1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 7 : Les revenus et leur source


Chapître L : L’apparence de la concurrence

Nous avons vu que la valeur et le coût de production des marchandises se décomposent en trois fractions :

  1. Une partie qui reconstitue le capital constant. Elle représente du travail passé, qui a été dépensé sous forme de moyens de production pour produire la marchandise, et elle est la valeur ou le prix de ces moyens de production. (Nous nous plaçons au point de vue non d'une marchandise en particulier, mais du capital-marchandise, c'est-à-dire du produit du capital pendant une période déterminée, un an par exemple, produit dont les marchandises isolées, dont la valeur se décompose d'ailleurs comme le capital-marchandise, ne sont que des éléments) ;
  2. Une partie qui représente la valeur du capital variable et donne la mesure du revenu des travailleurs. Elle est la reproduction du salaire qui a été remis aux ouvriers et constitue la valeur de la partie payée du travail nouveau, qui est ajouté dans la production au capital constant ;

Une partie qui représente le surtravail, c'est-à-dire le travail non payé ou plus-value. Elle revêt les formes du revenu, soit celle du profit du capital (profit d'entreprise + intérêt), soit celle de la rente de la propriété foncière. Cette partie et la précédente se distinguent de la première en ce quelles constituent toute la valeur dans laquelle s'objective le travail nouveau, qui vient s'ajouter aux moyens de production représentés par le capital constant. Par conséquent, si l'on fait abstraction de la première partie (la partie constante), il est exact de dire que la valeur de la marchandise, constituée exclusivement par le travail nouveau ajouté pendant l'année, se ramène toujours aux trois revenus, le salaire, le profit et la rente [1], dont les grandeurs dépendent des lois particulières que nous avons développées précédemment. Il serait évidemment erroné de soutenir le contraire et de dire que la valeur du salaire, le taux du profit et le taux de la rente sont des éléments autonomes, dont la réunion engendre la valeur de la marchandise sans le concours de la partie constante, en d'autres mots de dire qu'ils sont les parties composantes de la valeur ou du coût de production de la marchandise {2].

Supposons qu'un capital de 500 donne un produit de 400 c + 100 v + 150 pl = 650, contenant 150 pl de plus-value, se décomposant en 75 de profit + 75 de rente. Admettons, pour supprimer toute difficulté inutile, que ce capital ait la composition moyenne, c'est-à-dire que le coût de production et la valeur de son produit soient égaux, ce qui se présentera chaque fois que le rapport du produit de ce capital au produit total sera le même que celui de ce capital au capital total.

Le salaire (mesuré par le capital variable) et la plus-value représentent respectivement 20 % et 30 % du capital total, et le profit et la rente s'élèvent chacun à 15 % de ce même capital. La partie de la valeur de la marchandise qui exprime le travail nouveau qui a été incorporé à celle-ci, est égale à 100 v + 150 pl = 250, et cette valeur est indépendante des grandeurs relatives du salaire, du profit et de la rente qui eu sont les parties. La force de travail, qui a été payée à raison de 100, mettons 100 £ en argent, a fourni une quantité de travail exprimée par 250 £ en argent, ce qui montre que le surtravail des ouvriers est 1 ½ fois plus grand que le travail qu'ils ont fait pour eux-mêmes, c'est-à-dire que dans une journée de 10 heures, ils ont travaillé 4 heures pour eux et 6 heures pour le capitaliste. La valeur de 250 £ constitue tout ce qu'il y a à partager entre les ouvriers et le capitaliste, et entre le capitaliste et le propriétaire foncier ; elle représente également toute la valeur nouvelle qui vient s'ajouter à la valeur (400) des moyens de production.

Supposons qu'un capital ayant la même composition organique (même rapport entre la force de travail vivante et le capital constant), soit obligé de payer 150 £ au lieu de 100 pour la même force de travail appliquée à un capital constant de 400, et supposons que la répartition de la plus-value entre le profit et la rente soit également différente. Le capital variable de 150 £ mettant en œuvre la même masse de travail que précédemment le capital variable de 100, la valeur nouvelle ajoutée par le travail sera de 250 comme dans le cas précédent, et la valeur du produit sera encore de 650, mais avec la composition suivante : 400 c  + 150 v + 100 pl = 650. Admettons que les 100 pl de plus-value se répartissent en 45 de profit + 55 de rente. Dans ce cas, le salaire représente donc 27 3/11 % du capital avancé, le profit 8 2/11 %, la rente 10 % et la plus-value un peu plus de 18 %.

L'augmentation du salaire a eu pour effet de modifier la quantité de travail non payé et. par suite la plus-value : pendant une journée de 10 heures, les ouvriers travaillent maintenant 6 heures pour eux et 4 heures seulement pour le capitaliste. De même le rapport entre le profit et la rente a été changé, et la plus-value diminuée n'est plus partagée sur la même base entre le capitaliste et le propriétaire foncier. Enfin, la valeur du capital constant étant restée la même et celle du capitaliste variable ayant augmenté, la baisse du taux du profit brut a été plus accentuée encore que celle de la plus-value.

Quel que soit l'effet de ta loi qui règle le partage, entre le salaire, le profit et la rente, de la valeur nouvelle créée pendant l'année, cette valeur est égale à 250 dans les deux cas et elle n'est nullement affectée par la variation du salaire et des taux du profit et de la rente. Il n'en serait autrement que si la rente résultait d'un prix de monopole. Dans ce cas, si l'on se place au point de vue du produit en lui-même, on voit qu'il y a uniquement une différence dans la répartition de la plus-value, et si l'on considère la valeur du produit relativement à celles des autres marchandises, on constate simplement qu'une partie de la plus-value de celles-ci est reportée sur ce produit qui se trouve dans la situation spéciale de bénéficier d'un prix de monopole.

Récapitulons en un tableau les constatations que nous venons de faire :

 

Valeur du produit

Valeur nouvelle

Taux de la plus-value

Taux du profit brut

Premier cas : 400 c  + 100 v + 150 pl = 650250150 %30 %
Second cas : 400 c  + 150 v + 100 pl = 65025066 ⅔ %18 2/11 %

Nous voyons que dans le second cas la plus-value n'est plus que les ⅔ de ce qu'elle était dans le premier cas et que le taux du profit, qui de 30 % est tombé à 18 2/11 %, a baissé de plus de ⅓. Quant au taux de la plus-value, qui de 150 % est devenu 66 ⅓ %, il a baissé plus fortement que le taux du profit. La diminution du taux du profit est donc relativement plus grande que celle de la plus-value et celle du taux de la plus-value est relativement plus accentuée que celle du taux du profit. D'autre part, la masse de travail mis en oeuvre étant la même dans les deux cas, le produit est également le même tant en quantité qu'en valeur, bien que la hausse du salaire ait eu pour conséquence de nécessiter une avance plus grande de capital. Cet accroissement du capital à avancer sera incontestablement très sensible pour les capitalistes qui commencent une entreprise ; au point de vue de l'ensemble de la reproduction, l'accroissement du capital variable signifie uniquement qu'une fraction plus grande de la valeur nouvelle créée par le travail nouveau mis en œuvre, se reconvertit cri salaire (eu capital variable) et une fraction plus petite, en plus-value (en surproduit).

