1920

BRUXELLES 1920 ÉDITION DE L’OUVRIER COMMUNISTE

S.-J. RUTGERS

EN RUSSIE SOVIÉTISTE
25 Septembre 1918 – 15 Octobre 1919

1920

Si l’on veut se faire une opinion de la Révolution russe, il faut considérer les événements dans leur rapport historique, c'est-à-dire comme résultats et éléments dans une ligne de développement.

Aucune image photographique, aussi exacte qu’elle soit, ne peut satisfaire, parce qu’il est beaucoup moins important de considérer le résultat atteint à un moment déterminé, que de se rendre compte de la direction de ce développement et de quelle façon il est influencé par les différentes circonstances.

Il faut naturellement tout d’abord tenir compte, outre les conditions économiques et sociales dans l’ancien empire des tsars, de la profonde influence de la guerre mondiale.

Celle-ci avait déjà totalement disloqué et bouleversé la vie économique. Non seulement la révolution de février 1917 n’y a apporté aucune amélioration, mais l’effort criminel pendant la période Kerenski, de continuer la guerre impérialiste avec la bourgeoisie, a mené ultérieurement à une désorganisation générale. Les socialistes bourgeois : Mencheviki et social-révolutionnaires, qui avaient une influence prépondérante au gouvernement, se montrèrent, depuis leur accord avec les capitalistes, incapables de saisir sérieusement un seul problème important.

Les Bolcheviki acceptèrent ainsi l’héritage de biens en faillite : l’armée en complète désorganisation, la grande masse des paysans sans terres suffisantes pour cultiver, avec le grand désir de piller et de détruire les propriétés de leurs oppresseurs : pourquoi respecteraient-ils et cultiveraient-ils les terres tant qu’il n’y avait aucune perspective de protéger la production contre l’avidité des propriétaires et des banques hypothécaires, piliers du gouvernement "démocratique" ? ; la classe ouvrière continuellement en conflit, en pourparlers, en grèves, sans un intérêt dans la production, uniquement remplie d’une haine croissante contre ceux qui avaient livré sa révolution à la bourgeoisie ! Celui qui essaye de se faire une image des circonstances dans lesquelles le gouvernement des Soviets a commencé son travail, devra reconnaître que c’était une tâche en apparence surhumaine.

Nous n’avons naturellement pas l’intention ici d’exposer ces difficultés en détail ou de donner un aperçu général du développement des rapports en Russie.

Il est cependant aussi d’un grand intérêt pour l’Europe occidentale de suivre la modification graduelle des rapports entre les ouvriers et la production, et d’observer toutes les forces spirituelles que la révolution a déjà libérées.

Organisation économique

Le Soviet, moyen de lutte pour la victoire, ensuite organe puissant et directeur de la dictature prolétarienne, tend à comprendre tous ceux qui accomplissent un travail social utile, sans exploiter autrui.

Le mouvement syndical, soit dans sa forme d’organisation de métiers ou d’organisation industrielle, vise autant que possible à comprendre tous les ouvriers. Pourquoi pas une seule organisation du travail. Sur papier cela se construit très bien et semble très simple.

Ici s’impose la nécessité d’une considération historique des faits sociaux.

Certes, le développement, tel qu’il est mis en lumière par la Révolution russe, va dans la direction d’une organisation d’ensemble, mais nous avons autant besoin du passé que de l'avenir. Les organes de la dictature prolétarienne aussi doivent se construire sur ce qui est déjà en germe dans l’ancienne société.

Non pas naturellement sur les institutions du pouvoir capitaliste, pas sur la machine de l’État démocratique-bourgeois, pas sur l’armée capitaliste, sur la justice capitaliste, ni sur la culture bourgeoise toute de mensonge, mais pourtant sur des institutions dont les formes se sont développées sous l’influence du capitalisme.

Ainsi pour le mouvement syndical.

Une petite partie seulement du peuple travailleur y est réunie, pas la grande masse des laboureurs et des paysans pauvres, pas de grandes masses d’ouvriers non qualifiés, ni la majorité des esclaves du bureau, ni les travailleurs intellectuels, ni les soldats, ni la plupart des fonctionnaires, ni les femmes en ménage.

Le mouvement syndical a outre cela un but déterminé, restreint, sous le règne du capitalisme. Il est édifié avec lui, avec sa propre forme gouvernementale, ses comités, ses hommes de confiance, etc. On peut modifier tout cela, les changements vont vite dans une période révolutionnaire, mais pas aussi vite qu’un crayon sur le papier.

De même pour les Soviets, nés de la lutte directe pour la dictature prolétarienne, qui comprenaient déjà avant la révolution, des paysans et des soldats, à côté des ouvriers. Ils avaient comme but immédiat d’exercer une influence sur les affaires générales et ils adoptèrent une forme en harmonie avec ce but. Les Soviets aussi avaient leurs restrictions dans la société bourgeoise, mais ils s’efforcèrent du moins de satisfaire extrêmement vite les besoins d’un puissant organe de direction pour le prolétariat victorieux.

Les masses d’ouvriers qui prennent part à la constitution des Soviets sont actuellement beaucoup plus grandes en Russie que celles qui constituent le mouvement syndical. Mais même si cette différence n’existait pas, on ne pourrait provisoirement pas plus se passer de l’organisation syndicale que des Soviets. Ceci est clairement illustré par les tentatives faites lors de la République soviétique lettonne, et exécutées en partie.

Les Lettons ont joué un grand rôle dans toute la révolution russe.

Ils formèrent avec les régiments des ouvriers de Petrograd les meilleurs troupes de l’Armée Rouge, ils prirent une part active à l’organisation de toutes les institutions, et ils acquirent une grande expérience au début de 1919 lors de la prise du pouvoir en Lettonie. Outre cela, l’agriculture en Lettonie repose surtout sur les ouvriers salariés et Riga était depuis longtemps un des plus intéressants centres industriels. Là, les ouvriers ont décidé que l'élection pour les Soviets (naturellement pas les premiers Soviets qui avaient dû être formés rapidement dans la lutte, sous des circonstances anormales) serait entièrement basée sur l’organisation syndicale. Pour cela, l’organisation syndicale est obligée d’être telle que seuls les membres d’une union syndicale peuvent prendre part à la vie politique et économique.

Lorsque je voulus, par exemple, me présenter comme directeur de la section du système d’irrigation je dus d’abord me faire inscrire comme membre de l’organisation syndicale de la construction. Mais il faut attirer l'attention sur ce fait que même cette marche préparatoire ne peut pas entièrement et immédiatement être réalisée : la vie de la République soviétique lettonne a été malheureusement trop courte pour cela. De plus, d'autres inconvénients y sont liés. L’adhésion des intellectuels et d’autres groupes aux organisations syndicales exerce sur leur caractère vraiment prolétarien et révolutionnaire une certaine influence, qui peut devenir importante, suivant la signification de ces groupes. En Lettonie par exemple, on était obligé d’admettre dans l'Union syndicale de petits entrepreneurs indépendants, qui ne travaillaient pas avec des ouvriers salariés, si on ne voulait pas placer ceux-ci en dehors de la société active, notamment en ce qui concerne le système de ravitaillement.

Tout ceci ne donna dans la société existante aucun inconvénient sérieux, et il me semble aussi que dans des conditions favorables un tel moyen d’action est recommandable.

Pourtant malgré tout cela, personne n’a pensé à renoncer à la constitution de Soviets particuliers. Même si le choix des Soviets était entièrement basé sur le mouvement syndical et si celui-ci comprenait pratiquement tout le peuple travailleur, on ne pourrait provisoirement pas se passer des Soviets.

Néanmoins, malgré cela le caractère plus général de la fonction des Soviets que celle du mouvement syndical subsisterait et poserait d’autres conditions à la forme d’organisation et aux personnes qui en sont chargées.

Pour ce qui concerne la forme d’organisation, l’on considère, dans les deux cas, que la fabrique ou l'atelier doivent constituer l'unité la plus réduite. Pour l’organisation industrielle, cette unité élit un comité de fabrique dont la fonction détermine l'importance (contrôle etc. ; généralement le comité se compose de 5 ou 7 membres). C’est principalement l’industrie qui guide la composition d’autres conseils dont la gradation aboutit à la commission exécutive pan-russe des syndicats.

Par contre pour l’organisation soviétique chaque fabrique élit ses délégués sur la base du nombre d’ouvriers participant à l’exploitation de la fabrique ; on désigne un délégué pour un certain nombre d'ouvriers et à cette fin des fabriques ou des ateliers de moindre importance peuvent se réunir. Il y a, avant tout une réunion de ces délégués dans des Soviets locaux. La composition des Soviets gouvernementaux et pan-russes, qui désignent les commissaires du peuple est essentiellement basée sur ces Soviets locaux. De cette manière les paysans et les délégués d’ouvriers sont mélangés, et on donne l'occasion aux ouvriers qui ne travaillent pas dans les fabriques ou dans les ateliers de participer à la création des Soviets. Ceux-ci ont ainsi, par la forme de leur composition même, un caractère plus général que l'organisation industrielle, tandis que cette dernière conserve, par sa nature même, un caractère plus strictement prolétarien que les Soviets, alors même que ceux-ci excluent entièrement la bourgeoisie.

A ce point de vue aussi il est instructif de suivre dans ses grandes lignes le développement du mouvement syndical en Russie.

Après la révolution de février 1917 les unions syndicales se sont rapidement développées comme organes de combat, et l’influence des Bolcheviki dans ces organes syndicaux a été très forte.

A côté de cela se formaient pourtant déjà les comités de fabrique, qui souvent sans aucun rapport mutuel posaient leur conditions. Dans ces comités de fabrique, outre les travailleurs plus bolchévistes des unions syndicales, des éléments inorganisés et anarchistes aussi avaient une grande influence.

