1939

Un complément indispensable à Défense du marxime, de L. Trotsky.
Reproduction, à partir d’une brochure éditée en 1975 par l’organisation canadienne LSO, des cinq premières parties de l’article de JP Cannon.


La lutte pour un parti prolétarien

James Patrick Cannon

1° avril 1940


Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDF Téléchargement fichier zip (compressé)
Cliquer sur le format de contenu désiré

Ce que la discussion a révélé

Les luttes politiques en général, y compris les luttes frac­tionnelles sérieuses à l'intérieur d'un parti, ne se produisent pas dans le vide. Elles sont provoquées par la pression de forces sociales et reflètent la lutte de classes à un degré ou à un autre. Cette règle est démontrée de la manière la plus frappante dans le développement de la discussion actuelle à l'intérieur de notre parti.

En ce moment, la pression de forces de classe étrangères sur l'avant-garde prolétarienne est exceptionnellement lour­de. Nous devons comprendre cela avant tout. Ce n'est qu'ensuite que nous pouvons arriver à une compréhension de la crise actuelle du parti. Il s'agit de la crise la plus sévère et la plus profonde que notre mouvement ait jamais connue à l'échelle internationale. La tension sans précédent qui exis­te à la base indique un conflit de positions de principe qui est objectivement irréconciliable. Deux camps à l'intérieur du parti luttent pour des programmes différents, des métho­des différentes et des traditions différentes.

Qu'est-ce qui a mené le parti à cette situation en un si court laps de temps ? Evidemment, ce n'est pas la découver­te soudaine d'une incompatibilité personnelle entre les diri­geants individuels impliqués ; de telles vétilles représentent les symptômes d'un conflit, et non ses causes. Un conflit de cette profondeur et de cette étendue ne peut être non plus ex­pliqué d'une manière plausible par l'éclatement de vieilles divergences d'opinion sur la question d'organisation. Pour, comprendre la signification réelle de la crise, il est nécessai­re de chercher des causes plus profondes.

Pour ceux qui voient la politique comme une expression de la lutte de classes – et c'est de cette manière que nous, marxistes, la voyons – la cause fondamentale de la crise du parti n'est pas difficile à trouver. La crise signifie une réac­tion de la base du parti provoquée par une pression sociale externe. C'est de cette manière que nous l'avons définie dès le début de la crise en septembre dernier, immédiatement après la signature du pacte entre l'Union Soviétique et l'Al­lemagne nazie et le commencement de l'invasion allemande de la Pologne. Plus précisément, nous disons que la crise est le résultat de la pression de l'opinion publique bourgeoi­se démocratique sur une section de la direction du parti. C'est là notre analyse de classe de la lutte effrénée entre les tendances prolétarienne et petite-bourgeoise de notre par­ti.

Nous ne définissons pas les fractions combattantes par des termes abstraits généraux tels que "conservatrice" et "pro­gressiste". Nous ne jugeons pas les fractions par les traits psychologiques des individus, mais par le programme qu'ils défendent. La discussion n'a pas révélé une divergence d'o­pinion sur l'application du programme – de telles divergen­ces arrivent fréquemment et ont habituellement une signifi­cation transitoire – mais une tentative d'opposer un programme à un autre. Voici ce qui a divisé le parti en deux camp. Naturellement, ces termes que nous avons utilisés dès le début de la discussion pour caractériser les deux tendances du parti, sont des définitions et non des épithètes. Il est nécessaire de répéter cela dans chaque débat entre des politiciens marxistes et petits-bourgeois de tout genre ; la chose qu’ils ne peuvent tolérer, c'est d'être appelés par leur vrai nom.

