1926

Ce texte fut mis sous le boisseau par le Comintern. Trotsky le publia en 1932 dans le numéro 29-30 du Bulletin de l'Opposition, accompagné d'un article de présentation
Trotsky cite également son discours dans "La seule voie" (2. Bourgeoisie, petite bourgeoisie et prolétariat)

Trotsky

Léon Trotsky

Discours à la commission polonaise du Comintern

2 juillet 1926

Je ne voudrais aborder que deux questions de caractère général que les débats n’ont cessé de faire surgir lors de la séance précédente comme lors de celle d’aujourd’hui.

La première : qu’est-ce que le pilsudskisme et quel rapport a-t-il avec le fascisme ?

La seconde : où se trouvent les racines de la faute commise par le comité central du Parti communiste polonais ? Ce que j’en ai vu, ce ne sont pas ses racines individuelles ou renvoyant à des groupes, mais ses racines objectives, celles qui plongent dans les conditions de notre époque, sans que cela diminue le moins du monde la responsabilité des individus.

Première question : le pilsudskisme et le fascisme. Ces deux courants ont incontestable­ment des traits communs : leurs troupes de choc se recrutent, avant toute chose, parmi la petite bourgeoisie ; pour agir, et Pilsudski (1) et Mussoli­ni usaient de moyens extra-parlementaires, ou­vertement violents, avec des méthodes de guerre civile ; tous deux s’efforçaient non pas de ren­verser la société bourgeoise, mais de la sauver. Ayant fait se dresser la masse des petits bour­geois, ils se sont, lors de leur arrivée au pouvoir, ouvertement heurté à la grande bourgeoisie. Ici une généralisation historique vient involontaire­ment à l’esprit, pour laquelle il faut se souvenir de la caractérisation que Marx donnait du jaco­binisme : une méthode plébéienne de régler leur compte aux ennemis féodaux de la bourgeoisie. Cela se passait à l’époque de la bourgeoisie montante. Maintenant, à l’époque de la déca­dence de la société bourgeoise, il faut dire que la bourgeoisie a de nouveau besoin de recourir à des méthodes « plébéiennes » pour résoudre les tâches qui se posent à elle, des tâches qui ne sont plus progressistes, mais totalement réaction­naires. Et en ce sens, le fascisme est une caricature réactionnaire du jacobinisme.

Alors qu’elle était dans sa phase ascendante, la bourgeoisie ne pouvait asseoir son dévelop­pement et sa domination dans le cadre de l’ancien État féodal-bureaucratique. Il lui fallait mettre en pièces l’ancienne société de façon ja­cobine, pour assurer son épanouissement à la nouvelle société bourgeoise. La bourgeoisie dé­cadente n’a pas la capacité de se maintenir au pouvoir par les méthodes et procédés de l’État parlementaire qu’elle a elle-même édifié ; elle a besoin du fascisme comme d’une arme d’auto­défense, au moins dans les moments les plus critiques. La bourgeoisie n’aime pas devoir ré­soudre ses problèmes de façon « plébéienne ». Elle regardait avec une grande hostilité le jaco­binisme, qui nettoyait dans le sang la voie pour que se développe la société bourgeoise. Les fas­cistes se trouvent ô combien plus proches de la bourgeoisie décadente que les jacobins ne l’étaient de la bourgeoisie montante. Mais la bourgeoisie bien établie n’aime pas aussi la fa­çon qu’ont les fascistes de résoudre ses pro­blèmes, parce qu’elle associe bouleverser les choses et la mettre en danger. De là vient l’antagonisme entre le fascisme et les partis traditionnels de la bourgeoisie.

Il est tout à fait indiscutable que le pilsudskisme est, par ses racines, ses sources et ses mots d’ordre, un mouvement petit-bourgeois. Que Pilsudski lui-même ait su à l’avance vers où il allait, on peut, peut-être, en douter. Il ne semblait pas très futé. Ses agissements portent le sceau de la médiocrité. (Walecki : Vous faîtes erreur !) Je ne me mettrais cependant pas à caractériser Pilsudski de quelque côté que ce soit, je ne sais pas, peut-être bien qu’il voyait quelque-chose plus loin que les autres ; en tout cas, s’il ne savait pas bien ce qu’il voulait faire, de toute évidence, il savait de façon suffisamment claire ce à quoi il voulait échapper - avant tout, au mouvement révolutionnaire des masses ouvrières. Et s’agis­sant de ce qu’il ne comprenait pas, d’autres comblaient les blancs pour lui, comme peut-être l’ambassade anglaise. En tout cas, Pilsudski trouva rapidement le lien avec le grand capital, bien que, par ses racines, ses sources et ses mots d’ordre, le mouvement auquel il avait appelé fût petit-bourgeois, un moyen « plébéien » de résoudre les problèmes pressants d’une société capitaliste malade et décadente. On a là un rapprochement en droite ligne avec le fascisme italien.