Quand après la révolution d’octobre le principe de la nationalisation fut mis à l’avant plan, ce furent principalement les comités de fabrique qui tout d’abord, sans liens entre eux, procédèrent à l’expropriation de "leur" fabrique. De plus, il arriva souvent qu’avec les capitalistes, les techniciens de valeur furent écartés et l’on mit l’exploitation sous le contrôle direct des ouvriers. C'est ainsi qu’une fabrique de poudre fonctionna pendant deux mois sans ingénieurs ni chimistes, sans faire explosion cependant. En d’autres cas quand, par exemple, les travailleurs ne virent pas la possibilité de se procurer des matières premières, ou quand ils préférèrent travailler la terre, l’usine fut tout simplement fermée ; autant que possible les provisions et le matériel furent répartis entre les travailleurs qui mirent une certaine précision à faire des parts égales. De pareille manière agirent certains équipages, non seulement pour la flotte de guerre, mais aussi pour les remorqueurs et les allèges de la Volga.

Il va de soi que les Soviets, comme représentants des intérêts généraux des travailleurs, s’opposèrent immédiatement, avec force, à cette manière d’agir. En tout premier lieu, cette opposition fut menée par la propagande, l’arme toujours employée et la plus puissante de la république socialiste. Il fut clairement établi pour chacun que la fabrique devait revenir à toute la collectivité et non aux seuls travailleurs de l’exploitation. On donna une forme concrète à ce principe en créant le "Conseil Économique suprême" qui eut des ramifications locales et où à côté des commissaires du peuple, siégèrent des délégués des syndicats et des Soviets.

Toutes les socialisations s’opèrent désormais sous la direction du Conseil économique et l’administration des exploitations est confiée à des commissions ; celles-ci sont composées pour un tiers par des délégués des ouvriers participant à l’exploitation, ou quand il s’agit d’exploitations restreintes de délégués des syndicats locaux ; pour deux tiers de délégués des organes du Conseil économique. Ces derniers sont généralement composés, pour la moitié, d’employés et de techniciens. De cette manière la majorité de la Commission de direction restait aux mains des travailleurs, sans que les ouvriers participant directement à l’exploitation aient sur celle-ci une influence prépondérante. A côté des Commissions d’Administration, les Comités de fabrique subsistèrent et furent élus exclusivement par les travailleurs des exploitations. La tâche de ces comités fut limitée à la défense des intérêts quotidiens des ouvriers et à l’exercice d’un contrôle général. Pendant cette période de la révolution, il exista une tendance voulant diminuer la signification et les attributions des comités dans le fonctionnement des exploitations ; on voulait confier de plus en plus toute la réglementation des affaires aux Commissions d’administration.

Ceci n’était pas seulement une réaction contre le travail sans organisation qui caractérisa les débuts des comités de fabrique, mais était aussi en relation avec le développement syndical général.

L’importance du mouvement syndical, qui sous la conduite des Bolcheviki, avait pris une part considérable dans la lutte pour la Révolution, diminua au commencement.

Les grèves et la lutte pour l’amélioration de la position matérielle n’avaient plus aucun sens par la nature des choses même, puisque les travailleurs eux-mêmes étaient au pouvoir. À leur place apparut la participation directe à toutes sortes de problèmes ; mais cette participation ne s’étendit que graduellement et notamment à la fixation des tarifs de salaires, des conditions de travail etc. ; c’est seulement d’une manière indirecte, par l’envoi de délégués aux Conseils économiques, qu’elle eut une influence sur l’organisation de l’industrie. Au contraire, d’un autre côté, les conseils de fabrique qui purent exercer une influence plus directe sur les rapports dans la fabrique, s’étaient fortement développés.

A beaucoup d’endroits ils formèrent des conseils de comités de fabrique et tinrent un grand nombre de congrès. C’est ainsi que parallèlement deux sortes d’organisations s’établirent et se heurtèrent d’une manière non désirable. Les meneurs des syndicats virent bientôt que cette situation ne pouvait se prolonger, et on s’attacha à une réorganisation. De plus l’organisation des syndicats fut basée sur les exploitations et composée de groupes industriels dans lesquels la fabrique compta comme plus petite unité organique. De cette manière les comités de fabrique devinrent des organismes subordonnés au mouvement syndical général, et furent ainsi soumis au contrôle d’autres organes plus élevés, notamment les gouvernements et les congrès généraux du mouvement syndical. De cette manière, ils perdirent leur caractère particulier et purent collaborer aux problèmes plus généraux. Aussi après la réorganisation, on remarqua une tendance à augmenter à nouveau l'importance du contrôle exercé par les comités de fabrique sur l’administration de l’usine. De plus en plus on désigna des commissions d'administration pour des groupes entiers de fabriques; chaque usine n’eut plus qu’un ou deux délégués qui réglèrent alors l’administration en collaboration étroite avec les comités de fabrique.

Le résultat final fut l’aboutissement à une organisation industrielle comparable à celle qui est préconisée par les IWW en Amérique et dont les "shop-stewards", les "Betriebsräte" et les "Comités d’usines" offrent des modalités en Europe.

On ne doit pas s'imaginer cependant, qu’en Russie ce développement s’est fait d’après une recette uniforme pour toutes les corporations. C’est parce que la Révolution est un organisme vivant sachant s'adapter à toutes les circonstances, qu’elle est forte. Aussi l'influence des comités de fabrique dépend-elle des corporations et du degré de conscience de développement révolutionnaire des travailleurs.

Ainsi par exemple, l'administration de la fabrique de poudres de Schlüsselburg, près du lac de Ladoga, était entièrement au pouvoir d’un comité d’usine élu par les ouvriers.

Néanmoins, un des membres du comité était désigné par le conseil économique en tant que représentant de ce dernier; mais celui-ci était en même temps un représentant élu par les ouvriers de cette industrie.

D’autre part, je prenais connaissance, fin 1918, du cas d’une fabrique de produits chimiques du district du Volga, comprenant une centaine d’ouvriers, dont le comité d’usine avait été dissous ; la direction était exercée uniquement par une commission d’administration.

On justifiait cet état de choses par le fait que le comité d’usine enlevait les meilleurs ouvriers qualifiés, dont on ne pouvait se passer avec un personnel aussi réduit.

Il est intéressant d’étudier de plus près l’administration de cette fabrique de poudre de Schlüsselburg.

Antérieurement, l’usine comptait environ 10.000 ouvriers, mais l’exploitation fut arrêtée complètement sous le régime de Kerensky et ne fut remise en marche qu’après la Révolution d'octobre.

Actuellement, 4.500 ouvriers y travaillent, sans tenir compte de la section dynamite qui ne fonctionne pas par suite du manque de matières premières.

Par contre, on a depuis quelque temps créé une nouvelle section à l'usine, pour la préparation du sucre de déchets de bois, selon le nouveau procédé d'un ingénieur russe. Momentanément, cette section ne produit que quelques milliers de pouds (40) par mois.

De plus, pour faire face à la pénurie de combustible, une partie de l'exploitation de la tourbe et du bois fut prise sous son contrôle direct.

Les ingénieurs attachés à l’usine remplissent le rôle de conseillers techniques, sans responsabilité quant à l'organisation du travail. Au début, nombre d’entre eux marquaient de l’hostilité à cet état de choses Mais lentement, la plupart des ingénieurs trouvèrent leur situation nouvelle préférable à l’ancienne.

Primitivement, les ouvriers mésestimaient le travail des ingénieurs et considéraient que ces derniers ne devaient pas être admis à la première catégorie du ravitaillement. A la fin, ce fut pourtant adopté par la majorité. Progressivement, le travail des ingénieurs fut mieux apprécié, surtout grâce aux bons résultats dans la construction de l’usine et l’installation de nouvelles sections, dûs à leurs connaissances.

En plus du comité d'usine, les questions de quelque importance sont encore discutées dans les réunions hebdomadaires des délégués des différentes sous-sections, réunions comprenant environ 20 ouvriers, à raison de deux délégués par section.

Enfin, toutes les questions intéressantes sont encore discutées par une assemblée générale de tous les ouvriers de l’usine. Ceux-ci appartiennent tous à l’organisation des travailleurs de l’industrie chimique, bien que parmi eux se trouvent un certain nombre de machinistes, de tourneurs et de charpentiers.

Primitivement, la production était tombée de deux tiers et s'élevait à 40 pouds en un temps donné. Avant que la ration de pain n’ait atteint une livre par jour, la production montait jusqu’à 60 pouds, quantité qui, au bout de quelques temps pouvait être produite en 6 heures.

Au début de 1919, on introduisit un système de primes, non pas individuelles mais par groupements, et de telle façon qu’une partie de cette prime pouvait être payée en pain.

Cela était possible grâce à l’existence d’une stipulation qui permettait momentanément à toutes les usines et à tous les groupements d’ouvriers d'envoyer des délégués aux districts producteurs de grains, pour acheter librement, en dehors de l’organisation d’État.

En règle générale, ce grain était réparti entre les ouvriers et les fonctionnaires de ces groupes, et on doit tenir compte de ce ravitaillement non officiel pour se faire une idée exacte du ravitaillement général, ce qu’on ne fait pas habituellement.

Pour la fabrique de poudre en question, ce grain constituait un fonds commun qui permettait de subvenir aux primes mentionnées ci-dessus.

Le résultat de ces primes de pain était très satisfaisant ; la production montait au-dessus de 100 pouds par ouvrier et atteignait un chiffre plus élevé que celui d’avant guerre.

