1867

Un chapitre du livre premier découvert ultérieurement et qui fournit des précisions cruciales pour l'analyse du mode de production capitaliste.


Un chapitre inédit du Capital

Karl MARX

Présentation

R. Dangeville


1. Le plus terrible missile

Pour Marx, la théorie est un acte matériel en même temps qu'un résultat abstrait des conditions sociales générales, dont l'intelligence fournit à l'action un cadre, une voie tracée et un but conscient. Ce n'est jamais qu'un premier pas, mais c'est déjà une conquête finale.

En ce sens, Marx affirmait que le Capital était « certainement le plus terrible missile qui ait encore jamais été lancé à la face des bourgeois (y compris les propriétaires fonciers) ». [1]

Marx a toujours attribué une importance primordiale à la théorie. Dès 1842, il affirmait : « Nous avons la ferme conviction que le véritable danger n'est pas dans les tentatives pratiques, mais dans la réalisation des idées communistes à partir de la théorie. En effet, on peut répondre par des canons aux tentatives pratiques, même si elles sont effectuées en masse. » [2]. Lorsque le socialisme dialectique découvre que la société évolue dans tel sens déterminé, les efforts des révolutionnaires, soutenus par la dynamique historique, prennent un maximum d'efficacité.

C'est dans le Capital précisément que Marx a énoncé « la loi concrète de la société moderne » qui aboutit à la crise générale du capitalisme et à une société supérieure, dont l'instauration s'impose inéluctablement comme tâche au prolétariat : « Il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose comme but momentanément. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être. Son but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable, dans sa propre situa­tion historique, comme dans toute l'organisation de la société actuelle. » [3]

En bon disciple de Marx, Lénine écrivit à propos du Congrès d'avril 1906, qui définit les tâches du prolétariat russe dans la révolution : « Le gros défaut de la presque totalité de la presse social-démocrate dans la question du programme en géné­ral et, en particulier, l'insuffisance des débats de notre Congrès de Stockholm, c'est que les considérations pratiques l'emportent sur les théoriques, et les considé­rations politiques sur les économiques. » [4]

Cette orientation de Lénine n'est pas fortuite, mais constante. Il est facile de cons­tater que ce fut un marxiste rigoureux et qu'il subordonna toujours son action aux principes doctrinaux, si l'on confronte son activité au cours historique de la révolution russe, de 1905 à 1917. [5] Bien des léninistes affirment le contraire et rejoignent sur ce point l'opinion bourgeoise la plus commune, pour qui Lénine est une espèce de surhomme qui a su manœuvrer en transgressant toutes les règles pour réussir une révolution dans des conditions qui n'étaient pas celles que Marx et Engels prévoyaient pour un bouleversement socialiste. La révolution russe n'eût pas été possible sans son action exceptionnelle : il n'aurait pas appris le marxisme, et la révolution future d'Europe occidentale n'aurait plus rien à apprendre ni du vieux marxisme, ni du génial Lénine. [6]

Si la révolution socialiste a triomphé dans la Russie de 1917, c'est que Lénine et, avec lui, le parti bolchevik ont su reprendre et manier avec énergie l'arme théorique, forgée par Marx. Dès 1899, en se fondant sur le modèle théorique du Capital, Lénine s'est mis à étudier l'organisation de la société russe en vue d'y découvrir la dialectique de son évolution : c'est sa vaste recherche sur le Développement du capitalisme en Russie (Ed. Soc., 758 p.). C'est encore cette méthode que Lénine, soucieux de voir le parti accomplir ses tâches premières, recommandait aux socialistes en 1906, comme on l'a vu.

« Le communisme est la théorie des conditions sociales et historiques de l'émancipation du prolétariat. L'élaboration de cette théorie a commencé dès la période des premiers mouvements prolétariens, face aux prétentions du système de production bourgeois; elle a pris forme dans la critique de l'économie capitaliste, dans la méthode du matérialisme historique, dans la pratique de la lutte des classes et dans la conscien­ce des bouleversements que manifestera le cours historique jusqu'à la chute du régime capitaliste et au triomphe de la révolution prolétarienne. » [7]

Dès 1899, c'est-à-dire avant même la révolution de 1905, Lénine concevait claire­ment les structures de la société russe et son développement. Il commença aussitôt de mettre en place sur l'échiquier du champ de forces les différentes classes, couches sociales, avec leurs partis et programmes, afin de déterminer leur rayon d'action et de prévoir la nature et le cours ultérieur de la révolution. Par la suite, chaque épisode de la lutte devait préciser le « schéma », en confirmant ou en infirmant - succès ou défaite de l'âpre lutte de classe - la justesse de cette prévision théorique. Au fur et à mesure, les partis, dépassés par l'évolution historique, étaient éliminés et la prévision s'imposait de plus en plus aux masses et à leur conscience. Cet art de la révolution, par sa cohérence logique tout autant que par ses effets pratiques, fit que la théorie devint effectivement une force en s'emparant des masses.

Plus que quiconque, Lénine a appris chez Marx-Engels et a épluché leurs textes, saluant toute publication nouvelle de leurs écrits comme une victoire et un renfor­cement du parti révolutionnaire. Sa lutte incessante contre les révisionnistes témoigne de la plénitude et de l'orthodoxie de son marxisme qui fut le secret de son efficacité pratique. [8]

2. Hommage à Lénine

C'est avec la victoire de la révolution russe que triompha le marxisme restauré par Lénine et qu'une partie considérable de l'œuvre de Marx, mise sous le boisseau, fit enfin surface   [9] : les deux faits - le bouleversement politique, économique et social de l'immense Russie, et l'exhumation de quelques vieux papiers - sont évidemment sans commune mesure, mais un fil solide les relie néanmoins : l'intérêt porté par les bolcheviks aux idées de Marx.

Lénine ne se contentait pas de lire, il voulait connaître : « On ne saurait compren­dre entièrement le Capital de Marx, et notamment le premier chapitre, si l'on n'a pas étudié et compris toute la Logique de Hegel. En conséquence, on peut affirmer que, depuis un demi-siècle, aucun marxiste n'a compris Marx. » [10]

Lénine ne se proposait évidemment pas de décourager un éventuel lecteur du Capital. Pas plus que nous, il n'avait le pouvoir et l'intention de sonder les esprits pour établir ce que cette lecture avait donné pour résultat. Au reste, l'ouvrier apprendra plus du Capital - « la bible de la classe ouvrière », selon l'expression d'Engels - que de n'importe quelle autre lecture, même s'il commence par le second chapitre, puisque « la première partie qui contient l'analyse de la marchandise est d'une intelligence un peu difficile » (Marx).

Ce qui importe vraiment, c'est que Lénine se proposait de chercher, à tout prix, à saisir complètement la pensée de Marx, quitte à recourir à un auteur dont les travaux sur la dialectique et le raisonnement font autorité pour resserrer les fils qui traversent l'œuvre de Marx.

C'est en tout cas l'attitude inverse de celle des « marxistes » modernes, qui n'écrivent que pour rechercher une faille, afin de déformer la pensée de Marx, comme aucun révisionniste d'antan n'eût osé le faire : opposer Marx à lui-même, le mettre en contradiction avec ses propres affirmations et idées, en découpant par exemple son œuvre en écrits de jeunesse et en écrits de maturité.

Dans la Dialectique du Concret [11], Karel Kosik, notant que l'opposition entre le jeune Marx et le Marx de la maturité n'est possible qu'en faisant abstraction des ouvrages qui forment le relais entre les Manuscrits de 1844 et le Capital, entre la « philo­sophie » et l' « économie », estime que le meilleur moyen de combler les « lacunes », c'est de compléter l’œuvre publiée de Marx par ses écrits encore inédits et par ses travaux préparatoires, qui permettent de suivre jusque dans le détail le cheminement de sa pensée.

Roman Rosdolsky défend la même thèse, et commente comme suit l'aphorisme ci-dessous de Lénine : « J'ignore si beaucoup de marxistes ont médité cette phrase de Lénine et s'ils furent nombreux à suivre ce conseil. Quoi qu'il en soit, je pense que, depuis la publication des Fondements, il n'est plus aussi nécessaire d'avoir recours à ce détour aride qu'est l'étude complète de toute la Logique de Hegel pour comprendre le Capital de Marx. En effet, on peut désormais atteindre le même résultat grâce à l'étude de ces manuscrits préparatoires ». [12]

Cependant, Lénine n'eût sans doute pas trouvé dans les travaux préparatoires des Fondements ce qui lui paraissait manquer dans le premier livre du Capital. En effet, il précise que le point difficile en est le chapitre I°, consacré à l'étude de la marchan­dise et la monnaie, dont Marx dit qu'elles sont des formes devant encore se transformer en capital. Or, c'est le VI° Chapitre précisément qui traite en détail de la marchandise devenue capital.

Le fait que ce VI° Chapitre n'ait pas été publié explique le grave malentendu qui a pu surgir : le lecteur peut considérer que la marchandise simple, décrite au début du Capital, subsiste même dans le capitalisme développé, alors qu'elle change complète­ment de caractère. Cette évolution de la marchandise était tout à fait claire pour Marx, et ne prête pas à confusion dans le 1er livre du Capital, dont elle sous-tend l'argumen­tation. [13]

Avec la publication du VI° Chapitre, l'analyse marxiste de la marchandise-capital est explicite, [14] et le circuit de l'étude du capital, qui suit fidèlement le développe­ment historique, est bouclé.

Dans une lettre à Engels du 24.VIII.1867, Marx souligne combien il importe d'analyser correctement la marchandise et de définir clairement le capital en tant que création de plus-value, ce qui est proprement l'objet du VI° Chapitre, avec l'étude de la forme capitaliste développée : « Ce qu'il y a de meilleur dans mon livre, c'est : qu'il met en évidence, dès le premier chapitre, le caractère double du travail, selon qu'il s'exprime en valeur d'usage ou en valeur d'échange, et c'est sur quoi repose toute l'intelligence du texte; qu'il analyse la plus-value, indépendamment de ses formes particulières (profit, intérêt, rente foncière, etc.). C'est au second volume surtout que tout cela apparaîtra. Dans l'économie classique, ces formes particulières sont cons­tam­ment mélangées et confondues avec la forme générale, de sorte qu'il en résulte un fouillis inextricable. »

Tout était donc bien clair pour Marx. Les aléas de la vie et les difficultés de publi­cation et de traduction ont embrouillé les choses, du moins tant qu'on ne disposait pas de l'ensemble des écrits de Marx et d'Engels, publiés ou manuscrits : mais, c'est là plutôt la faute des «  marxistes  » que de Marx. [15]

3. Petite chronique

Il nous faut donc évoquer les conditions dans lesquelles fut rédigé le VI° Chapitre et le sort réservé à ce manuscrit : nous nous contenterons de l'essentiel et de ce qui est sûr.

Après avoir achevé en juin 1863 les 23 cahiers de 1472 pages in-quarto, intitulées Critique de l'économie politique, dont Engels tirera, avec le scrupule et l'exactitude dont seul il était capable, le texte du livre II du Capital, et Kautsky le texte du livre IV, connu en France sous le titre de Histoire des doctrines économiques (Éditions Costes), Marx se consacra à l'élaboration du gigantesque matériel en vue de la publication du I° livre, tout en développant parallèlement le canevas (en partie contenu dans les 23 cahiers, en partie réuni en cahiers successifs) du livre III, publié lui aussi, comme on le sait, par Engels.

En 1864, retrouvant la liaison entre théorie et pratique révolutionnaires, Marx est pris par son activité au sein de la I° Internationale, et il lui faudra presque quatre ans avant que le I° livre soit prêt pour l'impression.