Les deux éléments de la valeur du produit, le capital constant (égal à 400) et la valeur nouvelle (égale à 250), étant restés invariables, la valeur du produit est la même dans les deux cas. Si le produit devait être utilisé à faire du capital constant, il représenterait avant comme après, pour la même valeur, la même quantité de valeurs d'usage, c'est-à-dire la même quantité d'éléments de capital constant. Il en serait autrement, si l'augmentation de l'avance de capital variable était due, non à ce que les ouvriers obtiennent une plus large part de leur travail, mais à ce que la productivité de leur travail aurait diminué. Dans ce cas, la valeur constituée par le travail payé et non payé resterait encore la même ; mais la quantité de produits, dans laquelle serait incorporé ce travail, serait moindre et par conséquent le prix de l'unité de produit, plus élevé. Le salaire de 150 ne représenterait pas plus de produits que précédemment le salaire de 100 ; mais la plus-value de 100 ne représenterait plus que les 2/3 des produits, 66 ⅔ % de la quantité de valeurs d'usage auxquelles elle correspondait précédemment. (jette fois, si le produit était appliqué à faire du capital constant, le prix de celui-ci serait également augmenté. Ce renchérissement ne serait pas dû à la hausse du salaire, mais la hausse du salaire serait la conséquence du renchérissement de la marchandise, dû à la diminution de la productivité du travail. Dans ce cas l'augmentation de prix du produit a pour cause apparente l'augmentation du salaire, alors qu'en réalité il n'en est rien.

Si, la masse de travail restant égale à 250, la valeur des moyens de production venait à varier, la quantité des produits resterait la même, mais il y aurait une variation correspondante de leur valeur. Au lieu d'être de 650, celle-ci serait de 450 c + 100 v + 150 pl = 700 ou de 350 c + 100 v + ­150 pl = 600, si la valeur des moyens de production passait de 400 à 450 ou à 350. Toutes autres circonstances égales, une augmentation ou une diminution de l'avance de capital due à une augmentation ou une diminution du capital constant, a donc pour conséquence une augmentation ou une diminution de la valeur du produit, tandis que cette valeur reste invariable lorsque la variation de l'avance de capital est due à une variation du capital variable, la productivité du travail restant la même. Il en est ainsi parce que la variation de la valeur du capital constant n'est compensée par aucune variation en sens inverse, tandis que la variation du capital variable, la productivité du travail restant constante, est compensée par une variation opposée de la plus-value, de telle sorte que la somme de la valeur du capital variable et de la plus-value reste invariable.

Si, le capital constant restant le même (égal à 400 c), l'augmentation de l'avance du capital variable (passant de 100 v à 150 v) était due à une diminution de la productivité du travail, non dans la branche, la filature de coton par exemple, dont on considère le produit, mais dans l'agriculture, qui fournit les aliments des ouvriers, la valeur du produit serait de 400 c + 150 v + 100 pl = 650 comme précédemment.

Ce que nous avons exposé montre également qu'une économie de capital constant dans les branches qui produisent les objets de consommation des ouvriers, peut agir comme une augmentation de la productivité du travail, c'est-à-dire déterminer une baisse du salaire et par conséquent une augmentation de la plus-value ; de sorte que dans ce cas le taux du profit augmenterait pour deux raisons, d'abord parce qu'il y aurait diminution de la valeur du capital constant, ensuite parce qu'il y aurait augmentation de la plus-value. Dans notre étude de la conversion de la plus-value en profit, dans laquelle nous nous étions proposé d'observer les variations du taux du profit indépendamment de celles du taux de la plus-value, nous avons supposé que le salaire reste invariable. Mais les lois que nous avons dégagées alors sont générales et sont vraies également pour les avances de capital dont les produits ne sont pas consommés par les ouvriers et dont les variations de valeur n'ont par conséquent aucune influence sur le salaire.


La répartition entre le salaire, le profit et la rente, de la valeur nouvelle que le travail de chaque année ajoute au capital constant, ne modifie donc en rien l'importance de cette valeur, et celle-ci n'est pas affectée non plus par une variation du rapport de ces trois éléments entre eux. La somme 100 reste la même, qu'elle se subdivise en 50  + 50 ou en 20 + 70 + 10 ou en 40 + 30 + 30. La partie de la valeur du produit destinée à être répartie entre les trois revenus est déterminée, comme le capital constant, par la valeur des marchandises, c'est-à-dire par la quantité de travail incorporée à celles-ci. La valeur totale des marchandises à distribuer entre le salaire, le profit et la rente est donc donnée d'avance et par conséquent la limite absolue de la valeur totale à partager est également fixée. De même les limites moyennes et régulatrices de chacune des trois catégories sont données, et dans cette fixation de leurs grandeurs extrêmes, la limite du salaire forme le point de départ. D'un côté, le salaire est réglé par une loi naturelle. Sa limite inférieure est fixée par le minimum physique des moyens d'existence que l'ouvrier doit obtenir pour conserver et reproduire sa force de travail; cette limite est exprimée par une quantité déterminée de marchandises, dont la valeur dépend du temps de travail qui est nécessaire pour les reproduire, c'est à-dire du temps de travail qui doit être ajouté aux moyens de production pour les obtenir. Si, Par exemple, la valeur des moyens d'existence nécessaires journellement à l'ouvrier, correspond en moyenne à 6 heures de travail moyen, il doit consacrer en moyenne à lui-même 6 heures de son travail quotidien. D'autre part, la valeur réelle de la force de travail s'écarte de ce minimum physique et varie avec le climat et le degré du développement social. Elle dépend donc non seulement des besoins physiques, mais des besoins créés par la civilisation, de sorte que dans chaque pays et à chaque période de l'histoire, le salaire moyen et régulateur a une grandeur déterminée. C'est cette grandeur qui fixe la limite des deux autres revenus, limite qui est toujours égale à la différence entre la valeur créée par la journée entière de travail et la partie de celle-ci qui représente le salaire. C'est donc la valeur exprimant la quantité de travail non payé qui limite ces revenus. De même que la limite extrême de la partie de la journée de travail que l'ouvrier doit consacrer à lui-même est fixée par le minimum physique du salaire, de même l'autre partie de cette journée, le surtravail, est limitée par le maximum physique de la journée de travail, c'est-à-dire le total du temps de travail que l'ouvrier peut fournir journellement tout en conservant et reproduisant sa force de travail.

