1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


XVII. Le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste (P.O.U.M.)

Mais il y avait, parait-il, en Espagne, un parti « trotskiste », le POUM ? Selon les calomnies staliniennes, un parti trotskiste devait obligatoirement travailler avec la Gestapo. Ne sont-ils pas de la Ges­tapo, tous ceux qui dénoncent les crimes staliniens et n'exécutent pas aveuglement les ordres de la bu­reaucratie moscovite dégénérée ?

Le POUM, donc trotskiste et agent de la Gestapo, a fait le putsch de mai 1937, mais heureusement, grâce aux interventions heureuses du Front populaire, du Parti communiste, du PSUC, le Parti Socialiste Unifié de Catalogne, « socialiste » mais adhérant à l'Internationale communiste, le diable trotskiste-poumiste put être maîtrisé!

On a commencé à respirer au mois de mai-juin 1937 : on a « liquidé » le trotskisme en Espagne et surtout en Catalogne. Le gouvernement de Largo Caballero qu'on croyait jusqu'en mai dans la bonne voie, mais qui en réalité était mou et semi-trotskiste, fut remplacé par le gouvernement de la victoire, présidé par le docteur Négrin, celui-ci un vrai gouvernement de Front populaire, un vrai parce que débarrassé de tous ces trotskisants et suspects, un vrai comme il en faudrait dans tous les pays, et en premier lieu en France, capable par conséquent de lutter et de vaincre le fascisme.

Depuis cette intervention heureuse de Staline en mai 1937 à Barcelone, en Catalogne et en Espagne, l'optimisme pouvait, enfin, s'emparer de nous en ce qui concerne la révolution espagnole, ou si vous préférez, en ce qui concerne le sort de la guerre con­tre Franco. Le grand Staline n'a-t-il pas bien arrangé la révolution chinoise en 1927, ou n'a t-il pas remporté une grande victoire pour le prolétariat allemand et international en 1933 avec l'arrivée au pouvoir de Hitler, pour ne citer que ces deux exploits ?

Ah oui ! Le capital et son chien Franco pouvait être rassuré.

Nous n'allons pas dans ce chapitre d'analyse du POUM rectifier et réfuter toutes les calomnies et tous les mensonges des staliniens. Ces gens-là, ou ces canailles plutôt, mentent comme ils respirent. Et ils disposent d'un appareil formidable et surtout de beaucoup d'argent. Ces usurpateurs qui ont volé le glorieux drapeau de la Révolution d'Octobre qu'ils traînent dans la boue ont la faculté d'imprimer à des millions d'exemplaires et dans le monde entier leurs falsifications.

Mais que fut le POUM en réalité ? Trotskiste ? Trotskiste, cela voudrait dire selon l'étymologie du mot, une organisation poursuivant la politique de Léon Trotski. Or, le lecteur n'ignore pas probablement que Trotski est partisan de la IV° Internationale. Le POUM n'était pas trotskiste pour un sou.

Le camarade Léon Trotski qui, avec une netteté qui lui est propre, stigmatisa les fautes du POUM, a plusieurs fois insisté sur les divergences sérieuses qui séparent le POUM de la IV° Internationale. Nous nions la légende stalinienne du « POUM trotskiste » dans l'intérêt de la vérité qui est en même temps celui de l'éducation de la classe ouvrière, qui doit connaître les positions réelles et non imaginaires des différents courants politiques, afin de pouvoir libre­ment et en connaissance de cause confronter, choisir et enfin trouver sa voie.

POUM (le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste) a été fondé en décembre 1935 comme produit de l'unification du Bloc Ouvrier et Paysan de Maurin et de la Gauche communiste. Cette dernière appartenait dans le passé à l'organisation internationale de l'opposition de gauche « trotskiste ». Il faut rappeler seulement qu'elle eut toujours des relations très vagues avec l'organisation internationale. La rentrée de la gauche communiste dans le POUM détermine la rupture de Nin et Andrade, qui la dirigeaient, avec le « trotskisme » et avec l'organisation trotskiste internationale. Je ne ferai pas l'historique des discussions et des divergences qui ont séparé la IV° Internatio­nale et la gauche communiste. Je rappellerai seule­ment les principales divergences qui les ont séparé au cours de la Révolution espagnole.

Le Front populaire espagnol s'est formé à la veille des élections législatives de février 1936. Son pro­gramme électoral ressemblait aux programmes électoraux des Fronts populaires d'autres pays ; y figuraient les promesses générales quant à l'amélioration des conditions de travail de la classe ouvrière, l'adhé­sion à la politique de sécurité collective de la Société des Nations, etc... Il est vrai que dans ce programme figurait aussi l'amnistie de toutes les victimes de la répression réactionnaire de Gil-Robles Lerroux.

Le POUM adhéra au Front populaire et signa son programme électoral réformiste et petit bourgeois. Il justifia par la suite son attitude par la nécessité d'obtenir à tout prix l'amnistie. Mais en réalité, l'amnistie fut obtenue non à la suite de la victoire électorale, mais à la suite d'un puissant mouvement de masse extra-parlementaire qui força les portes des prisons.