C'est entre juin 1863 et décembre 1866 - et plutôt au début de cette période - que se situe la rédaction du présent cahier intitulé : Premier livre. Le procès de production du capital. - Sixième chapitre  [16]. Résultats du procès de production immédiat. A la page 1110 du manuscrit de la Critique, Marx a tracé un plan du Livre I° qui permet de situer la place qu'il comptait donner au VI° chapitre :

«  Le premier livre sur le procès de production du capital se subdivise comme suit :
1. Introduction. Marchandise. Argent.
2. Transformation de l'argent en capital.
3. La plus-value absolue ...
4. La plus-value relative ...
5. Combinaison de la plus-value relative et de la plus-value absolue. Rapports (proportion) entre travail salarié et plus-value. Soumission formelle et réelle du travail au capital. Productivité du capital. Travail productif et improductif.  [17]
6. Reconversion de la plus-value en capital. L'accumulation primitive. La théorie coloniale de Wakefield.
7. Résultats du procès de production. [18] (Le change sous forme de la loi d'appro­priation peut être traité ici ou à la précédente rubrique).
8. Théorie de la plus-value.
9. Théories sur le travail productif et improductif. [19] »

Si le lecteur compare ce plan avec l'ordonnancement des chapitres de la première édition du Livre I du Capital, il notera que le I° chapitre (marchandise et argent) est devenu une introduction, de sorte que les chapitres se réduisent à six. Celui des Résultats du procès de production immédiat aurait alors été à sa place, la sixième. En revanche, les chapitres 8 et 9 ont disparu, tandis que Marx a substitué au chapitre 5 du plan le chapitre relatif aux Nouvelles recherches sur la production de plus-value, et le livre s'achève avec le Procès d'accumulation du capital, le VI° chapitre étant finale­ment écarté.

Il est sans doute oiseux de se demander pourquoi Marx a décidé finalement de ne pas reprendre le VI° chapitre pour lui donner sa place et une forme définitive à la fin du I° livre ou ailleurs. De même, ce serait pure spéculation que se demander si Engels n'en a pas tenu compte, parce que le livre I était désormais publié et n'admet­tait plus d'être complété, ou s'il savait de Marx qu'il fallait l'écarter du plan final du Capital, ou enfin s'il avait l'intention de le faire paraître séparément, ou parmi l'énorme matériel qui restait encore à publier après le livre III du Capital. Ce qui est certain, c'est que le manuscrit est resté dans les tiroirs jusque dans les années 1930 [20].

Marx avait noté que l'économie politique bourgeoise avait culminé avec la phase révolutionnaire du mode de production capitaliste, et n'avait cessé de décliner et de dégénérer ensuite, sombrant dans l'économie vulgaire, pure apologétique du capitalis­me. Marx et Engels se sont battus pour rompre le mur du silence qui ne cessa d'entourer le Capital [21] et qui représente l'ultime moyen pour la bourgeoisie de combattre les effets de l’œuvre maîtresse de Marx. De fait, la pensée économique en décadence n'a jamais réussi à réfuter - voire à discuter sérieusement - le contenu de l'économie marx­iste, et la critique ne porte jamais que sur des questions de formes et de plus en plus sur des questions personnelles : elle préfère spéculer sur les intentions subjecti­ves, plutôt que d'aborder la discussion des idées exprimées. Ainsi, parlera-t-on à perte de vue sur le point de savoir si les Manuscrits parisiens de 1844 sont philosophiques ou économiques, sont une œuvre de jeunesse et donc ne sont pas une... œuvre de maturité, et pourquoi ces textes n'ont pas été rédigés pour l'impression, ce qui leur enlèverait une grande partie de leur importance.

Cette introduction au texte intégral du VI° Chapitre a pour but de parer à l'absence de discussion sur le fond, mais plus encore de faciliter au lecteur la compréhension d'un texte qui, faisant partie du Capital, est par définition ardu. [22]  Il ne s'agit pas d'une présentation personnelle, mais de parti, non seulement pour ce qui est de l'élaboration, mais encore de la continuité de pensée avec le « parti Marx ».

4. Transition et synthèse

Formant charnière entre le I° livre (traitant de la production, non des marchandises, mais du capital) et le 2° livre (traitant de la circulation dans toute la société, non des marchandises, mais du capital), le VI° Chapitre rassemble tous les fils qui traversent l'œuvre de Marx pour former une unité significative de l'ensemble. Marx y traite d'un point central, du procès de production immédiat du capital, l'antre, le Saint des Saints, la forge du capitalisme. Il y définit le capital par ce qui le caractérise de manière spécifique et le distingue de toutes les formes - surtout les plus proches - qui, historiquement, le précèdent ou lui succèdent. Bref, par la formule definitio fit per genus maximum et differentiam specilicam, il s'efforce constamment de percer les mystifications du capital : la recherche économique suit un but politique.

Comme l'esclavage et le servage, le capital est production de plus-value, mais il la produit de manière systématique et à une échelle toujours croissante. Comme la production marchande simple, le capital se présente tout entier sous forme de mar­chandise, mais celle-ci a une structure complexe, étant composée d'une fraction de capital variable, de capital constant et de plus-value. En somme, cette production de plus-value  est création de capital : la production capitaliste produit et reproduit tout le système (les rapports de production et de classes, les conditions de sa production nouvelle en même temps que ses produits matériels). Il apparaît de la sorte comme son propre fondement, donc éternel, et Marx s'acharne à combattre cette prétention exorbitante et cette mystification qui s'impose aux agents qui sont impliqués dans son procès, les capitalistes aussi bien que les ouvriers.

Après avoir déchiffré, dans la dynamique sociale, la nécessité de l'avènement du capitalisme, dans ses côtés négatifs aussi bien que positifs, Marx met en évidence que le capital développe en son sein les éléments d'une société supérieure. Il montre que cette évolution inéluctable est inscrite dans le cours des choses et naît de lui, avant de se révéler à la conscience des agents et classes du mode de production capitaliste.

5. Les marchandises capitalistes

La marchandise et l'argent existent bien avant le capital, mais ne survivent pas au capital. Néanmoins, avant le capitalisme, la marchandise n'est pas la forme générale du produit, l'excédent seul étant commercialisé dans les modes de production asiati­que, esclavagiste ou servile. L'argent, simple forme déterminée de la marchandise, ne se transforme en capital qu'au terme d'une longue période historique, et essentiel­lement au moment où la force de travail de l'ouvrier est elle-même devenue une marchandise : avec le salariat ayant atteint une grande ampleur.

Tant que dans l'agriculture, point de naissance du capital, une grande partie du produit est moyen de subsistance et qu'une grande partie de la population laborieuse n'est pas encore salariée, le capital ne jouit pas encore de la domination réelle et com­plète, même s'il a déjà conquis la sphère de la manufacture. Dans les Pages Éparses, citant l'exemple de la France, Marx montre que le système de la parcellisation du sol, en empêchant la formation d'une nombreuse main-d'œuvre disponible pour le capital, empêche le développement de l'industrie et des rapports spécifiquement capitalistes.

L'agriculture peut devenir une branche d'industrie gérée de manière capitaliste, lorsque tous ses produits sont portés sur le marché pour y être vendus, au lieu d'entrer dans la consommation immédiate. Tout cela se vérifie, même si une partie du produit de l'exploitation (les semences, la fumure, etc.) est restituée en nature à la production nouvelle : on en comptabilise la valeur en monnaie comme s'il avait fallu l'acheter.

Dans son évolution, le capital exige que la marchandise soit produite à grande échelle, sur des modèles fixes, avec un produit uniforme, bref une production de masse. Dès lors que la production est étroitement liée aux rapports sociaux de plein capitalisme, le lien immédiat qui existait dans la production marchande simple avec sa valeur d'usage et la satisfaction d'un besoin, devient tout à fait indifférent, contingent et inessentiel.

La marchandise produite dans le plein capitalisme se distingue de la marchandise simple qui fut l'élément initial de la genèse du capital, en ce qu'elle contient une fraction de capital variable (salaire), de capital constant et de plus-value, bien que sa seule source de valeur soit le travail. Étant désormais du capital, la mystification consiste en ce qu'il se présente, dans la circulation, à l'issue du procès de production, sous la même forme que la marchandise simple, produit qui s'achète et se vend pour satisfaire un besoin déterminé. Cette enveloppe masque sa structure interne qui correspond aux rapports de classe.

Dans la production spécifiquement capitaliste, toute marchandise apparaît - du point de vue de sa matière et de sa valeur - comme une fraction du produit total. Ce n'est donc plus une marchandise spécifique, un produit à part. Le résultat du procès capitaliste n'est plus la simple marchandise, mais une masse de marchandises, dont chaque élément comporte une fraction de la valeur avancée ainsi qu'une plus-value. Contrairement à ce que pensent les économistes bourgeois, le capital ne s'estime pas en fonction du patrimoine d'installations fixes et de machines (ce que Marx appelle la valeur des moyens de production), mais de la masse de marchandises produites, le chiffre d'affaires.

Le capitaliste prétendra toujours que son capital correspond au patrimoine d'entreprise sanctionné par un titre de propriété juridique d'une valeur, mettons, de 2 millions. L'économie marxiste affirme, au contraire, que son capital est de 20 mil­lions, son chiffre d'affaires annuel. La différence est de taille. En effet, si l'on admet avec Adam Smith que l'argent est le pouvoir de commandement ou de disposition du travail d'autrui, soit sous forme directe de la force de travail, soit sous la forme du produit du travail, le pouvoir d'un capitaliste est quantitativement décuplé - de 2 à 20 millions [23] - et l'on s'aperçoit que son pouvoir outrepasse la sphère de la production proprement dite. Ce n'est pas tout : comme ce capital se reproduit, sans diminuer - au contraire - d'année en année, ce pouvoir, mettons pour une génération, est de 500 millions pour... 2 millions, si nous multiplions le chiffre d'affaires de 20 millions par 25.

Dans ces conditions, la marchandise - en tant que support de la valeur totale du capital - doit s'exprimer en une masse déterminée, qui permette de la vendre effectivement sur le marché, c'est-à-dire de réaliser la valeur du capital avancé plus celle de la plus-value produite. Marx démontre ici qu'une marchandise (c'est-à-dire une fraction de la masse produite) ne peut se vendre à un prix de marché égal à sa valeur particulière. Le capitaliste fait l'estimation pour toute la masse : il isole, d'une manière ou d'une autre, dans la masse de marchandises la fraction de valeur transférée pour l'élément du capital constant (matières premières, usure des machines, etc.) et il recherche ensuite la différence avec la valeur du produit fini pour obtenir la fraction correspondant au capital variable (frais d'achat de la force de travail) et la fraction correspondant au profit créé dans le procès de production : cette estimation, fort éloignée de la détermination de la valeur, masque tous les gaspillages et les filouteries. Si l'on prend toute la production nationale, quelle part ne s'en va pas en fumée, quels que soient les bons gérants du capital  ?

6. Rapports entre les éléments constitutifs de la marchandise-capital

Dès la Misère de la Philosophie, Marx avait parlé du travailleur ou de l'atelier collectif dans l'entreprise capitaliste, à la différence du travailleur individuel de l'économie parcellaire, artisanale ou paysanne, qui produit la marchandise simple. Dans le VI° Chapitre, il poursuit en parlant de la masse ou bloc de marchandises (mettons, 1 million d'automobiles, pour être moderne) qui représente le capital, sous la forme du produit qui sort annuellement du procès de production.

Comme nous l'avons vu, le capitaliste est incapable de déterminer la valeur exacte de chaque voiture produite, mais en fait une estimation grâce au calcul de moyenne. Ce qui est également essentiel pour la doctrine marxiste, c'est qu'il est tout aussi fastidieux et approximatif de calculer la valeur individuelle du travail de l'ouvrier particulier, dès lors que nous avons affaire à la grande industrie moderne. Ainsi, la réalité moderne dément la théorie de Proudhon et de Lassalle - et du « communisme des conseils » - selon laquelle chaque ouvrier doit toucher le fruit intégral de son travail : même si l'on voulait le faire, ce ne serait qu'une moyenne « injuste », et ce serait faire revivre la loi de la valeur-travail de l'économie mercantile.

C'est pourquoi, Marx qualifie cette théorie de réactionnaire. Le communisme moderne part des conditions mêmes de l'actuel développement économique et historique : d'où l'importance de l'analyse de l'évolution du capitalisme.

Ce que Marx entend démontrer c'est que le capitalisme produit sa propre négation au cours de son développement, et cette évolution antagonique est la source non seulement des crises et guerres violentes qui périodiquement déchirent le capitalisme, mais encore du mode de production socialiste futur. Dans les Fondements, etc., et le Capital, Marx a mis en évidence que le capital se dévalorisait de plus en plus, en dimi­nuant non seulement la valeur de la force de travail, mais encore celle des condi­tions de production en général, et ce, d'une manière inégale, spasmodique, et donc anarchique. Or, la loi fondamentale du capitalisme est celle qu'à énoncée Ricardo : la loi de la valeur-travail, qui permet d'évaluer le coût de toutes les marchandises (force de travail, machines, installations, matières premières, produit, etc.), de mesurer les conditions de la production et de la consommation et de rémunérer les divers agents.