Les dirigeants de l’opposition considèrent cela outrageant et comme une invention malicieuse de fraction de notre part de poser cette étiquette de classe sur leur fraction, quand leur seule offense consiste au simple fait qu'ils tournent le dos à l’Union Soviétique et refusent de la défendre dans la lutte contre l’impérialisme mondial. Mais notre définition et notre description d’une telle attitude ne sont pas nouvelles. Bien avant, au moment où  Shachtman paraphrasait Trotsky et non Burnham, il a lui-même écrit :­

"Au fond, la position des ultra-gauchistes sur l’Union Soviétique, en lui niant tout droit de se déclarer un Etat ouvrier, reflète les hésitations des petits-bourgeois, leur incapacité à faire un choix décisif entre les camps du proléta­riat et de la bourgeoisie, de la révolution et de l'impérialisme."

Cette citation, tirée d'un article écrit par Shachtman dans New International il y a deux ans, peut être acceptée comme une définition scientifique de la coalition de l'opposition et de sa position actuelle, avec un simple petit amendement. Il est difficilement correct de décrire leur position comme étant "ultra-gauchiste".

Les dirigeants de l'opposition ont beaucoup écrit et parlé dans le passé dans les mêmes termes que ceux de la citation mentionnée plus haut. Bon an, mal an, dans des innombra­bles articles, documents, thèses et discours, les dirigeants de l'opposition ont promis et même menacé de défendre l'Union Soviétique – "A l'heure du danger, nous serons à nos postes" – mais quand l'heure est presque venue, quand l'Union Soviétique a presque commencé à avoir besoin de cet­te défense, ils ont oublié leur promesse.

Il en a été de même avec le programme en général, avec la doctrine, les méthodes et la tradition du marxisme. Quand tout cela a cessé d'être le sujet d'exercices littéraires en temps de paix, et aurait dû être pris comme guide dans l'action en temps de guerre, ils ont oublié tout ce qu'ils avaient dit et é­crit et ont commencé une recherche désespérée "d'idées fraîches et nouvelles". Dans le premier test à demi sérieux, ils se sont révélés être des "trotskystes de temps de paix".

Et cette performance honteuse, cette trahison du marxis­me, est survenue dans la section américaine de la Quatriè­me Internationale avant même l'entrée formelle de l'impé­rialisme américain dans la guerre. Dans la bible de l'oppo­sition, leur document sur "La guerre et le conservatisme bu­reaucratique" nous assure que la crise du parti "a été provo­quée par la guerre". Ce n'est pas précisément exact. L'Amérique n'est pas encore formellement entrée dans la guerre et jusqu'ici, nous avons seulement un faible indice de la pression morale et matérielle que devra supporter l'avant-­garde prolétarienne sous les conditions de guerre. Ce n'est pas la guerre, mais simplement l'ombre de la guerre qui ap­prochait qui a suffi à envoyer Burnham, Shachtman et Abern dans leur déroute insensée.

Attribuant gratuitement au parti leur propre panique, ces philosophes de la retraite et de la capitulation expriment l'opinion que les camarades qui ont lu leur document sur le ré­gime du parti "en tireront des conclusions cyniques, décourageantes ou défaitistes". Ils ajoutent: "L'avenir est sombre". Et Burnham qui a mis à nu son âme petite-bourgeoise dans un document spécial intitulé "Science et Style", proclame avec une satisfaction malicieuse – le souhait est le père de la pensée – la chute de la Quatrième Internationale. La réalité est diamétralement opposée à ces observations lugu­bres.

Dans la majorité prolétarienne du parti, il n'y a pas trace de pessimisme. Au contraire, il y a une satisfaction universelle que la défection d’une section de la direction du parti se soit révélée à temps, avant la guerre, et dans des condi­tions où cette défection pouvait être combattue ouvertement dans une discussion libre et où elle pouvait être vaincue. L'unanimité virtuelle avec laquelle les cadres prolétariens se sont ralliés à la défense du parti et de la Quatrième Inter­nationale, la combativité et l'irréconciliabilité avec lesquelles ils ont affronté l'attaque de Burnham, Abern et Shachtman est une preuve vivante de la vitalité et de l'indestructibilité de notre mouvement. C'est un bon présage pour l'avenir. Cela nous a rendu confiants dans le fait que notre mouvement restera sur pieds devant le test réel de la guerre quand elle surviendra. Cela justifie le calcul le plus optimiste que la Quatrième Internationale ne fera pas que "sur­vivre", mais vaincra dans la lutte.

