1938

Compte-rendu sténographique d'une discussion tenue à Coyoacàn entre Trotsky et Jack Weber. Nous n'avons pas traduit l'expression « Labor Party » dont le sens est évidemment particulier et qui n'a pas de véritable équivalent en français. L'expression française qui s'en rapprocherait le plus serait « parti ouvrier ».


Œuvres - juillet 1938

Léon Trotsky

Première discussion sur le Labor Party

20 juillet 1938


Weber [1]. - Quelle influence la « prospérité », une croissance économique du capitalisme américain dans la nouvelle période, peut-elle avoir sur notre activité basée sur le Programme de transition ?

Trotsky. - Il est très difficile de répondre, parce qu'il s'agit d'une équation à plusieurs inconnues. La première question est de savoir si une amélioration conjoncturelle est probable dans le proche avenir. Il est très difficile de répondre, surtout pour quelqu'un qui ne suit pas les graphiques au jour le jour. Comme je le vois dans le New York Times, les spécialistes sont très incertains sur ce point. Dans le dernier numéro du dimanche du New York Times, l'indice des affaires manifestait une tendance très confuse. Au cours de la semaine dernière, il y avait eu baisse, deux semaines avant, hausse, etc. Si on considère le tableau général, on constate qu'une nouvelle crise a commencé manifestant une courbe d'un déclin presque vertical jusqu'en janvier de cette année; puis la courbe a commencé à manifester des hésitations - une courbe en zigzag, mais avec une tendance générale à la baisse. Mais la baisse cette année a été indubitablement plus lente que la baisse pendant les neuf mois de l'année précédente. Si on considère la période précédente, qui a commencé avec l'effondrement de 1929, on constate que la crise a duré presque trois ans et demi avant le début du mouvement de hausse, avec des hauts et des bas moins marqués, durant quatre ans et demi - c'était la « prospérité » de Roosevelt [2]. Ainsi le dernier cycle a été de huit ans, trois ans et demi de crise et quatre ans et demi de « prospérité » relative, huit ans étant considérés comme une durée normale pour un cycle capitaliste. Maintenant, la nouvelle crise a commencé en août 1937 et, en neuf mois, elle a atteint le point qu'on avait atteint en deux ans et demi au cours de la crise précédente. Il est très difficile de faire maintenant un pronostic sur le délai, le point de la prochaine remontée. Si on considère le nouvel effondrement du point de vue de sa profondeur, je le répète, la crise a réalisé le travail de deux ans et demi, mais n'a pas encore atteint le point le plus bas de la précédente. Si on considère la nouvelle crise du point de vue de la durée - neuf ans, ou même huit ans, c'est trop peu pour une nouvelle remontée. C'est pourquoi, je le répète, un pronostic est difficile. Il faut que la nouvelle crise atteigne le même point - le plus bas - que la crise précédente. C'est probable, mais pas absolument certain. Ce qui caractérise le nouveau cycle, c'est que la « prospérité » n'a pas atteint le sommet de la prospérité précédente, mais on ne peut à partir de là tirer de façon abstraite une conclusion sur le nadir. Ce qui caractérisait la prospérité Roosevelt, c'était qu'il s'agissait d'un mouvement essentiellement des industries légères, pas du bâtiment, ni de l'industrie lourde. C'est ce qui a fait que le mouvement s'est développé de façon limitée. C'est précisément la raison pour laquelle la chute s'est produite de façon aussi catastrophique, parce que le nouveau cycle n'avait pas une base solide d'industries lourdes, surtout des industries du bâtiment qui sont caractérisées par de nouveaux investissements avec une perspective à long terme, et ainsi de suite.
Maintenant on peut supposer théoriquement que le nouveau mouvement de reprise affectera plus que les industries du bâtiment - les industries lourdes en général - du fait qu'en dépit de la consommation au cours de la dernières période, les machines n'ont pas été suffisamment renouvelées et que la demande pour elles sera maintenant plus grande que dans la période précédente. Ce n'est absolument pas en contradiction avec notre analyse générale d'un capitalisme malade en déclin provoquant toujours plus de misère. Cette possibilité théorique est soutenue dans une certaine mesure par les investissements militaires dans les travaux publics. D'un vaste point de vue historique, cela signifie que la nation s'appauvrit pour permettre d'assurer aujourd'hui et demain de meilleures conjonctures. On peut comparer ce type de conjoncture à une énorme dépense de l'organisme général. On peut la considérer peut-être comme une nouvelle conjoncture d'avant-guerre, mais quand commencera-t-elle ? La baisse va-t-elle continuer ? C'est possible - probable. En ce sens, on aura dans la prochaine période, non pas 13 ou 14 millions, mais 15 millions de chômeurs. En ce sens, tout ce que nous avons dit sur le Programme de transition sera renforcé à tous égards, mais nous adoptons l'hypothèse d'une nouvelle reprise dans les quelques mois, dans les six mois ou l'année qui vient. Un tel mouvement peut être inévitable.
A la première question de savoir si une telle reprise peut être plus favorable à la perspective générale devant notre parti, je crois que nous pourrons répondre par un oui catégorique, qu'elle nous serait plus favorable. Il n'existe aucune raison de croire que le capitalisme américain puisse, de lui-même, au cours de la prochaine période, devenir un capitalisme sain et plein de santé et qu'il puisse absorber les 13 millions de chômeurs. Mais, si nous la formulons sous une forme très simple, arithmétique, la question est de savoir si, dans l'année ou les deux ans qui viennent, les industries peuvent absorber 4 millions d'ouvriers sur les 13 millions de chômeurs, ce qui en laissera 9. Serait-ce favorable du point de vue du mouvement révolutionnaire ? Je crois que nous pouvons répondre par un oui catégorique.