Après les élections, le POUM critiqua la politique du Front populaire, mais fut en réalité à sa remorque jusqu'au moment où la bureaucratie staliniste coalisée avec la bourgeoisie de gauche, l'empêcha même de parler sur la révolution socialiste et le mit dans l'illégalité.

A part la droite et la gauche, en politique existe le centre. Il en est de même dans le mouvement ouvrier. Ce fut le cas pendant la grande guerre, quand le mouvement ouvrier, selon la juste appréciation de Lénine, se divisait entre la droite, les social-patriotes déclarés genre Vandervelde, Scheidemann, Marcel Cachin, etc..., les gauches internationalistes conséquents : les bolcheviks, les spartakistes allemands, et aussi les centristes comme Ledebour, Longuet, etc...

Si nous analysons la dernière période de l'évolution du mouvement ouvrier qui a commencé à peu près en 1934-35, nous observons le même phénomène. Il y a les partisans déclarés de la politique du Front popu­laire, politique qui accroche le prolétariat â la queue de la bourgeoisie dite démocratique, politique qui, à la lumière de l'expérience espagnole est analysée dans le présent travail : ce sont les staliniens, promoteurs de cette panacée universelle de Dimitrov, et aussi les réformistes appartenant à la Seconde Internationale.

Il y a des adversaires déclarés de cette politique de crime et de suicide du Front populaire, ce sont les bâtisseurs de la IV° Internationale. Ils opposent à la politique de platitude et de collaboration de classe, les méthodes révolutionnaires du marxisme et du bol­chevisme, les méthodes à l'application desquelles le prolétariat doit toutes ses conquêtes, ses victoires et ses montées historiques.

Mais, entre les deux courants fondamentaux de la période présente, à savoir le courant stalino-réformiste et le courant de la IV° Internationale, il y a les centristes.

Les centristes ne sont pas une étiquette inventée méchamment pour les besoins de la polémique par les « sectaires » et intraitables trotskistes. Ils sont une réalité dans tous les pays du monde. Les centristes se déclarent contre la politique du Front populaire, font de critiques parfois très justes des crimes des stali­niens.

C'est à cause de leur indépendance de la Guépéou que les staliniens les traitent de « trotskistes ». Mais les centristes s'arrêtent à mi-chemin dans leur critique de la politique stalino-réformiste.

Ils sont contre le Front populaire, mais en même temps ont peur de se couper des masses en exposant franchement le programme d'action révolutionnaire. En principe, ils sont pour une nouvelle Internationale Révolutionnaire, mais pratiquement combattent la nouvelle internationale naissante, la IV°. Dans plu­sieurs questions centrales de la période actuelle, ils sont en principe d'accord avec nous, mais quand il s'agit de passer des principes à l'application et à la réalisation, ils s'alarment et nous dénoncent comme des « sectaires ». Ils sont très susceptibles et chatouil­leux. Ils se fâchent surtout quand on les appelle « centristes ». Que cela soit sous le ciel gris de Paris ou sous le ciel bleu et limpide de Catalogne et d'Espagne, que cela soit à New-York ou à Varsovie, ils sont partout les mêmes. Au lieu de se fâcher pourtant, ils feraient mieux de discuter honnêtement avec nous, de répondre à nos critiques, et d'accepter notre col­laboration. Nous ne sommes pas des professeurs du mouvement ouvrier. Nous sommes toujours prêts à apprendre des autres, à réexaminer encore et encore une fois les mêmes problèmes à la lumière des nou­velles expériences tragiques. Les mesquineries et l'amour-propre blessé ne comptent pas pour nous. Nous sommes au-dessus de cela. «  Nos querelles ne sont pas celles de rabbins et de capucins, mais sont la lutte des chevaliers pour le coeur de la Dame ». Et la Dame, c'est la Révolution.

En Espagne, la politique du Front populaire fut poursuivie d'une manière conséquente par les staliniens et les réformistes. Quant à la CNT, elle s'y est opposé au début, mais sa nullité idéologique l'empêcha d'opposer à la politique de Negrin-Comorera une autre conception. Sa critique resta donc seulement négative, et après une série de zigzags et gémissements plaintifs, la CNT s'intégra dans le Front populaire et évolua vers le réformisme.

Quant au POUM, il proclamait cent fois la nécessité de la « révolution socialiste », mais sa politique réelle était à l'opposé de cet objectif.

Il y avait, comme nous l'avons déjà rappelé, une dualité de pouvoir après le 19 juillet. Le second pou­voir, le pouvoir ouvrier naissant, qui d'ailleurs prédo­minait au cours des premiers mois de révolution, s'ex­primait dans les comités ouvriers qui ont bel et bien existé même dans les plus petits villages et aussi dans le Comité Central des Milices Antifascistes. Ces orga­nismes du second pouvoir, ce grand acquis de la révo­lution, a été démoli par toutes les organisations ouvrières espagnoles, et force nous est de constater que le POUM a participé et a couvert la dissolution des comités des villages, remplacés par les conseils muni­cipaux (ayuntamientos), et aussi la dissolution du Comité Central de Milices Antifascistes. Le POUM participa au gouvernement de coalition de Taradellas, qui se constitua précisément sur la base de la destruction de ces authentiques organismes révolutionnaires.