Comme en ce qui concerne "l'avenir difficile", les bol­cheviks marxistes n'espèrent jamais que la période de l'a­gonie du capitalisme puisse produire autre chose que des crises et la guerre avec leurs répercussions inévitables dans les organisations ouvrières, y compris le parti de l'avant-garde ouvrière. De ces circonstances "difficiles", les mem­bres de la Quatrième Internationale tirent seulement la con­clusion que les convulsions sociales grandioses que nous prévoyons et analysons à l'avance, créent les conditions dans lesquelles les masses opprimées, poussées par une nécessité extrême, devront mener à bonne fin la révolution sociale et la réorganisation du monde sur une base socialiste. Une seule chose est nécessaire : un véritable parti d'avant-garde bolchévique. Le marxisme seul peut constituer le program­me d'un tel parti. Burnham et ses tristes disciples, les ex-­marxistes, les ex-trotskystes, offrent un programme qui n'a rien à voir avec le marxisme ou la révolution prolétarienne. De cela résulte le conflit fondamental entre la majorité et l'opposition, un conflit qui est manifestement irréconciliable et auquel toutes les autres questions, quelle que soit leur importance, sont néanmoins subordonnées.

Au cours d'une discussion de quelques mois, les diver­gences entre la majorité et l'opposition ont atteint une telle profondeur et une telle étendue qu'elles ont complètement écarté toutes les questions sur le régime du parti. Si toutes les fautes présumées du régime sont réelles et même si elles étaient dix fois plus graves, la question dans son ensemble deviendrait insignifiante à côté des divergences de principe qui divisent maintenant clairement les deux fractions com­battantes. La lutte de l'opposition a commencé ostensible­ment comme une lutte contre le "régime de Cannon", et comme une défense, ou en tout cas comme une anticipation de la position "future" de Trotsky. Mais en un court laps de temps, elle s'est révélée être un conflit fondamental avec la Quatrième Internationale sur toutes les questions de notre programme, de notre méthode et de notre tradi­tion.

Abern qui a voté à l'assemblée plénière (octobre 1939) en faveur de la résolution de principe de la majorité concernant la question russe et nous accuse de divergences inventées et exagérées, a fini, par la logique de sa coalition sans princi­pe, dans le camp révisionniste de Burnham. Shachtman qui, à l'assemblée plénière, ne pourrait être accusé que de construire un pont à Burnham, est devenu son avocat, écrivant en sa faveur une "lettre ouverte" au camarade Trotsky et dirigeant les attaques les plus venimeuses contre la majorité prolétarienne du parti qui lui rappelle son passé. Burnham, dans son dernier document "Science et Style", tient le lan­gage d'un ennemi haineux du mouvement prolétarien révo­lutionnaire et de tous ceux qui lui demeurent fidèles.

Voilà ce qui a été révélé durant les quelques mois de dis­cussion politique.

La maturation du SWP

L'ensemble de la doctrine et des méthodes connues sous le nom du "trotskysme" est indubitablement l'authentique marxisme de notre temps, l'héritier et le continuateur du bolchévisme de Lénine, de la révolution russe et du Comintern à ses débuts. C'est le mouvement trotskyste et nul autre qui a dé­veloppé le bolchévisme en analysant et en interprétant tous les grands événements de la période suivant la mort de Lénine et en formulant un programme pour la lutte et la victoire du prolétariat. Il n'y a pas d'autre mouvement, il n'y a pas d' autre enseignement qui soit digne d'un moment de considéra­tion de la part des révolutionnaires prolétariens. Le trotskysme, incarné par la Quatrième Internationale, est le seul mouvement révolutionnaire.