Un chimiste, avec qui je parlais de la nouvelle situation, m’a assuré que les ouvriers, non-seulement prenaient grand intérêt au travail, mais qu’en outre plusieurs s’étaient énormément développés au point de vue technique. On a ouvert un cours chargé de la formation technique des ouvriers de métier, où tous les ingénieurs attachés à la fabrique donnent des causeries.

De plus, il y a des écoles pour les enfants au-dessous de 16 ans, des cours du soir pour ouvriers, une école de musique, des cinémas, et une salle de concerts où des artistes de Petrograd donnent des séances.

Un restaurant moderne dont le mobilier a été réquisitionné dans un des plus beaux cafés de Petrograd, permet à 1000 ouvriers et ouvrières de manger en même temps. 3000 personnes y prennent journellement deux repas. Le reste, cependant, préfère encore la cuisine particulière, bien que leur nombre aille en décroissant et que des mesures étendant les repas en commun soient envisagées. Ce restaurant travaille avec un matériel de cuisine très moderne et parfait au point de vue technique, venant de la célèbre prison de Schlüsselburg. Celui qui ne prend pas ses repas au restaurant commun reçoit des vivres de la coopérative, qui distribue également, fût-ce en petites quantités, les vêtements et autres fournitures reçues de Petrograd. Toutes ces institutions sont dirigées par le comité de fabrique.

Il importe que nous rapportions quelques décisions qui ont été prises par le comité de fabrique et l’assemblée générale des ouvriers. Ainsi en août 1919, il fut décidé de réduire la ration de pain de 1 livre à 3/4 de livre pour la première catégorie et de 3/4 à 3/8 de livre pour la deuxième catégorie par suite de difficultés générales dans la distribution des vivres et malgré qu’il y eut encore des approvisionnements à la fabrique.

Une décision plus encourageante encore fut celle d’arrêter momentanément la fabrique pour ne pas épuiser les provisions de benzine.

A l’origine, la fabrique travaillait principalement à la benzine, et il y avait de grandes provisions de ce combustible dans les tanks de la fabrique. Lorsque l’importation de Bakou fut interrompue, la question des approvisionnements en benzine se posa avec acuité dans toute la Russie pour l’industrie et les moyens de transport pour lesquels l’emploi de ce combustible est indispensable. On proposa simplement d'arrêter provisoirement le travail et de pousser les travaux nécessaires aussi rapidement que possible. Il en résultait pour les travailleurs un chômage et la nécessité de se contenter d’une indemnité partielle. Cette proposition rencontra une forte opposition mais des pourparlers et l’envoi de quelques propagandistes de Petrograd réussirent à persuader les ouvriers et à faire adopter la décision à une très grande majorité.

Je donne l'exemple de cette fabrique de poudre parce que cela fournit, mieux que toutes sortes de généralités, une image vivante de la réalité, et aussi pour montrer que l’on peut attendre de bons résultats de l’influence des ouvriers sur la direction de la fabrique. Il ne faut pas perdre de vue que l’estimation semestrielle qui règle la production dans les différents domaines, et fixe le côté financier de l’entreprise doit être approuvé par le conseil supérieur économique de Moscou, ce qui établit la liaison avec l’ensemble de la production.

Dans l’industrie textile également règne déjà sur une grande échelle l’accord entre les comités de fabrique et on peut dire que l’on est arrivé à un système de collaboration étroite entre les ouvriers et le Conseil Économique qui empêche tout conflit entre les comités de fabrique et la commission d’administration.

Il existe bien dans l’industrie textile des commissions d’administration, instituées d’ordinaire pour un groupe de fabriques, mais les commissions sont ou bien choisies, ou bien approuvées par les syndicats. Dans la pratique, les choses se passent d’habitude ainsi : d’abord, un membre du Conseil Économique et les ouvriers des fabriques intéressées échangent leurs vues au sujet de la meilleure façon d’instituer cette commission administrative. Puisses ouvriers intéressés émettent leur vote et enfin, le Conseil Économique doit approuver la composition de la commission. Si le Conseil se plaint de ce que les ouvriers inclinent trop à donner des postes de confiance aux anciens dirigeants de la fabrique, un nouvel échange de vues a lieu et de cette façon, dans la pratique, on arrive assez facilement à une solution.

Une telle réglementation paraîtra incompréhensible à beaucoup. Nous sommes tellement habitués à soumettre tout à de grands règlements uniformément appliqués, que nous ne pouvons nous imaginer un organisme vivant où le raisonnement et l’expérience jouent un rôle principal.

Il est intéressant aussi de voir par qui ces commissions d’administration sont finalement composées. Dans la seconde moitié de 1919 il y avait au total 50 commissions semblables dirigeant 543 fabriques textiles nationalisées. 300 membres siégeaient dans ces commissions, parmi lesquels 93 ouvriers du textile et 61 autres ouvriers, 49 personnes d’administration (commis, comptables etc...) et 105 techniciens et ingénieurs. De tous ces membres, 102 étaient communistes, 27 aspirant- communistes et 128 indifférents. Les autres appartenaient à divers autres groupes politiques ou n’avaient pas donné d’indications.

En ce qui concerne l’éducation de ces membres, une enquête montra que 168 n'avaient reçu qu’une instruction primaire, 32 une instruction moyenne, 58 une instruction supérieure, 14 une instruction technique, 13 s’étaient instruits par eux-mêmes. Des 1 1 membres du comité central qui dirige toute l’industrie, il y avait un seul ingénieur, un comptable, et tout les autres étaient des ouvriers.

Il va de soi que la nationalisation ne put être réalisée que graduellement ; au début un contrôle fut seulement exercé sur les métiers qui d'ailleurs furent continués sous conduite.

On admit comme règle que les métiers les plus importants et les plus modernes devaient, pour la nationalisation, entrer les premiers en ligne de compte et que, de plus, les métiers dont les vieux dirigeants montraient de la mauvaise volonté ou de l’inaptitude devaient s’adapter aux circonstances nouvelles.

C’est ainsi qu’il n’y avait en octobre 1918 que 12 textiles nationalisées; en février 1919 il y en avait 17 et en octobre 1919, 543 déjà. Cela signifie qu’à ce moment sont nationalisées : 98 % des filatures de coton et 75 % des tissages de coton; 86 % des filatures de laine, 100 % des filatures de lin... etc.

En dehors des 543 textiles nationalisées il y a 307 fabriques sous l’administration de détachements gouvernementaux du Conseil Économique ; 165 fabriques de moindre envergure, bien que fermées, sont en état de fonctionner ; de telle sorte que la commission centrale des textiles du Conseil Économique étend son activité à 1015 textiles.

A cause du manque de matières premières et à cause du ravitaillement en nourriture, toutes les textiles furent fermées pendant les mois d’été de 1919, ce qui permit aux ouvriers de prendre part à la moisson. Certains furent spécialement chargés de préparer les provisions de nourriture des ouvriers textiles et de rassembler du bois pour la campagne d’hiver. D'autres restèrent sur place pour l’entretien nécessaire et les réparations.

Au 1er octobre 1919, 29 fabriques de lin, 51 de coton, 57 de laine, 5 de soie, 13 de chanvre, 7 teintureries, et 34 fabriques de tricotage étaient déjà rouvertes. Leur nombre alla régulièrement en croissant.

De plus, le 10 octobre le 1er train de coton arriva du Turkestan : l’armée rouge l’avait laissé passer. En octobre 1919 il y avait encore une provision de 5.000.000 de pouds de lin, ce qui fut jugé suffisant pour un an.

Pour la laine également une suffisante importation était assurée.

Pourtant la question des matières premières et surtout du combustible restait un problème encore très difficile parce que le transport, venant du Turkestan, par chemins de fer, sans la disposition de la Mer Caspienne, offrait beaucoup d’inconvénients. La production de coton au Turkestan même était tombée, en 1919, de 9.000.000 de pouds à 5.000.000, mais après la conquête il fut pris des mesures immédiates pour intensifier à nouveau la production.

Sous la poussée du manque de coton, on trouva, par les moyens de la chimie et de la biologie, de très importantes inventions pour rendre le lin apte à être travaillé sur les machines à filer le coton. Ces procédés furent améliorés de plus en plus et furent rendus entièrement pratiques. A une exposition de produits textiles et leur préparation, je vis une collection complète de ces échantillons. De plus il y eut des simplifications dans le nombre de patrons et de variétés et on obtint de bons résultats dans l’utilisation des déchets. Le nombre d’emplois pour la gestion générale et l’administration fut, d’environ 30.000 ramené à 5.500.

Ainsi des difficultés naissent les inventions et les améliorations. J’attire encore l’attention sur le nouveau procédé de la préparation du sucre. Sur le terrain des succédanés comme par exemple pour le thé et le café, on obtint d’assez bons résultats. Une invention d’une étendue plus large est encore celle ayant trait à l’exploitation de la tourbe. A 60 km de Moscou, dans la Centrale électrique Provodnik (qu’on agrandit encore d’une nouvelle turbine à vapeur) où l’on ne brûlait que de la tourbe, on a rendu pratique la préparation hydraulique de la tourbe. On la mélange à l’eau et on la transporte au moyen de pompes et de conduites. L’inconvénient était que l’eau restait liée à la tourbe de façon si étroite qu’on ne pouvait la faire disparaître que par le séchage. On a maintenant découvert que, par l’emploi d’eau artésienne d’une certaine " dureté „ comme on peut en avoir directement de beaucoup de puits, la force d’attache de l’humus à l’eau est surmontée et qu’on peut en venir à bout par des presses mécaniques.

Cela va révolutionner entièrement cette industrie, d'autant plus que maintenant au lieu de quelques mois par année, on pourra travailler la plus grande partie de l’année à l’extraction de la tourbe.

