1931

Juillet 1931 : la révolution espagnole s'avance, l'intervention en Allemagne, les crimes de l'appareil stalinien. Le combat de Trotsky au jour le jour.


Œuvres - juillet 1931

Léon Trotsky

Sur la calomnie de Iaroslavsky

8 juillet 1931

Je joins une note sur la calomnie de Iaroslavsky dans la Pravda du 2 juillet.

J'ai reçu de divers côtés des comptes rendus sur les falsifications dans les journaux bourgeois, mais j'ai l'impression qu'aucun n'a fait quoi que ce soit pour réfuter cette calomnie, Il est surprenant que même dans le dernier numéro de La Vérité il n'y ait pas trois lignes avec une réfutation catégorique de la falsification. Il va falloir maintenant le faire rétroactivement. Pourquoi ne pas diffuser dans les réunions communistes un prospectus avec la lettre et dedans cinq lignes de commentaire de l'organisation locale ? On pourrait publier ce tract à très bon marché en un grand nombre d'exemplaires. Il me semble que c'est un moment favorable pour frapper le système de mensonges bureaucratiques.

Peut-être serait-il possible de placer une lettre en mon nom dans quelque journal respectable avec le contenu suivant.


Annexe I : un article du G.P.U. attribué à L. Trotsky

La dictature en Russie doit prendre fin

Extrait du journal polonais "Illustrow kuryer Codz"

Nous avons récemment publié dans les colonnes de notre journal, un article de Léon Trotsky, cofondateur du bolchevisme, soummettant ce qu'on appelle la "piatiljetka" à une critique d'une sévérité rare. Dans son nouvel article, l'auteur, qui a été expulsé d'U.R.S.S., démontre que la dictature de Staline doit s'effondrer.

Cracovie, le 5 juillet.


Quiconque observe la Russie d'aujourd'hui, la vie quotidienne des masses laborieuses, le développement culturel de ces masses ainsi que le degré d'analphabétisme qui y sévit encore, ne peut qu'admettre honnêtement - pour peu que cet observateur se refuse à mentir, à masquer la réalité par quelque charlatanerie où à se soumettre aux criailleries des démagogues bureaucrates - que les conditions de vie quotidiennes, les habitude et les mœurs, de l'immense majorité de la population de Russie soviétique ne sont pas transformées, et que l'héritage bourgeois tsariste imprègne 95% de la population. A peine 5% de la population pan-russe ont été pénétrée par la théorie socialiste et ont introduit dans leur vie des éléments de la doctrine socialiste.

Cet état de choses, qui saute aux yeux de tout observateur, n'est pas contradictoire avec le, fait qu'officiellement c'est la "dictature du prolétariat" qui s'exerce eu Russie, qui se développe dans tout le pays, et que ce système a obtenu certains succès dans la vie économique. Mais il faut bien voir que ces éléments n'empêchent nullement que l'énorme majorité du peuple n'ait aucunement été transformée dans l"esprit du socialisme". Tout ce qui a été fait jusqu'à présent ne constitue que le début d'un édifice qui reste encore à bâtir.

Avec la "Piatiljetka", on trompe les ouvriers affamés

Nous sommes ainsi le témoin d'un phénomène étrange : des ouvriers à demi-affamés, chargés de brique et de ciment, montant à grand peine à l'échelle, chancelant à chaque marche, redescendant épuisés, et déclarent avec emphase: "Voilà, maintenant nous pouvons pénétrer dans la maison et rester tranquillement assis à nous reposer". Il s'agit là naturellement d'une erreur optimiste commise par les maçons dent la vue se trouble. Déclarer aujourd'hui, comme le font maints dirigeants bolcheviques, que le peuple russe "est entré dans l'étape de la socialisation", c'est tourner le socialisme en dérision.

Je l'admets totalement : si le but principal et la réalisation du bolchevisme consistaient vraiment à faire jeu égal et même à dépasser les principaux pays capitalistes en deux ou trois ans dans le domaine industriel, afin d'assurer à l'économie socialiste force et assise et de démontrer son droit à l'existence, dans ce cas, la pression exercée sur les muscles et les nerfs des ouvriers, bien que difficile à supporter, serait non seulement compréhensible mais également justifiée. Mais nous avons déjà démontré dans l'article précédent que le problème de la "Piatiljetka" dans son ensemble était posé de façon fausse, démagogique et floue, et que l'on trompait l'ouvrier.

La réaction au sein des masses

A force d'enfoncer sans cesse dans la tête des travailleurs qu'ils doivent fournir un maximum d'efforts et d'énergie, à force de jouer sans cesse avec leurs nerfs en utilisant une phraséologie ronflante, à force de les "éperonner" sans cesse pour obtenir des efforts supplémentaires, on risque de provoquer parmi les masses une réaction bien plus dangereuse que celle qui se produisit à la fin de la guerre civile en Russie, après le régime de Kerensky.