Dans le VI° chapitre, Marx aborde ce même problème, en analysant les contradictions internes de la marchandise, produit du capital. Pour ce faire, il dresse cinq tableaux numériques, où il fait varier l'un des éléments constitutifs du capital-marchandise, afin de déterminer, du point de vue de la valeur, son effet sur les autres éléments ou la marchandise dans son entier.

Pour une même avance de capital et une même plus-value, la valeur de production ou prix de marché peut varier considérablement dans l'industrie - et plus encore dans l'agriculture - sans qu'il en résulte nécessairement une modification du taux de la plus-value, c'est-à-dire de l'intérêt du capitaliste.

Comme dans les exemples de Marx les fractions en shilling, pence et tiers de pence, compliquent la démonstration, nous avons dressé un tableau synthétique où tout est ramené à des nombres décimaux : si les chiffres changent, les rapports, à l'intérieur de chaque exemple et d'un exemple à l'autre sont les mêmes.

Les deux exemples de la manufacture de toile figurent dans les colonnes horizontales 1 et 2. Dans la première, les avances de capital sont de 1000 pour le capital cons­tant, et de 250 pour le capital variable et la plus-value (ces deux derniers élé­ments forment ce que Marx appelle la « valeur additionnelle », c'est-à-dire la valeur ajoutée dans le procès de travail, désignée dans notre tableau par la lettre V.). Le capital total est de 1500. Le taux de plus-value est de 1 (ou 100 %), la composition organique ou taux de productivité est de 4. Pour ces avances, nous supposons que la toile produite soit de 30 mètres, et le prix du mètre en sera de 50. Marx subdivise la masse globale (30 mètres) en les différentes fractions du capital : le capital constant représente 20 mètres, le capital variable 5 mètres et la plus-value 5 mètres également : la valeur ajoutée, somme des deux dernières, est donc de 10 mètres. L'autre partie du tableau reproduit les données pour l'unité de mar­chandise et permet une claire vision de la structure complexe de la marchandise et de ses évolutions et contradictions internes.

Cet exemple numérique correspond au premier donné par Marx en I-B. L'exemple suivant de Marx figure sous C-II, à la troisième ligne de notre tableau.

Nous n'entendons pas, évidemment, substituer notre tableau aux exemples numériques de Marx. Il permet simplement une première vision d'ensemble et nous évite d'entrer dans le détail des exemples que l'on trouve dans le texte. Nous pouvons donc aller directement à la conclusion [24] :

1. si le prix des marchandises change, le taux et la masse de plus-value peuvent rester constants. C'est ce qui ressort des exemples des deux premières lignes de notre tableau : le progrès de la technique capitaliste a fait tomber le prix de la toile de 50 à 40, cependant les ouvriers reçoivent le même salaire et les capitalistes le même profit : l'avantage social est indiscutable, et c'est ce qui justifie la supériorité historique du mode de production capitaliste par rapport aux modes antérieurs. Comme on le verra, Marx n'est pas du tout « ennuyé » par les côtés positifs du capitalisme, au contraire.

Variation des éléments
constitutifs de la marchandise-capital dans les exemples traités par Marx dans la première partie du VI° chapitre
Référence aux exemples de Marx BI & CI BII CII CIII CIIIa
Capital constant (c) 1000 4300 1200 1000 1250
Capital variable (v) 250 250 250 200 250
Plus-value (p) 250 250 350 300 375
Valeur ajoutée (V) soit  : p + v 500 500 600 500 625
Capital total (C) soit  : c + v 1500 4800 1800 1500 1875
Taux de plus-value soit p/v en % 100 100 140 150 150
Composition organique (produc­tivité)  : c/v 4 17,2 4,8 5 5
Quantité de produit (q) 30 120 36 30 37,5
Prix de l’unité (u) soit  : C/q 50 40 50 50 50
Capital constant par unité (c/u) 20 107.5 24 20 25
Capital variable par unité v/u 5 6,25 5 4 5
Plus-value par unité p/u 5 6,25 7 6 7,5
Valeur ajoutée par unité V/u 10 12,5 12 10 12,5

2.  si le prix des marchandises reste constant, le taux et la masse de plus-value peuvent changer. Les quatre cas des lignes I, III, IV et V confirment cette loi. Le prix de l'unité y est toujours de 50, mais dans le second cas (ligne III), la masse de plus-value est montée de 250 à 350 et son taux de 100 à 140 %, tandis que la productivité passe de 4 à 4,8 : s'il y a avantage pour le capitaliste, il n'y en a pas pour la société. Il a été obtenu en prolongeant la durée de travail de 20 %, comme cela se passe dans la phase initiale du capitalisme avec la soumission formelle du travail au capital : ceci implique que l'on tienne compte de ce que Marx a développé ailleurs [25]. Dans le cas de la ligne IV, au lieu d'augmenter la journée de travail, le salaire ouvrier est diminué, si bien que la plus-value passe de 250 à 300, et la productivité de 4 à 5. Là encore, aucun avantage ni pour la société, ni pour la classe ouvrière, et de nouveau soumis­sion formelle du travail au capital.

A la dernière ligne, le prix de marché et du salaire sont constants, mais la produc­ti­vité passe, pour des raisons techniques, de 4 à 5 : la masse de plus-value atteint sa valeur maxima avec 375, ainsi que la valeur ajoutée avec 625. Nous avons affaire à la soumission réelle du travail au capital, avec développement du machinisme et de la grande industrie. Historiquement, la productivité du travail augmente alors de plus en plus, et dépasse même celle de la ligne II, celle du seul exemple où le prix des marchandises a sensiblement diminué, cette fois, du fait du capitalisme pleinement développé et techniquement avancé [26]. Cela nous amène à la dernière loi :

3. le mode de production capitaliste tend à augmenter sans cesse la productivité du travail. Il accroît donc constamment la masse des moyens de production trans­formés en produit pour un même travail additionnel, qui se répartit sur une quantité toujours plus grande de marchandises, de sorte que le prix de la marchandise baisse de plus en plus.

Le prix de la marchandise évolue en rapport inverse du nombre total de marchan­dises produites : plus ce nombre augmente, plus le prix de chaque marchandise dimi­nue. C'est l'opposition fondamentale entre le développement de la valeur d'échange et celui de la valeur d'usage, qui aboutit à la dévalorisation générale de tous les éléments du capital, force de travail y comprise.

Pour déduire que le capital crée lui-même les conditions de l'abolition de la valeur, et donc du capital, du salariat et des classes, Marx se place dans la vision la plus optimiste du développement capitaliste (qui, en fait, crée de nombreux obstacles à cette tendance, notamment dans l'agriculture, où du fait de la rente, le produit se vend généralement au-dessus de sa valeur, comme le développe le livre III du Capital[27].

Dans le Capital, Marx n'a pas voulu démontrer aux bourgeois qu'il eût su mieux qu'eux gérer le capital, ni répondre à la question absurde « qu'est-ce que le capi­tal  ? », mais il y démontre que le capitalisme naît, vit et meurt (de mort violente), et, mieux encore, qu'il renferme dans son sein une société supérieure en contradiction directe avec lui.

La définition la plus ramassée et la plus dialectique que nous connaissions de l'œuvre centrale de Marx est la suivante : le Capital n'est pas la biologie, mais la nécrologie du capitalisme.

C'est en bonne logique que Marx termine cette première partie du VI° Chapitre en polémiquant avec Proudhon qui a une vision tout à fait erronée de la société socialiste et ne comprend pas qu'il est impossible aux travailleurs de reconquérir la totalité du fruit de leur travail par de simples augmentations de leur rémunération (salaire) : il s'agit bien d'abolir le capital aussi bien que son corollaire le salariat. [28]

7. La production capitaliste comme création de plus-value

Dans la seconde rubrique, Marx définit positivement le capital. Comme on le sait, les marchandises et l'argent existent dans l'histoire, bien avant qu'on puisse parler de production et de société capitalistes. Cependant, le capital moderne revêt toujours les formes élémentaires de la marchandise et de l'argent. Le capitaliste moderne est pos­ses­seur de marchandises et d'argent, bien que cette figure sociale lui soit antérieure. Mais, l'essentiel n'est pas là. En effet, ce qu'il importe de définir, ce sont les con­di­tions sociales spécifiques qui transforment la marchandise et l'argent en capital, et donc aussi leur possesseur en capitaliste.

Pour qu'une somme d'argent - capital potentiel - puisse devenir du capital réel, il faut un rapport social lui permettant de s'accroître, la somme d'argent devenant un fluens (dans les Fondements, etc., Marx dira procès, ou mouvement faisant perdre à l'argent (valeur) sa forme figée pour le faire entrer dans le procès de production, et son augmentation une fluxion. [29]

A la différence des formes simples de la production marchande (par exemple, l'artisanat individuel ou familial qui, pour se procurer ses objets de consommation, procède d'abord au troc, puis à l'échange monétaire entre équivalents), le capital se définit donc par le fait que si, avant le procès, le capital est une somme égale à x, cet x tend à devenir et devient du capital en se transformant en x + Δx, l'augmentation étant représentée par la lettre grecque Δ.

Le phénomène de x qui devient x + Δx n'existe pas seulement dans la forme historique capitaliste, mais encore dans d'autres formes historiques antérieures, telles que l'esclavage et le servage. Mais, Marx prend bien soin de préciser qu'il n'existe pas là où l'on échange uniquement des équivalents, c'est-à-dire dans la sphère de la production marchande simple, dont procède précisément le mode de production spécifiquement capitaliste.

Sur ce point, la mystification est la plus totale. En effet, comme le capital conti­nue de revêtir la forme de la marchandise et de l'argent, les économistes bourgeois attribuent au capital et au salariat les lois de la production marchande simple, et no­tam­ment le principe de l'échange d'équivalents alors que le capital se définit à l'inver­se par l'échange de non-équivalents. Marx explique que le capitalisme reprend donc les conceptions juridiques et idéologiques propres à la petite production marchande et les reporte sans plus de façon sur un mode de production différent : le capitalisme. Ce qui permet ce quiproquo, c'est le rapport entre acheteur et vendeur dans la sphère de la circulation, ce rapport restant formellement le même dans les deux cas.

Toute la superstructure idéologique et juridique du capitalisme développé n'est donc qu'un reflet de conditions de production dépassées. En effet, dès lors que la force de travail est devenue, à une vaste échelle, une marchandise, en étant salariée, la production marchande simple aboutit nécessairement au capitalisme et est elle-même détruite par la production capitaliste, qui élimine la production individuelle autonome et l'échange entre possesseurs ayant produit eux-mêmes leur marchandise, c'est-à-dire l'échange d'équivalents entre les producteurs. Désormais, quoique le capitalisme le maintienne et le glorifie, l'échange entre équivalents n'est plus qu'un vernis super­ficiel, masquant la réalité profonde des choses, qui ne se déroule pas dans le procès d'échange (circulation), mais dans le procès de production, où Marx nous entraîne pour définir le capital, de manière spécifique et fondamentale, comme création de plus-value.

Une mystification fatale pour le prolétariat est celle de Staline, qui affirme - à l'oppo­sé de Marx - que la production marchande ne conduit pas nécessairement au capitalisme [30], et que le socialisme continue de produire des marchandises : « Les kolkhoz n'acceptent pas aujourd'hui d'autres relations économiques avec la ville que celles intervenant dans les échanges par achat et vente de marchandises [conformé­ment à la théorie marxiste, ce sont les classes qui dictent au «  dictateur  »]. Aussi la production marchande et les échanges sont-ils chez nous, à l'heure actuelle, une nécessité pareille à celle d'il y a trente ans, par exemple, époque à laquelle Lénine proclamait la nécessité de développer par tous les moyens les échanges. » [31]

L'échange grâce auquel l'argent devient capital ne peut porter sur des marchandises, mais sur son contraire. la force de travail vivante. Le travail est la seule valeur d'usage contre laquelle l'argent, capital virtuel, peut s'échanger pour qu'il y ait conservation et augmentation de la valeur d'échange, plus-value. En effet, l'échange du capital et de la force de travail est essentiellement inégal : ce que l'ouvrier vend au capitaliste, c'est la valeur d'usage de sa force de travail, qui produira une valeur d'échan­ge bien supérieure à celle que l'ouvrier touche pour salaire. Dans le VI° cha­pitre, Marx appelle donc la force de travail capacité de travail [32].

