1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


III. Démocratie bourgeoise ou démocratie ouvrière ?


6. Notre position : accorder les libertés qui aident à consolider et développer la révolution socialiste et la dictature révolutionnaire.

Nous savons tous que le stalinisme au pouvoir dans les états ouvriers soutient que les partis d'opposition, et pas seulement les partis contrerévolutionnaires doivent être persécutés et obliger d'agir dans la clandestinité. Le SU, tout comme les eurocommunistes, a effectué une critique juste de cette politique du stalinisme. Mais ils opposent à cette politique leur programme de "liberté politique illimitée". Nous disons que ne sont correctes ni la norme stalinienne bureaucratique totalitaire, de persécution systématique aux opposants, ni celle, démocratiste, de la "liberté politique illimitée" du SU, dans la mesure où "... nous ne faisons pas un fétiche des formes démocratiques. La protection de la dictature est au-dessus de toute autre considération" (Trotsky, 1929) [11]. Et ceci correspondra à une seule norme : écraser la contre-révolution impérialiste et bourgeoise et imposer le pouvoir des ouvriers dans le monde. Sans rejeter aucune méthode, sans se lier les mains avec aucune norme, le prolétariat, dirigé par un parti marxiste dans sa mobilisation révolutionnaire, utilisera tous les moyens à sa disposition pour écraser la contre-révolution et impulser la révolution. Il devra décider à chaque moment, en accord avec les nécessités du processus révolutionnaire, quelles libertés il accorde et quelles libertés il enlève. Dit d'une autre manière : il y aura des "libertés politiques limitées" en fonction des besoins de la dictature révolutionnaire du prolétariat. Cela signifie que la dictature du prolétariat peut, que c'est parfois utile et qu'alors elle doit accorder des libertés démocratiques pour les partis contre-révolutionnaires et d'opposition. A d'autres moments elle peut, et si c'est en même temps indispensable elle doit alors supprimer radicalement les partis contre-révolutionnaires, agissant à leur égard de manière brutale et implacable. Cette question ne peut être résolue que par les masses révolutionnaires avec à leur tête un parti trotskyste, en fonction de l'appréciation de la situation présente, et aucune norme écrite ni aucune thèse ne peut fixer cela à l'avance.

Dans le cadre de cette position de principe, nous devons signaler que toutes les libertés ne sont pas identiques. Il n'y a pas entre elles, pendant la dictature du prolétariat, un rapport d'égalité. La liberté scientifique et artistique, par exemple, ne peut qu'être bénéfique à la dictature ouvrière, qui ne peut que progresser sur la base de toute avancée sur ces terrains. La liberté de presse et d'opinion, en rapport au nombre d'adhérents, est très utile à la dictature du prolétariat, et tout gouvernement authentiquement marxiste-révolutionnaire devra tendre à l'imposer de manière tout à fait pressante. Elle a un rôle très semblable à celui de la monnaie et des statistiques véridiques dans l'économie de transition, mais au niveau, beaucoup plus général, de la société dans son ensemble (économique, social, culturel, et principalement politique). Cette liberté de presse et d'opinion quasi absolue, vers laquelle doit tendre la dictature du prolétariat, sert à apprécier la force des différents courants d'option, et à ce que la dictature s'informe objectivement des problèmes qui existent, mais est conditionnée par le plus absolu monopole politique du pouvoir de la part du prolétariat industriel et des masses révolutionnaires. Ce qui veut dire que les libertés de presse, et surtout artistique et scientifique, n'impliquent pas automatiquement la liberté d'organisation et d'activité pour tous les partis contre-révolutionnaires. Pour l'économie de l'état ouvrier, ce n'est pas non plus la même chose d'avoir une monnaie stable, qui signifie l'application de la loi de la valeur au service de cette économie de transition, - que d'autoriser que cette loi joue tout à fait librement, ce qui signifierait autoriser la résurgence de la bourgeoisie. Nous laissons précisément la loi de la valeur jouer librement dans un champ déterminé pour pouvoir mieux dominer ses tendances et continuer à développer l'économie ouvrière vers le socialisme, empêchant la résurgence de la bourgeoisie par la défense intransigeante du plan économique, de l'industrie nationalisée et du monopole du commerce extérieur. C'est la même chose avec les libertés : elles ne peuvent être obligatoires ou automatiques dans toutes les sphères de la vie politico-sociale.

Ce sont les démocrates bourgeois et les réformistes qui considèrent que l'on doit sous la dictature du prolétariat accorder toutes les libertés en même temps. Parce que leur programme, ou sa finalité, n'est pas la défense, le renforcement et le développement du nouveau régime, mais un système de libertés totales pour les individus et les secteurs, en tant qu'expression politique du libre-échange, de l'individualisme petit-bourgeois et bourgeois, -  qui permettra à plus long terme la résurgence capitaliste et la pénétration impérialiste.

Ce que nous venons de dire ne signifie pas que les libertés doivent être accordées ou supprimées arbitrairement, selon la volonté subjective du parti qui dirige la dictature. Au contraire, elles dépendent de la loi stricte, de caractère objectif et algébrique, qui exprime le rapport entre la révolution et la contre-révolution. La marge de libertés que toute dictature révolutionnaire accorde à ses ennemis, sera directement proportionnelle à la force et l'avancée de la révolution nationale et internationale, et inversement proportionnelle à la force et la dynamique de la contre-révolution.

Pendant toute sa vie, Trotsky a souligné le caractère relatif, "limité" des libertés sous la dictature du prolétariat. Il écrivit une formule qui est pratiquement identique à la notre, mais dont le signe est différent dans la mesure où elle se réfère au degré de coercition et non au degré de liberté  : "La contrainte exercée par les masses dans l'état ouvrier est directement proportionnelle aux forces tendant à l'exploitation ou à la restauration capitaliste et inversement proportionnelle à la solidarité sociale et au dévouement commun au nouveau régime". (Trotsky, 1936) [12].


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