotidien qui parut à Bruxelles de 1835 à 1860. Vers 1840 et dans les années qui suivirent, il fut l'organe de la bourgeoisie libérale.

[1] À la fin de la séance du 4 juillet 1848 où l'on avait discuté d'une commission d'enquête sur les événements de Posnanie, l'Assemblée nationale prussienne décida de doter cette commission de pleins pouvoirs. L'adoption de cette décision constituait une défaite pour le ministère Aueswald-Hansemann. Les représentants de l'aile droite tentèrent alors, contrairement aux règles parlementaires, d'imposer un autre tour de scrutin sur la proposition, déjà rejetée, de ne donner à la commission que des pouvoirs limités. Les députés de l'aile gauche quittèrent la salle en signe de protestation. La droite en profita pour faire passer sa proposition de refuser à la commission le droit de se rendre en Posnanie et d'entendre sur place des témoins et des experts. La première décision de l'Assemblée se trouvait donc annulée de manière illégale.


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