1928-31

La théorie de la révolution prolétarienne à l'époque de l'impérialisme


La révolution permanente

Léon Trotsky

EPILOGUE

Comme on le sait, la crainte, ou l'appréhension, exprimée dans la conclusion du dernier chapitre s'est trouvée confirmée en quelques mois. La critique de la révolution permanente n'a servi à Radek que de moyen pour rompre avec l'opposition. Tout notre ouvrage témoigne, nous l'espérons, que le passage de Radek dans le camp stalinien n'est pas une surprise pour nous. Mais le reniement lui-même est plus ou moins vil. Faisant amende honorable, Radek réhabilite entièrement la politique de Staline en Chine. Cela signifie qu'il a dégringolé jusqu'au fond même de la trahison. Il ne me reste ici qu'à citer un passage de ma réponse à l'acte de pénitence de Radek, Preobrajensky et Smilga, qui constitue un véritable certificat de cynisme politique.

"Comme il sied à tous les faillis qui se respectent, le trio n'a pu, bien entendu, se réhabiliter qu'en utilisant la "révolution permanente". Le trio des capitulards se débarrasse de la défaite la plus tragique de l'opportunisme dans l'histoire récente -la Révolution chinoise- en prêtant le serment facile de n'avoir rien de commun avec la théorie de la révolution permanente.

"Radek et Smilga ont défendu obstinément, aussi bien avant qu'après le coup d'Etat de Tchang Kaï-chek, la soumission du parti communiste chinois au Kuomintang bourgeois. Preobrajensky, comme toujours, a bafouillé quelque chose d'incompréhensible. Chose curieuse: tous ceux qui, dans les rangs de l'opposition, ont défendu la subordination du parti communiste chinois au Kuomintang sont ensuite devenus des capitulards. Aucun des oppositionnels restés fidèles à leur drapeau ne s'est ainsi souillé. Une telle tâche est assurément honteuse. Trois quarts de siècle après la publication du Manifeste du parti communiste, un quart de siècle après la fondation du parti bolchevique, ces malheureux "marxistes" ont encore pu défendre la présence des communistes dans la cage du Kuomintang! En réponse à mes accusations, tout comme aujourd'hui dans sa lettre de pénitence, Radek parlait de "l'isolement" du prolétariat par rapport à la paysannerie, que ne manquerait pas de provoquer la sortie du parti communiste du Kuomintang bourgeois. Peu de temps auparavant, Radek nommait "paysan-ouvrier" le gouvernement de Canton et aidait Staline à cacher que le prolétariat chinois était devenu l'esclave de sa bourgeoisie. Et avec quoi couvrir tous ces agissements honteux et toutes les conséquences de cet aveuglement, de cette stupidité, de cette trahison du marxisme? Mais avec la révolution permanente, bien entendu!

"Radek qui, dès le mois de février 1928, cherchait des prétextes pour capituler, se rallia immédiatement à la résolution de la session plénière de février 1928 du comité exécutif de l'internationale communiste sur le problème chinois. Cette résolution déclarait que les trotskystes étaient des "liquidateurs" parce qu'ils donnaient aux défaites le nom de défaites et parce qu'ils se refusaient à considérer la contre-révolution victorieuse en Chine comme le plus haut stade de la Révolution chinoise. Cette résolution de février déclarait qu'il fallait s'orienter vers le soulèvement armé et les soviets. A tous ceux qui possèdent le moindre instinct et le moindre flair politiques, fondés sur l'expérience révolutionnaire, cette résolution apparut comme le modèle de l'aventurisme irresponsable et répugnant. Radek s'y rallia. Preobrajensky ne fut pas plus sage que Radek, mais il aborda autrement la question. La Révolution chinoise est déjà écrasée, écrivait-il, et pour longtemps. Une nouvelle révolution ne viendra pas de sitôt. La Chine valait-elle donc vraiment la peine que l'on rompît avec les centristes? Preobrajensky envoyait de longues missives sur ce thème. En les lisant, à Alma-Ata, j'ai éprouvé un sentiment de honte. Qu'ont-ils appris à l'école de Lénine, tous ces gens-là? me suis-je demandé des dizaines de fois. Les prémisses de Preobrajensky étaient diamétralement opposées à celles de Radek, mais les conclusions étaient les mêmes: tous deux désiraient ardemment que Iaroslavsky les accueille par l'intermédiaire de Menjinsky, dans une étreinte fraternelle, pour le bien de la révolution bien entendu. Ce ne sont pas des carriéristes: ce sont, tout simplement, des gens impuissants et idéologiquement ruinés.