Comme il s'agit dans cette étude de la répartition de la valeur nouvelle créée par le travail de l'année, nous pouvons considérer la journée de travail comme une grandeur constante, quel que soit l'écart qu'elle présente en plus ou en moins par rapport à son maximum physique.

La limite absolue de la plus-value est ainsi donnée, et elle est égale à la valeur de la partie du produit qui représente le surtravail. Si nous donnons le nom de profit - ainsi que nous l'avons déjà fait - à la plus-value rapportée au capital total qui a été avancé pour la production, nous voyons que la valeur absolue de ce profit est limitée d'après la même loi que la plus-value. De même, le taux du profit est une grandeur limitée d'une manière déterminée par la valeur des marchandises. Il est égal an rapport entre la plus-value et le capital total, de sorte que si le capital est de 500 et la plus-value de 100, la limite absolue du taux du profit est 20 %. La répartition, d'après ce taux, du profit social entre les différents capitaux engagés dans les différences sphères de production donne lieu aux coûts de production, qui s'écartent des valeurs des marchandises et qui sont en réalité les prix moyens du marché. Ces écarts n«empêchent pas cependant que les prix soient déterminés par les valeurs et ils ne portent aucune atteinte à la loi assignant des limites au profit. Alors que la valeur d'une marchandise est égale, au capital qui a été consommé pour la produire augmenté de la plus-value qu'elle contient, son coût de production est égal au capital consommé K augmenté de la plus-value calculée en tenant compte du taux général du profit, augmenté, par exemple, de 20 % de tout le capital qui a été avancé, tant celui qui a été simplement appliqué que celui qui a été consommé, pour la produire. Mais ce taux de 20 % est lui-même déterminé d'après la plus-value produite par le capital total de la société et le rapport de cette plus-value au capital. La conversion des valeurs en coûts de production ne supprime donc pas les limites du profit, mais modifie uniquement la répartition de celui-ci entre les différents capitaux qui constituent le capital total de la société. Quant aux prix du marché, ils sont tantôt plus élevés, tantôt plus bas que les coûts de production régulateurs, mais ces oscillations se compensent entre elles. En effet, lorsqu'on observe les prix pendant une longue période, en faisant abstraction des cas où les valeurs réelles des marchandises ont varié par suite de variations de la productivité du travail et où le procès de production a été troublé par des accidents naturels ou sociaux, on est frappé par le peu d'amplitude que présentent les écarts et par la régularité avec laquelle ils se contrebalancent. On rencontre ici la même loi des moyennes régulatrices que Quetelet a mise en évidence pour les phénomènes sociaux.

Lorsque l'égalisation des valeurs des marchandises et des coûts de production se fait sans obstacle, la rente prend la forme de rente différentielle, et elle a pour limite la moyenne des surprofits que les coûts de production régulateurs rapportent à un certain nombre de capitalistes et qui sont accaparés par les propriétaires fonciers. La limite de la valeur de la rente est déterminée dans ce cas par les écarts -des taux de profit individuels, que rend possible la constitution d'un coût de production régulateur basé sur le taux général du profit. Mais lorsque la propriété foncière s'oppose à ce que les coûts de production soient égaux aux valeurs et qu'elle prélève une rente absolue, celle-ci a pour limite l'excédent de la valeur du produit agricole sur son coût de production, c'est-à-dire l'excédent de la plus-value contenue dans le produit sur le taux de profit assigné aux capitaux d'après le taux général du profit.

Enfin si des monopoles naturels ou artificiels et spécialement le monopole de la propriété foncière s'opposaient à ce que dans les différentes sphères de production la plus-value fut ramenée au profit moyen, c'est-à-dire déterminaient pour certaines marchandises un prix de monopole supérieur à leur coût de production et à leur valeur, les limites fixées par la valeur des marchandises ne seraient quand même pas supprimées. Les producteurs bénéficiant du monopole recueilleraient une partie du profit des producteurs des autres marchandises. Il y aurait indirectement un trouble local dans la répartition de la plus-value entre les différentes sphères de production, mais ce trouble ne modifierait en rien les limites de la plus-value. Si les marchandises jouissant d'un prix de monopole étaient destinées à être consommées nécessairement par les ouvriers, il y aurait hausse des salaires et diminution de la plus-value, à la condition toutefois que la force de travail fût payée à sa valeur après comme avant. Il se pourrait que le salaire fut ramené au-dessous de la valeur de la force de travail (pour autant que celle-ci dépassât les limites de son minimum physique). Dans ce cas, le prix de monopole serait payé par une diminution du salaire réel - une diminution de la masse de valeur d'usage pour la même masse de travail - et une réduction du profit des autres capitalistes. Les limites de l'action du prix de monopole sur les prix des marchandises seraient nettement déterminées et pourraient être calculées facilement.

Par conséquent, de même que la répartition de la valeur nouvelle ajoutée par le travail de l'année est déterminée parle rapport entre le travail nécessaire et le surtravail, entre le salaire et la plus-value, de même la répartition de la plus-value entre le profit et la rente est fixée par l'égalisation des tauxde profit. En ce qui concerne la subdivision du profit en profit d'entreprise et intérêt, c'est le profit moyen lui-même qui fixe la limite pour les deux à la fois, car c'est lui qui fixe la grandeur de la valeur qui est et peut être partagée pour les constituer. La base de cette répartition est accidentelle et dépend exclusivement des conditions de la concurrence. Tandis que partout ailleurs l'équilibre de l'offre et de la demande se traduit par la suppression de l'action de la concurrence et a pour effet de ramener les prix du marché au prix moyen régulateur, cet équilibre est dans ce cas le seul élément déterminant. Il en est ainsi parce que le même facteur de la production, le capital, est possédé par deux personnes et que c'est entre ces deux possesseurs que doit être partagée la partie de la plus-value qui échoit au capital. Cependant de ce qu'aucune loi ne fixe ici le partage du profit moyen, il ne -résulte pas qu'aucune limite ne soit assignée à cette partie de la valeur de la marchandise ; de même que la limite du profit d'une entreprise West pas affectée, parce que différentes circonstances extérieures amènent les deux associés a, en toucher des parts inégales.