Nin, conseiller à la Justice de la Généralité de Catalogne, fut par la suite assassiné par les staliniens. Nous avons dénoncé dans le monde les crimes de la Guépéou, dirigés du reste en premier lieu contre notre tendance. Nin paya de sa vie son dévouement à la classe ouvrière et son honnêteté personnelle, qui n'est pas en cause. Mais si Nin nous est cher, la vérité nous est encore plus chère. La cause pour laquelle Nin a donné sa vie exige la netteté de l'analyse. Nous ne sommes pas des sentimentaux, mais des passion­nés, et si les sentiments nous dévorent, ils ne sont pas faibles. La politique qu'a poursuivi Nin au cours de la révolution espagnole a favorisé ceux qui devaient par la suite l'assassiner.

La question centrale de la révolution est la question du pouvoir, et Nin aimait aussi le répéter.

Dans la lettre à Kugelmann, pendant l'expérience de la Commune, Marx disait : «  J'affirme que la révolution en France doit avant tout tenter, non de faire passer la machine bureaucratique et militaire en d'au­tres mains - c'est ce qui s'est toujours produit jus­qu'à maintenant - mais de la briser. »

Or, le POUM oublia ce grand enseignement de Marx, développé par Lénine dans L'Etat et la Révolution.

Quels arguments donnait le POUM pour justifier son entrée dans la Généralité, ainsi que d'avoir couvert la dissolution du Comité Central des Milices An­tifascistes ? C'était la peur de se couper des masses et d'aller contre le courant. « Si nous n'étions pas rentrés dans la Généralité, nous cesserions d'être un courant politique, et nous serions balayés de la vie politique du pays. » Ces mots, je les ai entendus de Nin personnellement, mais il ne s'agit pas évidemment de Nin, mais de toute la direction du POUM.

A cet argument on ajoutait un autre : la nécessité de collaborer avec la petite bourgeoise et de l'alliance avec les classes moyennes. La forme de cette alliance c'était, selon les dirigeants du POUM, la collaboration à la Généralité.

Analysons ces arguments. Le premier veut dire que si le POUM n'était pas entré dans la Généralité, il cesserait d'être un facteur politique dans le pays.

Or, nous affirmons et prouvons le contraire. Si le POUM s'était prononcé contre la collaboration dans la Généralité et s'était appuyé sur les éléments du se­cond pouvoir, les comités, il se serait ouvert la seule voie pour devenir un facteur politique décisif du pays. Il ne s'agit pas pour nous, évidemment, du seul fait d'entrer dans la Généralité, mais de l'ensemble de la politique.

Le POUM devait évidemment se battre avec d'au­tres forces antifascistes contre Franco. C'est hors de discussion. Mais il ne devait pas prendre même l'ombre de la responsabilité pour la politique des dirigeants du Front populaire. En ce prononçant avec une netteté contre la dissolution du Comité Central des Milices Antifascistes et des Comités en général, il au­rait pu, sinon l'empêcher, en tous cas gagner de grandes sympathies au sein des autres organisations ouvrières, en premier lieu au sein de la CNT. C'était précisément la voie de croissance du POUM comme parti de masse. Aurait-il pu empêcher la destruction du second pouvoir ? Comme cela est expliqué déjà dans ce travail, les éléments de second pouvoir existaient encore jusqu'en mai 1937. 9 mois séparent le 19 juillet du 3-6 mai, c'est-à-dire neuf mois séparèrent la naissance du second pouvoir de son écrasement par le pouvoir bourgeois reconstitué. Evidemment, avec une audacieuse politique du POUM, le calendrier pouvait changer. Encore une fois, nous ne sommes pas des prophètes. Et il est difficile de prévoir quels fac­teurs nouveaux auraient pu intervenir si la situation avait évolué dans le sens révolutionnaire. Mais, en tous cas, la voie de la révolution paissait par la lutte opiniâtre pour le maintien et l'élargissement des élé­ments du pouvoir ouvrier, c'est-à-dire précisément par la voie du maintien des organismes dissous par le gouvernement de Taredellas. Le POUM disait cent fois par jour qu'il s'agit d'une « révolution socialiste ». Mais les Généralités ni en minuscule ni en majuscule, ne suffisent pas en politique, surtout pendant la période révolutionnaire. Il s'agit de concrétiser la tâche historique générale par une politique réelle. Or, le POUM, tout en parlant de la « révolution socialiste » ... en réalité faisait la même chose que les autres cou­rants, c'est-à-dire participait et couvrait la dissolution des éléments du second pouvoir dont le maintien et l'élargissement seul pouvait nous amener à la révolu­tion socialiste, non seulement sur les colonnes du jour­nal, mais dans la réalité.

Les ouvriers n'auraient pas compris, surtout dans la première période de confusion et d'embrassade générale et du courant unitaire à tout prix, la position « sectaire » du POUM ? C'est possible. Mais, ce qui est, sûr, c'est qu'après une courte expérience, ils se seraient tournés inévitablement vers le POUM. Cette nécessité d'être « sectaire », c'est-à-dire d'exposer ouvertement le programme révolutionnaire au moment où les masses ne sont pas encore préparées à l'accep­ter existe toujours pour le courant révolutionnaire.