Mais le processus à suivre à partir de l'élaboration du programme jusqu'à l'organisation de cadres solides, et de là à la construction des partis de masse de la Quatrième Interna­tionale, est difficile et complexe. Il s'accomplit à travers divers stades d'évolution et de développement comme un pro­cessus continuel de sélection, attirant de nouvelles forces et en écartant d'autres qui ne marchent pas au pas. La section américaine de la Quatrième Internationale est maintenant en pleine crise dans ce processus d'évolution. Si, comme tout l'indique, nous nous dirigeons vers une solution radicale de la crise, la cause en est la vitesse à laquelle les événements mondiaux se développent, l'immensité de leur portée et la sensibilité de notre parti à leur impact.

La deuxième guerre mondiale, pas moins que la première, a frappé toutes les organisations et tendances du mouvement ouvrier avec une force catastrophique. Notre propre organi­sation n'est pas une exception. Comme toutes les autres, el­le a été ébranlée jusque dans ses fondements et contrainte de révéler sa vraie nature. Les faiblesses qui n'avaient pas été divulguées en temps de paix, ont rapidement été dévoilées avec l'approche de la guerre. Plusieurs individus et des grou­pes entiers, soit des membres formels de la Quatrième Inter­nationale, soit des sympathisants, ont été soumis aux mê­mes tests. Il y aura des pertes, ce qui semble indiquer un affaiblissement du mouvement. Mais c'est là l'apparence des choses plutôt que la réalité. Le trotskysme représente la véri­table doctrine et la véritable méthode de révolution proléta­rienne; il révèle sa vraie solidité plus infailliblement en temps de crise, de guerre et de lutte révolutionnaire. Ceux qui ont assimilé le programme, la doctrine, la méthode et la tradi­tion dans leur chair et leur sang, comme ligne directrice de lutte, se cramponnent plus solidement au mouvement sous la pression des crises.

C'est seulement ceux qui considèrent le bolchévisme comme un ensemble de formules littéraires dont la mise en avant donne une certaine distinction dans les cercles radicaux sans contracter aucune responsabilité sérieuse; ceux qui ont adopté le trotskysme comme une forme de "radicalisme extrême" qui ne va jamais plus loin que les limites des débats sophis­tiqués – ce sont de telles personnes qui sont le plus inclinées à flancher et à perdre la tête sous la pression d'une crise, et même à mettre le blâme de leur panique sur ce même "trotskysme" qui demeure simplement fidèle à lui-même.

Tout le monde sait que la crise a asséné de durs coups au mouvement imposant qu'est le stalinisme. Avec la signature du pacte entre les nazis et l'URSS, le départ des compagnons de route des staliniens a commencé. Ils ont pu endurer les procès de Moscou mais pas la perspective d'un affrontement avec le gouvernement démocratique de l'impérialisme amé­ricain. Après l'invasion soviétique de la Pologne et ensuite de la Finlande, le départ des compagnons de route s'est transformé en fuite. Cette migration effrénée a attiré beau­coup d'attention et de commentaires. Nous avons contribué nous-mêmes avec nos observations et nos traits d'esprit sur ce spectacle ridicule. jusqu'à maintenant, cependant, nous n'avons rien dit sur un phénomène analogue qui se produit dans notre propre "périphérie". Le départ des plus sophisti­qués, mais difficilement des plus courageux, compagnons de route intellectuels du trotskysme américain a été â peine moins précipité et catastrophique.

Avec l'approche de la guerre, le trotskysme en tant que doctrine et en tant que mouvement a commencé à perdre sa "respectabilité". Plusieurs intellectuels, sentant le danger, ont arrangé un départ quelque peu précipité et indigne. En réalité, il ne reste pas grand chose de cette armée considéra­ble de héros de salon qui admiraient le style littéraire de Trotsky et confondaient la périphérie moins intelligente du stalinisme avec la sagesse extraite des écrits de Trotsky. L'effondrement du "front culturel" trotskyste a été considéré par certaines personnes, spécialement celles-là mêmes qui fai­saient partie de ce front, comme l'effrondrement de notre mou­vement. Dans les journaux de l'ennemi de classe auxquels ils se sont vite attachés, quelques-uns ont déjà eu le courage d'écrire au sujet du trotskysme en tant que "tendance sectaire démodée". Cependant, ce sont eux qui sont "démodés", non pas le mouvement de l'avant-garde prolétarienne, le trotskysme.