On a une situation dans un pays - une situation très révolutionnaire dans un pays très conservateur - avec une arriération subjective de la mentalité de la classe ouvrière. Dans une telle situation, les reprises économiques - brutales, hauts et bas - ont d'un point de vue historique un caractère secondaire pour la vie de millions d'ouvriers. Aujourd'hui, elles ont une très grande importance. De telles secousses ont une grande impor­tance révolutionnaire. Elles secouent le conservatisme; elles forcent les ouvriers à chercher une explication de ce qui se passe, quelle est la perspective. Et chaque secousse nouvelle pousse une couche d'ouvriers sur la voie de la révolution. Plus concrètement, aujourd'hui, les ouvriers américains sont dans une impasse. Le grand mouvement du C.I.O. [3] n'a pas de perspective immédiate parce qu'il n'est pas guidé par un parti révolutionnaire et les difficultés du C.I.O. sont immenses. D'un autre côté, les éléments révolutionnaires sont trop faibles pour pouvoir impulser dans le mouvement un tournant brusque vers la voie politique. Imaginons que, pendant la prochaine période, quatre millions d'ouvriers entrent dans l'industrie. Cela n'apaisera pas les antagonismes sociaux - au contraire, cela les aiguisera. Si l'industrie était capable d'absorber les 11 ou 13 millions de chômeurs, cela signifierait pour une longue période un apaisement de la lutte de classes, mais elle ne peut en absorber qu'une partie et la majorité demeurera en chômage. Tous les chômeurs savent que ceux qui ont un travail travaillent. Je crois que, dans cette période, notre mot d'ordre de l'échelle mobile peut recueillir une immense popularité; c'est-à-dire que nous revendiquons du travail pour tous dans des conditions décentes sous une forme populaire : « Nous voulons trouver du travail pour tous dans des conditions décentes et avec des salaires décents. » La première période de croissance - croissance économique -serait très favorable en particulier pour ce mot d'ordre. Je crois aussi que l'autre très important mot d'ordre de défense, milice ouvrière, etc. trouverait aussi un terrain favorable, une base, parce qu'à travers une croissance aussi limitée et incertaine - les capitalistes chercheront à avoir des profits immédiats et considéreront avec beaucoup d'hostilité les syndicats qui perturbent la possibilité d'une nouvelle augmentation des profits. Dans de pareilles conditions, je crois que Hague [4] trouverait des imitateurs à grande échelle.
La question du Labor Party devant les syndicats. Bien sûr, le C.I.O., dans une nouvelle prospérité, aurait une nouvelle possibilité de développement. En ce sens, on peut supposer que l'amélioration de la conjoncture reporterait à plus tard la question du Labor Party. Non pas qu'il perdrait toute son importance propagandiste, mais il perdrait de son acuité. Nous pouvons donc préparer les éléments progressistes à cette idée et être prêts à l'approche de la crise, qui ne sera pas longue à venir.
Je crois que cette question du haguisme a une énorme importance et qu'une nouvelle prospérité, une nouvelle remontée nous donnerait des possibilités accrues. Une nouvelle remontée signifierait que la crise définitive, les conflits définitifs sont repoussés de plusieurs années en dépit de conflits aigus pendant la montée elle-même. Et nous avons le plus grand intérêt à gagner plus de temps, parce que nous sommes faibles et parce que les ouvriers ne sont pas prêts aux Etats-Unis. Mais même une nouvelle remontée ne nous donnerait que très, très peu de temps - la disproportion entre la mentalité et les méthodes des ouvriers américains dans la crise sociale, cette disproportion est terrifiante. J'ai cependant l'impression que nous devons donner des exemples concrets de succès et ne pas nous limiter à donner seulement de bons conseils théoriques. Si on prend la situation dans le New Jersey, c'est un coup terrible non seulement à la social-démocratie, mais à la classe ouvrière. Hague n'en est qu'au commencement. Nous aussi nous n'en sommes qu'au commencement, mais Hague est mille fois plus puissant que nous.
Dans le New Jersey, il est tout à fait clair que nous ne pouvons pas faire de miracles, mais nous pouvons réaliser un sérieux travail préparatoire, concentré pour un miracle. Nous devons maintenant, je crois, nous concentrer sur le New Jersey. Concentrer une ou deux dizaines de bons membres du parti pour un travail révolutionnaire clandestin, systématique et de bonne qualité. Jersey City, comme je l'ai lu dans une petite brochure, et c'est une confirmation que chacun peut obtenir lui-même, est une ville où les ouvriers sont le plus férocement exploités, où les salaires sont les plus bas, une ville d'open shops [5]. Nous devons nous concentrer à Jersey City pour un travail clandestin systématique à tous égards - dans les usines, chez les chômeurs, dans les syndicats, etc., avec des intentions révolutionnaires sérieuses pour une manifestation au moment favorable, une lutte ouverte contre l'élément réactionnaire, un combat de rues, sans, bien sûr, aucune tentative aventuriste. Hague a osé le faire. Pourquoi n'oserions-nous pas ? Nous pourrons mesurer la situation à nos propres succès, au sentiment des masses. Notre critique de la politique de Norman Thomas [6], des sénateurs qui font des discours, c'est bien. La critique du P.O.U.M. dans la guerre d'Espagne, elle était juste aussi, mais insuffisante. Nous sommes faibles numériquement - c'est pourquoi nous devons apprendre l'art de concentrer nos forces à un point donné à un moment donné.
Je ne suis pas assez informé, mais je crois que nous pouvons assurer la possibilité de mobiliser de jeunes camarades sous la direction de camarades plus vieux et plus expérimentés et d'esprit combatif, pour pénétrer dans Jersey City et préparer une riposte aux méthodes de Hague. C'est une proposition que je fais pour la discussion ici et aux Etats aussi.

