1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


II. Messianisme européiste : La contre-révolution impérialiste disparaît.


4. Cuba dément l'optimisme irresponsable du SU.

Le SU ne peut éviter de prévenir qu'il y aura quelques obstacles pour les pays élus. Des affrontements armés, certainement pas, mais une propagande contre-révolutionnaire, assurément. Cependant, celle-ci ne constitue pas un plus grand péril. "Il n'y a pas de raison de la craindre", elle est vaincue d'avance. "Lorsque la classe bourgeoise est désarmée, et expropriée, lorsque ses membres ont accès aux mass-média, seulement en rapport avec leur nombre et non leur fortune, il n'y a pas de raison de craindre une confrontation constante, libre et franche entre leurs idées et les nôtres. "Il suffira de "lutter sans trêve contre ces idéologues sur le terrain de l'idéologie elle-même." (SU, 1977) [17].

Qu'est-ce que cette "confrontation constante" entre la révolution et la contre-révolution ? Un sport ? Si la contre-révolution fait de la propagande, c'est parce qu'elle peut et veut en obtenir quelque chose. Il n'y a dans l'histoire aucun exemple qui démontre le contraire. Les contre-révolutionnaires utilisent toujours les terribles difficultés des dictatures ouvrières pour accumuler des forces, et quand ils sont prêts, continuent inévitablement jusqu'à la guerre civile. Les thèses du SU ne soulignent jamais cette possibilité.

Venons-en à Cuba. Comme nous l'avons dit, la violence préalable à la prise du pouvoir y fut bien moindre que dans les autres pays où s'instaura une dictature ouvrière. Mais dans ce cas, le plus grave vint après.

Cuba est un pays qui fait partie du monde occidental, et subit un énorme blocus économique qui y provoqua une crise permanente de l'économie. Ce blocus s'accompagna d'un exode vers les Etats-Unis d'un demi-million de "vers", agents de la contre-révolution impérialiste.

Si Fidel avait agi en accord avec les normes du SU, il ne serait même pas descendu de la Sierra Maestra, il aurait dû faire un discours demandant aux cinq cent mille "vers" de ne pas s'en aller, et leur donner toutes les garanties individuelles. Il aurait dû leur permettre de faire une fantastique propagande en accord avec leur nombre, de s'organiser en parti politique, et leur céder des locaux gardés par les milices. Evidemment, il aurait dû empêcher les jugements des tortionnaires, qui ne pouvaient se baser que sur le "concept (prohibé) de délinquance rétro-active". Et Batista également aurait dû rester.

Supposons maintenant que Fidel aille encore plus loin. Il ne donne pas seulement la "liberté politique illimitée" du SU mais, en outre, conseillé par Mandel, il applique le suffrage universel et appelle à des élections générales. Et supposons également que la contre-révolution n'utilise en rien ces conditions, ne se serve pas de ces libertés pour renverser Fidel par la violence et récupérer les biens expropriés. Synthétiquement, que nous avons à faire à une contre-révolution honnête, qui se comporte pacifiquement et se consacre à sa campagne électorale et à une lutte purement idéologique. Ayant en sa faveur la profonde crise économique provoquée par le blocus yankee, le soutien de l'impérialisme, le retard des campagnes, la division de la gauche et l'irréductible détermination des cinq cent mille "vers", la bourgeoisie pourrait bien obtenir la majorité électorale sans répandre une goutte de sang, comme le veut le SU. Que se passerait-il dans ce cas  ? Un successeur de Batista reviendrait au pouvoir, les entreprises expropriées reviendraient entre les mains des capitalistes ?

Les eurocommunistes disent que oui, que s'ils sont au pouvoir ils le rendront à la contre-révolution si elle gagne les élections. Nous voulons savoir ce que feraient le SU et le camarade Mandel dans un cas semblable. Nous exigeons du Secrétariat Unifié qu'il se prononce catégoriquement sur ce problème. S'ils sont au pouvoir accorderont-ils des élections libres, et remettront-ils le pouvoir au gagnant, même si c'est la contre-révolution? S'ils nous répondent que non, nous voulons savoir ce qu'ils feront alors face à l'exigence logique de la réaction pour qu'ils lui remette le pouvoir  : lutteront-ils contre elle, les armes à la main, pour conserver le pouvoir ? Et si les masses travailleuses les débordent, descendent dans la rue et brisent les urnes, les combattront-ils ? Tout ce qu'il feront, qui ne soit pas remettre le pouvoir à la contre-révolution, se transformera en répression armée préventive de la contre-révolution ; ce sera laisser de côté la lutte électorale. Tout le document s'effondre. Mais le SU, d'une manière irresponsable, écarte cette possibilité de victoire électorale de la contre-révolution impérialiste.

Il est certain qu'ils pourraient nous dire que "l'exemple cubain n'est pas valable parce que leur programme se réfère à une dictature révolutionnaire. Dans ce cas, le programme du SU serait infiniment plus criminel. Si avait surgi à Cuba une dictature marxiste-révolutionnaire, appuyée sur des conseils ouvriers, le blocus n'aurait pas seulement été le fait des Etats-Unis, mais aussi de l'URSS. Dans ce cas, la dictature du prolétariat recommandée par la majorité du SU n'aurait même pas duré six mois. Ce demi-million de contre-révolutionnaires, s'appuyant sur une crise économique telle que celle qui se serait produite, auraient développé une campagne qui leur aurait permis tous les probabilités de victoire. Pourquoi le blocus que subit Cuba ne se répéterait-il pas contre les pays européens où triompherait la révolution socialiste ? Nous ne faisons pas que penser que cette tendance soit la plus probable, bien plus, nous voulons insister : les premières dictatures révolutionnaires du prolétariat, dirigées ou influencées par les trotskystes, seront de toutes celles que l'on a vues au cours du siècle, les plus atroces et les plus terribles.


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