Ce qui rend le danger d'une réaction plus aigu, ce n'est pas la question du rattrapage et même du "dépassement" des peuples capitalistes - cette question ne sera pas réglée , même si le plan quinquennal est réalisé intégralement, mais bien le fait que la "Piatiljetka" une peut pas être réalisée dans les quatre ans qui restent, même au prix de la tension extrême de tous les muscles et nerfs de chaque ouvrier. Je me permets même de supposer que le laisser-aller administratif et tout ce qu'on pourrait appeler l'"aventurisme administratif" des brigades de choc bolcheviques ne font que rendre plus improbable la réalisation d'un plan d'amélioration économique, et que miner plus encore les bases d'une économie saine.

Des contradictions écrasantes

L'analyse économique de la Russie d'aujourd'hui fait apparaître de profondes contradictions. Les principales contradictions se font surtout jour entre :

  1. la ville et le village (différence de prix ainsi que manque de vivres et de matières premières).
  2. La petite industrie et la grosse industrie ou industrie lourde. (l'industrie lourde manque de matières premières, et les magasins n'ont rien
  3. Le pouvoir d'achat nominal du rouble et son pouvoir d'achat réel (inflation soigneusement dissimulée par le gouvernement).

  4. Autres contradictions :
  5. entre le parti trop fermé sur lui-même et les masses laborieuses;

  6. et enfin :
  7. les contradictions qui existent au sein même de l'appareil organisationnel du parti et du système.

Mais sans même tenir compte des contradictions internes "domestiques", il faut constater l'émergence d'une nouvelle contradiction dont, indépendamment de la logique et du développement des événements, le poids se fait de plus en plus sentir. Il s'agit de la contradiction entre d'une part l'économie soviétique dans sa totalité, et d'autre part le marché extérieur.

L'utopie de l'autosuffisance de la Russie au sein du monde capitaliste.

Le plan de la "Piatiljetka" dans son ensemble est bâti à partir de l'utopie réactionnaire de l'unité économique, distincte d'un pays socialiste se développant harmonieusement indépendamment de l'économie mondiale. Telle fut la base et le fondement des inventeurs de la "Piatiljetka". Les spécialistes qui ont imaginé la "Piatiljetka" ont très habilement relié les tendances destructrices à l'échelle de la planète avec les vieux préjugés à propos de l'autarcie économique. Ils escomptaient que la production étrangère en constante diminution et les exportations mondiales de plus en plus faibles leur permettraient d'obtenir de grande succès.

Mais surtout, on a considéré comme hors de doute que l'"Union des Republiques Socialistes Soviétiques" deviendrait dans les 10 à 15 ans à venir un organisme autosuffisant, n'ayant besoin d'aucune importation.

Mais dans le même temps, la "Piatiljetka" a contraint à augmenter les capacités d'exportation de la Russie, ce qui faisait surgir l'énigme suivante: que faire des surplus de céréales et autres produits ? Fallait-il les jeter à la mer ? La question des exportations russes n'a absolument pas été abordée lors de la mise sur pied de la "Piatiljetka".

Avant même qu'on ait pu étudier à fond les conséquences du plan de la " Piatiljetka", le cours des événements et la logique de la vie se sont chargés de faire apparaître trous et fissures dans la théorie d'une Russie prétendument détachée du reste du monde et autarcique.

Pour tout pays, qu'il soit capitaliste ou socialiste, le marché mondial représente des réserves puissantes et pratiquement inépuisables. La croissance de l'économie soviétique fait surgir d'une part certains besoins techniques et culturels, et d'autre part des contradictions nouvelles incessantes, qui contraignent le pays à se tourner de plus en plus, vers les réserves qu'offre le commerce extérieur.

Le développement de l'industrie russe exige, eu égard aux données naturelles, des exportations (surtout pétrole et bois), même au stade actuel où l'industrie russe ne satisfait pas les besoins internes les plus élémentaires.

Le développement de l'économie soviétique ne mènera pas à l'indépendance économique mais bien, par des voies et des moyens divers, à un résultat tout à fait opposé: la dépendance envers le commerce extérieur, envers lequel la Russie soviétique devra développer des liens de plus en plus forts et nombreux. Plus la Russie soviétique se développe, plus la voie suivie par l'économie populaire sera favorable, et plus forte sera l'obligation d'intensifier les relations avec le commerce et l'économie extérieurs.

Il faut comprendre que cette théorie est en accord avec la réalité : seule l'augmentation de ses importations et de ses exportations peut permettre à la Russie soviétique de surmonter sa crise économique interne.

Dans son rapport présenté au XVI° Congrès du Parti communiste, Staline a déclaré: "La qualité de notre production russe est pour l'instant terriblement mauvaise." Ces paroles viennent brillamment compléter la "terrible arriération" des masses russes, que le dictateur bolchevique avait évoquée. C'est à l'aide de telles excuses et de tels faux-fuyants que les bureaucrates bolcheviques s'efforcent de réparer tous les accrocs dans le tableau bien peu reluisant de la misère. Au lieu de faits précis, de données statistiques, on nous sert de grandes phrases qui, au premier abord, paraissent pleines de force et d'assurance, mais qui ne sont en réalité que les masques de la couardise.