Weber. - J'aimerais partir de la dernière partie de l'intervention du camarade Trotsky. Il a cité le haguisme, et le haguisme à Jersey City. Nous avons des difficultés particulières. D'abord parce qu’il se trouve que les ouvriers sont d'une catégorie particulière. Ce sont des ouvriers catholiques et l’Eglise a un bastion avec eux. L'Eglise est puissante et elle soutient Hague. La majorité des ouvriers est catholique à Jersey City. Si Hague était à New York ou une autre ville, notre travail serait un peu plus simple. Mais il est particulièrement difficile à Jersey City. Cela signifie d'abord une plus grande difficulté dans l'organisation de syndicats. Cela signifie que nous allons vers un heurt frontal avec l'Eglise à Jersey City où l'élément irlandais est très fort dans les ouvriers à prédominance catholique. Le second point concerne l'approche des travailleurs municipaux. La force de Hague consiste surtout en des travailleurs et leurs familles, qui travaillent pour Jersey City et en ce sens il a une quantité énorme de tenanciers. Il a une espèce d'emprise féodale sur Jersey City, en fait sur une bonne partie du New Jersey. Les forces dont il dispose dépendent directement de lui pour vivre. Nous devons aborder le problème du point de vue de comment atteindre les ouvriers municipaux. Nos forces à Jersey City sont très faibles. Nous y avons trois ou quatre camarades. Bien qu'actifs, ce sont des nouveaux dans le mouvement. Ils sont inexpérimentés et il faudrait les renforcer. Nous avons un avan­tage, une aide positive, c'est que les deux syndicats organisés ici dans le C.I.O. (syndicat des travailleurs de l'acier) sont plus ou moins sous notre influence. L'organisateur des syndicats, Kempf, est un élément spécial et, bien que membre de notre parti n'est pas particulièrement préoccupé par la théorie, ne participe pas beau­coup à nos discussions et il est très difficile de le faire avancer. Nous avons une difficulté supplémentaire dans le fait que le C.I.O. à Jersey City, alors qu'il aurait pu combattre Hague avec beaucoup d'efficacité, a plus ou moins mis le problème de côté, essayant de le pousser vers les libéraux. Ils soutiennent maintenant en paroles un comité de Front populaire et esquivent ainsi leur responsabilité. Le C.I.O. n'est pas faible dans le New Jersey. Mais il l'est à Jersey City. Très fort dans le New Jersey, à Jersey City, il est faible. Si nous concentrons nos forces à Jersey City, il nous faudra avancer, bien entendu, d'abord et avant tout à travers les syndicats, et il n'y a que deux syndicats qui signifient quelque chose. Le mouvement des chômeurs est relativement faible. A Jersey City, presque inexistant. L'alliance ouvrière doit devenir active aussi ici. Nous la contrôlons dans le comté voisin et pourrions la pousser dans celui­-ci, mais c'est très difficile. Si nous y concentrons des forces, il faudra d'abord qu'ils trouvent du travail, peut-être dans les aciéries. Nous y avons pas mal de contacts et peut-être pourrons­ nous Y faire embaucher quelques camarades. Dans la périphérie de Jersey City, ça va mieux. Il y a plus de syndicats, nous y avons maintenant plus d'influence. Par exemple, nous avons mis sur pied ce qui équivaut à un conseil de district du C.I.O. Nous y avons de l'influence. Le C.I.O. a révoqué Kempf récemment. Tous les « locals » ont protesté contre cette révocation. Je n'ai pas su s'il avait ou non été réintégré. Ce n'est que ce samedi, après son renvoi, qu'ils l'ont reçu. Je ne sais pas ce qui est arrivé. Révoqué ou non, il exerce encore une influence énorme là. En ce sens, nous pourrions mobiliser les syndicats pour une lutte contre Hague. Il n'y a aucune espèce d'influence lovestoniste. Dans les syndicats même, les staliniens ont de l'influence. Dans le mouvement des chômeurs, nous contrôlons. Comment « coloniser » des forces à Jersey City, c'est un problème difficile. Nos jeunes seraient heureux d'y aller et de travailler. Nous pouvons trouver les forces, mais à quoi les atteler ? Faire un travail illégal ? De quelle espèce ? Pour distribuer les tracts, sortir le matériel imprimé, essayer d'organiser une branche, par exemple ? Nous avons sur place des forces avec lesquelles les individualités envoyées pourraient coopérer. Trois membres très actifs, et qui aideraient.