Il a été dit ici (par Warski) que la démocratie parlementaire est une arène où brille la petite bourgeoisie. Pas toujours et pas dans n’importe quelles conditions. Elle y brille, mais elle y pâlit aussi, s’y étiole et y démontre de plus en plus son impuissance. Et comme la grande bourgeoi­sie elle-même se trouve dans une impasse, l’arène parlementaire devient le miroir du blo­cage et de la décadence de la société bourgeoise toute entière. La petite bourgeoise, qui a attribué une si grande place au parlementarisme, com­mence elle-même à le trouver pesant et à cher­cher une issue en dehors des voies parlemen­taires. À l’origine, le pilsudskisme est une tenta­tive extra-parlementaire de résoudre les pro­blèmes de la petite bourgeoisie. Mais le caractère inéluctable de sa capitulation devant la grande bourgeoisie gît en cela même. Si, au parlement, la petite bourgeoisie dévoile en parties, au détail, au coup par coup, son manque de force face au propriétaire foncier, au capitaliste et au banquier, une fois placée devant une tentative extra­parlementaire de résoudre ses problèmes, au moment où elle arrache le pouvoir, son impuis­sance sociale s’étale cette fois non pas au détail, mais en gros. Il en ressort, de prime abord, l’image d’une petite bourgeoisie qui serait l’épée à la main pour combattre le régime bourgeois, mais son insurrection se termine en ceci, qu’ayant pris de façon sanglante le pouvoir, elle le remet, par l’entremise de ses chefs, à la grande bourgeoisie. C’est précisément ainsi que cela s’est passé en Pologne. Et c’est ce que le comité central (du PC) n’a pas compris.

La grande bourgeoise n’aime pas en passer par de telles méthodes, tout comme une personne qui souffre de la mâchoire n’aime pas quand on lui arrange des dents. Les cercles respectables de la société bourgeoise ont considéré avec mépris les exercices auxquels s’employait le dentiste Pilsudski, mais, en fin de compte, ils se sont ré­solus à l’inévitable, il est vrai, en faisant des menaces, en montrant leur opposition, en mar­chandant, en en rajoutant. Et voilà que celui qui était, hier, l’idole de la petite bourgeoisie se transforme en gendarme au service du capital ! On est frappé par le rythme cinématographique auquel défilent les événements, par le passage horriblement rapide des slogans et façons de faire d’apparence «révolutionnaires» à une po­litique protégeant les possédants de la pression des ouvriers et des paysans. Mais l’évolution du pilsudskisme est parfaitement conforme à la règle. Quant à son rythme, il résulte de la guerre civile qui saute les étapes et réduit les délais.

Le pilsudskisme est-il un fascisme « de gauche » ou « pas de gauche » ? Je ne pense pas qu’une telle démarcation apporte quoi que ce soit. Le «gauchisme» dans le fascisme découle de la nécessité d’éveiller et de nourrir les illusions du petit propriétaire ruiné. Selon les pays et les circonstances, cela se fait de différentes façons, en recourant à des dosages de « gau­chisme » qui diffèrent. Mais, par sa nature, le pilsudskisme, tout comme le fascisme en géné­ral, remplit un rôle contre-révolutionnaire. C’est une contre-révolution antiparlementaire, et avant tout anti-ouvrière, au moyen de laquelle la bourgeoisie décadente tente - non sans succès, en tout cas, pour ce que l’on en connaît actuellement - de protéger et de conserver ses principales posi­tions.