La mystification est d'autant plus aisée ici qu'il y a plusieurs échanges que l'on peut confondre. En effet, l'ouvrier échange, selon le principe de l'équivalence, sa force de travail contre les moyens de subsistance nécessaires à la produire et à la reproduire, et cet échange qui se produit dans la sphère de la circulation marchande est aussitôt glorifié par les apologistes du capital pour montrer que l'ouvrier est libre de choisir, d'acheter et de consommer ses moyens de subsistance. Mais, cet échange de capital variable contre les moyens de subsistance, même s'il noue le rapport capitaliste, n'a rien à voir avec l'échange fondamental qui a lieu dans le procès de production, où l'ouvrier fournit au capitaliste la contrepartie de son salaire en produisant des marchandises en excédent, c'est-à-dire une valeur plus grande.

8. Procès de travail capitaliste comme valeur d'usage

La force de travail de l'ouvrier ne crée et ne multiplie pas seulement la valeur, mais elle transforme encore dans le procès de travail réel les éléments objectifs et sub­jectifs du capital avancé en des produits qualitativement et quantitativement nou­veaux. C'est elle qui change les moyens de production en éléments matériels de sa propre activité, les faisant passer de leur forme primitive de valeurs d'usage (matières premières à transformer et instruments à utiliser) en la forme nouvelle des produits du travail, ayant une autre valeur d'usage. Elle effectue une véritable transformation physico-chimique des matériaux introduits dans le procès de production. En ce sens, le procès de production est valeur d'usage.

Il convient ici de distinguer toutes les différences spécifiques parmi les éléments qui forment le procès de production et qui, dans l'optique bourgeoise, sont identiques du point de vue de la valeur d'échange - sauf pour ce qui est de la quantité - tous ayant été achetés avec l'argent du capitaliste.

En ce qui concerne le capital constant, on peut dire qu'il est la propriété absolue du capitaliste qui l'a acheté à sa valeur de marché. (Cependant, sa valeur monétaire ou marchande n'aurait jamais pu avoir d'effet comme capital, sans l'intervention d'un autre facteur, le travail vivant.) En ce qui concerne l'autre fraction, c'est l'argent avancé pour payer les ouvriers, la force de travail. C'est là qu'intervient la différence spécifique. L'emploi de cette seconde fraction du capital avancé consiste justement dans le procès de travail, celui-ci étant la fonction de l'ouvrier et non du capitaliste. Bref, les fractions de capital dans lesquelles le capitaliste a investi son argent opèrent de façon toute différente.

Le procès ne pourrait s'effectuer sans la fusion de ces deux valeurs d'usage, [33] et c'est à cause d'elle et d'elle seule que le résultat est plus grand que le capital avancé. Or, Marx démontre que la force vivante du travail est le seul facteur actif de cette fusion, la valeur créée ne provenant que du facteur variable. Par ailleurs, on se contente le plus souvent d'admettre que la valeur du capital constant utilisé ou usé dans le cycle de production se transmet sans plus à la masse des marchandises produites. Or, dit Marx, dans le procès de production, le travail vivant fait de l'instrument et de la matière le corps de son âme et les éveille d'entre les morts. Sans l'activité du travail vivant, les moyens de production objectifs se détérioreraient et fini­raient par se corrompre. Par exemple, grâce à son travail de tissage, l'ouvrier con­serve l'utilité du coton et de la broche qui constitueront le fil. De la sorte, le capitaliste obtient gratuitement le surtravail, ainsi que la conservation de la valeur des matières premières et des instruments. En ajoutant une valeur nouvelle à l'ancienne, le travail conserve et éternise le capital. En s'appropriant le travail présent, le capitaliste détient déjà une assignation sur le travail futur. [34]

L'analyse du procès de production, source véritable du capitalisme, révèle que les éléments objectifs de la valeur du capital dont l'un existe sous forme de matière première et l'autre sous celle de l'instrument ne sont plus séparés de l'ouvrier ou travail vivant du fait qu'ils sont la propriété du capital. De même, ils ne représentent plus des valeurs d'échange, mais de simples valeurs d'usage, de simples éléments de production pour l'ouvrier en activité.

Or, dit Marx, l'existence du capital et du travail salarié repose sur cette séparation. Sa conclusion est évidente : contrairement aux économistes bourgeois, qui affirment que l'achat des moyens objectifs de production assure la propriété de tout le produit au capitaliste, Marx met en évidence que le travail vivant, bien qu'acheté par le capitaliste, n'appartient pas à celui-ci, mais est et reste la fonction et le lot de l'ouvrier qui produit gratuitement l'ensemble des rapports de production. La réponse de Marx aux économistes et apologistes du capital est donc claire : expropriation des expro­pria­teurs capitalistes, et retour aux producteurs des moyens de production et du produit.

Marx tire ses déductions de l'analyse scrupuleuse de l'ensemble du mode de pro­duction capitaliste, et démontre que la production, même avec le machinisme et les procédés techniques les plus évolués, peut se poursuivre sans les capitalistes. En effet, l'acte fondamental de la production est l’œuvre du travail.

Si le capital domine cependant le travail vivant, c'est du fait de rapports sociaux déterminés de subordination qui, dans le capitalisme spécifique, se nouent, non pas dans le procès de production, mais dans un procès préalable et non essentiel, le procès de circulation marchande, avec l'achat-vente des conditions objectives et subjectives de la production.

Grâce à l'analyse scientifique et objective du mécanisme et de la dynamique du système capitaliste, Marx situe exactement où la révolution ouvrière devra porter le fer pour transformer le système social tout entier. Et de fait, il s'agit d'extirper tout le système de distribution et d'échange capitaliste, soit la sphère de la circulation où se nouent les rapports spécifiques d'exploitation, grâce au principe de l'équivalence dans l'échange des marchandises, avec le système monétaire et l'aliénation de la force de travail (salariat). Marx montre que dans le procès de production le capital lui-même abandonne sa valeur d'échange pour opérer seulement en fonction de la valeur d'usage. Salaire, marchandise, échanges privés, argent sont autant de formes revêtues par le capital dans la circulation.

Aussi la sphère de la circulation exprime-t-elle le plus nettement, dans le capitalisme développé, les limitations historiques du mode de production capitaliste. D'ores et déjà, il révèle qu'au fur et à mesure de son développement le capital est de plus en plus asocial et parasitaire : les statistiques les plus récentes elles-mêmes le prouvent et confirment l'analyse de Marx d'il y a plus de cent ans. En effet, depuis environ 10 ans aux États-Unis, et quelque deux ans en France, les frais de circulation dépassent les frais de production dans les marchandises produites par le système capitaliste. Cela signifie que la société actuelle dépense plus d'activité et d'énergie à réaliser les mar­chandises qu'à les produire, et que les revenus des improductifs dépassent en nombre et en volume ceux des classes productives. [35]

9. Procès de circulation et procès de valeur d'échange

Marx aborde ici la question de l'antagonisme fondamental entre le mode de circu­la­tion, de distribution ou d'appropriation privé (c'est-à-dire individuel, de groupes, d'associations anonymes ou de coopératives, bref de classe, à l'exclusion du reste de la population) et le mode de production réel, qui socialise de plus en plus les forces productives.

A ce point du texte, Marx démontre que si le procès de production est également procès de valorisation [36], c'est de par sa connexion avec l'acte de l'achat-vente de la force de travail dans la sphère de la circulation marchande, connexion qui n'est pas naturelle ni nécessaire, mais transitoire et créée par la société. Dans ce chapitre, Marx n'explique pas en détail comment l'échange entre capitalistes et ouvriers sur le marché se prolonge dans le procès de production par la circulation - ou distribution - des ouvriers et instruments au sein des branches productives, puis dans la circulation des produits de consommation aussi bien que de production : il se borne à étudier le point de départ fondamental de toute cette circulation et distribution propres au capitalisme : le marché du travail qui est, aux yeux de Marx, le marché principal.

C'est le rapport social, noué dans la sphère de la circulation et appuyé par tout l'écrasant ordre social, politique, juridique, administratif et commercial de la société, soit par la majeure partie des activités des individus d'une société de capitalisme déve­loppe, c'est ce rapport social qui contraint l'ouvrier à produire la plus-value pour le capital, la valeur d'usage de sa force de travail créant une quantité de produits plus grande que celle qu'il touche comme salaire, pour sa valeur d'échange. Cependant, le capitaliste n'y voit pas la source de sa richesse. Pour lui, propriétaire absolu des moyens de production objectifs, le capital par excellence est le coton ou la machine, bref des objets. Il identifie absolument valeur d'échange à valeur d'usage, de sorte que le capital apparaît inscrit dans la nature même des choses qu'il possède, et ce, en dépit du fait que le travail soit la source de toute valeur et de toute richesse. Dans ces conditions, les moyens de production objectifs, du point de vue capitaliste, ont pour seule fonction d'absorber la plus grande quantité de travail vivant possible. La force de travail qui valorise le capital, c'est-à-dire en conserve la valeur et lui ajoute une plus-value, apparaît comme force du capital. La domination de classe des capitalistes sur les travailleurs se fonde sur le procès d'aliénation du travail de l'ouvrier « libre ». Toute la production - et toutes les structures de la société - opèrent non pas pour produire le plus grand nombre de valeurs d'usage possible, mais pour obtenir la plus grande production possible de plus-value.

Pour que le capital puisse se valoriser, il faut donc deux sphères absolument différentes dans le procès d'ensemble.

La première est celle de la circulation des marchandises qui s'effectue sur le marché. Dans cette sphère d'échange pur, il y a non seulement l'achat de tout ce qui constitue le capital constant et la vente finale du produit, mais encore l'aliénation du travail vivant : la vente et l'achat de la force de travail qui s'échange contre un salaire en monnaie. Le travail y est traité comme une marchandise quelconque et est payé au cours en vigueur sur le marché du travail.

La seconde sphère, absolument indépendante quoique conditionnée par la première, représente la consommation par le capital de la force de travail achetée : c'est le procès de production.

Marx établit d'ores et déjà que si l'ouvrier ne vendait pas sa force de travail pour pouvoir vivre, la richesse matérielle ne pourrait pas se transformer en capital ni s'accumuler en quantités croissantes. C'est par rapport au travail salarié que tous les objets représentant les conditions objectives du travail deviennent du capital. Sans salariat, pas de production de plus-value. Partout où il y a salariat, monnaie et mar­chandise, il y a donc plus-value et capitalisme, même si ce pays s'appelle l'U.R.S.S.

Une fois effectué l'échange entre capital variable et force de travail, l'unique prémisse indispensable à la valorisation du capital est fournie. L'auto-valorisation du capital, c'est, une fois les choses démystifiées, la valorisation grâce au seul effet du travail, c'est-à-dire le procès de consommation réel de la force de travail dans l'acte de production.

Dans la sphère de circulation, capitaliste et ouvrier opèrent comme tous les pos­ses­seurs de marchandises. L'opération respecte le code bourgeois et le principe mercantile de l'échange d'équivalents. Une seule chose distingue l'ouvrier des autres ven­deurs du marché : la nature spécifique de sa marchandise pour ce qui est de sa valeur d'usage. Si l'ouvrier est amené à offrir sur le marché cette marchandise originale, c'est qu'il n'est propriétaire d'aucune autre marchandise ou bien.

Marx met ici en évidence un point cardinal non seulement économique, mais encore politique et social, à savoir que le véritable prolétariat révolutionnaire est celui qui ne possède rien et dont la force de travail n'a pas de valeur. [37]

Déjà dans les conditions actuelles, la force de travail est, de par elle-même, sans valeur, ni ne sert à rien, si elle ne trouve pas les conditions objectives de son travail dans les mains d'une série de capitalistes auprès desquels l'ouvrier doit aller les chercher, et que Marx appelle tout simplement capitalistes n° 1, 2 et 3, selon qu'ils possèdent l'argent, les moyens de production ou les moyens de subsistance.

