1933

Source : Léon Trotsky, Œuvres 3, Novembre 1933 – Avril 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1978, pp. 110-120.

Trotsky

Léon Trotsky

Contribution à une discussion sur les fondements théoriques de la L.C.I.

4 décembre 1933

1. Sans aucun doute, la vieille controverse « entre Lénine et Trotsky » sur les perspectives de la révolution russe n’a plus qu’un intérêt historique, et, de toute façon, les membres de l’Opposition de gauche sont libres de prendre parti. Quiconque désire pourtant prendre une position précise doit l’analyser en liaison avec le cours concret de la lutte de classes et les groupements révolutionnaires en Russie à l’époque.

2. Les épigones ont déduit des vieilles discussions, qui ont traversé plusieurs phases, quelques règles générales de stratégie révolutionnaire, et les ont énoncées sous la forme d’une antithèse entre léninisme et trotskysme. Mais ce n’est plus là une question d’histoire, mais une question du présent et de l’avenir. Le camarade L(adislav) P(orzsolt) se déclare, au moins en principe, d’accord avec ceux des principes stratégiques que les staliniens ont qualifiés de « trotskystes », mais qui sont en réalité l’application du marxisme aux conditions de notre époque. Cette solidarité, éprouvée par l’expérience, est bien plus importante qu’une divergence d’opinion sur une controverse depuis longtemps réglée.

3. Cependant, quand le camarade L(adislav) P(orzsolt) fait référence dans ses thèses à cette controverse historique, il commet plusieurs erreurs. « En réalité, écrit-il, le renversement du tsarisme fut l’œuvre des masses ouvrières et paysannes. » Il voit là-dedans la preuve que Lénine avait raison contre moi. Il n’y eut pourtant sur ce rapport aucune discussion entre nous. Déjà, au cours de la polémique avec Radek, j’avais essayé de souligner que toute « grande » révolution, c’est-à-dire une révolution authentiquement populaire, était et est l’œuvre des masses prolétariennes (pré-prolétariennes) et paysannes (petites-bourgeoises). Cette thèse constituait dans la discussion le terrain d’accord. La seule question était de savoir quelle classe assumerait le rôle dirigeant et par conséquent prendrait le pouvoir. L(adislav) P(orzsolt) reconnaît que le prolétariat russe a pris le pouvoir avant celui d’Europe occidentale, mais attire l’attention sur le fait que cela s’est produit non au cours de la « révolution contre le tsarisme, mais au cours de la seconde révolution contre la bourgeoisie ». Qu’est-ce que cela signifie ? Par révolution bourgeoise, un marxiste digne de ce nom entend avant tout la solution de la question agraire. Cette conception, qui les distinguait des libéraux et des mencheviks, constituait la base commune d’idées de Lénine et de Trotsky. Le fait qu’en février, les classes possédantes, et, parmi elles, la noblesse, y compris les princes, abandonnèrent — temporairement — la monarchie dans l’intérêt de leur propre préservation, constitua un épisode que nul ne pouvait prédire. Après l’abdication de Nicolas II, la question de la terre, c’est-à-dire la question de la révolution démocratique bourgeoise, occupa, avec celle de la guerre, la position prédominante dans la vie politique. C’est précisément sur la base de cette révolution que le prolétariat prit le pouvoir.

4. Il s’ensuit donc que, dans les pays où, en dépit de leur arriération, la division entre les classes fondamentales (la bourgeoisie, la petite bourgeoisie, le prolétariat) recoupe l’ensemble de la nation (Inde, Chine), l’émancipation nationale et la révolution démocratique-bourgeoise ne peuvent être menées à leur terme que par la dictature du prolétariat. C’est précisément là que réside la continuité (permanence) entre la révolution bourgeoise et la révolution socialiste. La révolution en Chine a traversé plusieurs phases. La route en Inde ne sera pas moins compliquée et tortueuse. Nous aurons, bien sûr, à suivre et analyser chaque étape. Mais la tâche de formuler un pronostic stratégique ne consiste pas à déduire les étapes et épisodes concrets, mais à formuler la tendance fondamentale du développement révolutionnaire. Cette tendance fondamentale est indiquée par la formule de la révolution permanente, laquelle repose sur trois concepts :

a) La bourgeoisie nationale, qui au cours des premières étapes, cherche à utiliser la révolution à son profit (Kuomintang, Gandhi), passe invariablement de l’autre côté de la barricade, avec les classes féodales et les oppresseurs impérialistes, dans le cours du développement ultérieur de la révolution.