Les résultats obtenus par les essais faits en vue d’employer la poudre de charbon finement moulu au chauffage des locomotives ne sont pas moins remarquables. Quoique les disponibilités en charbon fussent réduites et que le nombre de locomotives ne fût pas trop grand, une locomotive fut consacrée et adaptée à ces essais pratiques.

Ces essais sont dirigés par l’Institut pour les expériences créé à Moscou pendant la révolution. Cet institut est installé pour permettre l’étude microscopique des métaux aussi bien que pour la détermination expérimentale de la puissance de locomotives entières et l’enregistrement de la tension et du tremblement des grands ponts de chemin de fer. Un ouvrier se trouve à la tête de cet institut, tandis que naturellement nombre de professeurs y sont attachés. Pendant que celui-là me pilotait, il me paraissait être tout à fait à la hauteur de sa tâche. Il avait aussi une large conception de la liberté du travail intellectuel. Les savants qui poursuivaient des études déterminées pouvaient travailler chez eux ou dans des bibliothèques plusieurs jours d’affilée sans aucun contrôle et sans aucune obligation. Les relations avec les professeurs attachés à cet institut étaient aussi très bonnes.

Toutes ces inventions rencontrent actuellement en Russie une grande considération, et malgré les lourdes charges matérielles qu’elles entraînent, leur préparation technique et leur développement sont largement soutenus. Cela a contribué à rendre sympathique au pouvoir des Soviets les meilleurs des éléments intellectuels.

Prise dans son ensemble, l’attitude des intellectuels est décevante. Il est notoire que dès le début ils ont refusé le travail en masse et pratiqué ouvertement le sabotage. Cette méthode ayant échoué les fonctionnaires furent bien forcés d’offrir leurs services, mais cela ne supprima pas encore le sabotage et le freinage. Même les ingénieurs et autres éléments qui n’étaient pas des ennemis directs pouvaient difficilement s’adapter aux conditions d’une dictature ouvrière. Il va de soi que là où les travailleurs l'emportent, il naît un tas de petits et grands inconvénients dans la vie particulière de ceux qui sont habitués à un certain luxe. Je veux parler du rationnement des logements, de la difficulté de se procurer des articles dont l’ouvrier n’a pas besoin (ce qui fait qu’on en relègue l’approvisionnement au dernier plan), etc.

Toute la vie petite-bourgeoise domine tellement les activités matérielles et spirituelles des intellectuels de rang moyen, qu’ils ne peuvent pas s’y soustraire. La difficulté principale réside dans la modification des rapports personnels entre intellectuels et ouvriers. Un ingénieur, par exemple, habitué à diriger et à commander les travailleurs d’après un plan fait par lui-même, peut très difficilement s’accoutumer à la critique des ouvriers, parfois à leurs exigences. Et cela d’autant plus que les ouvriers prendront des mesures que l’ingénieur sait devoir conduire à des moins bons résultats. Ceci est essentiellement inévitable et amène des intellectuels sympathisants à prendre une attitude de sourde opposition. Le nombre des intellectuels qui peuvent atteindre cette conception qu’en période révolutionnaire non-seulement le vieil appareil d’état mais aussi les vieux rapports économiques, sociaux et techniques doivent être détruits, est malheureusement très restreint. Dans la révolution russe, et le même cas pourra se présenter dans les autres révolutions prolétariennes, la classe moyenne des intellectuels comme telle joue un rôle contre-révolutionnaire ; c’est là un fait qui agit politiquement dans la trahison des vieux partis socialistes.

Lorsque j’étais inspecteur principal des voies navigables, j’avais constamment l’occasion d’apprécier les opinions et le travail de nombreux ingénieurs. Je prétends qu’il y avait parmi eux plusieurs ingénieurs de valeur qui s’étaient déjà adaptés aux conditions nouvelles. Il est clair également que de nombreux problèmes techniques se présentaient dont la révolution devait être attrayante pour un ingénieur. Et malgré cela, les résultats étaient très peu satisfaisants. Bien que le Conseil supérieur de l’Économie donnât aux "spécialistes" des salaires extraordinaires, bien plus élevés, par exemple, que ceux des commissaires du peuple, dans mon département ils fournissaient peu de travail utile. Il régnait chez eux une apathie fortement en opposition avec la vie bouillonnante et l’infinité de problèmes qui agitent les ouvriers.

Les résultats furent meilleurs à mesure que les ingénieurs vinrent en contact direct avec les ouvriers, lis furent le plus satisfaisant sur les chantiers et dans les fabriques où le contrôle direct par les ouvriers peut le mieux être atteint.

Au contraire de nombreux bureaux centraux formés en majorité d’intellectuels et d’anciens fonctionnaires, où le service est défectueux, on peut citer le commissariat du travail comme un des meilleurs. Ce commissariat est pratiquement dominé en entier par les organisations syndicales et, à quelques rares exceptions près, toutes les fonctions sont occupées par des ouvriers. Son ressort s’étend non seulement à la protection du Travail, mais aussi à sa répartition dans toute la Russie, comme à la statistique du Travail. Ce commissariat se distingue par son manque total d’encroûtement bureaucratique. Vingt ouvriers environ suffisent à la direction générale à Moscou. En juillet 1919, quinze étaient mobilisés à cause des difficultés du front méridional de sorte que le service surhumain de la direction générale reposait sur cinq hommes seulement. Ceci montre les formidables difficultés que crée également dans ce domaine la situation militaire.

La question du chômage qui au commencement fut un des grands problèmes que le commissariat du Travail eut à résoudre, montre de quelle manière les situations se modifient constamment en Russie Soviétiste. Depuis la seconde moitié de 1919, la question du chômage a disparu comme difficulté générale et il existe au contraire, une pénurie de forces de travail.

Aussi essaie-t-on d’amener des travailleurs de la terre dans les villes, en leur allouant des gratifications financières pour le déménagement, le voyage etc. Pour une seule fabrique on ne recrutait, de cette manière, pas moins de 3.000 travailleurs. Cette pénurie de travailleurs est évidemment en partie une conséquence des mobilisations, en partie du fait qu’une grande quantité de travailleurs participent aux fonctions de direction et d’administration.

Cependant, le transfert de beaucoup de travailleurs des villes à la campagne, par suite du mauvais approvisionnement des villes, à exercé une grande influence sur cette situation. Cela fut surtout exécutable parce qu’un grand nombre de travailleurs avaient conservé leurs relations au village ou du moins avaient conservé quelque connaissance du travail des champs.

Ce fut à Petersbourg que l’on put le mieux suivre ce mouvement ; il y fut encore renforcé par un déplacement partiel des corporations. Au 1er janvier 1913, 194.212 ouvriers y étaient occupés dans les usines de plus de 100 personnes. Pendant la guerre, on y comptait au 1 janvier 1917, 403,376 travailleurs, mais après, le nombre tomba à 124.071 en décembre 1918. Par la nature des choses, ce déplacement fut très favorable au développement des campagnes, où les soldats revenus du front suscitèrent une vie nouvelle et un intérêt croissant aux problèmes généraux ; cet intérêt était favorable à la propagande étendue d’à présent.

Le commissariat du Travail a un organe général, et de plus 4 publications particulières pour les sections les plus importantes ; parmi ces publications se trouve un organe très important : la statistique du travail. Mais, tous les grands syndicats ont presque sans exception leur propre organe, et presque tous sont rédigés dans un sens communiste. Seul l'organe des typographes était ouvertement menchevik, et celui des travailleurs des industries chimiques adoptait une sorte de position neutre.

Pour tous ceux qui ont pris l’habitude de parler de dictature d’une minorité, il doit paraître incompréhensible que dans tous les grands syndicats, la direction se trouve et reste aux mains des communistes alors que la situation matérielle inspirerait le mécontentement. On constate le même phénomène dans les Soviets, et non seulement dans ceux de Moscou et de Petersbourg. Dans les élections récentes de Symbirsk, sur la Volga, il fut élu 80 % de communistes ; même à une élection faite à Petersbourg en octobre 1919 par des membres de coopératives, 50.000 électeurs désignèrent 144 communistes sur 166 délégués. Cela provient en partie de l’excellente organisation des communistes, qui se présentent comme unité et avec un programme précis. Mais c'est principalement le résultat de la logique des faits. Les partis d’opposition sont divisés, ils n ont pas de programme à opposer à celui des communistes et ils doivent même reconnaître que seuls les Soviets conduits par les communistes offrent la seule possibilité de résistance à la contre-révolution. Les communistes disposent de formidables moyens de propagande et ils réussissent presque toujours à convaincre leur auditoire prolétarien par leur logique inflexible. Régulièrement cela leur réussit également quand l’assemblée se compose en majeure partie de paysans, et si le nombre de propagandistes instruits était encore plus grand qu’il n’est maintenant, les difficultés dans les campagnes pourraient incontestablement être vaincues plus rapidement.

Les rapports avec les paysans, principalement dans la Russie du Sud, constituent probablement le problème le plus difficile du gouvernement des Soviets. L’essai d’administration de la commune à l’aide de commissions de paysans pauvres est abandonné et momentanément on se contente d’écarter, autant que possible, les petits Soviets de village, les trafiqueurs de village et les paysans riches. On rejette généralement les mesures d’oppression exercées dans la formation de communes et l’on adopte généralement une attitude plus conciliante envers le paysan moyen ; on évite, autant que possible, les réquisitions. Il semble qu’une appréciation générale des résultats donnés par les communes, n’est pas encore possible. Elles croissent en nombre et recrutent en majeure partie leurs partisans parmi les paysans pauvres et les ouvriers des villes. Les Soviets les favorisent en leur procurant des instruments de travail, des semences, en y répandant l'instruction scientifique etc. ; on assure qu’en de nombreux cas des résultats favorables ont été atteints. Les terres que l’on ne dut pas donner en exploitation aux paysans pauvres, sont cultivées, dans leur ensemble par des ouvriers qui ont un salaire fixe et participent également aux avantages de la prévoyance, en cas de maladie, de chômage etc. Dans ce cas, l’administration est réglée d’après l’exemple des fabriques. Il a semblé, cependant, que les comités comparables aux comités de fabriques, exercent généralement peu d'influence sur les métiers agricoles.

