1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


VII. Une supposée autocritique de Trotsky.


6. La supposée auto-critique de Trotsky.

Que nous reste-t-il du commentaire de Mandel ? Est-il vrai que Trotsky, en avançant pour l'U.R.S.S. le programme de la révolution politique, avance un point programmatique qui signifie une auto-critique ("liberté pour les partis soviétiques") ?

Nous affirmons le contraire. Ce mot d'ordre non seulement ne signifie aucune auto-critique de Trotsky, mais encore il va contre tout ce que disent Mandel et la résolution du SU.

Avant tout, il semble que Mandel ne se rende pas compte que Trotsky lance ce mot d'ordre à partir du moment où il considère qu'une révolution politique est nécessaire en U.R.S.S. Jamais avant. Ce n'est pas un hasard : ce mot d'ordre fait partie d'une nouvelle politique générale, à savoir mener une révolution violente contre la bureaucratie qui gouverne. Cette nouvelle politique exigera de nouveaux mots d'ordre et l'un d'entre eux est celui de "liberté pour les partis soviétiques".

Nous ne savons pas pourquoi Mandel l'isole de la nouvelle analyse et de la nouvelle politique de révolution dans l'U.R.S.S. caractérisée comme un Etat ouvrier dégénéré et attribue à ce mot d'ordre une validité historique pour toute époque, par exemple pour les débuts de la Révolution Russe. Si cela avait été le cas, pourquoi - demandons-le nous à nouveau - Trotsky n'a-t-il à aucun moment proposé la légalité pour le parti menchévik, le retour de tous les exilés, la liberté de propagande et d'organisation pour le parti cadet, une répartition du temps de parole à la radio en fonction du nombre d'adhérents de chaque parti ? Pourquoi ne fit-il rien de tout cela ? Pourquoi l'oublia-t-il ? La mémoire est politique, et ce principe est valable pour un génie tel que Trotsky plus que pour n'importe qui.

Mais Mandel poursuit sa tentative d'isoler ce mot d'ordre du contexte politico-social qui en est à l'origine. Et, non content de l'isoler et de le reporter sur le passé, il croit que Trotsky en l'ayant avancé s'est autocritiqué pour ne pas l'avoir défendu en 1921-23. Nous demandons à nouveau  : s'il s'est autocritiqué pour n'avoir pas accordé la légalité aux menchéviks, qu'est-ce qui l'empêchait de lancer le mot d'ordre de liberté pour les partis du passé, comme les partis menchévik et cadet, en 1936 ou 1938 quand il écrivit le Programme de transition et défendit la "liberté des partis soviétiques" ? Et pourquoi, lorsqu'il formule ce mot d'ordre dans le Programme de transition, pose-t-il comme condition l'expulsion des soviets de secteurs des travailleurs, l'aristocratie et la bureaucratie ouvrières ? Nous répondons que c'est pour quatre raisons. Premièrement, parce que, jusqu'à ce qu'il en soit venu à concevoir la nécessité de la révolution politique, il fut toujours favorable au monopole unipartiste dans la dictature concrète de l'U.R.S.S. Deuxièmement, parce qu'il ne fut jamais, pas même en 1938, favorable à la liberté des menchéviks et des cadets, sinon il l'aurait dit. Troisièmement, parce que le mot d'ordre de "liberté pour les partis soviétiques" signifie, comme nous l'avons déjà signalé, la liberté pour tous les partis favorables à la révolution, les nouveaux partis et tendances qui surgiront comme conséquence de la mobilisation révolutionnaire qui s'affrontera à la bureaucratie et à l'aristocratie, et non pas pour les contre-révolutionnaires. Quatrièmement, parce que ce mot d'ordre se situe dans un contexte complètement différent: alors que l'U.R.S.S. est devenue un Etat ouvrier dégénéré et que le parti communiste s'est transformé en parti de la bureaucratie.

De 1936 à 1938, Trotsky défendit plus d'une fois explicitement sa vieille position d'interdiction des partis en U.R.S.S. Polémiquant contre les ultras qui le critiquaient pour cette interdiction, il en prit la défense en expliquant les raisons : "Quant à l'interdiction des autres partis soviétiques, elle ne découlait nullement de quelque "théorie" bolchéviste, mais fut une mesure de défense de la dictature dans un pays arriéré et épuisé, entouré d'ennemis de toute part. Il était clair pour les bolchéviks, dès le début même, que cette mesure, complétée ensuite par l'interdiction des fractions à l'intérieur du parti dirigeant lui-même, contenait les plus grands dangers. Cependant, la source du danger n'était pas dans la doctrine ou la tactique, mais dans la faiblesse matérielle de la dictature, dans les difficultés de la situation intérieure et extérieure. Si la révolution avait vaincu, ne fut-ce qu'en Allemagne, du même coup le besoin de l'interdiction des autres partis soviétiques aurait disparu. Que la domination d'un seul parti ait juridiquement servi de point de départ au régime totalitaire staliniste, c'est absolument indiscutable. Mais la cause d'une telle évolution n'est pas dans le bolchévisme, ni même dans l'interdiction des autres partis, comme mesure militaire temporaire, mais dans la série des défaites du prolétariat en Europe et en Asie." (Trotsky, 1937) [15]. Il est impossible d'être plus clair. L'interdiction des autres partis fut une "mesure de défense" parce que la Russie était un pays "arriéré et épuisé, entouré d'ennemis". Cela signife que "la source du danger n'était pas... dans la tactique" ; que le point de départ du régime totalitaire staliniste n'est pas " ... dans l'interdiction des autres partis".


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