1936

Lettre à A. Grylewicz, Bibliothèque du Collège de Harvard, 8426, avec la permission du Collège de Harvard. Traduite de l'allemand.


Œuvres – avril 1936

L. Trotsky

[Questions de travail]

25 avril 1936


Cher Ami,

Je me réjouis fort que nous arrivions à une conception et une décision communes. Mais vous comprendrez que je ne puisse entreprendre et mener à bien toute cette affaire sous ma seule responsabilité personnelle. Le sort de la revue doit être réglé collectivement. Cela prendra malheureusement encore plusieurs semaines.

De même, je ne veux en aucun cas parler de la publication des premiers numéros tant que l'affaire n'est pas réglée et arrêtée au moins dans ses grandes lignes sur les plans politique, littéraire et administratif. Cela va de pair avec la question de savoir où la revue va finalement paraître. On dit que l'endroit où est imprimé Unser Wort serait très avantageux, car les frais y sont deux fois moindres qu'ailleurs. Mais, d'un autre côté, il faut avoir sur place un camarade qualifié et entièrement dévoué à la chose, qui y mette la dernière main et sache parfaitement corriger des épreuves. La création de semblables conditions exige du temps. Mais cela coïncide avec mon plan de travail pour le proche avenir. Il faut absolument que j'achève mon livre sur l'U.R.S.S., ce qui va me prendre encore quelques semaines, et ensuite que je participe à l'élaboration d'importants documents pour la IV° Internationale [1]. Ces documents doivent d'abord être soumis à la discussion et serviront ensuite pour ainsi dire de prélude à une phase supérieure de développement de notre organisation. Ce travail achevé, je travaillerai à mon livre sur Lénine, mais sans hâte, afin de me laisser assez de temps libre pour la revue, de façon qu'elle soit faite du mieux possible. Le premier numéro pourrait peut‑être commencer par les documents programmatiques dont je viens de parler. Je crois donc qu'il n'est guère possible de sortir le premier numéro de la revue avant le début de l'automne.

Quelques mots à présent sur la collaboration de la camarade dont il était question dans votre lettre ; je n'ai pas besoin de vous dire quelle irremplaçable valeur ‑ je dis bien irremplaçable ‑ aurait pour moi la collaboration permanente d'une camarade russe qui serait en même temps sténodactylographe [2]. Je n'ai pas quant à la rapidité de la sténographie de si grandes exigences (je fais remarquer cela à cause de l'extrait de la lettre de la camarade qui m'a été adressé). La difficulté est ailleurs. La vie ici n'est pas amusante du tout. La camarade en question se sentira peut-être, en milieu étranger et dans un village, par trop isolée. Naturellement, on pourrait arranger les choses de façon qu'elle ait périodiquement ‑ disons tous les quatre mois ‑ un congé d'un mois, etc. Il n'en reste pas moins que les conditions de vie ici ne sont nullement alléchantes. Notre ami Hartmann [3] en tout cas en sait quelque chose. Cet aspect de la question devrait être attentivement pris en considération par la camarade avant toute décision.

En ce qui me concerne, la possibilité d'avoir à ma disposition, chaque fois que je me sens bien, une collaboratrice technique à qui je puisse dicter, doublerait pour le moins la productivité de mon travail. Le fait que la camarade sache aussi parfaitement l'allemand et même assez bien le français est déjà pour ainsi dire un luxe qui ne gâte rien à l'affaire. Mais le principal, qui est aussi la difficulté principale, reste pour moi de travailler en langue russe.

Un mot à présent sur la question technique du virement de l'argent. Vous proposez de faire un dépôt en mon nom. A vrai dire, cela n'aurait aucun sens de faire un virement en Norvège. Il faudrait déposer l'argent là où il sera dépensé. Je pourrais alors donner la procuration nécessaire à l'administrateur désigné. Enfin, il faut tenir compte des risques d'inflation ou de dévaluation. Il serait souhaitable que les Belges ne procèdent pas à une seconde dépréciation de leur monnaie. Sous ce rapport aussi, le lieu de parution proposé n'est pas mauvais. Mais la question de l'administrateur reste encore un grand point d'interrogation.


Notes

[1] Il s'agit des textes et résolutions pour la conférence internationale prévue.

[2] Grylewicz savait que Trotsky cherchait l'oiseau rare, une sténodactylo de confiance connaissant le russe.

[3] Hartmann  était le pseudonyme du Dr Franz Breth, médecin de Reichenberg de réputation mondiale qui appartenait au groupe Rops (il était l'oncle du dirigeant tchécoslovaque J. Kopp) et qui était venu examiner Trotsky à Saint‑Palais puis en Norvège.


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