b) La petite bourgeoisie (paysannerie) ne peut plus jouer désormais de rôle dirigeant dans la révolution bourgeoise et, par conséquent, ne peut pas prendre le pouvoir. C’est de là que découle le rejet du mot d’ordre de la dictature démocratique bourgeoise du prolétariat et de la paysannerie.

c) Sous la dictature du prolétariat, la révolution démocratique-bourgeoise se transforme en révolution socialiste, laquelle ne peut triompher totalement qu’en tant que maillon de la révolution mondiale.

Le fait d’avoir transgressé ces principes a déjà fait beaucoup de dégâts en Chine, en Inde, au Japon et ailleurs.

5. La théorie de la révolution permanente est réfutée, selon L(adislav) P(orzsolt), par le fait que la paysannerie n’a pas réussi en seize ans à renverser la dictature du prolétariat, contrairement aux vieilles craintes de Trotsky. Cet argument est, lui aussi, tout à fait à côté de la cible. Non seulement avant, mais également après la révolution d’Octobre, Lénine a des dizaines de fois exprimé l’idée que, sans le soutien rapide du prolétariat mondial, le pouvoir soviétique serait renversé. Il s’agissait d’évaluer de façon empirique des facteurs nombreux et contradictoires, qu’il est impossible de prévoir comme dans un calendrier. Si, grâce à toute une série de circonstances, le pouvoir soviétique s’est maintenu pendant seize ans dans un seul pays, cela ne constitue pas un argument de poids contre le caractère international de la révolution, ni contre le fait que la capacité de résistance de la dictature prolétarienne est d’autant plus faible que la paysannerie est plus nombreuse. \

6. Le camarade L(adislav) P(orzsolt) s’approche de très près de l’argument, depuis longtemps réfuté, de Boukharine, selon lequel, à l’échelle internationale, la proportion entre ouvriers et paysans n’est pas plus favorable qu’elle ne l’est dans les limites des frontières de l’Union soviétique. C’est de la pure scolastique. La question est tranchée non par le pourcentage moyen d’ouvriers dans le monde entier, mais par l’ordre dans lequel les pays sont entraînés dans la révolution. Si, par exemple, la direction de Brandler n’avait pas saboté la révolution allemande en 1923, les proportions statistiques entre prolétariat et paysannerie à l’échelle mondiale seraient naturellement demeurées inchangées, mais les forces de la révolution prolétarienne auraient été multipliées un grand nombre de fois. L’Allemagne soviétique aurait entraîné toute l’Europe dans la révolution. La transformation de l’Europe en forteresse socialiste aurait modifié le rapport de forces dans le monde entier. Les pays arriérés seraient entrés dans la révolution dans les conditions les plus favorables ; les convulsions contre-révolutionnaires auraient été infiniment moins dangereuses.

7. En ce qui concerne la question du socialisme dans un seul pays, le camarade L(adislav) P(orzsolt) propose un certain nombre de formules ambiguës. Il commence par reproduire sans commentaire la fameuse citation de l’article de Lénine en 1915 sur la possibilité de « la victoire du socialisme d’abord dans plusieurs pays ou même dans un seul pays ». On sait fort bien que Staline a déduit de cette citation toute sa théorie. Dans la littérature de l’Opposition de gauche, cependant, il est démontré de façon irréfutable que Lénine entendait ici, comme dans bien d’autres cas, par « victoire du socialisme », la prise du pouvoir par la classe ouvrière, c’est-à-dire la création de l’État socialiste, mais non la construction d’une société socialiste. Ou bien le camarade L(adislav) P(orzsolt) a-t-il le moindre doute sur ce point ? Une relecture soigneuse de la citation les dissipera.