Les intellectuels petits-bourgeois sont introspectifs de nature.

Ils prennent leurs propres émotions, leurs incertitudes, leurs craintes et leur souci égoïste à propos de leur sort personnel pour les sentiments et les mouvements des larges masses. Ils évaluent l'agonie du monde par leurs maux et leurs douleurs inconséquents. Dans la mesure où une proportion des mem­bres de notre parti consiste en des éléments petits-bourgeois complètement détachés de la lutte de classe prolétarienne, la crise qui a atteint la périphérie de notre mouvement s'est transportée ou plutôt, s'est étendue, à l'intérieur du parti.

Il est remarquable que la crise ait frappé la branche de New York du parti, grâce à sa composition sociale défavorable, a­vec une force et une virulence exceptionnelles, tandis que les centres prolétariens du parti demeuraient virtuellement non affectés. La tendance des éléments petits-bourgeois à fuir notre programme et à répudier notre tradition est opposée è la démonstration remarquable de loyauté au programme et au parti de la part des membres prolétariens. Il faut en effet être aveugle pour ne pas comprendre la signification de cet­te différenciation. Plus notre parti s'est révélé comme au­thentique parti prolétarien, plus il s'est tenu fermement par principe et a pénétré dans le mouvement de masse des travailleurs, mieux il a résisté au choc de la crise. Dans la mesure où notre parti a enfoncé ses racines dans le sol prolé­tarien, il a gagné et non perdu durant cette récente période. Le bruit que nous entendons autour et à propos de notre mou­vement n'est que le bruissement des feuilles en haut de l'ar­bre. Les racines ne sont pas ébranlées.

L'évolution et le développement du trotskysme américain ne se sont pas accomplis selon un plan préconçu. Ils sont conditionnés par beaucoup de circonstances historiques ex­ceptionnelles hors de notre contrôle. Après que les cadres initiaux se furent habitués à résister aux attaques et à la pression des staliniens, le mouvement a commencé à prendre forme en tant que société de propagande isolée. Nécessairement, elle consacrait une somme disproportionnée de son é­nergie à la lutte littéraire contre le stalinisme. Les événe­ments mondiaux, l'un après l'autre, ont confirmé nos critiques et nos pronostics. Après l'effondrement du Comintern en Allemagne, l'échec des plans quinquennaux successifs à apporter le "socialisme" en Russie, les excès monstrueux de la collectivisation forcée et de la famine artificielle, les pur­ges meurtrières et les procès – après tout cela, que seul Trotsky a expliqué et analysé à l'avance, le trotskysme est devenu plus populaire dans les cercles petits-bourgeois intel­lectuels et semi-intellectuels. Pendant un temps, il est mê­me devenu à la mode. L'adhésion au parti conférait une certaine distinction et ne comportait pas de tâches difficiles. La démocratie interne était exagérée jusqu'à un point de re­lâchement. Le centralisme et la discipline n'existaient que dans le programme, pas en pratique. Le parti à New York ressemblait plus à un club de discussion sophistiqué qu'à un parti de combat du prolétariat.