Dans la réalité, le phénomène peut se compliquer autant qu'on voudra, mais en substance les capitalistes n° 1, 2 et 3 dans leur ensemble (classe) sont les possesseurs exclusifs (monopolistes) de l'argent, des moyens de production et de subsistance.

Marx va encore plus loin, il définit simplement le capitaliste comme la personnification du capital, et cette puissance étrangère  - à l'ouvrier, il la décrit comme un « fétiche », doué de volonté et d'une âme exploiteuses. En somme, dans sa formule géniale, ce sont ces marchandises, animées par le démon capitaliste, qui s'incarnent dans le capitaliste, jouent le rôle d'acheteuses de personnes humaines et font du salarié moderne un esclave qui se vend lui-même.

Cette analyse abstraite du capital n'a rien de « philosophique », elle est parfaitement économique et scientifique. Elle souligne que le rapport social objectif est déter­minant et dépasse les considérations juridiques du titre de propriété. Au reste, dans ce contexte, Marx n'utilise jamais le terme de « bourgeois » au sens de l'individu qui est propriétaire dans la société civile. En résumé, « le travail appartient à l'ouvrier pour ce qui est de la peine et de l'effort, et au capitaliste pour ce qui est de la substance créatrice de richesses toujours plus grandes » c'est-à-dire des richesses accumulées.

10. Fonctions du capitaliste

Après la définition du capital par une analyse « statique », Marx reprend l'analyse « cinétique », historique, afin d'élucider certains points particuliers : la fonction du capitaliste dans le procès de production d'ensemble, par quoi les économistes bourgeois justifient le revenu capitaliste du profit ainsi que le système capitaliste tout entier et à tout jamais.

Le capitaliste « fonctionne », d'une part, dans le procès de circulation grâce au­quel le procès de travail devient procès de valorisation, d'autre part, dans le procès de produc­tion qu'il dirige et surveille.

Marx est catégorique en ce qui concerne le procès de circulation. le capitaliste y joue, certes, un rôle « économique » en choisissant de manière adéquate les valeurs d'échange et d'usage, mais, dit-il, on introduirait «  la pire confusion si l'on considérait le temps consacré par le capitaliste à la circulation comme du temps créant de la valeur ou de la plus-value  ». [38] De toute façon, «  le capital, en tant que tel, n'a pas de temps de travail en dehors de son temps de production... Les frais de circulation représentent une déduction sur les valeurs produites. Si ces fonctions diminuent les faux frais et ajoutent quelque chose à la production, ce n'est pas en créant des valeurs, mais en réduisant les déductions à opérer sur les valeurs produites. Si elles remplissaient à fond leur rôle, elles ne représenteraient jamais que le minimum possi­ble des faux frais de production.  » [39]

En ce qui concerne le procès de production, le capitaliste, comme tel, n'y travaille pas, car telle est la fonction du travail vivant qui est salarié. En effet, «  le temps du capitaliste est du temps superflu, temps de non-travail, temps non créateur de valeur, bien que ce soit le capital qui réalise la valeur produite  ». [40] Si le capitaliste y travaille néanmoins, «  il ne crée pas de plus-value parce qu'il travaille en tant que capitaliste, mais parce que, mise à part sa qualité de capitaliste, il travaille lui aussi. Cette partie de la plus-value n'est donc plus du tout de la plus-value, mais son contraire : un équivalent pour du travail accompli.  » [41]

De fait, pour devenir capitaliste, le chef hiérarchique doit posséder un certain volume de moyens objectifs de production et d'ouvriers, afin d'avoir du temps libre pour exercer les fonctions du capital. Certes, aujourd'hui encore, il y a des artisans en voie de se transformer en capitalistes, mais c'est un phénomène secondaire à l'échelle de la production actuelle. Cependant, il entretient l'idée du travail utile des capitalistes.

Quoi qu'il en soit, Marx montre qu'avec l'évolution de l'économie capitaliste, la séparation entre profit d'entreprise et salaire d'administrateur devient de plus en plus nette et empêche les apologistes du capital de justifier tant soit peu le profit par ce travail. Pour preuve, Marx cite, d'une part, les coopératives des ouvriers où toutes les fonctions sont assumées par des travailleurs et, d'autre part, les sociétés par actions où des salariés remplissent les fonctions de direction et d'administration. Et de conclure : « le capitaliste disparaît du procès de production comme superflu ». [42]

C'est ce que Marx développe dans l'analyse relative à la soumission réelle du travail au capital, stade auquel le capital « perd tous ses caractères individuels » (p. 219), la contrainte n'étant plus extérieure au procès du travail, comme dans la sou­mis­sion formelle, mais objective, au sein du mécanisme lui-même : les machines elles-mêmes dictent un rythme intensif au travail vivant.

En somme, Marx a déjà réglé la question du rôle du capitaliste dans le procès de circulation et de production, en attribuant au seul travail vivant la faculté de produire un excédent, de la plus-value.

11. Soumission formelle du travail au capital

Cependant, Marx observe que si le capitaliste n'est pas un travailleur productif dans ses fonctions spécifiques au sein du procès de circulation au sens où il créerait de la plus-value, il n'en reste pas moins qu'à l'échelle historique, la classe capitaliste a été une « classe productive par excellence ». C'est ce que Marx explique dans la partie consacrée à la soumission formelle du travail au capital : c'est en s'assujettissant les ouvriers - par une action qui va bien au-delà de l'étroite sphère de production - que le capital obtient d'eux une augmentation des forces productives. Bref, par rapport au féodalisme, le capitalisme constitue un progrès considérable, et le Manifeste affirme que : « la bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire ». De fait, Marx soutient, pour un temps, le représentant de l'économie politique classique révolutionnaire, Ricardo, et va jusqu'à le défendre : « A juste titre, Ricardo considère, pour son époque du moins, que la production capitaliste EST LA PLUS AVANTA­GEUSE pour la production de richesses. Il veut la production pour la production, et en cela il a raison. S'il voulait prétendre - comme le font certains de ses adversaires sentimentaux - que la production, en tant que telle, ne peut être le but, cela reviendrait à oublier que la formule «  la production pour la production  » signifie simplement développement de toutes les forces productives humaines, posé comme son propre but. Si l'on oppose à un tel but le bien-être de l'individu, comme l'a fait Sismondi, on prétend que le développement de l'espèce doit être arrêté pour assurer le bien-être de l'individu, que par exemple, il ne faut jamais faire la guerre, parce que ce serait tuer des individus. On ne comprend pas alors que le développement des capacités de l'espèce humaine, bien qu'elle se fasse d'abord au détriment de la majorité des individus et de classes entières, BRISERA FINALEMENT CET ANTAGONISME et se confondra avec le développement de l'individu. En somme, le développement supérieur des individus ne se conquiert qu'au travers d'un procès historique dans lequel les individus sont continuellement sacrifiés. » [43]

Même si le temps de travail consacré à faire circuler les marchandises ne crée jamais de valeurs, mais se déduit des valeurs produites, par rapport à la production marchande simple, où le producteur perdait une partie considérable de son temps à marchander, le capitalisme diminue, sans aucun doute, le temps de circulation des marchandises de manière draconienne. Cependant, parvenu à un certain stade de son évolution, le capital, par rapport aux forces productives développées alors, tend à augmenter de plus en plus le temps de circulation aux dépens du temps de production : le capitalisme doit alors céder la place à un mode de production plus avantageux pour l'humanité.

D'autre part, si le temps consacré par le capitaliste à la production est du travail qui ne produit pas de plus-value, il a cependant un effet économique. Deux simples exemples : lorsqu'un capitaliste surveille et stimule l'ouvrier : « Vas-y, fainéant ! », son langage est un acte économique, « productif », non parce qu'il crée de la valeur ou de la plus-value, mais parce qu'il oblige autrui à en créer davantage, simplement parce que le capitaliste lui fait sentir que chaque minute perdue lui enlève une fraction de son profit. [44]

De même, un capitaliste, qui concentre une centaine d'ouvriers dans un seul atelier, fait que ces ouvriers pris ensemble vont produire davantage que lorsqu'ils étaient séparés; pourtant ce n'est pas le capitaliste qui produit la plus-value, mais bien les ouvriers.

En résumé, le capital est plus productif que la production marchande simple, parce que, ayant séparé de force les producteurs de leurs moyens de production lors du procès dit d'accumulation primitive, il peut contraindre les travailleurs à lui céder gratuitement - sans équivalent - une partie de leur travail. En d'autres termes, dans le régime capitaliste, au procès de production immédiat s'ajoute le procès de valori­sation, qui est conditionné par la sphère de la circulation et les rapports de domina­tion capitalistes dans la société politique et la vie privée. Et Marx précise que c'est là une forme générale de toutes les phases d'évolution de la société capitaliste. C'est dire que les structures idéologiques ou politiques ne sont pas un simple reflet de l'écono­mie, mais bien plutôt son prolongement complexe dans des sphères d'activité (politique, militaire, administratif, religieux, éducatif, juridique), servant à maintenir et à perpétuer la domination bourgeoise dans tous les domaines. C'est en ce sens que la violence ou l'État est un agent économique (Engels). [45]

Ce qui distingue donc la production spécifiquement capitaliste de la production marchande simple, c'est que cette dernière est, en théorie, un système fondé sur le seul procès de production immédiat, sans qu'il y ait contradiction avec les autres institutions sociales. En effet, le procès de production immédiat enchaîne rapports physiques et opérations matérielles pour transformer les moyens de production en produits, sans considérer les intermédiaires constitués par les institutions sociales et les rapports de classe. Une société de production marchande simple, si elle avait jamais existé de par elle-même [46] ou ailleurs que dans les utopies petites-bourgeoises de Proudhon, Lassalle ou du communisme de conseil moderne, serait un enchaîne­ment de rapports sociaux calqués strictement sur le procès matériel de travail, chaque ouvrier, proportionnellement à sa capacité ou sa force de travail, mettant à la disposition de la société la quantité requise de matières premières et d'instruments, sans devoir en partager la disposition avec personne : il toucherait l'intégralité des fruits de son travail.

Or, cette union est abolie et brisée définitivement par la société capitaliste : la violence et le pouvoir politique y sont aussi une puissance économique. A ce point du Vle chapitre, il faut tenir compte non seulement du rôle de la violence dans l'accu­mulation primitive du capital, mais encore de toutes les luttes et révolutions politiques qui ont permis à la bourgeoisie de s'emparer des rênes du pouvoir dans la société et d'imposer sa domination au travail. Même s'il ne décrit que le procès de production capitaliste dans le VI° Chapitre, toute l'analyse de Marx désigne ses études et ouvrages « politiques ».

Dans sa phase initiale, le capitalisme reprend le procès de production tel qu'il le trouve, c'est-à-dire avec les techniques et procédés développés par la société pré­capitaliste. Le capital impose simplement une domination formelle à l'ouvrier au sein du procès de production, domination formelle, au sens où elle est encore extérieure au procès de production, et non encore produite par celui-ci, comme cela est le cas dans la domination réelle. La domination formelle implique la rupture de l'unité entre producteur et moyens de production, autrement dit l'expropriation des artisans et paysans parcellaires. Cette unité, le capital ne la rétablira que dans le procès de production réel, mais à ses conditions et à son profit.

Marx note à ce propos que la force productive isolée (individuelle) du travail est désormais impuissante, non seulement lorsqu'elle ne trouve pas les conditions objectives de production, mais encore lorsqu'elle n'est pas associée à de nombreuses autres forces de travail vivantes et soutenue par la science qui se développe dans tous les secteurs de la société (de nombreuses découvertes viennent de la guerre, ou bien de Chine et d'Arabie, et certaines se font en regardant une marmite ou en se prélassant sous un pommier).

12. Travail productif et improductif

Marx procède à la façon d'un bulldozer  : il commence par la critique générale du capitalisme et ébranle d'un coup de boutoir l'édifice tout entier, puis il continue dans le détail, le rouleau compresseur écrasant au fur et à mesure ce qui reste encore debout. La tâche de Marx est déjà très avancée lorsqu'il aborde la question du travail productif et improductif : il ne s'agit plus que de classifier les différents travaux effec­tués dans la société. Tout serait simple, sans les mystifications de l'apologétique bourgeoise.