De ce que la partie de la valeur des marchandises qui est constituée par le travail nouveau de l'année se répartit entre les différentes formes du revenu, on n'est donc pas autorisé à inférer que le salaire, le profit et la rente sont les éléments constitutifs du prix régulateur (natural price, prix nécessaire), c'est-à-dire que le prix de chacune de ces trois parties est d'abord déterminé pour soi et que de l'addition de ces trois prix résulte le prix de la marchandise. Au contraire, c'est la valeur de la marchandise qui est déterminée en premier lieu, et elle représente la somme des valeurs du salaire, du profit et de la rente, quelles que soient ensuite les valeurs relatives de ces dernières.

Il est évident également que si le salaire, le profit et la rente constituaient le prix des marchandises, il en serait ainsi tant pour la partie constante de leur valeur que pour la partie représentant le capital variable et la plus-value. Nous pourrions donc faire abstraction de la partie constante, puisque la valeur des marchandises dont elle est formée se ramènerait également à la somme des valeurs du salaire, dur profit et de la rente. C'est d'ailleurs à ce résultat qu'aboutissent ceux qui partent de cette conception et qui nient, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, l'existence de cette partie constante.

Toute conception de la valeur disparaît ici et la notion du prix repose exclusivement sur ce fait qu'une somme déterminée d'argent est payée à ceux qui possèdent la force de travail, le capital et la terre. Mais qu'est-ce que l'argent? L'argent n'est pas un objet, mais une forme déterminée de la valeur ; il suppose donc également la valeur. Une somme donnée d'argent ou d'or est payée pour les trois éléments de la production, c'est-à-dire est égalée, dans le cerveau, à ses éléments. Mais l'or et l'argent sont des marchandises - et l'économiste éclairé est fier de cette explication - comme toutes les autres marchandises, et leur prix est déterminé, comme le prix de celles-ci, par le salaire, le profit et la rente. Nous ne pouvons donc pas déterminer le salaire, le profit et la rente par ce fait qu'ils sont égaux à des quantités déterminées d'or, et d'argent, car la valeur de ceux-ci est déterminée elle-même par ces trois éléments. Dire que la valeur du salaire, du profit et de la rente est égale à une quantité donnée d'or et d'argent, c'est dire qu'elle est égale à une quantité déterminée de salaire, de profit et de rente.

Considérons d'abord le salaire, car le travail est aussi le point de départ pour cette conception. Comment est déterminé son prix régulateur, le prix autour duquel oscillent ses prix du marché ? Mettons que ce soit par la demande et l'offre de la force de travail. Mais d'où part la demande de travail ? Du capital. La demande de travail est donc égale à l'offre de capital. Pour parler de l'offre de capital, nous devons savoir avant tout ce que c'est que le capital. Eu quoi consiste le capital ? En argent et mar­chandises, en le considérant sous son apparition la plus simple. Mais l'argent n'est qu'une forme de la marchandise. Le capital consiste donc en marchandises. Mais la valeur des marchandises est, d'après notre point de départ, déterminée en première instance par le prix du travail qui les produit, par le salaire. Nous supposons ici que le salaire est donné d'avance et nous le considérons comme un des éléments constitutifs du prix des marchandises. Ce prix est ainsi déterminé par le rapport entre l'offre de tra­vail et le capital, dont le prix est lui-même égal au prix des marchandises qui le composent. La demande de travail par le capital est égale à l'offre de capital, et celle-ci revient à l'offre d'une somme de marchandises d'un prix déterminé. Or ce prix est ré-lé par le prix du travail, et celui-ci est égal à la partie du prix de la marchandise qui correspond au capital variable et qui est cédé à l'ouvrier en échange de son travail. Mais le prix de cette marchandise est lui-même déterminé par le prix du travail, car il résulte des prix du salaire, du profit et de la rente. Pour déterminer le salaire nous ne pouvons donc pas partir du capital, la valeur du capital étant déterminée elle-même par le salaire.

En outre, il ne nous sert de rien d'introduire la concurrence. Celle-ci fait hausser ou baisser les prix du marché du travail. Mais lorsqu'il y a équilibre de la demande et de l'offre de travail, qu'est-ce qui détermine le salaire ? La concurrence. Or nous voulons trouver le prix naturel du salaire, le prix du travail qui ne dépend pas de la concurrence, mais au contraire la règle.

Il ne reste donc qu'à déterminer le prix indispensable du travail par les moyens d'existence indispensables des ouvriers, Mais ces moyens d'existence sont eux aussi des marchandises ayant un prix. Le prix du travail est donc déterminé par le prix des moyens d'existence indispensables, lequel, comme le prix de toutes les autres marchandises, est fixé en première instance par le prix du travail. Le prix du travail est donc déterminé par lui-même, ou plutôt nous ne savons pas comment ce prix est déterminé. Cependant le travail a un prix, puisqu'il est considéré comme marchandise. Pour parler du prix du travail, nous devons donc savoir ce qu'est le prix en général. Or le raisonnement que nous avons tenu jusqu'à présent ne nous apprend d'aucune façon ce que c'est que le prix en général.

Admettons que le prix nécessaire du travail soit déterminé d'après cette méthode amusante. Comment sera fixé le deuxième élément du prix des marchandises, le profit moyen, c'est-à-dire le profit de tout capital appliqué dans des conditions moyennes ? Ce profil moyen dépend du taux moyen du profit. Comment celui-ci est-il déterminé ? Par la concurrence entre les capitalistes ? Mais cette concurrence suppose l'existence du profit, car elle suppose différents taux du profit et par conséquent des profits différents, soit dans les mêmes, soit dans diverses branches de production. La concurrence ne peut agir sur les taux de profit que pour autant que son action se fasse sentir sur les prix des marchandises, que pour autant qu'elle amène les producteurs des mêmes branches de production à vendre leurs marchandises au même prix et les producteurs de branches de production différentes à vendre leurs marchandises à des prix qui leur donnent le même profit. La concurrence ne peut donc que niveler des inégalités dans les taux de profit. Mais pour que ce nivellement soit possible, il faut que le profit existe déjà comme élément du prix des marchandises. La concurrence ne crée pas le profit ; elle l'augmente ou le diminue, mais ce n'est pas elle qui engendre le profit qui constitue le niveau lorsque l'équilibre est établi.