Trotsky. - Il faut former un noyau secret dans les syndicats, organiser un noyau pour la future milice ouvrière. Je crois que nous donnons ici à notre organisation un caractère plus militaire, afin de la préparer à un heurt sérieux avec Hague. Ce que vous dites est très important. Je ne le savais absolument pas et cela me montre qu'il faut considérer la situation, non du point de vue étroit de Jersey City, mais du point de vue plus large des comtés environnants. Cela ne change pas, mais il nous faut avoir un plan - un plan concret, dans lequel nous disposerons nos forces de façon à préparer une riposte à Hague. J'ai demandé si les lovestonistes avaient des forces, parce que, sur une telle question, il serait possible de conclure un front unique.

Weber. - Quand ce député est venu à Jersey City, le C.I.O. a envoyé des contingents pour le protéger, mais Hague était mieux organisé. Récemment, dans le conseil du C.I.O. du comté d'Essex-Newark et des secteurs autour de Jersey City, nos camarades ont fait passer une motion pour l'organisation par les syndicats de groupes de défense pour défendre les syndicats. Les staliniens étaient contre, mais ils n'ont pas osé dire un mot. Ils sont restés muets et le reste des membres a voté et adopté la motion. Chaque « local » est autorisé à organiser un groupe de défense. Notre programme comprend maintenant la lutte pour obtenir que les syndicats mettent ceci en pratique. Mais, par exemple, en préparant la défaite de Hague, chercherez-vous à tenir un meeting public et, tôt ou tard, de façon à battre ses troupes. Est-ce que ce serait un exemple ? Tenir un meeting public comme un défi à ses forces et repousser leur attaque pour leur montrer que nous sommes les plus forts ?

Trotsky. - Il est plus facile de les attaquer quand ils n'y sont pas préparés. C'est en ce sens, avec de l'audace et du courage, que nous pouvons doubler ou tripler nos faibles forces. Nous pouvons organiser une victoire qui transportera toute l'Amérique.

