1939

Source : n° 77-78, (mars-juin-juillet 1939) du Bulletin de l'Opposition, article signé M.N. mais, d'après Louis Sinclair (éditeur des Writings en anglais), écrit par Trotsky. Traduction MIA.

Trotsky

Léon Trotsky

Résultats des purges

1939

Le correspondant du New York Times, Walter Duranty, à qui le Kremlin a toujours confié les missions journalistiques les plus sales, estime nécessaire de signaler que les purges ont pris des proportions qui dépassent de loin tout ce que l'on savait à leur sujet à l'étranger. La moitié des communistes exclus ont été réintégrés dans les rangs du Parti. Combien d'innocents ont souffert parmi les sans-partis ! Cette fois l'indignation de Walter Duranty lui est commandée par le Kremlin. Staline a maintenant besoin que ses propres laquais fassent entendre le plus fort possible leur indignation face aux outrages et aux crimes commis. Ainsi, ils instillent dans l'opinion publique que Staline lui-même est rempli d'indignation et que, par conséquent, la falsification, la provocation, les exils arbitraires et les fusillades ont été effectués à son insu et contre sa volonté. Croire cela, bien sûr, ne peut être le fait que d'imbéciles avérés. Mais même ceux qui ne sont pas stupides sont aussi enclins à suivre Staline sur cette question, au moins à moitié. Oui, disent-ils, Staline est certainement coupable de la dernière gigantesque vague de terreur ; mais il voulait la limiter à l'opportunité politique, c'est-à-dire exterminer seulement ceux qu'il était nécessaire pour son régime d'exterminer ; et pendant ce temps, les exécutants irrationnels et démoralisés, mus par des intérêts d'un ordre inférieur, ont donné à l'épuration une portée tout à fait monstrueuse et ont provoqué un ressentiment général ; ainsi de ces exagérations, de cette extermination insensée, même du point de vue des intérêts du Kremlin, de centaines de milliers de personnes "neutres", Staline n'est certainement pas coupable.

Autant ce raisonnement va à l'encontre de la logique banale, autant il est faux de bout en bout. Il présuppose, tout d'abord, que Staline lui-même soit plus limité qu'il ne l'est réellement. Il avait pourtant, surtout dans ce domaine, une expérience suffisante pour prévoir à l'avance l'ampleur de la purge avec l'appareil pour la création et pour l'éducation duquel il avait eu la première place. Les préparatifs étaient faits, comme on le sait, bien à l'avance. Cela commença par l'expulsion du parti, en 1935, de dizaines de milliers d'opposants depuis longtemps repentis. Personne ne comprit cette mesure. Encore moins, bien sûr, les exclus eux-mêmes. La tâche de Staline était la suivante : éliminer la Quatrième Internationale et exterminer au passage la vieille génération de bolcheviks et, parmi les générations suivantes, tous ceux qui étaient moralement liés à la tradition du parti bolchevik. Pour réaliser un plan aussi monstrueux, dont on ne trouve pas d'équivalent dans les pages de l'histoire humaine, il fallait prendre en tenaille l'appareil lui-même. Il fallait faire sentir à chaque agent du GPU, à chaque fonctionnaire soviétique, à chaque membre du Parti, que la moindre dérobade à telle ou telle mission scélérate signifiait la mort du récalcitrant, la mort de sa famille et de ses amis. Il fallait tuer d'avance l'idée même de résistance dans le Parti et dans les masses ouvrières. Il ne s'agissait donc pas d'"exagérations" accidentelles, ni de zèle de la part des exécutants, mais d'une condition nécessaire au succès du plan principal. Une canaille hystérique comme Iejov était nécessaire comme exécutant, et Staline prévoyait à l'avance la nature et l'étendue de son travail et se préparait à l'avance à le désavouer lorsque l'objectif principal serait atteint. Dans ce domaine, le travail s'est déroulé selon le plan.

Même pendant la lutte avec l'Opposition de gauche, Staline initia la clique de ses plus proches associés à sa grande découverte sociologique et historique : tous les régimes du passé sont tombés à cause de l'indécision et de l'hésitation de la classe dirigeante. Si le pouvoir d'État est suffisamment impitoyable à l'égard de ses ennemis, ne s'arrêtant pas devant l'extermination massive, il fera toujours face à tous les dangers. Déjà à l'automne 1927, cette sagesse était répétée à tout bout de champ par les agents de Staline afin de préparer l'opinion publique du parti aux purges et aux procès futurs. Aujourd'hui, il peut sembler aux maîtres du Kremlin - du moins il leur semblait hier - que le grand théorème de Staline est confirmé par les faits. Mais l'histoire brisera cette fois encore l'illusion policière. Lorsqu'un régime social ou politique entre en contradiction irréconciliable avec les besoins du développement du pays, la répression peut, sans doute, prolonger son existence pendant un certain temps, mais à la fin, l'appareil même de la répression commencera à se briser, à s'émousser, à s'effriter. C'est précisément à ce stade que l'appareil policier de Staline en est arrivé. Les destins de Iagoda et de Iejov préfigurent le sort futur non seulement de Béria, mais aussi du maître commun à tous les trois.