1932

Edition établie d'après les documents laissés par le regretté Pierre Broué, résultats de travaux à la Houghton Library, pour les "Oeuvres" de Léon Trotsky en français.

Trotsky

Léon Trotsky

Lettre à Molinier

19 juillet 1932

1) Le camarade Frank est venu sans accident et commence un peu à s'orienter à Prinkipo, même à se baigner et à apprendre à nager. Merci bien pour les livres qui me seront d'une grande utilité.

2) Vous m'avez abonné aux journaux « vu » et « lu » et, en même temps, vous m'envoyez ces deux journaux avec le « Populaire » et « l'Humanité », ce qui est superflu.

3) Avec le manuscrit pour Rieder, il a dû y avoir quelque malentendu que je suis absolument incapable de déchiffrer, surtout maintenant que ma dactylo est en vacances. Les chapitres que je n'ai pas encore fournis vous seront envoyés le 1er ou le 2 août, et ce seront entre vos mains les derniers leviers de pression contre l'éditeur (si vous en avez encore besoin).

4) Le consulat tchécoslovaque m'a informé que le visa n'est accordé « en principe », que pour la période de septembre à décembre, pas plus tôt, mais que je dois être muni d'un passeport valable pour une demi-année après mon séjour en Tchécoslovaquie. Le consul sait très bien, par moi-même, que mon passeport soviétique, qui est d'ailleurs problématique pour des raisons connues, expire au mois de décembre. La nouvelle condition ne signifie pas autre chose que le refus d'un visa accordé en principe. J'ai exposé la situation aux trois ministres tchécoslovaques, avec la franchise nécessaire. J'attendrai maintenant la réponse avant d'entreprendre quoi que ce soit.

5) J'ai vu dans le dernier numéro de « la Vérité », qui produit une bonne impression, que vous avez inauguré la campagne pour le visa par une lettre au Parti. Je ne crois pas que ce soit un commencement bien heureux. Formellement vous n'avez besoin d'aucune couverture : l'attitude du Parti dans cette question est bien fixée depuis longtemps. Pratiquement vous mettez le Parti en garde et l'ambassade aussi avant d'avoir entrepris quoi que ce soit. Vous trouverez maintenant sur votre voie des difficultés supplémentaires. D'ailleurs ce côté ci du problème n'est pas décisif.

Mais puisque la question est posée ouvertement, ce serait peut-être mieux pour moi de m'adresser formellement au consulat français. Sans cela la campagne va rester dans le vague. Je sais que les camarades français préfèrent un sondage préalable, mais dans ce cas, il n'y avait pas nécessité d'afficher la question dans « La Vérité ». Si je ne recevais pas une réponse satisfaisante de Prague, et c'est bien exclu, je pourrais bien m'adresser au consulat français. J'attendrai là-dessus l'avis des camarades de Paris.

Si je comprends bien la lettre de Parijanine à vous, c'est lui qui a fait la traduction de ma lettre concernant le visa. Avez-vous lancé d'une manière ou d'une autre ce document ? Si je m'adressais ici au consulat, je demanderais un séjour de quelques mois, pour raison de santé, et je prendrais, par avance, les obligations énumérées dans ma lettre qui est entre vos mains.

6) Quelques mots seulement concernant la lettre des camarades espagnols. Quel inconvénient, demandent-ils, aurait-on à consacrer une séance aux groupes scissionnistes et à leurs plaintes ? L'inconvénient consisterait en ceci que par cette procédure on ne peut que démoraliser et perdre la conférence. Dans un dernier numéro de son organe, le groupe Landau déclare que la question Kernmayer devra être portée à la tribune de la Conférence Internationale. Ce trait suffit absolument pour éclairer toute la question. La clique Landau a accusé d'espionnage Kernmayer qui était passé au groupe Frey. La commission internationale a proposé de soumettre la question à une commission de contrôle ; la clique Landau a refusé. Peut-on avoir quelque chose de commun avec des individus qui lancent les accusations les plus infâmes et refusent de les démontrer devant l'organisation à laquelle ils prétendent adhérer ? Et maintenant ces mêmes individus veulent occuper la conférence internationales toute entière avec cette question. Les camarades devraient venir de Chicago, de Madrid, etc. pour s'occuper, en trois ou quatre langues, d'intrigues, de calomnies, et de potins : c'est incroyable. Et le profit ? Celui qui n'aura pas pu former son opinion en étudiant les documents, les correspondances, etc. ne deviendra pas plus éclairé par une discussion confuse, envenimée et inévitablement partielle. D'autre part une discussion pareille, stérile et énervante, sera tout à fait suffisante pour envenimer toute l'atmosphère et condamner à l'impuissance la conférence elle-même.

Nous avons besoin d'une conférence pour un travail positif : plate-forme, thèses, mesures d'organisation. Si après la conférence le groupe Landau ou un autre se persuadait ou trouvait qu'il doit adhérer (naturellement sans conditions) à l'Opposition Internationale il pourra s'adresser au nouveau S.I. C'est le seul procédé normal si l'on ne veut pas permettre à chaque groupe et clique de mettre en cause notre organisation et nos statuts et de transformer nos assises régulières en assises constituantes. Non, là-dessus, il ne peut y avoir de concessions, telle est ma conviction la plus ferme.