Dans les derniers temps, l’on fit des efforts, dans le voisinage des villes ou des fabriques, pour soumettre l’administration de ces terres au contrôle des travailleurs des villes et des fabriques, auxquels revient alors le surplus des produits. Il est possible qu’il se trouve là le germe d’une tendance qui rapprochera la terre de la ville, car souvent déjà maintenant les travailleurs des fabriques participent à la récolte.

Il va de soi que ces terrains sont, le plus possible, cultivés à la machine et que le manque de ces machines occasionne un grand obstacle à un développement plus étendu. Une difficulté dont on n’a pas encore trouvé la solution, réside dans le fait que les paysans ont rassemblé de grosses sommes d’argent pour lesquelles ils ne peuvent acheter aucun produit. Cela rend, en tout premier lieu, excessivement difficile d’atteindre à la réorganisation monétaire, parce que, nécessairement, les paysans s’opposeront à toutes dispositions pour la confiscation du papier-roubles. De plus le lien naturel entre la ville et le village est bouleversé.

Les paysans essayent tant bien que mal de pourvoir à leur propres besoins, ce qui est encore facilité par la présence à la campagne d’ouvriers d’industries. Dans ces circonstances la livraison d’aliments à des prix normalisés est considérée, comme une charge unilatérale. Une meilleure compréhension ne sera d’ailleurs possible que quand l’industrie sera capable de fournir en abondance au village ce dont il a besoin. Et cela ne pourra être atteint que lorsque l’état de guerre sera aboli.

Quand on juge le développement de la Russie on doit toujours tenir compte de cet état de guerre comprenant des milliers de kilomètres de front. Dans la mer de sang, sans fond, disparaissent les jeunes vies de nos meilleurs compagnons révolutionnaires : les régiments d’ouvriers de Petrograd et d’ailleurs qui s’emparent des positions les plus dangereuses, régiments qu’on ne parvient pas à détruire parce que, toujours, des nouveaux combattants viennent prendre la place des camarades tombés. Mais les produits qui auraient dû rebâtir la vie économique disparaissent aussi. L'armée rouge doit, en tout premier lieu être ravitaillée et, dans les à-coups changeants des opérations, de grandes quantités de provisions sont perdues, de ce qui avait été assemblé avec tant de soins. L’industrie doit produire des canons, des fusils, des munitions, etc., au lieu de faux, de haches, d’instruments aratoires. Mais par-dessus tout le transport est complètement bouleversé, ce qui rend excessive la difficulté d’importation des matières premières et le partage des produits.

Des 19500 locomotives en Russie (Sibérie et Ukraine comprises) il y en avait aux mains du Gouvernement des Soviets, au début de 1919, 8989 dont 1112 en réparation. Cet état de choses, vu l’étendue restreinte à ce moment des territoires soviétiques, — était difficile mais pas, en soi, catastrophique. Quant aux wagons la situation était celle-ci : des 260.000 il y en avait 44.000 hors d’usage à cause de détériorations. La situation en locomotives s’améliora progressivement, dans le courant de 1919, soit par la fabrication de nouvelles locomotives, soit encore par la réalisation de grandes réparations. Mais l’usure s’accroît encore plus rapidement et l’appui de l’industrie étrangère serait certainement hautement souhaitable, même si la Russie ne devait pas diriger une aussi grande partie de son énergie vers la guerre.

Avec une organisation convenable dirigée exclusivement vers des besoins de paix, on pourrait encore aller assez loin avec l’actuel matériel des chemins de fer. Mais que se passe-t-il ? Non seulement les moyens de transport sont réservés, en grande partie, pour l’approvisionnement des armées avec tout le nécessaire pour une guerre moderne, mais la façon de conduire la guerre rend le problème encore étrangement compliqué. A peine la force des Soviets s’est-elle concentrée sur un des fronts pour y repousser une attaque menaçante, qu’un autre front attire de nouveau toute l’attention. Sans aucun doute de telles attaques sont systématiques.

Ce que les gouvernements démocratiques d’occident souhaitent — maintenant qu’ils ne sont pas en état d’intervenir par la force militaire — c’est l’épuisement et la désorganisation. C’est dans ce but qu’ils dirigent leur intervention vers l’appui de généraux bandits ou d’états limitrophes. Ils y trouvent encore, en plus, l’occasion de tromper, comme toujours, leurs ouvriers.

Mais quoi qu’il en soit, le déplacement constant d’armées, avec tout ce qui en dépend, d'un front à un autre, comme par exemple du Sud vers la Sibérie ou Saint-Pétersbourg, réclame des chemins de fer, des exigences incroyables.

Ceux-ci sont, presque partout, à simple voie et le réseau est si ténu qu’on doit, en règle générale, faire de grands détours et qu’on doit diriger le trafic sur quelques grands points de croisement. Le transport ordinaire doit donc naturellement laisser passer les transports militaires et le bouleversement général n’est presque pas à éviter. A cela on doit encore ajouter que les puits de charbon du Donetz sont en possession de l’ennemi et à peu près entièrement détruits, cependant que l’importation de pétrole de Bakou est toujours coupée. Où l’on employait autrefois le charbon et le pétrole comme combustible, il faut aujourd’hui se servir du bois. Le bois prend donc beaucoup de place dans le transport, surtout que les locomotives doivent de nouveau consommer du bois. Et c’est ainsi que au moins la moitié de tout le transports sur chemin de fer est réservé au transport du bois.

La guerre a aussi une influence extrêmement marquée sur les autres moyens de transport. Par ce que les besoins de l’armée doivent primer, les automobiles disponibles sont en nombre insuffisant pour les différents services de direction, des transports des blessés et de la poste. Les aéroplanes sont presque exclusivement retenus et utilisés pour l’armée.

Les chevaux sont enlevés à l’agriculture et il n’y en a pas assez même pour le transport du bois. Le transport par eau est également très entravé par la guerre. L’artère principale du trafic, la Volga, était à tout moment le but d’offensives partant de chaque camp et chaque fois encore une partie de la Volga était front de combat.

Quand on tient compte de toutes ces circonstances il est tout simplement merveilleux que la république des Soviets se soit non seulement maintenue plus de deux ans. mais ait pu se fortifier intérieurement jusqu’à un tout solide, de telle sorte que ses ennemis jurés les mencheviks et les social-révolutionnaires mêmes se soient mis officiellement à son service pour la défense de la révolution. Et devant ce qui, dans de telles circonstances, a été atteint au point de vue économique et d’organisation, tout prolétaire devrait tout de même rassembler enfin assez de confiance en soi, nécessaire pour prendre en mains son sort. Maintenant en Russie le grand problème est de rehausser la productivité, non pour le gain, mais pour la consommation propre ; pour cela on doit briser un cercle vicieux : pour élever la capacité de rendement de l’industrie on a besoin de nourriture et de produits du sol, pour avoir ceux-ci on doit donner aux paysans, en échange, des produits de l’industrie. Pour sortir de la difficulté il y a deux moyens. On doit éveiller chez les paysans tant de confiance qu’ils consentent à échanger des produits contre de l’argent des Soviets, cela veut dire, contre la promesse que cet argent sera ré-échangé contre des produits d’industrie, et on doit pousser la productivité dans les métiers malgré la famine et l’épuisement. La confiance du village a été au début, souvent contrariée par des mesures maladroites. En cela, des améliorations sont venues et l’on ne combat plus maintenant que contre les riches paysans et les spéculateurs, et on dépense beaucoup de soins et de propagande pour le relèvement moral de la campagne.

En ce qui concerne la productivité dans les fabriques, il est démontré expérimentalement dans un certain nombre de cas, que, avec suffisamment de nourriture, de produits du sol et de combustible, on peut dépasser l’ancienne puissance de production.

On peut considérer, en gros, comme juste, l’affirmation du Commissaire du peuple Krassine qui prétend que ce résultat peut être atteint en trois mois dans les circonstances énoncées et pour n’importe quelle industrie. La possession de combustible et de produits agricoles est encore une fois une question de ravitaillement.

Pourtant l’approvisionnement en nourriture s’améliore progressivement. Durant la deuxième année de la révolution il a été distribué par les organismes gouvernementaux de distribution trois fois autant de produits que durant la première année, et l’on s’attend à pouvoir quadrupler ce chiffre pour la 3me année. Maintenant les coopératives ouvrières, les coopératives neutres et la distribution gouvernementale sont en train de se réunir pour la répartition des produits, en un grand organisme, ce qui donnera lieu à économie. Mais on ne peut tout de même pas attendre, la production doit monter malgré le trop peu de nourriture.

On a obtenu quelques résultats par l’introduction de primes, à convertir si possible en produits utiles. Sous la direction d’un ingénieur américain, un assistant du célèbre Taylor, on tente d’appliquer la partie de ce système qui cherche à écarter les mouvements et les dépenses inutiles dans la fabrication et d’obtenir, avec le moins possible d’usure et de difficultés physiques et techniques, la plus grande production.

Un moyen pourtant qui promet plus et qui est sorti spontanément des ouvriers révolutionnaires est celui connu sous le nom des "Samedis Communistes"

Le principe des samedis communistes est que, pour vaincre les difficultés momentanées, on travaille gratuitement les après-midis et les soirs libres du samedi, souvent pendant 6 heures.