Nous parlons du taux nécessaire du profit ; nous enten­dons donc étudier le taux qui est indépendant des mouve­ments de la concurrence et qui règle celle-ci. Le taux moyen du profit se réalise lorsque les forces des capitalis­tes en concurrence s'équilibrent. La concurrence peut amener cet équilibre, mais elle ne peut pas déterminer le taux du profit qui se présente lorsque cet équilibre est atteint. Pourquoi le taux général est-il de 10 ou de 90 ou de 100 % dès que l'équilibre est établi ? En vertu de la concurrence ? Non, car elle a éliminé les causes qui provo­quaient des écarts par rapport à ce taux de 10, de 20 ou de 100 %. Si elle a assigné aux marchandises un prix tel que chaque capital reçoit le même profit eu égard à son importance, elle n'a aucune influence sur la grandeur de ce profit en lui-même. Un homme est en concurrence avec un autre et la concurrence l'oblige à vendre sa marchandise au même prix que ce dernier. Pourquoi ce prix est-il de 10. de 20 ou de 100 ?

Il ne reste donc qu'à considérer le taux du profit et par conséquent le profit comme un supplément ajouté au prix de la marchandise et déterminé d'une manière insaisissable. Tout ce que la concurrence nous en enseigne, c'est que le taux du profit doit avoir une grandeur donnée. Mais nous savions déjà cela quand nous parlions du taux général du profit et du « prix nécessaire » du profit.

Il est inutile de recommencer le même raisonnement pour la rente foncière. Poursuivi logiquement, il établirait que la rente comme le profit est un supplément, déterminé par des lois insaisissables, qui est ajouté au prix de la marchandise, lequel est fixé en première instance par le salaire. En un mot, c'est à la concurrence que les économistes font appel pour éclaircir tous les faits qu'ils ne savent pas expliquer, alors que leur première tâche devrait être d'expliquer la concurrence.

Si nous faisons abstraction de la fantaisie qui attribue à la circulation, c'est-à-dire la vente, le pouvoir de déterminer le profit et la rente, qui sont des éléments du prix, nous voyons, la circulation ne pouvant rendre que ce qui lui a été donné, que les choses se ramènent simplement à ce qui suit :

Supposons que pour une marchandise donnée le prix déterminé par le salaire soit égal à 100 ; admettons que le taux du profit et la rente s'élèvent respectivement à 10 % et 15 % du salaire. Le prix de la marchandise comprenant le salaire, le profit et la rente sera donc égal à 125. Le supplément de 25 ne peut pas provenir de la vente de la marchandise, car tous ceux qui se vendront cette marchandise se vendront à 125 ce qui a coûté 100 de salaire, ce qui est la même chose que s'ils se vendaient la marchandise au prix de 100. Le problème doit donc être étudié abstraction faite du procès de circulation.

Si l'ouvrier, le capitaliste et le propriétaire prélèvent leur part sur la marchandise même, qui coûte maintenant 125 - et il est sans importance que le capitaliste vende d'abord à 125, pour remettre 100 à l'ouvrier, 15 au propriétaire et garde 10 pour lui - l'ouvrier recevra les 4/5 = 100 de la valeur et du produit, le capitaliste 2/25, et le propriétaire 3/25. Vendant à 125 au lieu de 100, le capitaliste ne donne à l'ouvrier que les 4/5 du produit qui représente son travail. La répartition se fait donc comme si la marchandise ayant été vendue à 100, le capitaliste remettait 80 à l'ouvrier et retenait 20, dont 8 pour lui et 12 pour le propriétaire.

Mais dans ce cas la marchandise aurait été vendue à sa -valeur, puisque dans cette conception la valeur est égale à la valeur du salaire et que les suppléments ajoutés pour faire le prix sont indépendants de cette valeur. On procède donc par un détour ; on emploie le mot salaire pour désigner la valeur (100) du produit, c'est-à-dire la somme d'argent qui représente la quantité déterminée de travail qui y est incorporé, mais cette valeur diffère du salaire réel et s'obtient en faisant à celui ci l'addition nominale de certaines quantités représentant le profit et la rente. C'est ainsi que si le salaire était de 110 au lieu d'être de 100, le profit et la rente devraient être respectivement de 11 et de 16 ½, et le prix de 137 ½, c'est-à-dire que les rapports entre ces grandeurs resteraient invariables. La répartition ayant pour point de départ les additions nominales faites au salaire, proportionnellement à son importance, le prix de la marchandise varie en raison directe du salaire. Cette conception revient donc à égaler d'abord la valeur de la marchandise au salaire et à les distinguer ensuite, C'est-à-dire à soutenir que la valeur de la marchandise est égale à la quantité de travail qui y est incorporé, que la valeur du salaire est déterminée par le prix des subsistances indispensables et que l'excédent de la valeur sur le salaire constitue le profit de la rente.

La décomposition, dans les trois formes autonomes et indépendantes du revenu, de la valeur qui est incorporée au produit par le travail - abstraction faite de la valeur du produit due aux moyens de production - se présente à la surface de la production capitaliste et dans la conception de ses agents sous un aspect absolument opposé à la réalité.

La valeur totale d'une marchandise étant de 300, supposons que la valeur du capital constant consommé pour l'obtenir soit de 200 et que la valeur nouvelle ajoutée par le procès de production soit de 100. Représentons le salaire par x, le profit par y et la rente par z. Nous aurons: x + y + ­z = 100. Mais ce n'est pas ainsi que les industriels, les commerçants et les banquiers voient les choses.

Pour eux, le point de départ n'est pas la valeur donnée et égale à 100, qui reste de la valeur de la marchandise après déduction de la valeur des moyens de production et qui doit être répartie entre x, y et z ; au contraire, pour eux, le salaire, le profit et la rente sont des grandeurs déterminées chacune pour soi, indépendamment de la valeur de la marchandise, et fixant par leur addition le prix du produit, qui sera peut-être plus grand ou plus petit que 100. Cette confusion est inévitable pour les raisons suivantes :

Primo. - Les éléments de la valeur des marchandises s'opposent l'un à l'autre comme des revenus autonomes, prélevés sur des facteurs absolument différents - le travail, le capital, la terre -de la production et semblant ainsi résulter de ceux-ci. Ils sont respectivement le revenu de l'ouvrier, du capitaliste et du propriétaire, parce que ceux-ci possèdent respectivement la force du travail, le capital et la terre. Cependant la valeur ne naît pas parce que quelque chose a été converti en revenu ; elle doit au contraire exister avant que le revenu puisse prendre naissance. Cette confusion s'impose d'autant plus facilement que les grandeurs relatives des trois revenus sont réglées par des lois qui en apparence semblent indépendantes de la valeur des marchandises.