Marx nous entraîne en plein dans l'histoire et la dialectique : il n'entend nullement nous apprendre quels métiers - les «  productifs  » seront maintenus dans la société future - ce serait utopique et réactionnaire. Il démontrerait, bien plutôt, comment la société capitaliste elle-même est de moins en moins productive et de plus en plus improductive, d'après ses propres critères d'appréciation. [47]

Marx commence par le travail productif et improductif tel qu'il est défini dans la production marchande simple, qui est, en théorie, procès de production immédiat : est productif tout travail qui se réalise dans un produit, une marchandise. Dans un sens encore plus large, quiconque aura fabriqué un objet, même s'il n'est pas destiné à l'échange, fait un travail productif.

Dans le mode de production capitaliste, il faut considérer comme improductif tout travail qui ne sert pas à augmenter la masse de plus-value, et, en substance, de capital. L'ouvrier doit donc être considéré comme productif ou improductif en fonction du travail qu'il effectue : tout travail créant de la plus-value, c'est-à-dire valorisant le capital, sera vraiment productif.

Mais, la mentalité bourgeoise ne reconnaît pas ce principe, dont les économistes classiques étaient pourtant bien proches : considérant comme naturels et éternels la forme capitaliste et le travail salarié, elle finit par appeler productif et utile tout travail qui trouve à s'employer, car sinon il ne serait pas payé.

Dans le texte, Marx dit que toutes les activités, depuis celle du roi à celle de la prostituée (nous dirions aujourd'hui du président des États-Unis au dernier parasite) sont, en fin de compte, salariées, et donc considérées comme productives d'une manière ou d'une autre. De fait, la société américaine, par exemple - ne demande pas à un individu s'il collabore à la production de certaines marchandises socialement utiles, mais s'il a un «  job  ». Pourvu qu'il réussisse à faire entrer de l'argent dans son bilan personnel, nul ne lui demandera, si son activité ou le temps pendant lequel il est occupé contribue à la production de quelque chose.

Dans l'Anti-Dühring (1878), Marx et Engels affirment qu'avec le capitalisme développé, « la bourgeoisie s'avère comme une classe superflue : toutes ses fonctions sociales sont maintenant remplies par des employés rémunérés. » (Éditions Soc., p. 323). La mystification est désormais à son comble : exploités et exploiteurs sont tous des travailleurs salariés [48], comme s'il n'y avait plus de profiteurs (on pratique, bien sûr, pour ceux-là, la politique des « hauts salaires »). Qui plus est, tous les salariés, quels qu'ils soient, sont utiles et indispensables, et ce, bien que le capital développe davantage les travailleurs improductifs, vivant de la plus-value, que les ouvriers productifs, vivant vraiment d'un salaire créateur de la plus-value. Toutes les « va­leurs » sont désormais renversées : plus on travaille durement et productivement, plus le salaire est bas.

La mystification s'opère en reprenant les critères de la société marchande sim­ple, et en rejetant ceux de l'économie bourgeoise classique. Si l'on considère comme productifs même ceux dont la tâche consiste à manger la plus-value créée par d'autres ou à maintenir les obstacles à la production en s'agitant dans la sphère de la circulation pour réaliser tant bien que mal les marchandises produites, on peut qualifier pour toujours les capitalistes de « classe productive par excellence ».

Pour le vieux Malthus, l'ouvrier productif est celui qui augmente directement la richesse de son patron. Aujourd'hui encore, le marxisme définit comme travail pro­ductif celui qui produit de la plus-value, du moins tant que nous sommes en société capitaliste.

La confusion règne sur ce point plus encore qu'il y a un siècle ou deux, du fait que le système capitaliste devient de plus en plus improductif et parasitaire et se justifie de moins en moins à l'échelle de l'humanité.

13. Produit brut et produit net

Sur ce point aussi, l'évolution est considérable entre l'économie classique d'antan et l'économie vulgaire d'aujourd'hui. Il est normal qu'au début du capitalisme, les économistes prêchent les vertus de l'épargne et prônent les mesures les plus efficaces pour obtenir le rendement le plus fort. Et Marx de citer Ricardo. Puisque le but de la production capitaliste (et donc du travail productif) n'est pas l'existence des produc­teurs, mais la production de plus-value, tout travail nécessaire (salaire) qui ne produit pas de surtravail est superflu et sans valeur pour la production capitaliste. Toute production (produit brut) qui ne sert qu'à l'entretien de l'ouvrier, c'est-à-dire ne con­tient pas de surtravail, est aussi superflu que l'ouvrier lui-même. En d'autres termes, il ne faut que le nombre d'hommes qui, dans la société, est susceptible de créer du profit au capital. C'est tout le problème des pays sous-développés où le capital est incapable de procurer du travail rentable aux grandes masses.

En somme, le but de la production capitaliste est le produit net, dont la forme concrète est le surproduit réalisé en plus-value. Aujourd'hui, la mystification sur ce point ne porte pas sur le contenu, mais sur les termes : l'équivoque naît de la définition du produit. Le produit brut est le résultat d'ensemble de la production d'une entreprise ou d'une nation entière. Or, les bourgeois classiques ne distinguent que deux parties dans le produit brut : le capital total avancé dans la production, le profit réalisé dans celle-ci, que chaque entreprise a coutume d'appeler son revenu net.

Les marxistes ont toujours divisé le produit brut en trois, en distinguant le capital constant et le capital variable, à quoi s'ajoute la plus-value.

Si le produit net est assimilé au revenu net, alors son rapport au produit brut va en diminuant, et nous obtenons la loi marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit. [49]

Aujourd'hui, on feint d'admettre la division marxiste du produit brut en trois parties, afin de brouiller les distinctions de classe. Dans ce but, on admet l'existence de la partie constante du produit brut, mais on cherche à confondre - surtout à des fins politiques - la plus-value et les salaires. On en arrive ainsi, à l'Est, à la « propriété des moyens de production du peuple », et à l'Ouest, à la moderne politique des revenus.

On maintient la plus-value pour la part (croissante) à réinvestir dans la production nouvelle, et l'on prétend éliminer le « profit » en ne versant plus que des « salaires ». Ce qui, entreprise par entreprise, se définit comme valeur ajoutée par le travail au cours de la production, est considéré comme le patrimoine commun de la classe des entrepreneurs et de la classe travailleuse, et on en déduit, par exemple, le revenu par tête d'habitant, sans se demander quelle partie de la population appartient à la classe dominante et quelle autre à la classe exploitée.

Le socialisme n'est plus alors un mode de production et de distribution nouveau, mais un capitalisme à peine retouché par la prétendue élimination des revenus découlant d'un titre de propriété (en fait de quelques revenus d'actionnaires dans les monopoles de l'industrie).

La clé de voûte de la courbe du développement capitaliste est la composition organique du capital. c'est-à-dire le rapport entre sa partie constante et sa partie variable. Avec les progrès techniques, la productivité du travail augmente et du même coup ce rapport. La mystification capitaliste cherche à faire croire que la masse de travail objectivé dans le capital constant n'est pas la base de la domination capitaliste sur la classe ouvrière, mais un patrimoine commun... puisqu'il participe à créer les revenus de tous et profite à toute la nation. [50]

14. La mystification du capital

Il est évident, même aux yeux du simple bon sens, que toutes les forces produc­ti­ves appartiennent au travail, et donc à la classe qui travaille. Mais toute l'organisation de la présente société et le poids des idées traditionnelles dont elle est infestée, conduisent à faire croire que les forces productives sont une propriété inhérente au capital. De la sorte, le caractère social moderne du travail humain, avec son rende­ment fabuleux, on l'attribue, non à la puissance collective du travail humain, mais à celle du capital. Le capital s'octroie le mérite de diminuer historiquement le prix des objets manufacturés produits par le travail associé, afin de se déclarer maître pour toujours de ce qui a été accumulé. Par ce mensonge et par bien d'autres, il veut faire oublier que, par rapport aux régimes antiques, il a provoqué un renchérissement des moyens de subsistance vitaux et transformé la majeure partie de l'humanité en une masse d'affamés. Pendant ce temps, la petite minorité des peuples privilégiés et de leurs classes supérieures elles-mêmes vit sous la menace effrayante de guerres, de crises catastrophiques, d'inflation et de pénurie générale.

Les mystifications du capital ne sont pas de purs et simples mensonges, mais représentent toute l'organisation sociale actuelle qui est dépassée et inadéquate par rapport aux forces de production sociales développées Par le prolétariat moderne, Marx ne combat donc pas pour dévoiler la vérité, mais pour abattre tout l'ordre aliéné et mystificateur qui prévaut actuellement dans la société.

Dans les Fondements, Marx écrit : « Si l'ouvrier découvre que les produits du travail sont les siens, s'il condamne sa séparation d'avec ses conditions de travail et juge qu'on lui impose une situation intolérable, il aura acquis une immense conscien­ce, qui découle d'ailleurs du mode de production reposant sur le capital » (tome I, p. 426-427).

Cette claire conscience ne découle pas de la propagande d'idées vraies (les mystifications ont une certaine réalité), mais de l'évolution du champ des forces sociales. L'ouvrier ne se soumet au futur sort d'esclave ou lutte pour la future condition de maître que parce qu'il choisit, qu'il le veuille ou non, le présent en fonction de l'avenir : il façonne son présent dans la perspective de l'avenir. Mais l'avenir se déter­mine déjà dans l'immédiat. [51] En effet, la dialectique du mouvement immédiat des choses transforme dès à présent le futur, soit en dévalorisant le futur de l'esclave comme situation intolérable, soit en valorisant le futur de l'esclave comme situation tolérable, selon la crise ou la « prospérité » du capitalisme.

15. Le capital produit et reproduit l'ensemble des rapports capitalistes

Du point de vue immédiat, les entreprises capitalistes produisent des marchandises, dont la valeur d'échange réalisée sur le marché est propriété exclusive du capi­tal individuel (entreprise ou son propriétaire). Mais dans sa définition des caractères spécifiques de la forme, capitaliste, Marx a établi que le but de celle-ci n'est pas la valeur d'échange des produits vendus et encore moins leur valeur d'usage, mais la marge bénéficiaire que l'on appelle plus-value. C'est pourquoi, le capital est beaucoup plus qu'une masse de marchandises et d'argent, c'est une valeur qui se valorise, une valeur qui engendre plus de la valeur, du capital qui se reproduit.

Marx va encore plus loin : le phénomène social le plus significatif est que la classe capitaliste - surtout à ses débuts - ne consomme qu'une petite partie de la plus-value, destinant le reste à l'investissement de capital additionnel. Ainsi le procès d'accumu­lation est immanent au procès capitaliste de production. Il implique la création de nouveaux salariés (femmes, enfants, couches de la population occupées précédemment dans l'agriculture familiale, etc.) : le capital produit à une échelle toujours plus large les travailleurs salariés productifs.

Enfin : « Le procès de valorisation du capital a essentiellement pour but de produire des capitalistes et des travailleurs salariés. C'est ce que l'économie politique oublie complètement, car elle ne retient que les choses produites. » Or, la reproduc­tion de ce rapport des classes est « un résultat plus important de ce procès que n'en sont les produits matériels ». [52]

Traduit en termes sociaux et politiques, cela signifie qu'il est impossible au capitalisme, tant qu'il n'est pas abattu par les forces enserrées dans ses contradictions internes, d'être autre chose que lui-même, de se «  réformer  », étant condamné par sa nature même a se reproduire continuellement et à une échelle quantitative toujours plus vaste, avec les caractères et les rapports entre «  personnes  », c'est-à-dire entre les classes, qui le caractérisent de son point de départ à son point d'arrivée.