Les communistes russes sous les circonstances les plus défavorables, y vont de leur propre corps pour l’élévation de la production. Mais c’est seulement quand cela est nécessaire pour le renforcement de la révolution et non pas, comme on l’exige des ouvriers de l’Europe occidentale, pour l’affermissement de la réaction. Mais cette différence porte bien son cachet dans toute l’exécution. En premier lieu, ce sont les communistes qui se présentent pour ce travail et qui entraînent graduellement les autres. Ce n’est pas la continuation sans goût d’une tâche monotone ! Le travail se concentre sur des points où le travail est, pour la généralité, de signification immédiate et spéciale. Y a-t-il un embouteillage dans la circulation des marchandises dans les gares, et les wagons sont-ils aussi nécessaires que le pain ? Immédiatement une colonne est créée et en un rien de temps les wagons sont libérés ainsi que la circulation. Cette aide est donnée sans se soucier du métier individuel : aussi bien par l’employé des Soviets et le propagandiste que par le travailleur manuel et l'homme de métier. "L’internationale" retentit et il se produit une noble émulation pour établir un "record". Ceci terminé, tard le soir, on va souvent ensemble au club le plus voisin (club installé dans quelque habitation réquisitionnée de millionnaire) pour y prendre le thé et causer. Et comme résultat : une productivité par homme et par heure 2 à 3 fois aussi grande que celle atteinte pour le travail au salaire, nonobstant les nombreuses forces non entraînées et nonobstant la mauvaise alimentation.

Avec raison, Lénine a attiré l’attention sur la grande signification de cette institution nouvelle, le travail volontaire, avec une discipline qu’on s’est imposée, dirigé par tous pour tous, avec la seule ambition de réaliser vite et bien le nécessaire. Pas de spécialistes monotones, pas de ronds-de-cuir fats et vides, mais du travail alerte et libre agrémenté de blagues et de chants. Les Samedis Communistes se maintiendront-ils et s’étendront-ils à toute l’industrie, à tous les jours de la semaine ? Avons-nous ici à faire à l’embryon du nouveau travail qui révolutionnera et maîtrisera toute la vie sociale ? Il est certain que la révolution russe est riche en possibilités créatrices et que c’est en cela que réside sa force, son invincibilité, — indépendamment des événements extérieurs.

Déjà au premier congrès des Conseils Économiques, Lénine fit remarquer que le Soviet, en tant qu’instrument de la dictature des ouvriers, diminuera à la longue de signification, pendant que la force du prolétariat s’établira et que les Conseils Économiques qui organisent et maîtrisent directement la vie économique, apparaîtront probablement comme la création la plus durable de la révolution. Depuis lors l’organisation syndicale remaniée ou mieux l’organisation des métiers prend une part toujours plus grande dans l’administration générale ; et son développement montre qu’elle maîtrisera à son tour directement et de plus en plus les Conseils Économiques. Quelques-uns voient dans la libre organisation du travail, comme c’est le cas des Samedis Communistes un nouvel élément encore de la société future, et les vrais enthousiastes du "Proletcult" (organisation pour l’expansion de la culture prolétarienne) ne font que rêver qu’il encercleront toutes les fonction économiques, sociales et spirituelles dans une unité supérieure : l’unité du travail, de la science et de l’art. Ils voient alors dans le principe de l’école unique du travail, étendu aussi à la science supérieure et à l’art nouveau à baser sur le travail, étendu à toute la vie sociale, les noyaux pour l’organisation d’une vraie vie sociale communiste.

Cela montre la merveilleuse souplesse du régime soviétiste, qui au milieu de tant d’obstacles matériels assure le vrai développement à tous ces courants spirituels et à ces différentes formes d’organisation.

Facteurs spirituels

Il est naturellement hors de doute que l’approvisionnement matériel n’est pas encore satisfaisant, bien que l’on doive tenir compte du fait qu’avant la guerre la famine n’était pas rare et que la pénurie d’alimentation était la règle pour les ouvriers. On aurait pu s’attendre cependant à ce que les ennemis du prolétariat qui aiment tant faire ressortir que sa lutte se mène exclusivement pour des buts matériels, respectassent l’aspect spirituel et idéal de la Révolution.

Le contraire se présente naturellement et la plus immonde campagne de calomnie indique que la lutte des classes ne se mène pas avec moins de violence sur le terrain spirituel que sur le terrain matériel.

Mais il faut constater ce fait : la puissance de résistance incompréhensible des masses russes repose avant tout sur des causes spirituelles.

Si la vie est encore supportable, cela provient de la tension spirituelle qui caractérise aussi bien les ouvriers que les grandes masses de la population paysanne. C’est ainsi qu’un journaliste bourgeois, correspondant du "Chicago Daily News" qui visita diverses parties de la Russie pendant la 2ème moitié de l’année 1919 me fit part de l’étonnement qu’avait suscité chez lui la connaissance des rapports de la politique étrangère dont des ouvriers de contrées isolées faisaient preuve. Souvent déjà on a montré que des quantités formidables de littérature disparaissent dans la masse comme neige au soleil ; d’un autre côté la quantité de soirées de lectures, de réunions, de cours et conférences ne peut être évaluée. Ajoutons à cela que l’art, le théâtre, la musique sont mis à la portée de tous, et alors il devient clair que les travailleurs mal nourris et chauffés ont cependant déjà à défendre des bien très positifs.

Seul le fait que l’on dispose de son propre sort, que l’on a sa part de responsabilités dans des problèmes considérables, que par ses actes on exerce une influence prépondérante sur les événements mondiaux, sur la révolution mondiale, remplit tellement les esprits que les privations matérielles deviennent supportables de ce fait.

Ce n’est pas par hasard, qu'une si grande partie de l’énergie dont dispose la république soviétiste est consacrée aux mesures intellectuelles, à la propagande, à l’instruction populaire, à l’éducation, à l’art. D’ailleurs, ces initiatives du gouvernement soviétiste ne peuvent être regardées séparément. De même que le principe du travail anime l’institution de l'école unique, de même la propagande anime toute la vie publique et l'art est relié à la propagande. Oui, toute la vie de la puissance soviétiste, tant de l’organisation de l’industrie et de l’agriculture que de l’armée rouge, repose en tout premier lieu sur la propagande dans le sens le plus large.

Nous pouvons prendre comme exemple l’armée rouge qui apparemment est bien le plus éloigné de cette unité spirituelle. Certes, il y a à l'armée rouge une discipline serrée et l’emploi de moyens de force et de contrainte y est plus fréquent que dans n’importe qu’elle autre institution soviétiste. Mais pour quiconque n’a pas de préjugés, il est clair qu’une telle armée ne peut être dirigée par la force brutale.

Là aussi, c’est la propagande qui produit des merveilles. A la tête se trouve Trotzky, qui, avec son train spécial dans lequel se trouve une imprimerie et toute une section pour la propagande, la distribution de littérature, publication de journal etc, se rend à de nombreux fronts, à côté de ses entretiens militaires il y multiplie ses discours qui y jouissent d’une immense popularité.

Et sous lui, toute une armée de "commissaires politiques" qui, dans chaque unité, sont responsables du moral des soldats rouges. De quels moyens dispose-t-on, pour cela ? Tous les propagandistes, les organisateurs, etc. doivent toujours, en premier lieu, se mettre à la disposition de l’armée rouge. Il y a une légion de conférences, de cours, de représentations théâtrales, de bibliothèques roulantes, d’expositions, de cinémas, etc.

On essaye toujours de montrer au soldat le but pour lequel on fait la guerre et si, ici et là, il y a du mécontentement, on réussit toujours à ramener la confiance. Les mêmes méthodes de propagande et d’éducation sont aussi employées dans la vie politique et économique. On ne s’étonnera donc pas si, au point de vue éducation, art et science, il en est sorti de nouveaux principes d'unité. Le principe de l’école ouvrière unitaire a déjà été traité plusieurs fois et est connu, dans les grandes lignes, par les écrits de Lounatcharski. Il est évident que, dans les circonstances actuelles, on n’est encore parvenu que très partiellement à réaliser ces principes. Le fait qu’on a maintenant de 2 à 3 fois autant d’écoles qu’avant la révolution est en lui-même des plus éloquent. Mais il faut avoir vu comment le principe est mis en pratique et les efforts tentés dans cette direction ; on doit avoir parlé avec ceux qui réalisent pour évaluer quelles possibilités formidables sont ouvertes dans cette voie. Je reviendrai là-dessus une fois ou l’autre : Je me contenterai de citer ici un seul chiffre pour mettre en lumière ce qui est atteint, non pas sur papier, mais en réalité. Je prends comme exemple le premier rayon de St Petersbourg et me servirai des chiffres de mi-1919. On doit tenir compte que Saint-Pétersbourg compte 12 rayons. Le premier rayon est plus grand que la moyenne et on pourra se faire à peu près une idée des chiffres pour toute la ville en multipliant par huit. Dans le district dont je parle il y avait 81 écoles pour 300 à 400 élèves de 7 à 14 ans, 47 écoles pour 300 à 400 élèves de 14 à 18 ans; 11 cours d’ouvriers adultes avec de 330 à 400 participants chacun; 18 cours suivis par 30 élèves environ, pour lire et écrire. De plus, dans chaque cours, on fait des conférences sur la politique communiste. Il y a aussi 6 cours du soir pour garçons et demoiselles de 12 à 18 ans ; 11 jardins d’enfants de 3 à 7 ans avec chacun 60 enfants environ ; 10 clubs d’enfants pour ceux de 7 à 12 ans (environ 6 enfants) ; 12 clubs pour adultes, avec chacun 80 et 90 membres ; 2 cours pour instituteurs (275 élèves), 2 écoles de musique avec 600 élèves chacune et 1 école d’art (45 élèves).