Secundo. - Nous avons vu qu'une variation générale du salaire provoque une variation inverse du taux général du profit et fait varier différemment les coûts de production des marchandises selon la composition moyenne du capital dans les différentes sphères de production. Il arrive ainsi que chaque fois que le phénomène se produit, « on voit » que dans quelques branches le prix moyen hausse alors que le salaire augmente et diminue alors que le salaire baisse, tandis que « on ne voit pas », que ces variations sont réglées par la valeur des marchandises, laquelle est indépendante du salaire. Si au lieu d'être générale, la variation du salaire est localisée, par suite de circonstances spéciales, dans quelques branches de production, elle peut entraîner une variation correspondante du prix des marchandises de ces branches spéciales. La hausse de leur valeur relativement à celles pour lesquelles le salaire est resté invariable, n'est alors qu'une réaction contre le trouble qui a surgi localement dans la répartition égale de la plus-value entre les différentes sphères de production, et un moyen pour ramener les taux particuliers de profit au taux général. Dans ce cas comme dans le précédent, l' « expérience» fait voir que le prix est déterminé par le salaire, alors qu'elle ne permet pas de constater la cause vraie du phénomène.

D'autre part, le prix moyen du travail, la valeur de la force de travail, est déterminé par le coût de production des subsistances indispensables. Ici encore l'expérience établit l'existence d'une corrélation entre le salaire et le prix des marchandises ; mais la cause peut être confondue avec l'effet et réciproquement, ce qui se constate également dans les mouvements des prix du marché, qui montrent une hausse du salaire au-dessus de son taux moyen en connexion, dans les périodes de prospérité, avec une hausse du prix du marché au-dessus du coût de production, suivis plus tard de deux mouvements correspondants en sens inverse.

Abstraction faite des oscillations du prix du marché, la corrélation du coût de production avec les valeurs des marchandises devrait toujours se traduire par une variation du taux du profit en sens inverse de la variation du salaire. Mais le taux du profit peut être influencé par des variations de la valeur du capital constant, indépendantes des variations du salaire, de sorte qu'au lieu de varier en sens inverse, le salaire et le taux du profit peuvent hausser ou baisser simultanément (ce qui serait impossible si la plus-value et le profit avaient le même taux). De même lorsqu'une hausse du Prix des subsistances a pour effet de faire monter le salaire, le taux du profit peut rester constant et même augmenter lorsque l'intensité ou la durée de la journée de travail devient plus grande. Tous ces faits ont pour conséquence que la valeur des marchandises est déterminée en apparence, soit uniquement par le salaire, soit simultanément par le salaire et le profit. D'ailleurs il suffit que l'apparence se vérifie pour le salaire, que par conséquent la valeur du travail semble être égale à la valeur produite par le travail, pour que par déduction elle soit étendue au profit et à la rente ; les prix de ceux-ci doivent alors être considérés comme se réglant indépendamment du travail et de la valeur engendrée par celui-ci.

Tertio. – Supposons :

  1. que les valeurs des marchandises ou leurs coûts de production (qui n'en sont indépendants qu'en apparence) apparaissent immédiatement et constamment comme identiques avec les prix du marché, au lieu de se manifester comme des prix moyens auxquels s'équilibrent les oscillations des prix du marché ;
  2. que la reproduction se fasse continuellement dans les mêmes conditions, c'est-à-dire que la production du travail reste invariable dans tous les éléments du capital ;
  3. que la partie de la valeur de la marchandise constituée par le travail nouveau ajouté à la valeur des moyens de production, se décompose continuellement dans les mêmes proportions en salaire, profit et rente, de telle sorte que le salaire réellement payé soit toujours égal à la valeur de la force de travail, le profit réellement réalisé, toujours égal à la part de la plus-value totale revenant au capital en vertu du taux moyen du profit et la rente effective, égale à la rente calculée d'après les conditions normales.

Supposons en un mot que la répartition du produit social et la fixation des coûts de production aient lieu en mode capitaliste, mais sans l'intervention de la concurrence. Dans ces conditions, où la valeur des marchandises et la partie de cette valeur se résolvant en revenus seraient constantes et où le revenu se décomposerait toujours dans les mêmes proportions en salaire, profit et rente, le mouvement se présenterait encore, non comme la décomposition d'une grandeur donnée d'avance se répartissant entré les trois formes indépendantes du revenu, mais comme la formation d'une grandeur par l'addition du salaire, du profit et de la rente, trois éléments indépendants et déterminés chacun pour soi. Le mouvement serait donc encore en apparence le contraire de ce qu'il est en réalité, ce qui est inévitable, étant donné que dans le mouvement des capitaux et de leurs produits, ce n'est pas la valeur des marchandises qui semble exister avant leur répartition, mais inversement les parties en lesquelles elles se décomposent, qui fonctionnent comme existant avant la valeur.