N'existait il pas au cours de la révolution russe ? Les bolcheviks n'ont-ils pas suivi précisément cette voie ? Ont-ils eu peur qu'on les traite de « trotskistes », de l'époque, d'aventuriers, d'utopistes, de rê­veurs ? N'ont-ils pas aussi été traités d'agents de l'Allemagne ? Et ils ont gagné les masses.

Le POUM aurait été, s'il avait suivi la voie indiquée par la IV° Internationale, persécuté et mis dans l'illégalité tout de suite ? On nous disait cela aussi lors de nos discussions en Espagne dans le POUM. Il serait persécuté ? Peut-être. Quoique il n'était pas fa­cile de persécuter un courant ouvrier en Catalogne en juillet, août 1936. Il n'aurait pas bénéficié des facilités que lui offrait sa participation au gouvernement ? Les milices du POUM, ou peut-être même l'hôtel Falcon n'auraient pas été appuyés financièrement par la Généralité ? Mais, il aurait joui d'un appui d'un autre poids dans une révolution, de l'appui venant d'en bas de la classe ouvrière qui se serait retourné vers lui quand elle aurait compris qu'il s'agissait ici d'un parti qui réellement luttait pour le pouvoir prolétarien.

Du reste le POUM a-t-il évité la répression ? Pas du tout. Bien qu'il jurait, et il disait la vérité, qu'il n'était pas trotskiste, il était toujours considéré comme tel par la bureaucratie staliniste.

Bien qu'il s'agisse de phénomènes différents, nous pouvons observer ici une certaine symétrie.

Négrin jurait cent fois par jour à Chamberlain qu'il n'est pas rouge, mais tout simplement républicain, mais, pour ce gentleman l' « Espagne gouvernementale » était toujours mal gouvernée et il s'obsti­nait à préférer Franco.

Gorkin répétait aussi plusieurs fois par jour qu'il n'est pas trotskiste, et il disait la vérité, mais la bureaucratie staliniste le considérera malgré tout comme tel et a lancé contre le POUM les mêmes calomnies qu'elle lance contre la IV° Internationale.

Par ses explications et aussi par sa politique, Négrin n'a pas pu empêcher que Chamberlain aide Franco. Quant à Gorkin, ses explications et aussi sa politique n'ont pas empêché la répression contre le POUM « trotskiste ». Ne vaut-il pas mieux alors être un vrai « rouge » et un vrai « trotskiste » ? Cela n'enlèverait pas évidemment les inconvénients à savoir la haine de la bourgeoisie internationale et de la bureaucratie staliniste, mais on pourrait en même temps jouir des avantages de la politique révolutionnaire conséquente, avantages qu'ont pu recueillir les bolche­viks en 1917.

Le POUM voulait éviter la répression par sa politique conciliatrice. Il se disait : « Si un jour nous sommes réduits à l'illégalité, il faudra que nous ne soyons pas seuls, mais que nous soyons avec la CNT. » Dans ce domaine, les dirigeants du POUM vivaient aussi de fantaisies, et se confiaient au bon coeur des dirigeants de la CNT. Ces derniers ont par la suite assisté passivement à la persécution contre le POUM. Seule une politique de critique impitoyable du réformisme de la direction de la CNT ouvrait les possibilités d'un front unique avec la base révolutionnaire de la CNT, qui, évidemment, par suite de sa pression, pouvait obliger aussi le sommet anarchiste à quelques pas progressifs.

Quant au second argument, c'est-à-dire la nécessité de l'alliance avec les classes moyennes, c'est au fond le même argument dont se sert le Front populaire dans son ensemble. La fausseté de cet argument est démontré au cours de ce travail. Les dirigeants communistes prétendent que quand ils soutiennent Daladier en France, ou Azaña en Espagne, les radicaux­-socialistes et l'Esquerra, ils font une alliance avec la petite-bourgeoisie. En réalité ils sont à la remorque des agents petits-bourgeois du grand capital. L'allian­ce du prolétariat avec la petite bourgeoisie est évidem­ment nécessaire au cours d'une révolution, surtout dans un pays arriéré. Mais il y a deux méthodes d'opé­rer cette alliance : la méthode mencheviste du Front Populaire et la méthode bolcheviste de la lutte pour la dictature du prolétariat

Selon la première méthode « d'alliance avec les classes moyennes », qui est actuellement en vogue, et qu'on appliqua en France en 1936, en Espagne, au Chili et ailleurs, selon cette méthode chère à Blum, Dimitrov, Thorez et Comorera, l'alliance s'opère sur la base du maintien de la démocratie bourgeoise, c'est à-dire sur la base du maintien du régime capitaliste. Selon cette méthode du Front populaire, les agents petits-bourgeois du grand capital ont la direc­tion de cette alliance petite-bourgeoisie-prolétariat. Le prolétariat suit les dirigeants petits bourgeois, et par leur intermédiaire la bourgeoisie tout court. Que cette voie soit néfaste, et surtout utopique, nous avons es­sayé de le démontrer dans chaque chapitre de ce tra­vail. Donner comme perspective dans la période ac­tuelle le maintien de la démocratie bourgeoise, c'est tout à fait comme si on donnait comme perspective dans la technique le retour de l'aviation vers les chars des Romains. Le fascisme est un produit inévi­table du régime capitaliste. Pour supprimer l'effet, il faut supprimer la cause. La méthode bolcheviste de l'alliance avec les classes moyennes veut dire que le prolétariat doit avoir l'hégémonie du bloc. Seul cette hégémonie, et seule la dictature du prolétariat peu­vent du reste apporter une amélioration au sort de la petite-bourgeoisie et la détacher du grand capital.