Presque tous les enfants, ceux qui ne vont pas à l'école, reçoivent une fois par jour un repas chaud pour lesquels des restaurants d’enfants sont installés. Ils reçoivent un surplus de pain, de vêtements, etc. ; enfin on donne aux enfants tout ce qui ne dépasse pas les possibilités du moment. Ceci est encore loin d'être suffisant, mais cela montre quand-même l’abnégation de ces "barbares" russes, qui préfèrent souffrir encore plus de la faim pour épargner à leurs enfants les pires malheurs.

En Europe Occidentale quelques données, concernant les essais du gouvernement des soviets au sujet des soins à donner aux enfants en général, ont pénétré; seul l’adversaire le plus mal intentionné peut nier qu’ici le possible soit atteint.

Un dernier exemple : avant la révolution il n’y avait à Moscou que deux écoles gardiennes prolétaires. Au milieu de 1919 on y comptait 125 jardins d’enfants, pour enfants de 3 à 7 ans (avec chacune une moyenne de 40 enfants), divisées en 2 ou 3 limites d’âges : 3-4, 5-6 et 7 ans. Les locaux sont légers et aérés et ornés de petits meubles blanchis ; chaque enfant a sa chaise et est absolument libre dans ses mouvements. Les tout petits arrivent à 8h 1/2 et si c’est nécessaire on les débarbouille. A 10h 1/2 premier déjeuner : du lait et du pain beurré. Du beurre que la bourgeoisie ne se procurerait pas par la spéculation à moins de 300 roubles la livre et que les ouvriers adultes ne pouvaient jamais recevoir que par une extraordinaire faveur !

Et à deux heures un repas chaud comprenant deux plats, même trois aux jours de fêtes. Les grands enfants servent les petits, aident à la cuisine et au service. Les plus petits, après le repas, vont dormir et sont ramenés à la maison à quatre heures par les plus grands.

Il règne là une grande liberté et les enfants peuvent eux- mêmes choisir parmi les jeux, depuis les boîtes à cubes jusqu’aux petits chemins de fer. Tout le matériel Frœbel s’y trouve, même la terre plastique. Souvent même il y a un piano pour la musique et le chant. Quand le temps le permet on joue de petites pièces en plein air.

La grande difficulté est de trouver les dirigeants nécessaires pour ces jardins d’enfants. Ils sont le plus souvent dirigés par les mères et les sœurs des enfants ou bien par des ouvrières de fabrique spécialement capables. Celles-ci suivent un cours de 6 semaines puis accompagnent déjà comme aides une colonie de vacances pour, pendant le jour, se rendre utiles dans les jardins d’enfants et, le soir, pour être instruites plus avant par des cours spéciaux. Chaque semaine il y a des réunions de toutes les institutrices et aides pour discuter des expériences acquises.

On tient aussi des réunions avec les parents. Chaque district a un local de club où toutes les personnes attachées aux enfants peuvent se réunir et pour tout Moscou il existe un immeuble central avec bibliothèque, salle de réunion, salle d’exposition, où se trouvent les objets faits par les enfants ainsi qu’un jardin d’enfants modèle avec tous ses accessoires. On y donne aussi des cours d’éducation et l'on a pu constater déjà que beaucoup d’ouvrières de fabrique sont très aptes à cette besogne ; tout comme pour l’école unique, on trouve les meilleurs instituteurs parmi les ouvriers de métier. Certes un cours de six semaines est extrêmement court, mais dans la pratique et par la discussion et l’instruction mutuelle, l’éducation est achevée, parce que l’on ne peut vraiment pas se permettre d’attendre jusqu’à ce que les candidats soient bourrés de toutes sortes de connaissances subtiles.

A côté des jardins d’écoles et des crèches, il existe aussi de nombreuses institutions où les enfants peuvent séjourner jour et nuit et sont entièrement élevés. Ceci non seulement pour les orphelins et les abandonnés; mais également pour les enfants dont les parents, trop absorbés par leur travail, ne peuvent les soigner suffisamment.

Dans beaucoup de cas cela concerne justement des parents qui mettent leur travail entièrement à la disposition de la communauté et qui dans les institutions soviétiques sont parmi les meilleurs ouvriers.

Il n’est donc pas nécessaire de démontrer que la plus grande sollicitude entoure ces Foyers d’enfants.

Par amour pour les orphelins, les friandises apportées ou envoyées par les parents et amis sont toujours partagées entre tous et les enfants parlent aux visiteurs en leur donnant le nom de "père" ou de "mère".

L’entretien des enfants par la communauté est désiré par les enfants, non comme une maigre charité, mais comme un juste droit au meilleur pour le corps et pour l’esprit, est aussi un pas énorme vers la purification des relations familiales. Non pas que la famille soit dérangée par une violence quelconque puisque la femme peut même satisfaire à la règle du travail obligatoire, en soignant, sans aide rétribuée, une famille de quatre personnes ou plus : par exemple, l’homme, la femme et deux enfants ou un enfant, la mère et des membres de la famille ou cohabitants.

Mais toute relation conciliante entre l’homme et la femme est seulement possible sur la base d’un mutuel consentement, dans lequel les enfants sont bien le lien le plus durable mais liant parfois deux êtres qui ne peuvent s’accorder, au grand malheur des enfants en premier lieu.

Seule déjà la possibilité d’une solution satisfaisante en faveur des enfants, sous n’importe quelles conditions, rend les rapports dans le métrage plus purs.

Que cette liberté ne donne lieu à aucun dérèglement, cela restera seulement incompréhensible à l’imagination excitée des apôtres d'une moralité fourbe et pervertie. — Lorsque la séparation et le mariage furent rapportés à une simple formalité, le nombre de divorces augmenta fortement, mais le nombre baissa quelques mois après.

D’autre part, ce n’est pas un désavantage si les relations sexuelles sont un peu moins hypocrites que dans notre société empestée de l'Occident.

Le problème de la prostitution est pour ainsi dire résolu. Il est vrai que des femmes vendent encore leur corps, mais la plupart d'entre elles sortent de la bourgeoisie, parce qu’elles ne savent pas s’adapter aux nouvelles conditions de travail. C’est là évidemment un stade transitoire qui va à sa fin.

De même, la forme la plus triste du salariat, la spéculation, appartiendra bientôt au passé. Et cela seul compense largement les inévitables misères d’une période révolutionnaire de transition.

L’admiration et le respect pour les femmes russes, n’occupent pas la dernière place parmi les souvenirs et les impressions dont fut si riche cette année.

Elles n’ont pas à lutter pour des droits spéciaux : elles ont acquis à jamais l’égalité parfaite dans la grande lutte révolutionnaire entre la vie et la mort. On ne peut s’imaginer en Russie un seul travail qui ne soit exécuté aussi par des femmes. Aucune tâche ne leur paraît trop lourde.

Devant moi je vois défiler des catégories entières d’ardentes propagandistes, de parfaites organisatrices et courageuses militantes.

Pour sacrifier leur vie, coude à coude avec leurs camarades masculins, elles se rangent les armes à la main, jusque dans l’armée rouge. — Trois cents femmes tombèrent dans l’arrière-garde qui couvrit la retraite de l’armée rouge lors de l’évacuation de Riga.

Et si Petrograd et Moscou peuvent continuer à fournir des réserves c’est grâce à ce fait qu’un grand nombre de femmes sont prêtes, exercées et armées, à défendre la ville contre l’assaillant contre-révolutionnaire du dehors.

Qu’adviendrait-il de l’instruction, de l’éducation, de l’administration et de la direction sans le travail calme et patient de milliers de femmes communistes ?

Malade, j’ai moi-même conservé la vie par le dévouement d’une infirmière communiste qui, à part quelques heures de sommeil, resta nuit et jour au chevet de mon lit durant de longs mois. — Nombreuses sont les infirmières qui s’engagent dans les hôpitaux de typhiques ou autres et vont ainsi vers une mort presque certaine.

Pourrait-on s’imaginer une révolution sans l’énergie et l’enthousiasme entraînants de la femme ?

Pourrait-on conserver, au milieu d’inévitables laideurs, la force intellectuelle et la gaieté, si l’amour dévoué des femmes ne faisait pas dominer, même dans la lutte, la beauté et la bonté.

Et alors la bourgeoisie pourrie trompette des petites vilenies sur la communauté des femmes en Russie comme si ces fières lutteuses se laisseraient accoupler ainsi que la première venue des "filles à dot" de la bourgeoisie.


Disons ici encore un mot de la mère et de l’enfant. Non seulement les femmes reçoivent un salaire plein durant les huit semaines qui précèdent et les huit semaines qui suivent l'accouchement, avec défense de travailler, mais le salaire est encore payé en partie pendant toute la période de l’allaitement. Les femmes enceintes ont droit à du pain supplémentaire suivant la 1ère catégorie ; les mères nourrices et les bébés ont droit à du lait et la mère reçoit pour son nouveau-né 20 mètres d’étoffe pour confectionner des langes et des petits vêtements.

Au milieu de 1919 il y avait à Moscou 19000 enfants de moins d’un an inscrits pour la carte de lait, 4500 nourrissons étaient soignés dans les crèches et autres institutions similaires. Pour toute la Russie soviétique ce total était d’environ 50.000.

La ville de Moscou possède 28 crèches, le gouvernement de Moscou 76, le gouvernement de Wladimir 17, etc.

Le lait est distribué dans des établissements spéciaux auxquels sont attachés des bureaux de consultation pour les mères et les bébés. Avant la révolution, Moscou comptait 7 semblables bureaux de consultation ; elle en a 20 maintenant et le programme en prévoit 66 pour le plus proche avenir. Dans toute la Russie on en organisa jusqu’ici 406.