8. Le camarade L(adislav) P(orzsolt) tente de réduire la théorie du socialisme dans un seul pays à une abstraction creuse. Si l’intervention extérieure et la contre-révolution intérieure ne se matérialisent pas, la technologie des soviets continuera de se développer, le niveau de vie et la culture des masses continueront à augmenter fortement, et le socialisme pourra être réalisé. Mais, comme le camarade L(adislav) P(orzsolt) le concède, cette possibilité abstraite est irréalisable du fait du caractère aigu des antagonismes de classes à l’échelle mondiale. A son avis, l’« arriération » de la Russie n’a rien à voir dans l’affaire. On peut surmonter l’arriération nationale sans avoir à surmonter l’exacerbation de la guerre de classes dans le monde entier.

Mais c’est précisément la question. Surmonter l’arriération prend longtemps ; dans l’intervalle, le développement de la lutte de classes mondiale ne donne pas à l’U.R.S.S. un répit illimité. Plus grave, surmonter l’arriération impose un terrible fardeau aux masses laborieuses. Le fait que les ouvriers russes, seize ans après la révolution, n’aient pas de quoi manger, effraie les ouvriers des autres pays, entrave le développement de la révolution mondiale et augmente les dangers pour l’U.R.S.S.

9. Comment comprendre la « possibilité » abstraite de la construction du socialisme dans un seul pays ? Si la Russie était seule au monde, il n’y aurait pas eu en 1917 de révolution d’Octobre. Si on supprime en esprit l’économie mondiale après la révolution d’Octobre, alors la Russie laissée à elle-même serait revenue au capitalisme. Car, dans le cadre de l’Union soviétique, le capitalisme était loin d’avoir épuisé ses possibilités. Dans le domaine de la production, le régime soviétique est seulement en train maintenant de « rattraper » les pays capitalistes. La dictature du prolétariat se maintient en U.R.S.S. parce que l’économie mondiale, dont le capitalisme russe faisait partie, a été conduite à l’impasse. Mais un danger mortel — le fascisme — issu de cette même source menace la dictature.

10. La véritable question « n’est pas la possibilité du socialisme dans un seul pays, mais l’unité internationale de la lutte de classes révolutionnaire ». Par cette formule, L(adislav) P(orzsolt) transforme l’unité internationale en une espèce d’abstraction, comme il l’a fait avant de la construction du socialisme dans un seul pays. Si on enseigne aux ouvriers que protéger l’U.R.S.S. contre une intervention militaire y garantit la victoire finale et complète du socialisme, alors la question de la révolution mondiale perd toute signification, et la politique étrangère se dégrade à la prévention de l’intervention. C’est de cette façon que la bureaucratie stalinienne a ruiné le Comintern et qu’elle peut ruiner l’État soviétique. La théorie du socialisme dans un seul pays et l’unité internationale de la lutte prolétarienne s’excluent en réalité l’une l’autre.

11. La bureaucratie en U.R.S.S. n’est ni un facteur moral, ni un facteur technologique, mais un facteur social, c’est-à-dire un facteur de classe. La lutte entre les tendances socialiste et capitaliste a revêtu primitivement le caractère d’une lutte entre les intérêts sociaux représentés par l’État et les intérêts personnels des consommateurs, des paysans, des fonctionnaires et des ouvriers eux-mêmes. Dans la situation donnée, surmonter les antagonismes de classe signifie harmoniser les intérêts sociaux de la production et les intérêts personnels des consommateurs, alors qu’au cours de la phase actuelle du développement l’intérêt personnel demeure le premier moteur de l’économie. Cette harmonisation a-t-elle été réalisée ? Non. La croissance de la bureaucratie reflète la croissance de la contradiction entre les intérêts privés et les intérêts sociaux. Représentant les intérêts « sociaux », la bureaucratie les identifie dans une large mesure aux siens propres. Elle trace la distinction entre le social et le privé conformément à ses propres intérêts privés. Cela crée une tension plus grande encore entre les contradictions et conduit par conséquent à une aggravation ultérieure du bureaucratisme. Au cœur de ces processus se trouve l’arriération de l’U.R.S.S. et son isolement dans un environnement capitaliste.