La fusion avec l'organisation de Muste, et plus tard l'entrée dans le Parti Socialiste, ont été accomplies dans le but déli­béré de s'évader de l'isolement propagandiste et de la stagna­tion pour trouver une voie vers des cercles plus larges. Ces actions ont amené des centaines de nouvelles recrues au par­ti et nous ont donné la possibilité d'étendre nos activités. Mais les succès ont aussi apporté leurs propres contradictions. Les membres du Parti Socialiste à New York, y compris son aile gauche et son organisation de jeunesse, étaient primordialement de composition petite-bourgeoise, et, en dépit de leur bonne volonté, n'étaient pas faciles â assimiler. Si la branche new-yorkaise de notre parti avait été plus large et si sa composition avait été à prédominance prolétarienne, la tâche aurait été beaucoup plus facile. Quel­ques-unes des nouvelles forces du Parti Socialiste aggravaient le problème de prolétarisation du parti et fournissaient des re­crues fraîches à la clique petite-bourgeoise d'Abern.

En même temps, grâce à notre orientation délibérée vers le travail syndical, le parti, dans d'autres centres du pays, se dé­veloppait vers le prolétariat. La pénétration dans les syndicats amenait au parti des éléments nouveaux de combattants pro­létariens ; et le contraste entre les centres prolétariens et la branche de New York s'est exprimé par de nombreuses escarmou­ches avant de nous conduire finalement à la crise actuelle du parti.

L'approche de la guerre avec les difficultés et les sacrifices lourds que celle-ci imposerait aux membres du parti, a appor­té avec elle l'agitation et l'insatisfaction parmi plusieurs des éléments petits-bourgeois. Ces sentiments ont trouvé une expression fidèle dans une section de la direction. Ils ont com­mencé à traduire leur propre nervosité par des critiques exa­gérées du parti et des revendications qui ne pouvaient être sa­tisfaites dans les circonstances. Après la signature du pacte entre Hitler et Staline, l'opposition est devenue plus articulée. Elle a commencé à s'exprimer sous forme de lutte con­tre notre programme et éventuellement dans une révolte con­tre l'ensemble de la doctrine, de la tradition et de la métho­de du marxisme et du bolchévisme.

Cela serait tout à fait absurde, cependant, de caractériser la crise du parti comme le résultat de simples divergences po­litiques d'opinion. Nous ne toucherions pas le fond du problème si nous nous confinions à une caractérisation "politique" des propositions et des zig-zag incroyables de l'opposition. Des luttes politiques sérieuses, telles que celle-ci, sont une expression de la lutte des classes ; c'est la seule manière de les comprendre. Les dirigeants de l'opposition, et un très grand pourcentage de leurs partisans, ont montré qu'ils sont capa­bles de changer leurs opinions sur toutes les questions fonda­mentales de théorie et de politique du jour au lendemain. Cela ne fait que démontrer incontestablement que leurs o­pinions en général ne doivent pas être prises trop au sérieux.

Les forces motrices derrière l'opposition dans son ensemble sont la nervosité petite-bourgeoise à la perspective de luttes imminentes, de difficultés et de sacrifices et le désir incons­cient de les éviter à tout prix. Pour quelques-uns, sans doute, la lutte frénétique contre notre programme et notre tradition est simplement un stratagème pour masquer une ca­pitulation et une désertion du mouvement révolutionnaire dans un nuage de poussière et de controverse. Pour d'autres, leur découverte récente d'une "position politique" et leur discours interminable à propos et autour d'elle, sont une ra­tionalisation inconsciente de la même contrainte interne. Dans de tels cas, Il n'est pas suffisant de s' arrêter à une ca­ractérisation politique des propositions outrageantes des oppositionnistes. Il est nécessaire d'exposer leur base de classe.

La crise actuelle dans le parti n'est pas un simple épisode. Elle n'a pas â être expliquée par de simples divergences d'opinion comme c'est déjà arrivé quelquefois dans le passé, et comme cela arrivera toujours dans un parti libre et démocratique. La crise est le reflet direct d'une pression de clas­se étrangère sur le parti. Sous cette pression, la plupart des éléments petits-bourgeois et des dirigeants petits-bourgeois perdent complètement la tête, tandis que les sections prolé­tariennes du parti restent solides et se rallient autour du pro­gramme avec une unanimité virtuelle.