La fabrication des tétines en caoutchouc, insuffisante par suite du manque de benzine, cause un grand malaise. La privation de pareils articles et plus encore celle de certains bandages et produits médicaux les plus indispensables, constitue déjà une torture journalière, suffisante pour animer les plus patients d’une haine ardente contre le capitalisme occidental qui maintient inflexiblement le cordon sanitaire.

Le succès le plus beau dans la défense de la maternité, est la création des foyers pour mères et bébés, œuvres qui n’existaient pas jadis, même à Moscou, et dont il y a maintenant 3 dans cette ville et 47 dans toute la Russie.

Ces établissements répondent à de grandes nécessités d’hygiène et se trouvent sous la direction scientifique de médecins et d’infirmières. La future mère peut y être admise jusqu’à ce qu elle soit complètement rétablie de son épuisement ; dès sa naissance l’enfant y trouve aussi tous les soins qui dans un ménage d’ouvriers, même de la Russie soviétique, ne peuvent momentanément, hélas, être généralisés.

Mais ce qui est très intéressant par dessus tout, c’est que la mère reçoit toutes les indications utiles et pratiques pour l’entretien et l’éducation future du nourrisson et de l’enfant.

Comme dans toutes les questions intéressant les Soviets, on attache la plus grande importance à la propagande, à l'instruction, à l’éducation, etc.

L’exposition de la "Mère et de l’Enfant" que je visitai à Moscou en est un exemple frappant. Là était vraiment réuni tout ce qui se rapportait à ce sujet et ce sera bien la première fois qu’une collection aussi complète aura été réalisée.

L’exposition s’ouvrait par toute une longue série de statistiques : la mortalité des nourrissons et des enfants dans les différents pays, sous les conditions et les influences les plus diverses : âge, allaitement, milieu social, nombre d’enfants par ménage, hérédité, alcool, tuberculose, maladies vénériennes et autres affections, etc. La plupart de ces statistiques ne sont pas présentées dans la forme habituelle et si peu attrayante des lignes et des chiffres, mais chaque cas est représenté par un ensemble artistique et décoratif entièrement exécuté par une main d’artiste.

Toute la collection mise sous verre et avec des cadres solides, est exécutée suivant un format déterminé, qui permet l’expédition à travers toute la Russie, quand elle a servi à Moscou.

Il y avait ensuite les collections les plus vastes de tout ce qui est employé dans l’entretien de l'enfance, l’accouchement, les hôpitaux, les crèches, etc. ; tout cela comparé aux objets et aux institutions moins pratiques. Des vues et des photos des Foyers pour mères et bébés, des stations de distribution de lait avec installation pour la pasteurisation du lait, etc.

Tout ce qui concerne l’alimentation de l’enfance, ce que l’enfant peut et ne peut pas manger suivant l’âge, était représenté par des modèles plastiques.

Des aperçus ethnographiques sur l’entretien de l’enfance accompagnés des usages existants dans l’Inde et l’Australie. Des détails sur les infirmités et affectations maladives, parmi lesquelles des notes très explicites sur l'influence de toutes sortes d’insectes et de vermine, mouches et cousins, tuberculose et syphilis. Suivaient une collection de photographies représentant des bébés modèles, une collection de bons et une autre de mauvais jouets, des friandises dangereuses, etc.

Et tout cela est étalé avec ordre et méthode et avec un grand soin dans des salles spacieuses, bien éclairées et fort visitées.

Les visiteurs étaient le plus possible divisés par petits groupes conduits par des guides experts, la plupart élèves de l’École ou se forment les aides pour maternités, crèches, hôpitaux, etc. Le cours à Moscou est fréquenté par 250 de ces aides.

L'exposition dispose évidemment d’une bonne réserve de livres et les parents peuvent ainsi continuer leurs études après la visite. La fin réserve une heureuse surprise : dans une petite salle est offert aux visiteurs un film montrant, encore une fois, la différence entre la façon intelligente et inintelligente de soigner les enfants. Inutile de dire, que l'héroïne de la pièce, une conductrice de tramway, utilise toutes les possibilités hygiéniques de l’époque. Toutes les institutions telles que : foyers pour mères et enfants, asiles pour enfants abandonnés, bureaux de consultations etc., passent devant nos yeux dans leurs différentes fonctions. Et à la fin du film nous connaissons la manière de plier et de déplier les langes.

Le souci de représenter les plus petits détails sous une forme précise et vivante, mais aussi comme les chaînons de la vie amoureuse, rend l'ensemble impressionnant. Ce n’est donc pas étrange, que les femmes, supportant patiemment le froid et la faim se sentent de plus en plus attachées aux insti­tutions soviétiques et qu’elles sont prêtes à combattre pour leur défense.

Aussi, l’organisation féminine se développe-t-elle d’heu­reuse façon : la quatrième conférence de femmes tenue à Moscou comptait 3500 délégués représentant 60.000 femmes organisées. Et Alexandra Kollontaï, l’ardente et infatigable propagandiste parmi ces femmes montre assez son esprit pratique en donnant comme base à sa propagande les intérêts directs de la mère et de l’enfant.

Lorsque parfois les décisions bien intentionnées des Soviets ne sont pas appliquées dans toute leur étendue, l’organisation des femmes entre en action pour réaliser ce qui est à la "portée des possibilités matérielles".

Quand la ration de pain supplémentaire est distribuée irrégulièrement ou quand il y a un vice dans l’œuvre pour la réserve du lait, l’organisation des femmes attire l’attention sur le défaut jusqu’à ce qu’il ait disparu. L’association distribue à tous ses membres des cartes sur lesquelles sont indiquées certaines mesures spéciales, comme celle donnant le droit aux mères et à leurs enfants de prendre place sur la plateforme d’avant des trams surchargés.

Mais, s’appuyant sur ce travail pratique et s’élevant au- dessus de lui, apparaît l’édifice de la propagande, la formation de membres conscients de la société communiste par le développement et l’éducation : assemblées, cercles de lecture, écoles d’orateurs, séries complètes de conférences à la ville et à la campagne.

Là est la force et là gît l’espoir pour l’avenir.

Le fait suivant peut être cité comme une petite illustration de la valeur que les ouvriers attachent à la propagande et à la parole et comme un exemple typique de la justice dans la République des Soviets :

Une personne ayant insulté dans le tram une femme juive, fut condamnée par le tribunal du peuple à l’obligation d’assister à une série de trois lectures sur l’anti-sémitisme qui venait d’être annoncée.

Le retour à la civilisation occidentale fut peu encourageant.

D’abord ce furent les pays baltes, la Lettonie et l’Estonie, entièrement pillés et désorganisés, tellement qu’en comparaison la Russie apparaissait comme une terre sacrée. L’Entente qui commande et traite la population en soumise, épuise totalement le pays par ses continuelles instigations à la guerre, son aide insuffisante et l’achat à des prix dérisoires de tout ce qui est encore utilisable, grandes exploitations agricoles comprises.

La petite bourgeoisie, remplie de haine contre l’Entente, est pourtant impuissante à se défaire des protecteurs, parce que sans la présence des baïonnettes étrangères, la population installerait immédiatement le régime bolchéviste et ferait disparaître le gouvernement usurpateur.

Un personnage appartenant au gouvernement lituanien, gouvernement par la grâce d’Albion, me racontait comment à Bordeaux se trouvait un navire chargé de vieux canons et autres restes de la guerre mondiale, mais que ce navire ne pouvait prendre le large avant le paiement au comptant de tout le chargement.

Évidemment cela nécessite un nouvel emprunt et ainsi se trouvent engagées pour une durée infinie, toutes les ressources vitales du pays.

Lorsque le gouvernement "socialiste" de coalition arriva enfin avec une loi sur l’agriculture expropriant les grandes exploitations, on put lire dans les journaux locaux que telle et telle culture appartenait à des Anglais.

Un journaliste américain bourgeois me disait : si les membres de la Conférence de Versailles pouvaient passer huit jours dans les pays baltes, ils en auraient assez de leurs droits de libre disposition.

Comme si pour ces Messieurs il s’agissait d’être mieux renseignés !

En Pologne la situation était si désespérée que même des éléments petits-bourgeois au risque de leur vie, traversaient les frontières pour chercher en Russie bolchéviste remède à leur misère.

Ma deuxième impression fut l’Allemagne. Il n’est pas nécessaire que je m’étende ici sur la rapidité avec laquelle se produit la décomposition de la vie sociale et économique.

Aujourd’hui Vienne, demain Berlin, après-demain Paris. La déchéance dans le chaos et la misère du système de production actuel, semble ne plus pouvoir être arrêté.

Mais, comme l’attitude des prolétaires de l’Europe occidentale est décevante en face de tout cela.

Manque de directives nettes, d’action consciente du but, d’unité d’action, de certitude de la victoire.

Le capitalisme et tous ses satellites dans une panique folle devant le bolchevisme et luttant avec une fourberie dissimulée et une lâcheté mesquine ; la classe ouvrière admirant, pleine de respect mais aussi d’une crainte petite bourgeoise, sans courage pour aider la Russie par des actes, pour se sauver elle- même et l’humanité de sa chute et pour ensevelir la corruption sans fond sous l’amas de ruines du capitalisme.

Le plus sublime de la révolution Russe est comme un roc se trouvent au milieu d’une mer de médiocrité et d'impuissance.

De nouveaux rochers surgiront mais plus que jamais il apparaît clairement que cela est seul possible dans et par les mouvements des masses de prolétaires luttant en révolutionnaires.

La révolution est actuellement le réveil et l’unique source des grandes idées, des hauts faits, des lointaines perspectives.

Début de page