J’ai appelé le fascisme, caricature de jacobinisme. Le fascisme a les mêmes rapports avec le jacobinisme que le capitaliste actuel, qui détruit les forces productives et rabaisse la culture, avec le capitalisme dans sa jeunesse, qui élevait la puissance de l’humanité dans tous les domaines. Bien sûr, établir un rapprochement entre le fascisme et le jacobinisme n’a de validité, comme toute large comparaison historique, que dans des limites déterminées et sous un certain angle de vue. Tenter de pousser cette comparaison au- delà de son cadre de validité nous menacerait inévitablement d’en tirer des conclusions erro­nées. Mais faire une comparaison dans un certain cadre, cela peut apporter des éclaircissements. Les sommets de la société bourgeoisie n’étaient pas capables de débarrasser la société du féoda­lisme. Pour ce faire, il fallait mobiliser les inté­rêts, les passions et les illusions de la petite bourgeoisie. Laquelle a rempli cette tâche dans son combat avec les sommets de la société bour­geoise, bien qu’en fin de compte c’est précisé­ment ces derniers qu’elle a servis. Les fascistes aussi mobilisent l’opinion publique de la petite bourgeoisie et ses bandes armées dans la lutte ou ce qui serait une lutte avec les cercles dirigeants et l’appareil étatique officiel. Plus est imminent le danger d’une révolution qui menace la société bourgeoise, ou plus violent est le désenchante­ment des masses de la petite bourgeoisie qui avaient, un temps, placé leurs espoirs dans la révolution, plus facilement le fascisme arrive à mobiliser.

En Pologne, les conditions, très particulières et difficiles, de cette mobilisation ont résulté du blocage économique et politique, de la vague perspective d’une révolution et, lui étant lié, du danger « moscovite ». Un des camarades polo­nais ici présents, Leszczinski semble-t-il, a ex­primé l’idée que les véritables fascistes se trou­vent non pas dans le camp de Pilsudski, mais dans celui de la démocratie populaire, c’est-à- dire dans le parti du grand capital, qui dispose de bandes de chauvins qui n’en sont pas à leur pre­mière organisation de pogroms. Est-ce exact ? Les bandes des supplétifs de la démocratie popu­laire ne suffisaient, pourrait-on dire, qu’aux af­faires courantes. Mais faire se lever d’énormes masses de la nation dans le but de porter un coup au parlementarisme, à la démocratie et, avant tout, au prolétariat, et faire que le pouvoir d’État se retrouve dans la poigne des militaires, cela, le parti des capitalistes et des propriétaires fonciers n’en avait pas la capacité. Pour mobiliser la pe­tite bourgeoisie de la ville et de la campagne, et la faction arriérée des travailleurs, il faut avoir en mains des moyens politiques tels que les traditions du socialisme petit-bourgeois et de la lutte révolutionnaire de libération nationale. De cela, nulle trace dans la démocratie populaire. Voilà pourquoi la mobilisation de la petite bour­geoisie de Pologne ne pouvait être réalisée que par le maréchal Pilsudski contre la démocratie populaire - avec le PPS (2) pour lui servir de cheval de remplacement durant un certain temps. Mais une fois qu’elle s’est emparée du pouvoir, la petite bourgeoisie est incapable d’en disposer de façon indépendante. Elle doit ou bien le laisser échapper de ses mains sous la pression du prolé­tariat, ou bien, si ce dernier n’a pas la force de s’en saisir, elle doit remettre le pouvoir à la grande bourgeoisie, non plus sous la forme relâ­chée qu’il avait précédemment, mais sous une forme nouvelle, resserrée. Plus profondes étaient les illusions du socialisme et du patriotisme pe­tit-bourgeois en Pologne, plus il fallut les mobiliser avec violence dans les conditions d’une impasse économique et parlementaire, plus le chef victorieux de ce mouvement dut de façon éclatante, cynique et «soudaine» se mettre à genoux devant la grande bourgeoisie en la priant de le « couronner ». On a là le mot de l’énigme de ces événements de Pologne qui ont défilé de façon saccadée comme au cinéma.

Le succès imposant et durable de Mussolini ne s’est révélé possible que parce que la révolu­tion (septembre 1920), qui ébranlait tous les piliers et les étais de la société bourgeoise, n’était pas conduite à son terme. C’est sur le reflux de la révolution, le désenchantement de la petite bourgeoisie, la fatigue des ouvriers, que Mussolini construisit et mena son projet.