Nous avons vu que pour chaque capitaliste le prix de revient apparaît comme une grandeur donnée, passant comme telle dans le coût de production. Cependant le prix de revient est égal à la valeur du capital constant (des moyens de production avancés) augmentée Ma valeur de la force de travail, laquelle se présente, il est vrai, aux yeux des agents de la production sous la forme irrationnelle du prix du travail, ce qui fait que le salaire apparaît en même temps comme le revenu des ouvriers. Or, s'il est vrai que le prix moyen du travail est une grandeur donnée - la valeur de la force de travail étant déterminée, comme celle de toute marchandise, par le temps de travail nécessaire pour la reproduire -il est noir moins vrai que la partie de la valeur de la marchandise qui devient le salaire prend naissance, non parce que cette partie est avancée par le capitaliste sous forme de salaire, mais parce que la valeur représentée par le prix de la force de travail est le produit d'une partie du travail quotidien ou annuel de l'ouvrier. Mais le salaire est fixé contractuelle ment, avant que la valeur dont il est l'équivalent soit produite ; il apparaît donc comme un élément du prix dont la grandeur est donnée avant la production de la marchandise, comme un élément qui intervient pour fixer la valeur, et non comme une partie qui se détache d'elle. Ce qui se présente pour le salaire au point de vue du prix de revient de la marchandise, se répète pour le profit moyen en ce qui concerne le coût de production, car celui-ci est égal au prix de revient augmenté du profit moyen. Dans la pratique ce profit moyen entre dans la conception et les calculs du capitaliste comme un élément régulateur, non seulement pour le transfert des capitaux d'une branche de production à une autre, mais pour les marchés et les contrats occupant le procès de reproduction pendant de longues périodes. A ce point de vue il est une grandeur fixée d'avance, qui est, en effet, indépendante de la valeur et de la plus-value produites dans chaque branche de production et qui l'est encore plus de la valeur et de la plus-value obtenues dans chaque entreprise. Au lieu d’apparaître au capitaliste comme le résultat d'une subdivision de la valeur, il lui semble être un élément déterminant celle-ci, indépendant d'elle, donné d'avance dans le procès de production et fixant même le prix moyen de la marchandise. Et ce qui est vrai du profit l'est bien plus de la plus-value, par suite de sa subdivision en plusieurs parties, ayant des formes indépendantes l'une de l'autre. C'est ainsi que l'intérêt apparaît au capitaliste fonctionnant comme un élément existant avant la production des marchandises et de leur valeur, élément dont les variations se répercutent dans le prix de revient du produit. Il en est de même de la rente foncière, tant au point de vue du capitaliste agricole pour lequel elle se présente sous forme de fermage fixé par contrat, qu'au point de vue des autres entrepreneurs pour lesquels elle constitue le loyer des bâtiments. Ces parties résultant de la décomposition de la plus-value apparaissent aux capitalistes comme des éléments constituant le coût de production, engendrant la plus-value, formant une fraction du prix de la marchandise, de même que le salaire en forme l'autre fraction. Le secret de cette confusion c'est que la production capitaliste, comme toute autre, reproduit continuellement, non seulement les produits matériels, mais les rapports sociaux et économiques et les formes économiques qui en sont la base. Les résultats de la production apparaissent donc continuellement comme s'ils en étaient les prémisses, de même que les prémisses semblent cri être les résultats, et c'est parce que les mêmes rapports se reproduisent continuellement que le capitaliste les considère comme des faits évidents et indiscutables. Aussi longtemps que la production capitaliste existe, une partie du travail nouveau se résout continuellement en salaire, une autre en profit (intérêt + profit d'entreprise) et une troisième en rente. Cette subdivision sert de base aux contrats entre les propriétaires des différents facteurs de la production, conception qui est exacte, bien que les grandeurs relatives varient chaque fois. Le rapport entre les différentes parties de la valeur est admis d'avance parce qu'il se reproduit continuellement, et il se reproduit continuellement parce qu'il est toujours donné d'avance.

L'expérience et l'observation montrent cependant que les prix du marché, dont l'influence aux yeux des capitalistes se fait sentir exclusivement dans la fixation de la valeur, ne dépendent pas des variations du taux de l'intérêt et de la rente. Mais les prix du marché varient constamment, et si l'on observe les moyennes pendant des périodes de longue durée, on voit que ce sont les moyennes du salaire, du profit et de la rente qui sont en dernière instance les grandeurs qui les déterminent.

D'autre part, il semble logique que si le salaire, le profit et la rente sont des facteurs de la valeur, puisqu'ils sont considérés comme préexistant à sa production et comme des éléments du prix de revient et du coût de production, le capital constant, dont la valeur est donnée également avant la production, soit considéré de même comme un facteur de la valeur. Cependant le capital constant n'est qu'une somme de marchandises, qu'une somme de valeurs. On en arriverait donc à cette tautologie que la valeur-marchandise est la cause et le facteur de la valeur-marchandise.

Si le capitaliste avait quelqu'intérêt à porter ses réflexions sur ces choses - en tant que capitaliste il ne peut réfléchir que par intérêt - il déduirait immédiatement de l'expérience que son produit entre comme capital constant dans d'autres sphères de production et qu'il applique lui-même comme capital constant le produit de ces dernières. Or si en apparence la valeur nouvelle qu'il produit est constituée par les grandeurs du salaire, du profit et de la rente, il doit en être de même du capital constant qu'il utilise et qui est le produit d'autres capitalistes ; par suite, la valeur totale des marchandises se ramène en dernière instance à la somme du salaire, du profit et de la rente, les trois facteurs autonomes et distincts (au point des lois qui les règlent et des sources qui les engendrent) de la valeur.

Quarto. - Il est indifférent à chaque capitaliste en particulier que la marchandise soit vendue ou non à sa valeur. Les écarts à ce point de vue se produisent à son insu et sous l'action de circonstances sur lesquelles il n'exerce aucune action, car ce ne sont pas les valeurs, mais les coûts de production (différents des valeurs) qui déterminent le prix moyen dans chaque sphère de production. La valeur n'intéresse le capitaliste en particulier et le capital dans chaque sphère de production, que pour autant que l'augmentation ou la diminution de la productivité du travail, en diminuant ou en augmentant la quantité de travail nécessaire pour produire la marchandise, leur permette, pour des prix du marché donnés, de réaliser un surprofit ou l'oblige d'augmenter ses prix; elle les intéresse pour autant qu*elle augmente ou diminue leurs frais de production et les mette dans une situation exceptionnelle..

Par contre le salaire, la rente et l'intérêt apparaissent au capitaliste comme fixant le prix limite, non seulement auquel il peut réaliser le profit d'entreprise, c'est-à-dire la part du profit qui lui échoit en qualité de capitaliste fonctionnant, mais auquel il doit pouvoir vendre la marchandise, pour que la continuation de la reproduction soit possible. Il lui est absolument indifférent que la vente lui permette ou non de réaliser la valeur et la plus-value incorporées à la marchandise, pourvu que le prix lui permette de prélever, par rapport à son coût de production personnel (déterminé par le salaire, l'intérêt et la rente), le profit d'entreprise habituel ou un profit d'entreprise plus grand. Lorsqu'il fait abstraction du capital constant, le salaire, l'intérêt et la rente lui apparaissent par conséquent comme les éléments qui limitent et déterminent le prix de la marchandise. Qu'il parvienne, par exemple, à, réduire le salaire au-dessous de la valeur de la force de travail, c'est-à-dire au-dessous de son niveau normal, à obtenir le capital à un taux d'intérêt inférieur et à payer un fermage inférieur au taux normal de la rente, il lui sera absolument indifférent de*vendre le produit au-dessous de sa valeur et même au-dessous du coût de production général, par conséquent de céder gratuitement une partie du surtravail contenu dans la marchandise. Il en est même ainsi pour le capital constant. Parvient-il, par exemple, à acheter la matière première au-dessous de son coût de production, il ne fera aucune perte, même si dans le produit achevé il la revend également au-dessous de son coût de production. Son profit d'entreprise restera le même aussi longtemps que la différence entre le prix de sa marchandise et le prix des éléments de celle-ci qu'il a dû payer lui-même, reste constante. A côté des moyens de production, qui entrent dans sa production avec des prix de grandeurs déterminées, ce sont le salaire, l’intérêt et la rente qui figurent comme les éléments régulateurs et déterminants. Vu sous cet aspect, le profit d'entreprise apparaît, soit comme l'excédent du prix du marché (dépendant des péripéties de la concurrence) sur la valeur immanente des marchandises (déterminée par les éléments dont nous venons de parler), soit comme le résultat, pour autant qu'il ait lui-même une influence déterminante sur le prix du marché, de la concurrence entre les acheteurs et les vendeurs.