12. Les empiristes disent qu’en seize ans le pouvoir soviétique a fait des progrès extrêmement rapides et que, si cela continue, le socialisme sera certainement réalisé. Nous leur répondons que « si ça continue », le processus aboutira certainement à une explosion interne, plus probablement avec l’aide d’un choc de l’extérieur, mais peut-être aussi sans lui. L’intervention militaire n’est, de façon générale, dangereuse, que dans la mesure où elle trouverait d’abord à l’intérieur de l’Union soviétique une exacerbation extrême des contradictions, et, deuxièmement, où l’intervention militaire ouvrirait une brèche pour l’introduction de produits capitalistes bon marché. Ces deux conditions démontrent et que le problème du socialisme n’est pas résolu, et — dans la mesure où la question n’est pas du domaine de l’abstraction, mais de celui de la réalité — qu’il ne le sera pas sans la révolution internationale.

13. De ces considérations, quelques personnes particulièrement intelligentes tirent la conclusion que nous volons les ouvriers russes de leurs « perspectives ». D’autres vont encore plus loin et nous accusent de nier l’utilité et la nécessité de la construction socialiste en U.R.S.S. : pourquoi, en effet, construire si, de toute façon, il n’en résulte rien ? Cela ne vaut guère la peine de répondre à de telles absurdités. Si je dis que l’organisme humain ne peut vivre sans respirer de l’air frais, je ne nie pas pour autant les avantages de la nutrition, ni l’importance de l’estomac comme organe de la digestion.

En ce qui concerne l’U.R.S.S. et le Comintern, ce que dit le camarade L(adislav) P(orzsolt) sur la dépendance du Comintern vis-à-vis des intérêts politiques de la bureaucratie soviétique est, dans l’ensemble, correct et, contrairement à ce qu’il dit, a été maintes fois affirmé dans les écrits de l’Opposition de gauche. Néanmoins, même sur ce sujet, le camarade L(adislav) P(orzsolt) se permet des formules ambiguës sinon fausses. Ainsi, il dit que la bureaucratie soviétique a transféré artificiellement ses controverses internes dans le Comintern. Si on laisse de côté les méthodes criminelles de la bureaucratie (l’étranglement de la critique, la fraude, le faux, les accusations préfabriquées et la vénalité), il reste néanmoins que les groupements fractionnels à l’intérieur du parti communiste d’Union soviétique avaient une signification internationale. Et c’est particulièrement vrai de l’Opposition de gauche. Il est vrai qu’elle s’est développée sur la base immédiate des questions russes qu’étaient les rythmes de l’industrialisation et le régime du parti. Mais ces questions elles-mêmes en vinrent tout de suite à prendre une importance internationale. Le problème du bureaucratisme affectait directement et immédiatement le Comintern. Déjà en 1924-1925, la lutte tournait entièrement autour de la question de la révolution allemande (Leçons d’Octobre). En 1926, la lutte est devenue aiguë sur la question du comité anglo-russe et le coup d’État de Pilsudski en Pologne. L’année 1927 est tout entière placée sous le signe de la révolution chinoise. A travers toutes ces années court la lutte sur la question des « partis ouvriers et paysans » en Orient, sur l’Internationale paysanne rouge — soit dit en passant, où a-t-elle disparu ? — etc. 1928 est l’année de la lutte autour du programme de l’I.C. 1929-1933 : ultra-gauchisme dans la politique économique de l’U.R.S.S., le problème du fascisme. L’Opposition communiste de droite (K.P.O.) a ignoré les questions les plus importantes de la stratégie révolutionnaire internationale, et cela se reflète malheureusement aujourd’hui de façon extrêmement négative dans la direction du S.A.P.

