1940

En mai 1940, Trotsky rédige le manifeste de la IV° Internationale sur la guerre. Ce texte basé sur les principes de l'internationalisme prolétarien servira de base à l'activité trotskyste durant toute cette période et sera l'un des derniers de Trotsky avant son assasinat.


Manifeste d'alarme de la IV° Internationale

Léon Trotsky

La Défense de « la Patrie »


Il y a presque un siècle, quand l'Etat national constituait encore un facteur relativement progressiste, le Manifeste communiste proclamait que les prolétaires n'avaient pas de patrie. Leur seul but était la création d'une patrie des travail­ leurs englobant le monde entier. Vers la fin du XIX° siècle, l'Etat bourgeois avec ses armées et ses barrières douanières est devenu le plus grand frein au développement des forces productives qui exigent une arène plus vaste. Un socialiste qui se prononce aujourd'hui pour la défense de la « patrie » joue le même rôle réactionnaire que les paysans de Vendée qui se précipitèrent à la défense du régime féodal, c'est‑à‑dire de leurs propres chaînes [1].

Dans les dernières années et même les derniers mois, le monde étonné a observé avec quelle facilité les Etats étaient effacés de la carte du monde : Autriche, Tchécoslovaquie, Albanie, Pologne, Danemark, Norvège, Hollande, Belgique [2] ... La carte politique a été redessinée avec une rapidité sans égale à aucune époque, sauf celle des guerres napoléoniennes [3]. A cette époque, il s'agissait alors d'Etats féodaux surannés qui devaient faire place à l'Etat national bourgeois. Aujourd'hui, il s'agit d'Etats bourgeois surannés qui doivent céder la place à la fédération socialiste des peuples. Comme toujours la chaîne se brise à son maillon le plus faible. La lutte des bandits impérialistes laisse aussi peu de place à de petits Etats indépendants que la concurrence féroce des trusts et cartels aux petits industriels et commerçants indépendants.

Du fait de sa position stratégique, l'Allemagne estime plus payant d'attaquer ses ennemis principaux à travers les petits pays neutres [4]. La France et la Grande‑Bretagne, au contraire, estiment plus profitable de se couvrir de la neutralité des petits Etats et de laisser l'Allemagne les pousser par les coups qu'elle leur porte dans le camp des Alliés des « démocraties ». Le fond de la question n'est pas modifié par cette différence dans les méthodes stratégiques. Les petits satellites sont réduits en poussière dans les meules des grands pays impérialistes. La « défense » des grandes patries exige la destruction d'une dizaine de petites et moyennes.

Même cependant en ce qui concerne les grands Etats, ce qui est en jeu pour la bourgeoisie, ce n'est pas du tout la question de la défense de la patrie, mais celle de la défense des marchés, des concessions étrangères, des sources de matières premières et des sphères d'influence. La bourgeoisie ne défend jamais la patrie pour la patrie. Elle défend la propriété privée, les privilèges, les profits. Chaque fois que ces valeurs sacrées sont menacées, la bourgeoisie prend tout de suite le chemin du défaitisme. Ce fut la voie de la bourgeoisie russe dont les fils, au lendemain de la révolution d'Octobre, combattirent et sont une fois de plus prêts à combattre dans toute armée du monde contre leur propre ancienne patrie. Pour sauver son capital, la bourgeoisie espagnole s'est tournée vers Mussolini [5] et Hitler pour en recevoir une aide militaire contre son propre peuple [6]. La bourgeoisie norvégienne a aidé l'invasion de la Norvège par Hitler. Il en a toujours été et en sera toujours ainsi.

Le patriotisme officiel n'est qu'un masque des intérêts des exploiteurs. Les ouvriers conscients rejettent ce masque avec mépris. Ils ne défendent pas la patrie bourgeoise, mais les intérêts des travailleurs et des opprimés de leur propre pays et du monde entier. Les thèses de la IV° Internationale affirment :

« Contre le mot d'ordre réactionnaire de la défense nationale, il faut lancer celui de la destruction révolutionnaire de l'Etat national. A la maison de fous de l'Europe capitaliste il faut opposer le programme des Etats‑Unis socialistes d'Europe comme étape sur la route vers les Etats-Unis socialistes du monde [7]. »

Notes

[1] La guerre de Vendée se déclencha en 1793 sous la forme d'une insurrection contre la conscription encouragée par l'activité du clergé fidèle à la monarchie; écrasée, elle se prolongea tout de même sous la forme d'une guérilla jusqu'en 1796. Les Vendéens étaient dans leur majorité des paysans pauvres qui acceptaient l'autorité des prêtres et des nobles.

[2] L'Autriche avait été rayée de la carte en 1936, la Tchécoslovaquie et la Pologne en 1939, les autres en 1940.

[3] Allusion aux guerres du premier Empire qui conduisirent Napoléon jusqu'à Moscou après Madrid et Vienne.

[4] L'offensive allemande du début de mai avait commencé par le viol de la neutralité de la Belgique et des Pays‑Bas de façon à tourner les lignes françaises et attaquer du Nord.

[5] Dès 1934, Mussolini, qui avait déjà à son service le chef de la Phalange José Antonio Primo de Rivera, avait également conclu un accord par lequel il soutenait matériellement les monarchistes et les généraux conspirateurs.

[6] L'aide aux « nationalistes » fut plus massive de la part des Italiens, mais l'Allemagne envoya des techniciens, des chars, des avions (Légion Condor).

[7] Œuvres, 4, p. 55. La citation n'est pas textuelle.


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