La Généralité et le gouvernement de Taradellas, auquel adhéra le POUM, ont été une alliance avec la petite-bourgeoisie aussi à la mode du Front populaire. Le « programme socialiste » du gouvernement de Taradellas n'était que de la phraséologie. Le décret sur les collectivisations n'était que la consécration tardive de l'état de fait ; mais la dissolution des or­ganismes du second pouvoir a ouvert la vole à la contre-révolution. Evidemment, pour les bourgeois démocrates et pour les staliniens qui, à l'époque, n'avaient derrière eux qu'une intime partie du prolétariat, le gouvernement de Taredellas avec la participation de Nin n'était qu'une solution intermédiaire, provisoire, en attendant que le rapport des forces changeant permette de se débarrasser du POUM et aussi de la CNT. Il reste néanmoins vrai que, par sa politique à la remorque du Front populaire, le POUM a aidé à changer le rapport de forces en sa défaveur. Malgré le service que Nin a rendu à ses ennemis, il a été au mois de décembre 1936, débarqué de la Généralité et le POUM repoussé dans l'opposition.

Le POUM a-t-il redressé sa politique après cette expérience ministérielle ? A-t-il fait une autocritique sérieuse et a-t-il pris une orientation révolutionnaire ? Aucun parti révolutionnaire n'est prémuni contre des fautes, même graves, mais toute la question est de savoir s'il trouve ensuite en lui-même les forces pour corriger ses erreurs,

Or, le POUM, après décembre 1936, n'a rien appris. Il a évidemment accentué un peu son langage d'opposition, mais sa perspective restait dans le fond le re­tour à la même expérience ministérielle.

Le mot d'ordre du gouvernement ouvrier et paysan qu'il se proposait de réaliser n'était pas autre chose qu'un nouveau gouvernement de la Généralité avec une nouvelle invitation à Nin de réintégrer son poste. Les appréciations théoriques de POUM ont changé un peu : ainsi, dans les colonnes de la Batalla et dans les discours des membres du Comité Exécutif, Companys et Taradellas, qui étaient avant décembre de pauvres petits-bourgeois, se sont brusquement, après l'expulsion du POUM de la Généralité, enrichie et devenus des grands bourgeois. Cela cependant ne changeait rien à la perspective générale.

Quand le POUM parlait de « gouvernement ouvrier et paysan », il avait deux façons d'expliquer son mot d'ordre. La variante droite voulait dire : « Le gou­vernement de toutes les forces antifascistes », en somme la solution des plusieurs et difficiles crises de la Généralité par le retour au gouvernement de Taradellas avec la participation du POUM. La variante gauche, qui alternait dans les résolutions et les discours avec la variante droite ne valait pas mieux et voulait dire « Govern Obrer y Camperol » comme le résultat d'un Congrès des Comités ou après pour se rapprocher de la CNT, d'un Congrès des Comités et des Syndicats.

Mais toute la question était comment un Congrès pareil pouvait être réalisé. Le POUM s'illusionnait qu'il pouvait être réalisé d'en haut, c'est-à-dire par un ac­cord avec les dirigeants du Front populaire et ce qui plus est par la voie pacifique. Cette voie pacifique fut exposée par Nin encore quelques jours avant les événements de mai. Nin [1] qui connaissait à fond l'expérience de la révolution russe afin d'appuyer sa perspective de voie pacifique invoquait la position analogue de Lénine dans la période avril-juin. Malheureusement, ii lui arriva ce qui arrive souvent aux grands érudits du marxisme : ils connaissent les textes, mais se servent des analogies là précisément où elles ne peuvent pas être appliquées. « Le passage pacifique » fut possible pendant une période de la révolution russe parce que le second pouvoir, c'est-à-dire le pouvoir des soviets existait et prédominait sur le premier pouvoir, c'est-à-dire le pouvoir du Gouvernement Pro­visoire. Dans une certaine mesure la situation analo­gue existait en Espagne de juillet à septembre. Mais seulement jusqu'en septembre, c'est-à-dire jusqu'à la formation des gouvernements de coalition de celui de Madrid et de celui de Barcelone. Or, le POUM prévoyait encore la voie pacifique au mois d'avril 1937.