15. Sur le centrisme, le camarade L(adislav) P(orzsolt) commet une erreur méthodologique majeure quand il refuse de reconnaître la division apparemment « russe » du camp communiste en gauche, centristes et droite. Selon lui, les droitiers en Russie sont en réalité des liquidateurs. En Occident pourtant, le pourcentage de liquidateurs parmi les droitiers n’est pas élevé : « Le cours de la meilleure section de la K.P.O. qui, à travers le S.A.P., est venue tout près de l’Opposition de gauche.. parle clairement en lui-même ». Toutes ces considérations, indépendamment de leur exactitude ou de leur fausseté, ne réfutent pas, mais, au contraire, soutiennent notre classification, et, en particulier, la division des centristes entre droite et gauche. Pour que le S.A.P. puisse approcher des idées de l’Opposition de gauche, il a fallu que ses membres fassent scission d’avec la gauche de la social-démocratie, tandis que ses dirigeants devaient rompre avec les brandlériens. Pourtant ce processus n’est pas encore achevé sur le plan idéologique.

Si le camarade L(adislav) P(orzsolt) veut dire que tous les brandlériens ne sont pas perdus pour la révolution, nous l’admettrons avec joie. Pour s’engager dans la voie de la révolution — c’est-à-dire, dans les conditions historiques actuelles, dans celle de la IVe Internationale — ils doivent rompre avec les centristes de droite et surtout avec les particularités et méthodes centristes, le dédain pour la théorie, l’insuffisante incompréhension de l’organisation internationale et le manque de considération pour les problèmes de stratégie révolutionnaire conduisant à leur substituer des questions de tactique, etc.

On peut considérer comme une règle générale que l’antipathie pour le concept de centrisme, et pour toute autre subdivision dans le centrisme, est caractéristique des tendances qui, ou bien sont elles-mêmes centristes, ou bien n’ont pas réussi encore à se libérer de leur amorphie intellectuelle.

16. L’effondrement de la social-démocratie allemande et du parti communiste allemand a ouvert toute une période de dégénérescence, de fermentation et de nouvelle cristallisation à l’intérieur de l’avant-garde prolétarienne. Mais, dans le cas qui nous concerne, la « fermentation » ne signifie rien de plus que le passage par des étapes intermédiaires ou centristes de développement. Que, dans tel ou tel cas individuel, on ait affaire à une dégénérescence ou une recristallisation révolutionnaire, dépend de la direction dans laquelle se dirige le mouvement en question : de gauche à droite, ou de droite à gauche, etc. De là découle la nécessité de distinguer entre centrisme de droite, centrisme de gauche, etc. Ces concepts, bien entendu, n’ont rien d’absolu. Mais, tout relatifs qu’ils soient, ils sont tout à fait indispensables pour une orientation marxiste, tout à fait opposée à une orientation vulgaire et empirique. Les politiques prolétariens peuvent aussi peu s’en passer que les marins de leur carte et de leur compas.

17. Prenons deux exemples : le parti ouvrier norvégien (D.N.A.) et le parti communiste indépendant suédois. Le D.N.A. fait route du centrisme vers le réformisme. Afin de mener à bien ce développement sans explosions internes, Tranmael avait besoin d’un masque et d’une couverture. Elles lui ont été fournies par sa liaison avec les partis socialistes indépendants des autres pays. Aujourd’hui, se sentant fermement en selle, il commence à payer de retour en bourrant de coups de pied ceux qui lui ont tenu les étriers : une expérience qui n’a rien de nouveau.