En Pologne, la chose n’alla pas si loin. Le blocage du régime était bien là, mais il n’y avait pas encore de situation révolutionnaire imminente, au sens d’une disposition des masses à combattre. Le coup d’État de Pilsudski a, de même que tout son « fascisme », un caractère que l’on pourrait dire préventif, c’est-à-dire de mesure visant à prévenir une révolution. Voilà pourquoi, je pense, le régime de Pilsudski a moins de chance d’avoir une existence durable que le fascisme italien. Mussolini a pu se servir du fait que la révolution était déjà brisée de l’intérieur, avec sa conséquence inévitable, la chute de l’activité militante du prolétariat. Pilsudski, pour sa part, s’est saisi d’une révolution qui menaçait, il a lui-même profité de ce qu’elle commençait à fermenter pour se hisser sur elle jusqu’à un certain point et il a cyniquement trompé les masses qui le suivaient. Cela nous fonde à espérer que le pilsudskisme sera un épi­sode de la vague montante, et non pas descendante, de la révolution.

La seconde question que je voudrais aborder concerne les racines objectives de l’erreur commise par les dirigeants du Parti communiste polonais. Il ne fait pas de doute que la pression de la petite bourgeoisie, avec ses espoirs et ses illu­sions, s’est exercée très fortement lors des jour­nées de mai du coup d’État. Cela explique pour­quoi le Parti ne pouvait, à ce stade, gagner les masses ni diriger tout le mouvement sur la voie de la révolution véritable. Mais cela ne justifie en rien la direction du Parti, qui s’est docilement livrée à l’environnement petit-bourgeois, en y navigant sans gouvernail ni voile... Quant aux raisons générales de l’erreur, elles plongent leurs racines dans ce qui caractérise notre époque, que nous appelons celle de la révolution, mais que nous sommes encore loin d’avoir appris à concevoir avec ses brusques infléchissements et retournements - or sans cela on ne peut appréhender chaque situation concrète qui se présente. Notre époque se distingue par les crises, par son côté explosif, de celle d’avant-guerre, qui se présentait comme un tout organique, c’est-à-dire avec un développement relativement bien réglé. Durant la période d’avant la guerre, nous avions en Europe une croissance des forces productives, une différenciation entre les classes qui s’accentuait, la montée en puissance de l’impérialisme à un pôle, de la social-démocratie à l’autre. On se figurait la prise du pouvoir par le prolétariat comme un consécration inévitable, mais lointaine de ce processus. Il serait plus exact de dire que, pour les opportunistes et les centristes de la social-démocratie, la révolution sociale était une phrase sans contenu ; mais pour l’aile gauche de la social-démocratie européenne elle était un but lointain, en vue duquel il fallait se préparer progressivement et systématiquement. Après avoir totalement mis à nu ses contradictions, la guerre a coupé court à cette époque, et en a inauguré une nouvelle. De développement bien réglé des forces productives, d’augmentation systématique du nombre des prolétaires à la production, etc., il n’est plus question maintenant. Dans l’économie, c’est la stagnation ou la régression, le chômage devient un phénomène chronique. Si nous prenions les fluctuations de la conjoncture économique dans les pays européens ou les changements de situa­tion politique et que nous les transposions sur le papier sous la forme d’une courbe, nous obtien­drions non pas une ligne ascendante régulière, avec des oscillations périodiques, mais une courbe au tracé fiévreux, avec un déchaînement de zigzags vers le haut et vers le bas. La conjoncture économique change brutalement dans le cadre d’un seul et même, en fait, capital fixe. La conjoncture politique change brutalement dans l’étau d’une économie se trouvant dans l’im­passe. Les masses petites-bourgeoises, en leur annexant aussi de larges secteurs ouvriers, s’agitent tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.