Qu'il s'agisse de la concurrence de capitaliste à capitaliste ou de la concurrence sur le marché mondial, ce sont les grandeurs données et préexistantes du salaire, de l'intérêt et de la rente qui entrent eu ligne de compte comme grandeurs constantes et régulatrices : constantes, non dans le sens qu'elles restent invariables, mais dans le sens que dans chaque cas particulier elles sont les limites données et constantes des prix du marché. C'est ainsi, par exemple, que dans la concurrence sur le marché mondial, il s'agit exclusivement de savoir si avec des salaires, un intérêt et une rente donnés, les marchandises rapportent un profit d'entreprise suffisant lorsqu'elles sont vendues au prix général du marché ou au-dessous de ce prix. Si dans un pays le salaire et le prix du sol sont réduits en même temps que l'intérêt y est élevé, et si dans un autre le salaire et le prix de la terre sont nominalement élevés pendant que le taux de l'intérêt y est bas, on verra le capitaliste appliquer proportionnellement plus de travail et de terre dans le premier pays et proportionnellement plus de capital dans le second. Ces différents facteurs seront évidemment des éléments déterminants quand il s'agira de calculer Jusqu’à quel point la concurrence est possible entre ces pays. Dans ce cas, l'expérience établit donc théoriquement et les calculs intéressés du capitaliste montrent pratiquement que les prix des marchandises sont déterminés par le salaire, l'intérêt et la rente, c'est-à-dire par les prix du travail, du capital et de la rente.

Lorsque du prix du marché on retranche le coût de production, c'est-à-dire la somme du salaire, de l'intérêt et de la rente, il reste naturellement un élément qui n'est pas donné d'avance. Celui-ci apparaît comme déterminé dans chaque cas par la concurrence et dans la moyenne des cas par le profit moyen, lequel est réglé à son tour, mais pendant des périodes de longue durée, par la même concurrence.

Quinto. - Dans le système de la production capitaliste il est tellement naturel de décomposer en salaire, profit et rente la valeur ajoutée par le travail nouveau, que cette décomposition est même appliquée - à part des périodes passées de l'histoire dont nous avons donné des exemples en parlant de la rente - là où d'avance les conditions d'existence de ces formes du revenu font défaut.

Lorsqu'un ouvrier indépendant, par exemple un petit paysan, travaille pour lui-même et vend lui-même son produit, il peut être considéré comme son propre capitaliste et son propre propriétaire foncier. Il se paie à lui-même le salaire en tant qu'ouvrier, il touche le profit en tant que capitaliste et il prélève la rente en tant que propriétaire. La production capitaliste avec les rapports qui lui sont propres étant la base générale de l'organisation sociale, cette manière de voir est exacte, puisque ce n'est pas à cause de son travail mais parce qu'il est propriétaire des moyens de production - qui dans ce cas se présentent en général sous la forme de capital - qu'il peut s'approprier le surtravail qu'il fournit lui-même. De plus, comme son produit est une marchandise ayant un prix, la mise en valeur de son surtravail dépend, non de la masse de celui-ci, mais du taux général du profit, et de même l'excédent éventuel sur la part de plus-value qui lui revient d'après le taux général du profit, ne dépend pas de la quantité de travail qui fournit cet excédent ; il ne se. l'approprie que parce qu'il est propriétaire du sol. Ce fait qu'un mode de production non capitaliste puisse être rangé, jusqu'à un certain point avec raison, parmi les formes de la production capitaliste, a pour conséquence que les conditions de celle-ci ont plus encore l'apparence d'être les conditions naturelles de toute production.

Cependant lorsqu'on ramène le salaire à sa base générale, c'est-à-dire à la partie que l'ouvrier consomme de son produit, et que l'on attribue à cette partie l'importance que tolère la productivité de la société et qu'exige le complet développement de l'individu ; lorsqu'on réduit le surtravail et la plus-value à ce qui est indispensable à l'extension continue de la reproduction et à la constitution d'un fonds d'assurance et de réserve ; lorsqu'enfin on comprend dans le travail nécessaire et le surtravail ce que les hommes Capables de produire doivent fournir pour ceux qui ne sont pas encore ou ne sont plus en état de travailler ; en un mot lorsqu'on dépouille le salaire et la plus-value, le travail nécessaire et le surtravail de leur caractère capitaliste, on se trouve en présence de bases qui sont communes à tous les systèmes de production sociale.

D'ailleurs cette manière de raisonner a été appliquée à d'autres systèmes de production. C'est ainsi que, des conditions de production quine représentaient d'aucune manière les rapports propres au système féodal ont été rangées dans ce dernier; tels, par exemple, en Angleterre, les tenures in common socaqe (par opposition aux tenures on Knight's service) qui comprenaient exclusivement des obligations monétaires et n'étaient féodaux que de nom.


Notes

[1] Il va de soi que le salaire, le profit et la rente qui sont ajoutés au capital constant sont des valeurs. On peut naturellement se les figurer comme existant dans le, produit constituant la valeur dont ils sont des fractions. par exemple dans le fil, si l'on considère des capitalistes et des ouvriers occupés dans une filature. Mais en fait, ils ne sont pas plus représentés dans ce produit que dans toute autre marchandise, que dans tonte autre richesse matérielle ayant la même valeur. En pratique le salaire, comme l'intérêt, comme la rente, est payé en argent, l'expression pure de la valeur, et pour le capitaliste la conversion de son produit en argent est très importante. Il est absolument indifférent que ces valeurs soient reconverties dans la même marchandise que celle fournie par la production dont elles sont issues, que l'ouvrier, par exemple, rachète une partie du produit qu'il a directement fabriqué ou qu'il achète le produit d'un autre travailleur on d'un autre genre de travail. C'est cependant sur ce point que M. Rodbertus se fatigue bien inutilement.

[2] « Il suffira de remarquer que la même règle générale qui détermine la valeur des produits agricoles et des objets manufacturés, s'applique également aux métaux. Leur valeur ne dépend nidu taux des profits, ni de celui des salaires, ni de la rente des mines, mais de la quantité totale de travail nécessaire à l'extraction du métal et à son transport. » Ricardo, Œuvres complètes. Edit. Guillaumin, 180, p. 59.


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