Contentons-nous de comparer simplement deux chiffres : celui des adhérents du Parti par rapport aux millions et millions de travailleurs, et nous parvenons ainsi à une image objective incomparablement plus juste, que, par la lecture des colonnes de statistiques dont nous abreuve la presse soviétique dans ses efforts pour masquer par des fanfaronnades les défauts de ces inventions bolcheviques.

Seuls des ânes et des gredins peuvent parler de susciter la révolution grâce au dumping

L'affirmation selon laquelle les exportations russes, sous forme de dumping, permettraient de déstabiliser l'économie mondiale, est une absurdité.

Les libéraux et démocrates de différents pays qui, parait-il, proclament la vérité, supposent que l'économie mondiale est si puissante qu'elle et en mesure de faire trembler sur ses bases tout le marché mondial. Pour bien se convaincre que ce n'est pas le cas, il suffit de dire que les exportations russes actuelles, après avoir connu un développement important, ne représentent tout de même que 1,5% des exportations mondiales. Même si le capitalisme était secoué et ébranlé tant et plus, ce chiffre bien modeste n'est vraiment pas ce qui pourrait l'abattre et le détruire.

Prétendre susciter la révolution mondiale armé de ces 1,5%, c'est tout bonnement ridicule. Seule des ânes bâtés, qui n'en demeurent pas moins des gredins, sont capables d'un tel crime.

Ce qu'on appelle la pénétration et la percée de l'économie soviétique dans le monde, c'est, dans une mesure bien plus modeste, la pénétration de l'industrie mondiale dans l'économie soviétique. Ce processus ira croissant pour se transformer finalement en un duel économique des deux systèmes.

Si l'on avait placé la " Piatiljetka" sur de bons rails, l'ouvrier aurait été fier des résultats obtenus. Pour l'instant, c'est exactement l'inverse : l'ouvrier est amer, morose, désorienté.

Les experts économiques, ainsi que les ouvriers conscients perçoivent bien l'impossibilité d'une réalisation harmonieuse de la "Piatiljetka". Mais ces gens n'ont pas le droit d'exprimer leur opinion. De plus, ils travaillent sous la pression et la tension, et éprouvent une certaine animosité envers les dilettantes de la direction. Un dirigeant honnête et compétent dans les affaires commerciales n'osera pas regarder en face un ouvrier soviétique. Tous sont mécontents. Les déclarations et rapports soviétiques sont étroitement soumis aux fins de propagande. Tout est recouvert d'un épais brouillard de mensonges et d'inventions. C'est ainsi que se prépare au sein de la Russie une crise majeure.

Quel remède y a-t-il là contre? Selon moi, il faudrait établir un système extraordinairement précis pour comparer la production soviétique et celle des pays capitalistes. On aurait alors non seulement un critère valable pour résoudre les problèmes, pratiques de l'import-export, mais également un barrage efficace contre toutes ces affabulations à propos du "rattrapage" et même du "dépassement" des pays capitalistes.

Il faut en finir !

Il faudrait déchirer le rideau qui masque la réalité, et regarder la vérité en face. Il faudrait cesser de tromper les gens et de jeter un voile pudique sur les faits.

En outre, il faudrait abandonner la politique erronée consistant à ne voir que le développement économique et à ne se placer que du point de vue national.

Il faudrait revivifier les forces du parti en jetant à bas la dictature bureaucratique de Staline.


Annexe 2 : un article de l'"Illustrow kuryer Codz"

Etrange fureur de l'organe soviétique

Nous avons publié ci-dessus un deuxième article de Léon Trotsky.

Son article précédent publié dans les colonnes de "I.K.C." a provoqué la curieuse réaction suivante de la part de l'organe officiel soviétique :

Moscou, le 4 juillet. La "Pravda" soviétique publie dans son numéro 180 une reproduction de la première colonne de "I.K.C." du 26 juin, en y ajoutant un article sarcastique critiquant l'article initial signé de Trotsky.

L'article de la "Pravda" porte le titre "Les nouveaux amis de Pilsudski démasqués". L'article affirme que toute la presse bourgeoise, et "I.K.C." en tête, s'efforce de démontrer l'absurdité de la "Piatiljetka", en se basant, selon la "Pravda", sur des faits imaginaires.

L'article ajoute que l'article de "I.K.C." ne fait que dévoiler la peur que provoque l'avance (!) brillante (!) de la " Piatiljetka" (?), ce tourbillon qui menace la bourgeoisie sur son flan oriental.

L'article démasque Léon Trotsky et démontre à qui Trotsky offre maintenant ses services.

La "Pravda" dévoile à quel point Trotsky, qui adresse aux bolcheviks des paroles blessantes, est tombé bien bas dans l'éthique humaine, et elle prouve qu'il n'est qu'un renégat (???). Avec cet article, Trotsky s'est cloué lui-même au pilori, et est passé du rôle de prétendu porte-parole des masses ouvrières à celui de correspondant de cet organe de Pilsudski qu'est "I.K.C." Il est impossible de tomber plus bas, conclut la "Pravda".


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