On ne peut prétendre ici que le processus organique du développement renforce le prolétariat, en tant que classe productrice, et par là même son parti révolutionnaire aussi. Les relations réciproques entre le parti et la classe sont soumises, dans les conditions présentes, à des variations bien plus brusques qu’auparavant. La tactique du parti, tout en conservant les principes qui la fondent, revêt - doit revêtir ! - un caractère plus prompt à manœuvrer et à innover, étranger à quelque routine que ce soit. Dans cette tac­tique, il est indispensable d’opérer des tournants serrés et hardis, et d’abord selon que nous en­trons dans une phase de montée ou, au contraire, de brusque reflux révolutionnaire. Toute note époque consiste en de tels segments de courbe brutalement délimités, tantôt orientés vers le haut, tantôt plongeant vers le bas. Ces changements abrupts, parfois inopinés, il faut les saisir à temps. La différence entre le rôle du comité central du Parti social-démocrate dans les condi­tions d’avant-guerre et le rôle du comité central du Parti communiste dans les conditions actuelles ressemble jusqu’à un certain point à la différence entre un état-major qui organise et forme des forces armées et un quartier-général appelé à diriger ces mêmes forces armées dans une situation de combat (quand bien même il y aurait de longues interruptions entre les combats).

La lutte pour gagner les masses reste, bien sûr, la tâche principale, mais la situation dans laquelle se déroule cette lutte est actuellement différente : chaque tournant mis à l’ordre du jour dans la situation intérieure ou internationale peut déjà se muer, à l’étape immédiatement suivante, en une lutte pour gagner les masses dans la lutte pour le pouvoir. Maintenant, on ne peut pas me­surer sa tactique en termes de décennies. Dans l’espace d’une, deux ou trois années, toute la situation dans le pays change radicalement. Nous l’avons vu de façon particulièrement éclatante dans l’exemple de l’Allemagne. Après une tenta­tive d’en appeler à la révolution, sans que soient réunies les conditions qui auraient été indispen­sables pour cela (mars 1921), nous avons obser­vé dans le Parti allemand une déviation de droite marquée (sous la direction de Brandler), qui s’est ensuite décomposée face à un brusque virage de toute la situation vers la gauche (1923). Pour prendre la relève d’une déviation opportuniste, une déviation ultragauche est arrivée, dont l’hégémonie dans le Parti a cependant coïncidé avec ce qui était déjà un reflux de la révolution ; de cette contradiction entre la situation et la poli­tique surgissent des erreurs commises, qui affai­blissent encore plus le mouvement révolution­naire. On se trouve en quelque sorte avec une division du travail entre des groupements de droite et ultragauches, chacun d’entre eux subis­sant un effondrement et devant céder la place à un groupe concurrent lorsque se produit une brusque inflexion de la courbe politique vers le haut ou vers le bas. En même temps, la pratique actuelle, qui consiste à changer la direction à chaque bouleversement de situation, ne donne pas la possibilité à un ensemble de dirigeants d’accumuler une expérience plus vaste, qui en­globe et des montées, et des reculs, et des flux et des reflux. Et sans une compréhension qui géné­ralise et fasse la synthèse de ce qui caractérise notre époque, en tant qu’époque de brusques retournements et de tournants rapides, une direc­tion véritablement bolchevique ne peut pas faire son éducation. Voilà pourquoi, malgré le caractère profondément révolutionnaire de l’époque, le parti et sa direction n’arrivent pas à se hisser à la hauteur de ce que la situation exige d’eux.

Le régime de Pilsudski en Pologne sera un régime de lutte fasciste pour la stabilisation, ce qui signifie une intensification extrême de la lutte des classes. La stabilisation n'est pas un état donné à la société de l'extérieur, mais une tâche de la politique bourgeoise. Cette tâche a été partiellement réalisée, puis à nouveau sapée à la base. La lutte fasciste pour la stabilisation va générer un retour de bâton contre le prolétariat. Sur la base de la désillusion des masses à l'égard du coup d’État de Pilsudski, une situation favorable sera créée pour notre parti, à condition, bien sûr, que la direction ne s'adapte pas unilatéralement à la montée ou au déclin temporaire de la courbe politique, mais embrasse la ligne principale du développement dans son ensemble. La lutte fasciste pour la stabilisation doit tout d'abord être combattue par la stabilisation interne du Parti communiste. Alors la victoire est assurée !

Bulletin de l'opposition (bolcheviks-léninistes) N 29-30.

1) Josef Pilsudski, ancien chef de l’État et de l'armée, prit le pouvoir en Pologne par un coup d'État en mai 1926, qui fit environ 400 morts (note du trad.).

2) Parti socialiste polonais : parti réformiste et nationaliste fondé en 1892. Pilsudski en avait été membre avant la 1ère Guerre mon­diale (note du trad.).