La politique du POUM à l'égard de la CNT reflétait aussi sa « peur de se couper des masses », et surtout sa mollesse idéologique. C'était une cour malheureuse. Evidemment, on ne pouvait rien faire en Catalogne sans le concours de la grande centrale syndicale anarcho-syndicaliste qui avait derrière elle la majorité du prolétariat catalan et surtout l'écrasante majorité des éléments combattifs. Mais la voie qu'a choisi le Comité Exécutif du POUM pour se rapprocher de la masse de la CNT était fausse. La voie de la conquête et de la pénétration dans la masse révolutionnaire de la CNT et de la FAI passait par la critique impitoyable de la politique platement réformiste du sommet anar­chiste. Il fallait carrément dénoncer l'hypocrisie ridi­cule de ces « "anti-politiciens et anti-étatistes" qui exerçaient les fonctions des ministres et des préfets. C'était la voie de conquête des éléments sains de la base de la CNT. Mais l'Exécutif du POUM préférait une cour empressée au Comité Régional. Il disait toujours : « Nous et la CNT, deux forces de la révolution ! » A quoi la belle, la direction de la CNT, répondait, quand elle daignait de répondre, au POUM : Nous et la CNT, vous êtes collants, et vous nous embêtez, fiches-nous la paix, vous êtes des sales politi­ciens !

La voie du rapprochement avec la base de la CNT passait pour le POUM par la rentrée de ses syndicats FOUS dans la centrale révolutionnaire anarcho-syndicaliste. Cette voie fut signalée et à plusieurs reprises par les représentants de la IV° Internationale. Malheureusement et c'était une de ses plus graves fautes, le POUM est rentré avec les syndicats qu'il influençait dans la UGT réformiste, squelettique, qui ne groupait au début que des éléments petit-bourgeois. Par là le POUM aux yeux des ouvriers de la CNT se confondait avec les staliniens. Esquerra en somme avec les éléments petits-bourgeois. Certes, la voie d'un travail à l'intérieur de la CNT n'était pas facile : la bureaucratie « anti-politicienne et antiétatiste » sait aussi employer des méthodes de coercition à l'égard des ré­volutionnaires. Mais dans quel livre a-t-on enseigné que la révolution est une chose facile. La rentrée dans la CNT c'était la seule voie.

Pour revenir encore à la question centrale de la révolution qui est la question de l'Etat, force nous est de rappeler que dans toute la période décisive jusqu'au mois de mai, le POUM avait dans cette question­-clé une position semi-réformiste. Quand le POUM était au gouvernement, il pensait que l'appareil étatique bourgeois est détruit parce qu'il avait des personnes de confiance dans la police. La dictature du proléta­riat « sous sa forme originale et espagnole » était réalisée sous la forme du gouvernement de la Généralité de Taradellas. Après le POUM abandonne cette appréciation théorique. De la dictature du prolétariat par le simple changement ministériel, nous avons passé « pacifiquement » au régime bourgeois. Mais le POUM continuait par exemple à parler d'épuration de l'appareil étatique, comme s'il s'agissait de la question de la quantité et non de qualité. Le Front Unique de la Jeunesse Révolutionnaire entre les Jeunesses du POUM et les Jeunesses Libertaires conclu au mois de janvier 1937 posait comme un des points de son programme l'épuration de l'Etat.

Le choc de mai 1937 fut le résultat d'un côté du complot de la coalition stalino-bourgeoise, de l'autre de la réponse spontanée dé la base révolutionnaire de la CNT qui est montée sur les barricades pour la défense des conquêtes du 19 juillet, mais fut trahie par la direction anarchiste. Le POUM ne pouvait évidemment, même si tel était son bon désir, organiser le soulèvement de mai, comme le dit la légende stali­nienne, étant un parti minoritaire surtout à Barcelone.

Mais en réalité, le POUM non seulement n'a pas organisé un soulèvement de mai selon les ridicules inventions de la GPU, il n'a même pas au cours de ce tragique moment, formulé un programme de sauvetage de la Révolution. Pendant ces journées grandioses, le POUM est resté aussi à la remorque de la belle : de la direction de la CNT et plus exactement du Comité Régional [2].

Vers six heures de l'après midi, le 3 mal, les représentants du Comité Exécutif ont eu une entrevue avec les représentants du Comité Régional. Au cours de cette entrevue, ils se sont mis avec toutes ses forces à la disposition du Comité régional.

Le Comité régional, a pris bonne note de l'offre du Comité Exécutif et lui a répondu qu'elle le convoquera si le besoin s'en fait sentir. La direction de la CNT collaborait avec I'oeuvre de pacification du gouvernement de Valence contre la base de sa propre organisation, qu'elle a livré à la persécution. Mais les comités de barriadas (des quartiers) les cadres moyens de la CNT et de la FAI étaient sur les barricades. Le POUM aurait pu chez ces éléments révolutionnaires trouver un vrai écho, lui fournir un programme d'action c'est-à-dire un programme d'insurrection. La direction du POUM a eu peur. Il ne s'agit pas pour nous de peur physique mais de manque d'audace politique et motivé par cette angoisse de res­ter seul.

Quand les ouvriers ont quitté les barricades et la ville fut livrée aux forces de répression venues de Valence, les poumistes devaient évidemment aussi quitter les barricades, mais le devoir d'un parti dans les périodes de montée, comme dans les périodes de recul ou de défaites est de dire la vérité aux ouvriers et en expliquant la situation réelle, éduquer le prolé­tariat et ainsi le préparer aux combats à venir. Malheureusement, Batalla disait qu'il fait jour quand il faisait nuit. Elle disait comme « Soli » que les ou­vriers de Barcelone ont victorieusement riposté à l'at­taque de la contre-révolution. C'est ce qui fut une défaite et était le point de départ d'une vague de répression, fut présenté comme une victoire soi-disant pour ne pas décourager les ouvriers.