"A la résolution aventuriste de la séance plénière de février déjà j'opposais la nécessité de mobiliser les ouvriers chinois sur les mots d'ordre démocratiques, y compris celui de l'Assemblée constituante chinoise. Mais le malheureux trio se déclarait ici ultra-gauchiste: cela ne coûtait rien et n'obligeait à rien. Les mots d'ordre démocratiques? En aucun cas! "C'est une erreur grossière de Trotsky." Il fallait des soviets chinois, et pas un pour cent de rabais.

"On pourrait difficilement s'imaginer quelque chose de plus absurde que cette prétendue position. Le mot d'ordre des soviets au cours d'une époque de réaction bourgeoise n'est qu'un son creux, un persiflage des soviets. Même à l'époque de la révolution, c'est-à-dire à l'époque de l'organisation directe des soviets, nous ne rejetions pas les mots d'ordre démocratiques. Nous ne l'avons fait que lorsque les soviets réels, après s'être emparé du pouvoir, entrèrent, aux yeux des masses, en lutte avec les institutions réelles de la démocratie. C'est cela que signifiait dans le langage de Lénine (et non dans celui du petit-bourgeois Staline et de ses perroquets): il ne faut pas sauter par-dessus l'étape démocratique dans le développement d'un pays.

"Sans le programme démocratique -Assemblée constituante, journée de huit heures, confiscation des terres, indépendance nationale de la Chine, droit du peuple à disposer de son sort, etc.,- le parti communiste chinois se trouve pieds et poings liés; il est obligé de céder passivement le terrain à la social-démocratie chinoise, qui peut, Staline, Radek et Cie aidant, supplanter le parti communiste.

"Résumons-nous:

"Tout en étant remorqué par l'opposition, Radek ne se rendait cependant pas compte de ce qui était primordial dans la Révolution chinoise, puisqu'il prêcha toujours la soumission du parti communiste au Kuomintang bourgeois. Il ne remarqua pas la contre-révolution chinoise et il soutint, après l'aventure de Canton, la nécessité d'un soulèvement armé. Maintenante il saute par-dessus les étapes de la contre-révolution et de la lutte pour la démocratie et se débarrasse des tâches de l'époque transitoire par l'idée extrêmement abstraite de soviets en dehors du temps et de l'espace. En revanche, Radek jure qu'il n'a rien de commun avec la révolution permanente. C'est réconfortant. C'est encourageant...

"La théorie anti-marxiste de Staline-Radek apporte une répétition modifiée, mais non améliorée, de l'aventure du Kuomintang pour la Chine, pour l'Inde et pour tous les pays d'Orient.

"Se fondant sur toute l'expérience des révolutions russes et chinoise, se fondant sur la doctrine de Marx et d'Engels repensée à la lumière de ces révolutions, l'opposition affirme:

"Une nouvelle révolution chinoise ne peut renverser le régime existant actuel et remettre le pouvoir aux masses populaires que sous la forme de la dictature du prolétariat;

"La dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie", opposée à la dictature du prolétariat qui conduit la paysannerie et réalise le programme de la démocratie, est une fiction, un mensonge ou pire que cela, c'est le régime de Kerensky ou du Kuomintang;

"Aucun régime révolutionnaire moyen, intermédiaire entre le régime de Kerensky ou de Tchang Kaï-chek et la dictature du prolétariat n'est possible, et celui qui défend cette formule abstraite trompe honteusement les ouvriers d'Orient et prépare de nouvelles catastrophes.

"L'opposition dit aux ouvriers d'Orient: les capitulards, réduits à zéro par les machinations à l'intérieur du parti, aident Staline à jeter la semence du centrisme, à vous aveugler, à vous boucher les oreilles et à mettre la confusion dans vos têtes. D'une part, on vous affaiblit face à la dictature bourgeoise directe, en vous défendant de mener la lutte pour la démocratie; de l'autre, on dessine devant vos yeux les perspectives d'une sorte de dictature non prolétarienne qui vous libérera, et on favorise de la sorte les transformations à venir du Kuomintang, c'est-à-dire les futures défaites de la révolution des ouvriers et des paysans.

"De pareils prêcheurs sont des traîtres. Ouvriers d'Orient, apprenez à ne pas les croire, apprenez à les mépriser, apprenez à les chasser de vos rangs!..."

 


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