Marx montre que des rapports d'une fixité complète se nouent entre les individus dans la sphère de la circulation et que le procès de valorisation de la production capitaliste les produit et les reproduit sans cesse. Cependant, le procès de production réel crée bien davantage, malgré les entraves que représentent toute l'organisation et l'ordre de la société bourgeoise : une création sans cesse nouvelle à une échelle crois­sante, soit pour le capital une continuelle surproduction : « L'inadéquation crois­sante du développement productif de la société aux conditions de production actuelles se manifeste au travers de contradictions tranchantes, de crises et de convulsions. Les destructions violentes de capital dues non pas à des conditions extérieures, mais à celles de sa propre conservation, telle est la forme la plus frappante de l'avertissement qui lui est donné de céder la place à un mode de production supérieure, et de disparaître. » [53]

La faculté du travail humain de créer des quantités plus grandes et des qualités nouvelles ne saurait être toujours contenue et stérilisée : le travail fera voler en éclats les chaînes qui l'enserrent.


Notes

[1] Cf. K. Marx à J. Ph. Becker, le 17 avril 1867. Et pour qu'il n'y ait pas de doute sur l'efficacité de ce missile : sur le plan théorique, le Capital porte à la bourgeoisie «  un coup dont elle ne se relèvera jamais.  » Cf. K. Marx à K. Klings, 4 octobre 1864, in : Lettres sur «  le Capital  », présentées et annotées par G. Badia, Paris, Ed. Soc., 1964, p. 144.

[2] Cf. K. Marx, le Communisme et la «  Gazette générale » d'Augsbourg, in : Gazette rhénane, 16 octobre 1842.

[3] Cf. Marx-Engels, la Sainte Famille, 1845, Ed. Costes, tome 2, pp. 61-62, et Ed. Soc., p. 48. Dans son acception la plus haute, le déterminisme ne nie pas la liberté, ni la volonté et son efficacité, ni la « création » (si l'on traduit ce mot par Schaffung, travail, production, son caractère ex nihilo s'estompe) : « La liberté n'est pas dans une indépendance rêvée à l'égard des lois de la nature mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en œuvre méthodiquement pour des fins déterminées. » cf. Marx-Engels, Anti-Dühring, Ed. Soc., p. 146.
L'œuvre de Marx et d'Engels formant un tout, une question posée sur le plan « philoso­phi­que » peut recevoir sa réponse dans l' «  économie  », le Capital par exemple. Au fur et à mesure, la réponse est plus élaborée, et les solutions étayées.

[4] Cf. Lénine, Œuvres, tome 13, p. 309 : Programme agraire de la social-démocratie dans la première révolution russe de 1905-1907. Souligné par nous.

[5] « Rien n'est plus dangereux que de vouloir amoindrir en temps de révolution la portée des mots d'ordre tactique strictement conformes aux principes... L'élaboration de décisions tactiques correctes a une importance énorme pour un parti qui veut diriger le prolétariat dans un esprit rigoureusement marxiste, et non pas simplement se laisser remorquer par les événements ». Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, 1905, in : Œuvres, tome 9, pp. 13-14.
La seule analyse systématique que nous connaissions du rapport entre l'action de Lénine et toutes les phases successives de la révolution, de la fin du XIX° siècle à 1917 est celle publiée par Programma Comunista de 1954 à 1961 : Russia e Rivoluzione nella teoria marxista, etc.

[6] C'est ce qu'implique, par exemple, la théorie du passage au socialisme en France par des voies pacifiques. Les principaux événements théorisés par Marx-Engels et Lénine - les révolutions de 1848, la Commune de Paris, 1905 et 1917 - seraient alors « dépassés » et la révolution violente deviendrait une anormalité, une sorte de particularisme du sous-développement, voire de l'asiatisme.

[7] C'est la première des thèses de la fraction communiste abstentionniste d'Italie, mai 1920, in : Fil du Temps, nº 8. Cette fraction a fondé en janvier 1921 à Livourne le Parti communiste d'Italie, conformément aux méthodes léninistes, et collabora à la rédaction des thèses sur le Parti de l'Internationale communiste (notamment pour la 21° condition).

[8] Lénine se range lui-même parmi les « marxistes dogmatiques » et rejette la « liberté de critique » du marxisme, cf. Que faire  ? chap. 1°: Dogmatisme et «  liberté de critique  », in :Œuvres, tome 5, p. 358-380.

[9] Le VI° chapitre inédit du Capital de Marx, qui fait l'objet de ce volume, fait partie de ce lot. Il fut publié pour la première fois dans Arkhiv Marksa i Engelsa, vol. II (VII), sous le titre : Erstes Buch. Der Produktionsprozess des Kapitals. Sechstes Kapitel. Resultate des unmittelbaren Produktionsprozesses, avec en regard la traduction russe, Moscou, 1933, pp. 4-266.

[10] Cf. Lénine, Aus dem philosophischen Nachlass, Berlin, 1961, p. 240, et, en français, Cahiers Philosophiques, Ed. Soc., p. 149.

[11] Cf. Karel Kosik, la Dialectique du Concret, Ed. Fr. Maspero, BS 15, Paris, 1970, 171 p.

[12] Cf. En partant du « Capital », Roman Rosdolsky : la Signification du « Capital » pour la recherche marxiste contemporaine, p. 253, Ed. Anthropos, Paris, 1968.

[13] Engels suppose comme admise cette distinction entre marchandise-capital et marchandise simple. « En conséquence, on voit clairement pourquoi Marx, au début du livre I°, part de la simple production marchande qui est pour lui la condition historique préalable pour en venir ensuite, en partant de cette base, au capital; on voit pourquoi il part précisément de la marchandise simple et non pas directement de la marchandise déjà modifiée, Par le capitalisme qui n'en est, du point de vue conceptuel et historique, que la forme seconde. » Cf. Préface au Capital, livre III°, Ed. Soc., vol. VI, pp. 17-18.

[14] Marx dit expressément à la fin de ce qui devait être le VI°chapitre. « Ainsi se trouve résolue la difficulté soulevée au chapitre I° ». (p. 83).

[15] Une grande partie de la polémique portant sur l'opposition entre les écrits philosophiques et économiques de Marx repose sur des questions de forme ou de traduction. La traduction française notamment a éliminé systématiquement tout le jargon non seulement philosophique, mais encore dialectique du Capital, en provoquant la colère d'Engels : « Hier, j'ai lu, en français, le chapitre sur la législation des fabriques. Sauf tout le respect que j'ai pour l'art avec lequel on a transformé ce chapitre en un français élégant, cela me fait mal au cœur pour ce beau chapitre. Sa vigueur, sa sève et sa vie s'en sont allées au diable. On paie la possibilité qu'a l' « écrivain moyen » de s'exprimer avec une certaine élégance, par une castration de la langue. Donner la vie à des idées en français moderne, cette camisole de force, devient de plus en plus impossible. Ne serait-ce que le renversement de la construction des phrases, rendu presque partout nécessaire par cette logique formelle pédante, ôte à l'exposé tout ce qu'il a de frappant et de vivant. Je considérerais comme une grosse faute que de prendre comme base pour la traduction anglaise le vêtement français. » Engels à Marx, le 29.X.1873, cf., Lettres sur le Capital », p. 273. Cf. infra, p. 163 note.

[16] Il serait plus exact de parler de Sixième section, puisque c'est à cette subdivision que correspond le texte. Cependant, nous avons gardé la traduction de Sixième chapitre, parce que le texte est déjà connu, en France et à l'étranger, sous ce nom.

[17] Marx a regroupé ces rubriques dans le VI° chapitre.

[18] C'est l'objet proprement dit du présent manuscrit.

[19] Ce chapitre est traité dans le livre IV du Capital (Histoire des Doctrines Économiques). Trad. J. Molitor, Ed. Costes, 8 vol., cf. vol. 2, pp. 5-215).           

[20] Dans Économies et Sociétés, Cahiers de l'I.S.E.A., Série Études de Marxologie, n° 6, juin 1967, p. 128-175, Maximilien Rubel a publié une première traduction (environ le tiers) de ce VI° Chapitre, puis il en a donné de très larges extraits (environ les deux tiers) dans Karl Marx, Économie II, de la collection La Pléiade, pp. 365-472. Plus récemment, Bruno Maffi a publié une traduction italienne du VI° chapitre, sans y inclure les Pages Eparses, cf. Marx. Il Capitale : Libro 1, capitolo VI inedito, La Nuova Italia, Firenze, 1969, XXVIII-131 p. Actuellement, une édition allemande est sous presse en République Fédérale.

[21] Pour rompre le mur du silence, Marx et Engels allèrent jusqu'à imaginer « d'attaquer le livre d'un point de vue bourgeois pour lancer la discussion », cf. lettres du 11.IX, 12.IX, 11.X et 18.X.1867, in : Lettres sur «  le Capital  ». Correspondance Marx-Engels, présentée et annotée par Gilbert Badia, Paris, Ed. Soc., pp. 182-187.

[22] Marx a encouragé la rédaction d'abrégés ou de résumés du Capital, non seulement pour faciliter l'accès à un sujet difficile, mais pour donner au lecteur un premier schéma de l'œuvre.

[23] C'est pourquoi Engels démontrait que les capitalistes ne voudront jamais céder leurs entreprises aux ouvriers, de manière pacifique, en leur vendant les usines à leur valeur de patrimoine.

[24] Pour des raisons techniques, le tableau a été inversé lors de son édition HTML. Il faudra donc comprendre "lignes" là où l'auteur écrit "colonnes" et réciproquement dans le passage qui suit. (N.R.)

[25] Ici, pp. 98-99 et au livre I°du Capital, 5° section, chap. XVI sur la plus-value absolue et la plus-value relative, Ed. Soc., II, pp. 183-191. Ces deux notions ont un caractère historique : la plus-value absolue s'obtient au stade où le capital ne domine que formellement le travail, en augmentant le nombre d'ouvriers salariés au détriment de l'agriculture, en prolongeant la journée de travail; la plus-value relative s'obtient au stade de la domination réelle par l'augmentation de la productivité technique.

[26] Au chapitre XV du I° livre du Capital, Marx développe un autre cas sur l'augmentation de la productivité générale qui fait diminuer le coût de la vie au point qu'il en résulte un avantage pour le prolétariat même si son salaire reste constant, quoique la masse et le taux de plus-value puissent augmenter considérablement.

[27] Cf. le Capital, troisième livre, vol. VIII des Ed. Soc., p. 146. Cf. également le Marxisme et la question agraire (suite) dans la revue ronéotypée Fil du Temps, nº 6, pp. 137-139, Jacques Angot, B.P. 24 Paris-19e.

[28] Dans la rédaction définitive, cette partie eût formé la conclusion du VI° chapitre, et donc du Livre I°.

[29] En mathématique, le fluente désigne une fonction variable (intégrale), et la fluxion la différentielle d'une fonction.

[30] Cf. J. Staline, les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., Ed. Soc, 1952, p. 15.

[31] Ibid., pp. 17-18. Dans la Russie de Lénine, il était question de dictature du prolétariat et d'un secteur capitaliste de l'économie. D'ailleurs, il est normal qu'un secteur de production non socialiste subsiste alors, puisque la dictature du prolétariat est un état où l'économie est encore antagonique, le prolétariat, en tant que classe dirigeante, luttant contre les survivances de l'écono­mie pré-socialiste. Au fur et à mesure de la dégénérescence de l'internationale communiste, le but n'était plus, comme au début, la dictature du prolétariat à l'échelle internationale, mais la construction accélérée de l'économie russe; l'économie capitaliste, loin de régresser, s'épanouit alors, étant la meilleure pour accumuler et développer les forces productives, en vue d'accroître la production à un rythme élevé.
Staline, certes, essaie de tergiverser, et s'il reconnaît qu'il y a production marchande en Russie, il prétend néanmoins que le salariat n'y existe pas, parce qu'il est absurde de croire que «  la classe ouvrière, possédant les moyens de production, se salarie elle-même et se vend à elle-même sa force de travail  ». En fait, les ouvriers russes ne se salarient pas eux-mêmes et vendent leur force de travail à autrui. En théorie, la personne de cet autrui - capitaliste qui détient l'argent, achète la force de travail, vend les produits, dirige le procès de production et le surveille - n'est pas détermi­nante pour définir le rapport salariat-capital. Peu importe que les capitalistes nº 1, 2 et 3 soient l'État, la direction devenue autonome des usines, l'association des entreprises anonymes, les sovkhoz ou kholkoz qui détiennent les moyens de subsistance, etc. : l'essentiel dans la définition du salariat, c'est qu'il y a production de plus-value accumulée sous forme monétaire et de marchan­dises, par une force de travail qui ne peut survivre qu'en vendant sa marchandise-travail. Cf. p. 164.
Par ailleurs, Staline pense pouvoir faire de la loi de la valeur marchande un instrument commode pour mesurer la production et les besoins : c'est tourner le dos au marxisme, qui voit dans la marchandise, le salariat, la monnaie et la valeur d'échange des réalités qui ne sont pas susceptibles d'être manipulées, mais qui, au contraire, dominent les hommes. Cf. le Dialogue avec Staline, in : Programme communiste, nº 8, 1959, 55 p.

[32] Arbeitsvermögen peut se traduire par faculté, capacité ou puissance possible du travail, et ce en un double sens : 1º le travail, étant séparé des conditions objectives de production, pure force de travail vivante et « subjective », n'a pas la certitude, mais seulement la possibilité de produire : pour que cette possibilité se réalise, le capitaliste doit « donner » du travail à l'ouvrier; 2º la force de travail est potentielle, parce que d'une part elle est elle-même essentiellement variable (plus ou moins productive, spécialisée, etc.) et que d'autre part elle produit une valeur tout à fait variable, au sens où elle crée un excédent par rapport au salaire touché par l'ouvrier (à la différence du capital constant qui transmet au produit une valeur équivalente).

[33] En effet, dans le procès de production, les machines et les matières premières ne fonctionnent pas en raison de leur valeur monétaire, mais de leur nature et finalité particulières - valeur d'usage - et opèrent dont de manière spécifique, comme machines et matières servant, par exemple, à produire du fil ou des saucissons.

[34] Cf. les Fondements, etc., tome I, pp. 314-318. Marx anticipe ici sur la 3° rubrique du VI° chapitre : la production capitaliste est production et reproduction du rapport spécifiquement capitaliste.

[35] Dans la partie consacrée au Produit brut et produit net, Marx prévoit cette évolution dès le siècle dernier : la production capitaliste a pour idéal de diminuer autant que possible le nombre de ceux qui vivent du salaire, et d'augmenter le plus possible le nombre de ceux qui vivent de la plus-value (p. 245).
Selon l'étude Statistiques de la population active pour les années 1956 à 1967 de l'O.C.D.E., la population industrielle n'est plus que de 39,7 % en Europe, de 33,5 % au Japon, de 33,7 % aux États-Unis par rapport à la population active totale. L'agriculture n'y forme plus que 20,9 % en Europe, 23,2 % au Japon et 5,5 % aux États-Unis, tandis que la population tertiaire est montée à 39,4 % en Europe, 43,4 % au Japon et 60,8 % aux États-Unis. L'évolution s'accentue non seule­ment depuis ces dix dernières années, mais elle est la plus prononcée dans les pays les plus déve­loppés,
Cependant, le capitalisme ne cesse de prolétariser de plus en plus les grandes masses. En effet, d'une part, la population agricole diminue de plus en plus, d'autre part, ce sont les masses les plus nombreuses des pays sous-développes qui perdent de plus en plus la disposition et la propriété de leurs instruments de production et deviennent des travailleurs « libres », c'est-à-dire disponibles à l'exploitation capitaliste. Ce phénomène est lié à l'expansion du capitalisme dans le monde entier, la fameuse exportation de capitaux des pays les plus développés vers les moins développés, phéno­mène appelé impérialisme et lié fondamentalement au mode de production capitaliste qui se définit comme production de plus-value, d'excédents. Ainsi, les États-Unis voient leur population industrielle diminuer le plus, mais leur exportation de capitaux augmenter le plus : les deux mouvements de prolétarisation et de déprolétarisation sont liés, mais le premier l'emporte sur le second, à l'échelle internationale.

[36] L'expression, pourtant fondamentale, de procès de valorisation ne se trouve pas dans la traduction française du I° livre du Capital, et notamment dans la 3° Section qui traite du procès de travail et du procès de valorisation. Roy a traduit cette expression par production de plus-value ou production de valeur. Ces défectuosités de traduction compliquent évidemment la compréhension du processus par lequel la valeur d'usage et la valeur d'échange de la marchandise se prolongent dans le procès de production capitaliste qui est donc procès de travail, du point de vue de la valeur d'usage, et procès de valorisation, du point de vue de la valeur d'échange.
Dans ce même chapitre, Marx distingue entre procès de valorisation et procès de production de valeur simple. Ce dernier consiste à produire une valeur correspondant au remplacement de la valeur du travail payé, selon le strict principe de l'équivalence de la production marchande simple. Le procès de production de valeur devient procès de valorisation (capitaliste) dès lors qu'il se prolonge au-delà de ce point, autrement dit : produit de la plus-value.

[37] Dans le I° livre du Capital (Ed. Soc. vol. II, pp. 206-209) et au début des Pages Éparses du VI° Chapitre, Marx démontre que la force de travail étant la mesure de toutes les valeurs, il n'est pas possible de la mesurer à elle-même. La force vivante du travail n'a pas de valeur, mais (dans le système mercantile) ce qu'elle produit en a. Elle-même est payée (salaire), non pas pour ce qu'elle vaut, mais pour ce qu'il faut de produits pour reconstituer la vie de la capacité physique et nerveuse du travail. Il ne s'agit donc pas d'un « truc » comptable, d'une difficulté méthodologique. Cette constatation historique de première importance ne peut surgir qu'au moment où les conditions objectives du travail sont complètement séparées de la force de travail. La conclusion socialiste en est qu'il est absurde de revendiquer la propriété de la force de travail, puisque celle-ci, en soi, n'a pas de valeur. Ainsi, Marx considère que les syndicats se placent encore sur le plan de la société bourgeoise, en s'efforçant de garantir aux ouvriers la valeur de leur force de travail, seul élément de valeur qui leur appartienne. C'est pourquoi, il leur enjoint d'être révolutionnaires, en luttant aussi pour l'abolition du salariat. Pour la même raison, Marx rejette l'utopie d'une société où, parce que l'ouvrier est propriétaire de sa force de travail, il recevrait l'intégralité du fruit de son travail. Dès lors que les conditions objectives du travail sont réunies à la force de travail collective, associée de manière rationnelle et appuyée par la science, il n'est plus de propriété privée des individus, des groupes, des nations ou des classes.
C'est ce que Marx dit de la propriété de la terre qui conditionne, dans les sociétés de classe, la propriété de tout le reste :
« Du point de vue d'une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d'un individu sur son prochain. [et, à plus forte raison, le droit de propriété de l'individu sur lui-même]. Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n'en sont que les possesseurs, elles n'en ont que la jouissance et doivent la transmettre aux générations futures après l'avoir améliorée en bons pères de famille. » (Capital, III, vol. VIII, Ed. Soc., p. 159).

[38] Cf. K. Marx, Fondements, etc., tome II, p. 143.

[39] Ibid.,p. 141, 143.

[40] Ibid.,p. 142.

[41] Cf. K. Marx, Capital, livre III, Ed. Sec., vol. VII, p. 47. Marx traite de la question du « salaire du capitaliste » de la page 43 à 54.

[42] Ibid., p. 53. Cette conclusion théorique peut avoir des effets pratiques considérables. Cet après-guerre en fournit la preuve a contrario : après 1945, la C.G.T. a défendu parmi les ouvriers le principe de la hiérarchie des salaires, c'est-à-dire de salaires très élevés (pour les improductifs ou opérateurs du capital) et très bas (pour les productifs). Les masses luttèrent avec moins de fermeté pour élever les salaires les plus faibles qui sont les plus nombreux, et n'entamèrent en rien les privilèges parasitaires du profit des capitalistes. Pourtant, en France même, la Commune avait déjà osé, il y a un siècle, égaliser des salaires ouvriers à tous.
Le résultat de la reconnaissance de la hiérarchie des salaires fut une démoralisation croissante de la classe ouvrière, perdant de plus en plus sa confiance en soi. Elle déserta les syndicats plus que dans tout autre pays européen de développement analogue. Aujourd'hui, la France a les salaires les plus bas et les plus hauts, parmi ces pays.
Les mots d'ordre tactique doivent découler de principes théoriques justes, la théorie devenant une force si elle est radicale, c'est-à-dire correspondant à la situation et aux besoins profonds des masses laborieuses.

[43] Cf. K. Marx, Theorien über den Mehrwert, Dietz, Berlin, vol. 2, p. 107.

[44] Cf. les Facteurs de race et de nation dans la théorie marxiste, in : Fil du Temps, n° 5, pp. 42, et 33-39. Que la force soit un «  acte économique  » c'est une nouvelle de tous les jours. Par exemple : « A Ghisonaccia. Les habitants barrent la route : ils obtiennent 300.000 F du préfet », in : le Monde, du 14 Août 1969, p. 12, col. 1.

[45] Cf. Engels à C. Schmidt, 27. X. 1890, in : K. Marx et Fr. Engels sur la littérature et l'art, Ed. Soc., Paris, 1954, p. 158.

[46] La production marchande simple s'est, en réalité, développée au sein de la société féodale, à l'abri des privilèges de l'État politique qui garantissait les chartes de franchise de métier, les artisans et autres petits-bourgeois formant un état à côté du clergé et des seigneurs, etc. Aux États-Unis, la production marchande simple semble avoir existé de par elle-même vers la fin du XVIII° lorsque la population de propriétaires parcellaires de la campagne formait 90 % de la population totale. Néanmoins, la violence était omniprésente, et l'État anglais à l'arrière-plan. Cf. l'État et la nation dans la théorie marxiste, in : Fil du Temps, nº 4, p. 89-102, le chapitre sur la Contribution féodale au développement économique de la production marchande des communes.

[47] Dans les Fondements, Marx indique des critères meilleurs : « Dès que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d'être la source principale de la richesse [autrement dit, dès que le travail est socialisé, étant associé et bénéficiant de la technique et des procédés élaborés par toutes les générations humaines], le temps de travail cesse et doit cesser d'être la mesure de la valeur d'usage » (tome 2, p. 222.) Le capital ayant accumulé toutes les richesses et facultés dans le capital fixe, on ne peut plus développer les forces productives qu'en accroissant la force de travail vivante de l'homme. C'est pourquoi : « la richesse véritable signifie, en effet, le développement de la force productive de tous les individus. Dès lors, ce n'est plus le temps de travail, mais le temps disponible qui mesure la richesse. » Ibid., p. 226.

[48] En ce sens, le salariat portant sur la forme mensuelle et comptable de la rémunération, est purement formel, et n'a rien à voir avec le salaire qui est capital variable et source de plus-value. Mais, ce mode formel de rémunération permet, à l'Est comme à l'Ouest, de nier le caractère capitaliste de l'économie, en donnant une même apparence extérieure à tous les revenus (salaires, profits, rente) des trois classes fondamentales de la société capitaliste. C'est là évidemment une, grande force mystificatrice en faveur des classes dominantes.

[49] Économiste plus que médiocre, Staline a prétendu que la tendance du capitalisme moderne était la recherche du profit maximum qui remplacerait la loi marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit. En fait il a confondu deux choses : historiquement, la masse du produit brut capitaliste augmente, ainsi que la masse du profit net (qui croît cependant moins vite). En revanche, le taux de profit baisse tendanciellement.
En général, Staline se place plutôt au niveau de l'économie bourgeoise classique des Ricardo qu'au niveau de l'économie vulgaire dégénérée. Avec sa formule « l'homme est le capital le plus précieux », il se situe même au niveau de la soumission formelle du travail au capital, caractérisée par la production de la plus-value absolue, où le capital obtient la majeure partie de sa plus-value en augmentant la durée du travail et le nombre des ouvriers, soit le « capital humain ».

[50] Si l'on confond de la même façon, tous les revenus (profits et salaires) sur le plan de l'entreprise, on obtient la gestion ouvrière ou la cogestion des régimes aussi bien fasciste, démocratique que « socialiste » : le capital constant (installations fixes, machines, etc.) appartient à tous ceux qui sont employés par l'entreprise, puisqu'il contribue à leur donner un revenu justifié par un « job » dans l'entreprise.

[51] Cf. K. Kosik, la Dialectique du concret, pp. 152-153.

[52] Cf. les Fondements, etc., tome I°, pp. 422, 478.

[53] L.c., tome 2, pp. 276-277.


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