1931

 

 

Trotsky

Léon Trotsky

 

Lettre à Lacroix

11 décembre 1931

11 décembre 1931

Camarade Lacroix.

Vous me demandez les raisons de mon mutisme. Je ne crois pas que j'aie laissé quelque question posée par les camarades espagnols sans réponse. A la question sur la fraction large ou étroite, j'ai répondu en me désolidarisant avec les camarades Nin et Molinier et en me déclarant d'accord avec vous. A la question de la subvention financière j'ai répondu en me désolidarisant avec votre lettre et celle de Nin : je les trouve absolument intolérables et c'est à peine si je peux les concilier avec l'esprit révolutionnaire et communiste.

La déclaration de votre CE. du 25 novembre empire la situation de beaucoup. Camarade Markine vous a écrit à mon initiative quelques explications sur les difficultés matérielles de Molinier. Markine m'a envoyé la copie de sa lettre que je trouvais tout à fait juste, tranquille par son ton et dictée exclusivement par le désir d'atténuer un conflit qui n'a aucune base de principe. Or cela vous a suffi pour déclarer Markine comme appartenant à "la fraction Frank Molinier si dangereuse pour la vie de notre organisation internationale".

La "fraction Frank-Molinier" est la fraction qui dirige la Ligue française selon les décisions de la dernière conférence nationale. Or quelques difficultés matérielles vous suffisent pour déclarer la guerre à la direction de la section française. Ou est ce que vous avez des divergences de principe avec la direction française ? Pourquoi les taisez vous ? Et alors : quelle autre fraction soutenez vous en France ? Vous êtes obligé de vous prononcer ouvertement et non pas faire de la politique de coulisses.

Vous accusez Markine d'appartenir à la fraction Frank Molinier. C'est juste que dans toutes les questions fondamentales, Markine, comme moi même, nous soutenions ce groupe après que le groupe Naville ait fait faillite et que la plupart de ses membres aient quitté la Ligue, Vous n'avez jamais protesté contre notre attitude dans la question française. Dans la question espagnole, Markine m'a écrit, par sa propre initiative, qu'il s'étonne de l'attitude de Nin et Molinier dans la question de la "fraction large". Or Markine vous a soutenu contre Molinier et c'est la seule divergence de principe. Mais, quand Markine proteste tout-à-fait d'accord avec moi contre vos insultes impermissibles envers Molinier, vous déclarez Markine indigne de représenter l'Opposition russe dans le secrétariat international. C'est la seule raison que vous pouvez donner. Chaque section.nationale, chaque membre de la section a le droit de voter pour ou contre. Mais l'argument que vous apportez est incroyable et plutôt compromettant pour vous.

Et voilà, c'est la première réaction ouverte de l'O(pposition) E(spagnole) dans le domaine international. Pendant notre lutte contre Naville Landau pour sauver le noyau de l'Opposition internationale, les camarades espagnols n'intervenaient pas. Quand Rosmer avait déserté sous des prétextes indignes les camarades espagnols ne se prononçaient pas. Dans Comunismo, vous publiiez à cette époque Rosmer et Landau comme collaborateurs. Par négligence technique, avez vous expliqué. Mais la négligence technique dans des questions pareilles est une grave faute politique. Nous, nous avons expliqué vos fautes et vos omissions jusqu'à un certain point par la jeunesse de l'Opposition espagnole, par le fait qu'elle était trop absorbée par les questions de la révolution espagnole pour s'orienter comme il convenait dans les questions internationales. Mais voilà que vous sortez d'un coup sur le domaine international en déclarant la guerre à deux sections nationales, russe et française. Et la raison ? Que les promesses d'aide matérielle ne sont pas si solides que les obligations de la banque Morgan. C'est la seule raison que vous avez indiquée jusqu'à ce moment-ci !

Je peux seulement vous assurer que je répondrais de la même manière à chaque autre camarade qui vous aurait traité vous, Lacroix, comme vous traitez Molinier et Markine. D'ailleurs vous devez vous souvenir que j'ai pris de la même manière la défense du camarade Nin contre vous, quoique je n'étais aucunement d'accord avec son attitude, mais espérant un rapprochement, je voulais empêcher de forcer la rupture. Votre attitude actuelle est tout à fait analogue avec votre attitude envers Nin, mais beaucoup plus brutale quoique beaucoup moins fondée. C'est bien possible que vos paroles aillent au delà de votre pensée, et qu'après avoir réfléchi vous domptiez un peu votre tempérament et vous cherchiez la voie pour arranger un peu mieux les affaires. Je l'espère et je suis prêt de vous aider sur cette voie. Voilà tout ce que je puis vous dire pour l'instant.