1940

En mai 1940, Trotsky rédige le manifeste de la IV° Internationale sur la guerre. Ce texte basé sur les principes de l'internationalisme prolétarien servira de base à l'activité trotskyste durant toute cette période. et sera l'un des derniers de Trotsky avant son assasinat.


Manifeste d'alarme de la IV° Internationale

Léon Trotsky

Les causes immédiates de la Guerre


La cause immédiate de la guerre actuelle est la rivalité entre les empires coloniaux anciens et riches, Grande‑Bretagne et France, et les pillards impérialistes en retard, Italie et Allemagne.

Le XIX° siècle a été l'ère de l'incontestable hégémonie de la plus ancienne puissance capitaliste la Grande‑Bretagne. De 1815 à 1914 ‑ il est vrai, non sans quelques explosions militaires isolées, « la Pax Britannica » a régné. La flotte britannique, la plus puissante du monde, jouait le rôle de gendarme des mers. Toutefois cette époque appartient au passé. Dès la fin du siècle dernier, l'Allemagne, armée de la technique moderne, a commencé à avancer vers la première place en Europe. De l'autre côté de l'Océan apparaissait un pays plus puissant encore, ancienne colonie britannique. La contradiction économique la plus importante de celles qui conduisirent à la guerre de 1914‑1918 était la rivalité entre la Grande‑Bretagne et l'Allemagne. Ouant aux Etats‑Unis, leur participation à la guerre était de caractère préventif ‑ on ne saurait permettre à l'Allemagne de soumettre le continent européen.

La défaite rejeta l'Allemagne dans une impuissance totale. Démembrée, entourée d'ennemis, réduite à la famine par les réparations, affaiblie par les convulsions de la guerre civile, elle apparut hors de course pour longtemps. Sur le continent européen, c'était la France qui jouait pour le moment les premier violon. Pour la victorieuse Angleterre, le bilan de la guerre, ne laissait en définitive qu'un lourd passif : indépendance grandissante des dominions, mouvements coloniaux pour l'indépendance, perte de l'hégémonie navale, diminution de l'importance de sa flotte du fait du développement de l'aviation.

Utilisant la force d'inertie, l'Angleterre a essayé encore de jouer le rôle dirigeant dans l'arène mondiale au cours des premières années après sa victoire. Ses conflits avec les Etats-Unis ont commencé à revêtir un caractère de toute évidence menaçant. Il pouvait même sembler que la prochaine guerre pouvait éclater entre les deux aspirants anglo‑saxons à la domination mondiale. L'Angleterre cependant s'est vite convaincue que son poids spécifique économique ne lui permettait pas de combattre contre le colosse de l'autre côté de l'Océan. L'accord de parité navale qu'elle conclut avec les Etats-Unis signifiait sa renonciation formelle à l'hégémonie navale, déjà perdue dans la réalité. La substitution au libre échange de barrières douanières signifiait l'aveu ouvert de la défaite de l'industrie britannique sur le marché mondial. Sa renonciation à la politique du « splendide isolement » amenait dans son sillage l'introduction du service militaire obligatoire. Ainsi les traditions les plus sacrées s'en allaient‑elles en poussière.

La France est également caractérisée par la disproportion entre son poids économique et sa position mondiale, mais sur une échelle réduite. Son hégémonie en Europe reposait sur une conjoncture temporaire, des circonstances créées par l'anéantissement de l'Allemagne et les combinaisons artificielles du traité de Versailles. Le nombre de ses habitants et les bases économiques de cette hégémonie étaient bien insuffisantes. Quand se dissipa l'hypnose de la victoire, les rapports de force réels apparurent à la surface. La France apparut bien plus faible qu'elle n'était apparue, non seulement à ses amis mais à ses ennemis. Cherchant une protection, elle devint en quelque sorte le dernier dominion de la Grande‑Bretagne.

La régénération de l'Allemagne sur la base d'une technique de premier ordre et de ses capacités d'organisation était inévitable. Elle se produisit plus tôt qu'on ne l'avait cru possible, dans une large mesure du fait du soutien de l'Allemagne par l'Angleterre contre l'U.R.S.S., contre les prétentions excessives de la France, et _de façon moins immédiate, contre les Etats-Unis. De telles combinaisons internationales s'étaient révélées fructueuses plus d'une fois dans le passé pour l'Angleterre capitaliste, aussi longtemps qu'elle était restée la puissance la plus forte. Mais à l'époque de sa sénilité, elle s'est montrée incapable de chasser les esprits qu'elle avait elle-même invoqués.

Armée d'une technique supérieure, d'une plus grande souplesse, et d'une capacité de production supérieure, l'Allemagne a une fois de plus essayé de chasser l'Angleterre de marchés très importants, particulièrement en Europe du Sud-Est et en Amérique latine. Contrairement au XIX° siècle, où la compétition entre les pays capitalistes se développa sur un marché mondial en expansion, l'arène économique de la lutte d'aujourd'hui est en train de se rétrécir au point qu'il ne reste plus aux impérialistes qu'à s'arracher les uns aux autres les débris du marché mondial.

L'initiative d'un nouveau partage du monde est revenue naturellement, comme en 1914, à l'impérialisme allemand. Surpris, le gouvernement britannique a d'abord essayé de payer le prix pour rester à l'écart de la guerre par des concessions aux dépens des autres (Autriche, Tchécoslovaquie [1]). Mais cette politique ne pouvait durer longtemps. L' « amitié » avec la Grande‑Bretagne n'était pour Hitler qu'une brève phase tactique. Londres avait déjà donné à Hitler plus qu'il n'avait escompté obtenir. Les accords de Munich, au moyen desquels Chamberlain espérait sceller une amitié durable avec l'Allemagne, ont au contraire accéléré la rupture. Hitler ne pouvait rien attendre de plus de Londres ‑ une expansion ultérieure de l'Allemagne frapperait les lignes vitales de la Grande‑Bretagne elle‑même. Ainsi la « nouvelle ère de paix [2] »annoncée par Chamberlain en octobre 1938 a conduit en quelques mois à la plus terrible de toutes les guerres.


Notes

[1] L'Anschluss, c'est‑à‑dire le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne, avait eu lieu en mars 1938, la Tchécoslovaquie, amputée en octobre 38 avait été dépecée en mars 39.

[2] La formule de Chamberlain suivant laquelle l'accord de Munich avait ouvert « une nouvelle ère de paix », avait déjà déclenché l'ironie de Trotsky (Œuvres, 19, pp. 144‑148).


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