C’est de la part du S.A.P. et de l’O.S.P. une erreur opportuniste grave que d’avoir signé avec Tranmael la résolution pour un combat commun en vue de la renaissance du mouvement révolutionnaire (!) ; cette erreur provient d’une attitude vulgairement empirique vis-à-vis de la tâche de rassemblement des forces, et d’une absence d’appréciation marxiste des tendances et du cours de leur développement.

Le parti communiste indépendant suédois, autant que je puisse en juger sur la base d’un matériel très maigre, se développe de la position brandlérienne vers la gauche. Il va sans dire que tout internationaliste révolutionnaire fera tout ce qui lui est possible pour que ce développement puisse conduire à un rapprochement et à entreprendre des efforts en commun sur la base des principes de la nouvelle Internationale. Mais il est inadmissible de prendre ses espoirs pour la réalité et de substituer à aujourd’hui un possible demain. Le parti suédois a non seulement voté pour la même résolution que Tranmael, mais il a également refusé de signer la déclaration pour la IVe Internationale. Bien qu’ils soient d’accord en principe sur la nécessité d’une nouvelle Internationale, les dirigeants de ce parti considèrent que sa proclamation serait « prématurée ». Il y a en réalité une vacillation centriste derrière cette attitude. Il n’est pas question aujourd’hui de proclamer la nécessité de la nouvelle Internationale et de la formulation de ses principes fondamentaux sous les yeux de la classe ouvrière mondiale.

Dans la mesure où, dans ces circonstances, le S.A.P. et l’O.S.P. ont signé la déclaration pour la nouvelle Internationale d’une main, et de l’autre signé la déclaration avec Tranmael, Balabanova, Paul Louis et autres, ils font obstacle à l’apparition de la nécessaire clarté ; ils donnent aux hésitants un nouvel exemple d’hésitation ; ils retardent le développement révolutionnaire du parti suédois et de bien d’autres organisations. On ne peut se guider uniquement par l’ambition d’amasser le plus possible. Il faut aussi conserver une charte politique et un compas devant soi. La quantité de masse ne peut résulter que de la qualité des principes.

18. Le camarade L(adislav) P(orzsolt) a tout à fait raison quand il insiste sur le fait que les sections de l’ancienne Opposition de gauche devraient cesser de se considérer seulement comme une opposition ou comme des auxiliaires de l’Opposition russe. Elles doivent agir en tant que cadres — une partie des cadres — des nouveaux partis nationaux et de la nouvelle Internationale. Le camarade L(adislav) P(orzsolt) se distingue favorablement sur cette question de ces empiristes qui ne comprennent pas le rôle d’avant-garde de l’Opposition de gauche parce qu’ils se laissent au fond guider par un critère purement trade-unioniste — celui des chiffres tout nus — au lieu d’un critère marxiste partant du rôle décisif de la théorie, des principes et des méthodes.

19. L’idée du camarade L(adislav) P(orzsolt) qu’il nous faudrait dresser un catalogue des sections du Comintern qui sont mortes et de celles qui sont vivantes est fausse. On a suffisamment traité de cette question au cours de notre discussion. Dans tel ou tel pays, nous arriverons à prendre la majorité de la section nationale, mais ce ne sera pas à travers l’idée de la réforme, mais en établissant ouvertement la nouvelle Internationale. C’est ainsi que la IIIe Internationale, à son époque, a réussi à prendre la majorité dans la social-démocratie française.

20. Il est parfaitement exact que de très importantes questions concernant les développements économiques et politiques les plus récents n’ont pas été traitées dans la littérature de l’Opposition de gauche. Des traités de ce genre présupposent la croissance des cadres, l’assimilation de nouvelles forces, une division plus large du travail, y compris le travail théorique.

D’un autre côté, on doit comprendre que le travail théorique accompli par les différentes tendances aussi bien que le développement immédiat de l’économie et de la politique mondiales durant la dernière décennie n’ont rien apporté qui contredise les principes programmatiques et stratégiques les plus importants de l’Opposition de gauche, ni sa perspective révolutionnaire. C’est là que réside la plus importante garantie du succès de la construction future.