Après les événements de mai la direction du POUM n'a pas compris le changement des rapports dé forces qui s'est produit à la suite de cette sanglante lutte. La répression a surpris complètement la direction du POUM. Un des enseignements du bolchevisme, et dont la méconnaissance les révolutionnaires payeront cher dans les combats à venir est la nécessité pour le parti prolétarien d'avoir même dans la période de légalité un autre appareil illégal, afin de pouvoir en cas de dé­faites sauver ses cadres et son état-major. Cet enseignement fut méconnu par le POUM. Et il ne fallait pas être un grand clerc pour s'attendre après mai, à une répression stalino-bourgeoise contre le POUM. Les dirigeants du POUM disaient textuellement : « L'Espagne n'est pas la Russie, Barcelone n'est pas Moscou », comme Paul Faure en France proclame, pour justifier la passivité envers le fascisme : « France n'est pas Allemagne », comme si la lutte sociale n'avait pas un caractère international et si les mê­mes causes et dans les mêmes circonstances, sous tous les méridiens et sous toutes les latitudes ne produi­saient pas les mêmes effets !

Les dirigeants du POUM logeaient chez eux et tenaient leur permanence dans leurs locaux jusqu'au jour où la police stalinienne lés a arrêtés. Il ne s'agit pas seulement ici de l'imprudence et de l'insouciance qu'on attribué peut être exagérément aux Espagnols, mais de la méconnaissance de la situation réelle. « Prieto n'est pas un bolchevik » se consolaient les dirigeants du Comité Exécutif et ils continuaient à résider sur les Ramblas.

La période de six semaines qui séparaient le 3-6 mai de l'ignoble provocation stalinienne du 20 juin pouvait être exploitée par un parti pour organiser son travail illégal et pour mettre ses chefs à l'abri.

A ce tableau très sommaire et incomplet de la politique du POUM dans les moments les plus critiques il faut ajouter aussi très sommairement la façon avec laquelle la direction du POUM a traité les vrais trotskistes, les partisans de la IV° Internationale, les bol­cheviks-léninistes espagnols. Les gens à l'étranger vi­vent de la légende du POUM « trotskiste ». En réalité la direction du POUM était composée des anti-trotskistes enragés, anciens blokistes Gorkin-Arquer et anti-trotskistes timides et honteux comme Andrade. Dans Batalla, organe central du parti POUM, on condamnait le trotskisme comme une tendance trop sectaire. Dans plusieurs articles les chefs du POUM se déclaraient anti-trotskistes et anti-stalinistes et ils mettaient très souvent les deux courants sur le pied d'égalité.

« Nous ne sommes ni stalinistes ni trotskistes, mais des poumistes », déclaraient les dirigeants du POUM et ils prétendaient même que tout le mouvement ou­vrier mondial s'est divisé autour de l'attitude à adop­ter à l'égard du POUM en poumistes et anti-poumistes, comme pendant la révolution russe en bolcheviks et antibolcheviks.

Ce qu'était le poumisme, surtout ce qu'était sa politique au cours de la révolution espagnole, nous avons essayé d'analyser sommairement dans ce cha­pitre. La « légère » différence avec le bolchevisme ap­paraît clairement.

L'Anti-trotskisme des dirigeants du POUM prenait des formes très aiguës. Si tout-à-fait au début, c'est­-à-dire au cours des premiers mois qui ont suivi le 19 juillet, le POUM a accepté la collaboration technique des quelques militants de la IV° Internationale, c'était plutôt à cause du fait que quelques camarades de notre organisation se sont trouvés dans la lutte et ont conquis cette place en combattant, la collabora­tion technique d'autres camarades étrangers fut acceptée par les dirigeants du POUM faute de mieux. Les dirigeants du POUM, à la première occasion, les ont remplacé par leurs vrais amis internationaux : les maximalistes italiens, les sapistes allemands, les pivertistes français, etc... Gorkin ne se justifiait-il pas que « l'envahissement par les trotskistes des services de propagande du POUM » résultait du fait qu'il fallait mettre quelqu'un dans ce service et on s'est servi des premiers venus.

Notre groupe espagnol a demandé au mois de novembre 1936 d'adhérer au POUM. Il s'est engagé à respecter la discipline du parti et a demandé pour lui seulement le droit de défendre dans les cadres du parti ses conceptions politiques. Nin, au nom de l'Exécutif (pour ce genre de besogne, Gorkin chargeait toujours Nin) a répondu exigeant de nos cama­rades entre autres « la condamnation des campagnes de la soit-disant IV° Internationale ».

Même les camarades qui ne faisaient aucun travail fractionnel dans le POUM, mais défendaient les idées de la IV° Internationale, étaient considérés comme suspects et pestiférés, non seulement eux, mais même ceux qui entretenaient avec eux des rapports amicaux ont été considérés comme des gens qu'il vaut mieux ne pas fréquenter. Le POUM a exclu certains camarades de son organisation à la manière parfaitement staliniste pour le délit de s'écarter de la ligne politi­que du parti (formule textuelle) sans discussion...