Weber. - Sur la question de l'échelle mobile. Le New York Post, il y a deux ou trois semaines, a publié un éditorial dans lequel il disait : «Pour chaque homme un travail, des conditions de vie décentes pour tous. » Un éditorial excellent. En fait, il aurait pu être publié dans le Socialist Appeal. Le New Deal tient ce genre de mot d'ordre pratiquement pour acquis. Le Post tient pour acquis que si un homme est au chômage, pas par sa faute, il doit être secouru. La gauche du New Deal l'accepte; nous, nous hésitons à le dire. Nos propres camarades étaient étonnés de cet éditorial.
Maintenant, sur l'échelle mobile des salaires et des horaires, pour moi, c'est une affaire qu'il faut appliquer presque localement. Par exemple, dans le cas de Newark ou Jersey en général. J'ai commencé une enquête pour trouver combien d'ouvriers dans les aciéries quand elles marchaient, combien y travaillent maintenant, combien sont partis, ce qui est arrivé aux autres. Nationalement, nous le prenons à l'échelle nationale. Mais ce que nous devons faire en réalité, c'est l'appliquer presque localement, dans des industries et même des usines données. Ce n'est pas simplement une généralité. Nous ne pouvons la laisser suspendue en l'air. Nous ne devons pas avoir peur d'un mot d'ordre, disons de 28 heures dans certaines industries, 30 heures dans d'autres, et 25 dans d'autres.

Trotsky. - Oui, je suis tout à fait d'accord avec ça.

Weber. - Une autre question que j'aimerais poser - est-il possible que le capital monopoliste renonce à une partie de ses super-profits sans baisser les salaires, parce que le gouvernement l’y oblige ?

Trotsky. - C'est possible. Ce n'est qu'une question de durée de l'expérience et aussi de rapports avec les autres producteurs, en particulier les petits. Cela signifierait la banqueroute des entreprises non­-monopoles. D'un côté, cela aide le capitalisme et de l'autre le sape.


Notes

[1] Jack Weber était le pseudonyme de Louis Jacobs (né en 1894), originaire d'Europe de l'Est, adhérent de la Communist League of America au début des années trente. Il était organisateur du S.W.P. dans le New Jersey et assez isolé dans le parti, bien que membre du comité national. Sa femme Sara était venue à Coyoacàn au secours de Trotsky, privé de secrétaire et sténo russe depuis des mois, et il était venu la rejoindre quelques semaines.

[2] Franklin D. Roosevelt (1882-1945), juriste d'une grande famille, ancien gouverneur démocrate de l'Etat de New York, avait été élu président des Etats-Unis pour la première fois en 1932 et avait lancé la politique du New Deal. En 1938, il semblait plutôt s'engager, au lendemain de sa première réélection, dans la voie du réarmement et de la guerre.

[3] C'était le 9 novembre 1945 qu'un groupe de dirigeants syndicaux qu'animait John L. Lewis, le dirigeant des mineurs, avait proclamé la naissance du C.I.O. (Committee puis Congress for Industrial Organization) qui était resté formellement dans le cadre de l'A.F.L. à qui il tournait le dos sur la question cruciale du syndicalisme d'industrie. Il s'était répandu comme une traînée de poudre à la fin de 1936 et dans les premiers mois de 1937, recrutant des millions d'ouvriers inorganisés et animant ou coiffant les sit-down strikes (grèves sur le tas avec occupation), ouvrant ainsi une époque nouvelle de l'histoire des Etats-Unis.

[4] Frank Hague (1876-1956) était le maire démocrate de Jersey City depuis 1917. Il employait toutes les ressources de la municipalité au service des patrons locaux, s'opposant par la violence à toute syndicalisation, interdisant de fait le C.I.O. dans « sa » ville.

[5] Par opposition aux closed shops - entreprises où ne pouvaient être employés que des travailleurs syndiqués - que les syndicats américains considéraient comme la condition de leur efficacité, le régime de l'open shop, qui permettait à l'entreprise de recruter des non-syndiqués, était celui des usines sans syndicats et des travailleurs sans défense.

[6] Norman Thomas, le chef du parti socialiste dans un geste spectaculaire, avait annoncé qu'il irait publiquement prendre la parole à Jersey City pour dénoncer le caractère « fasciste » de la politique de Hague. Hague l'avait fait arrêter dès son arrivée et l'avait expulsé de la ville. Cette initiative aussi cynique que brutale avait eu un énorme retentissement.


Archives Trotsky Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin