1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


I. Un programme de "liberté politique illimité" pour le Shah ou
un programme pour l'écraser sans pitié ?


6. Un exemple qui éclaire tout.

N'importe quel ouvrier qui soit intervenu dans une grève plus ou moins combative pourra comprendre parfaitement bien ces divergences sur la dictature du prolétariat et la guerre civile, et combien la position de la majorité du SU est humanitaire, démocratiste, libertaire. En somme, un nouvel anarchisme intellectuel. Supposons que nous soyons à la veille d'une grève, et que la majorité du SU nous envoie une résolution dans laquelle elle nous dise que "une fois la grève commencée, tous les membres de l'usine (président et membres de la direction, gérants, contremaîtres, employés et ouvriers) auront une "liberté politique illimitée"", et que "ceux qui s'opposeraient à la grève par les armes seraient jugés par un code pénal très libéral, avec un tribunal ouvrier, une accusation publique et leurs avocats".

Supposons que le lendemain la grève se déclare et que quelques jaunes appellent à travailler, mais sans même entrer dans l'usine ni attaquer les grévistes physiquement. Que faisons-nous ? Nous accordons-nous à ce que vient de nous dire le SU, ou luttons-nous férocement contre ceux qui appellent à briser la grève, en laissant primer sur toute autre considération l'intérêt suprême qui est de gagner cette lutte ? Tout ouvrier qui a une conscience de classe et est combatif sait que dans ces moments il faut appeler à se servir de n'importe quel moyen permettant d'écraser les propagandistes du patronat. N'importe quelle méthode est bonne si elle terrorise les briseurs de grève potentiels, affaiblit les patrons et fortifie la grève, et est mauvaise si elle ne permet pas d'atteindre ces objectifs. Bien que cela paraisse grossier, nous voulons en revenir à demander aux camarades du SU quel est leur programme pour la grève. Donner une liberté totale à tous les membres de l'usine, du patron bourgeois aux ouvriers vendus ? En arriver au point de laisser le parti politique du patron faire de la propagande dans l'assemblée ouvrière, si un seul ouvrier le demande, pour défendre dans un débat public son point de vue, en faveur du patronat, contre la grève lui donner la rotative du syndicat afin, qu'avec les ouvriers qui sont ses agents, il édite un bulletin contre la grève ? Bien que cela soit saugrenu, c'est le programme du SU. Le choix est irréductible : nous faisons la grève en donnant une liberté d'expression complète à tous les membres de l'usine, les grévistes, les patrons et les ouvriers vendus qui leur sont dévoués, ou nous la faisons avec un programme trotskyste orthodoxe, celui de Lénine et de Trotsky, et qui continue à être le nôtre : chasser et réprimer sans aucun égard les briseurs de grève, sans leur donner aucune liberté pour leur propagande pro-patronale. Notre objectif est que la grève triomphe, et tout ce que nous faisons lui est subordonné. C'est la même chose avec la révolution ouvrière et la dictature révolutionnaire du prolétariat. Nous ne la faisons pas pour qu'il y ait immédiatement liberté pour tout le monde, mais pour que la révolution continue à avancer et pour écraser tous ceux qui s'opposeront à elle, les contre-révolutionnaires et leurs agents. Nous devons agir de même avec ceux qui se lancent dans la propagande en faveur des patrons, afin de briser la grève, même s'ils ne viennent pas travailler pour le moment et ne répriment pas physiquement les grévistes. Parce qu'une grève n'est rien à côté des premières étapes d'une dictature révolutionnaire du prolétariat ; à côté, elle n'est qu'un jeu d'enfant.

Il est triste d'avoir à dire des vérités aussi élémentaires à des camarades comme ceux qui font aujourd'hui partie de la majorité du SU et ont écrit la résolution ; à des camarades qui ont pu se maintenir dans la voie du trotskysme malgré trente ans de pressions staliniennes. De même que dans une grève il n'y a pas de démocratie pour tous, mais pour ceux qui luttent pour elle, pour les grévistes, et de même qu'un briseur de grève est traité à coups de pieds, pendant les premières phases de la dictature ouvrière révolutionnaire, il y aura la démocratie pour les révolutionnaires, pour ceux qui sont engagés dans une lutte à mort contre la restauration bourgeoise impérialiste, dans la mesure où ils ont absolument besoin de cette liberté, pour trouver les moyens les plus adéquats qui leur permettent de continuer à développer la révolution et à parvenir à écraser définitivement les contre-révolutionnaires.


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