Le POUM qui toujours dans la discussion contre nous insistait sur les méthodes bureaucratiques im­possibles du Secrétariat International de la IV° In­ternationale, n'a pas eu le temps de convoquer un seul congrès du parti entre juillet et mai, neuf mois et quels mois ! Du reste, même son entrée à la Généra­lité a été décidé sans consulter la base ! Et ce parti voulait parfois s'identifier avec le parti bolchevik qui, en 1917, et après en pleine guerre civile, discutait librement et élaborait dans la fièvre passionnée et salutaire des luttes, des tendances et des opinions dans son sein, la politique à suivre !

La direction du POUM est allé, pour faciliter la préparation de son Congrès, jusqu'à exclure de ses milices les bolcheviks-léninistes qui, pendant huit mois, tenaient les tranchées et exposaient leur poi­trine à la mitraille fasciste ! Mais tous ceux qui man­geaient du trotskisme, ceux-là jouissaient de l'appui inconditionnel de l'Exécutif. Comme exemple, on pourrait citer entre autres les deux frères roumains M. dont l'un était commissaire politique de la division Lénine, et qui se vantait qu'il était en possession d'un fichier très documenté avec les noms de tous les trotskistes, leurs adresses, occupations, etc. Le commissaire politique roumain en question est passé après le mois de mai chez les staliniens et a transmis probablement ce fichier anti-trotskiste à la G.P.U. avec d'autres fichiers des poumistes...

Autre chose, les bolcheviks-léninistes, malgré la répression anti-trotskiste de l'Exécutif, étaient dans chaque moment difficile à côté du POUM, ils offraient toujours leur expérience politique et aussi leurs pro­pres poitrines.

Pour être bien reçu par l'Exécutif du POUM, il fal­lait obligatoirement dénoncer le sectarisme du S. I. de la IV° Internationale, il fallait surtout raconter qu'on a été « victime personnelle », il y 5 ou 8 ans, des procédés impossibles de Léon Trotsky. Se taire là-dessus était déjà considéré de mauvais goût au Falcon et à l'Exécutif.

Le POUM était donc bien loin de la IV° Internationale et Gorkin avait peur du trotskisme comme le diable de l'eau bénite. Pourtant, seule le « trotskisme » c'est-à dire la politique bolcheviste de la IV° Inter­nationale pouvait sauver le POUM et ouvrir pour lui les larges voies.

Quel est l'avenir du POUM ? Peut-il servir de base pour le futur parti de la Révolution Espagnole ? Seule l'expérience et la voie dans laquelle il s'engagera, les leçons qu'il saura tirer de la tragique expérience pour­ront répondre à cette question.

Nous avons critiqué ses positions politiques, mais nous devons mettre aussi en avant ses points forts, le courage et le dévouement de ses militants. N'a-t-il pas eu dans son sein des milliers de militants comme Mena ne l'a-t-il pas encore ? N'a-t-il pas pris une part et comme il faut le 19 juillet ? Ses militants de mar­que comme Germinal Vidal [3] n'ont-ils pas été parmi les premiers assaillants de cette cent fois glorieuse journée ? Ses Miguel Pedrola et d'autres n'ont-ils pas mêlé tout de suite leur sang avec l'ensemble du prolétariat ? Et cette colonne de Rovira partie avec d'autres « tribus » en direction de Huesca ? Nous connaissons aussi les qualités d'organisation des militants et des dirigeants du POUM qui ressortent surtout si nous les comparons avec les anarchistes espagnols, aussi héroïques, mais désordonnés dans leurs méthodes et dépourvus d'une boussole idéologique.

Toutes ces qualités du POUM doivent être complé­tées dans l'avenir par une juste orientation révolu­tionnaire. La IV° Internationale lui propose son pro­gramme. Certaines de nos critiques sont exagérées ou même erronées ? Avons-nous fait des fautes d'organisation ? Avons-nous manqué de souplesse ? Peut-­être.

Nous sommes prêts à tout revoir, à tout rediscuter. Nous rions de la conception de l'infaillibilité dans le mouvement ouvrier. Nous sommes prêts à aider à la reconstruction du parti ouvrier d'Espagne : nous ne posons qu'une condition : liberté de discussion, discipline dans l'action !


Notes

[1] Il nous est très désagréable de discuter avec le défunt qui malheureusement ne peut pas répondre. Mais nous n'avons pas le choix. Il nous est difficile par exemple, de discuter les conceptions théoriques de Gorkin... Ce vrai maître de l'appareil du POUM et talentueux organisateur se contentait de faire de la politique courante et ne se préoccupait pas des généralisations théoriques. Nin était le vrai idéologue du POUM, du reste, les « ninistes » heureusement sont en vie.

[2] Les militants du POUM étaient sur les barricades, mais cela ne change rien quant au manque d'orientation de sa direction.

[3] Germinal Vidal, dirigeant de la Jeunesse du POUM, tombé le 19 juillet, Place de l'Université à Barcelone.


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