De cela, nous pouvons et devons esquisser certaines con­clusions­

Il n'est pas suffisant pour le parti d'avoir un program­me prolétarien ; une composition prolétarienne est aussi re­quise. Autrement, le programme peut se changer en un chiffon de papier du jour au lendemain.

Cette crise ne peut être résolue par un simple vote au congrès et par une réaffirmation du programme selon un vote majoritaire. Le parti doit procéder de là à une réelle prolétarisation de ses rangs. Cela doit devenir obligatoire pour les membres petits-bourgeois du parti de se joindre d'une manière ou d'une autre au mouvement ouvrier et, par consé­quent, de remettre au point leurs activités et même leur vie. Ceux qui sont incapables de faire cela dans une période de temps définie et limitée, doivent être transférés au rang des sympathisants.

Nous nous trouvons à un stade décisif de l'évolution du trotskysme américain, qui passe d'un cercle de propagande va­guement organisé et d'un club de discussion à un parti proléta­rien centralisé et discipliné enraciné dans le mouvement de masse des travailleurs. Cette transformation s'est accomplie rapidement sous la pression de l'approche de la guerre. C'est la signification réelle de la lutte actuelle au sein du parti.

Leur méthode et la nôtre

A la lumière de ces faits, qui montrent des fractions com­battantes déjà établies en deux camps défendant des program­mes et des méthodes antagonistes et irréconciliables, quel intérêt possible peut avoir un partisan du programme de la Quatrième Internationale et du marxisme en général dans un "régime" de l'opposition petite-bourgeoise, ou vice versa ? Toute l'approche de la question du "régime" doit être fonda­mentalement différente dans chacun des cas, dépendant de la position prise sur la question du programme. Le but de ceux qui appuient notre programme ne peut être que de cor­riger les défauts du régime et d'améliorer son fonctionnement pour en faire l'instrument le plus efficace du programme.

Les critiques provenant du camp de l'opposition, d'un autre cô­té, pour autant qu'il y ait un certain sens ou une certaine logi­que dans leur position, ne peuvent avoir aucun intérêt réel dans notre régime comme tel. Leur but fondamental est de substituer le programme actuel par un autre programme. Pour cela, ils n'exigent pas l'amélioration du régime actuel, mais son retrait et son remplacement par un autre qui réali­sera le programme révisionniste.

Donc, il est clair que la question se pose non pas organisationnellement en premier lieu, mais politiquement. La ligne politique est et doit être le facteur déterminant. Cela est et doit être placé au centre de la discussion. Nous avons défen­du cette méthode en dépit de tout, même au prix de la perte des votes de camarades qui sont principalement intéressés par des questions secondaires, parce que c'est seulement de cette façon qu'il est possible d'éduquer le parti et de consolider une base d'appui sûre pour le programme.

Quelle est la signification de la question d'organisation comme telle dans un parti politique ? A-t-elle une significa­tion indépendante en soi sur le même plan que les divergen­ces politiques, ou même è un niveau supérieur à celles-ci ? Très rarement. Et ensuite seulement d'une manière passagè­re pour que la ligne politique perce et domine la question d' organisation en tout temps. Voici l'une des premières leçons de l'ABC des politiques d'un parti, confirmée par toute l'expérience.

Dans son document notoire intitulé "Science et Style", Burnham écrit : "Le deuxième problème central est la question du régime dans le Socialist Workers Party". En réalité, l'opposi­tion a essayé dès le début du débat à faire de la question du "régime", le premier problème ; les cadres de base de l'opposition avaient été recrutés précisément sur cette question a­vant que les divergences politiques et théoriques fondamenta­les ne se soient entièrement révélées et développées.

Cette méthode de lutte n'est pas nouvelle. L'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire depuis la Première Interna­tionale est une chronique ininterrompue de tentatives des groupes et des tendances petits-bourgeois de toutes sortes de se dédommager eux-mêmes pour leur faiblesse théorique et poli­tique par de furieuses attaques contre "les méthodes organisa­tionnelles" des marxistes. Et sous le titre de méthodes orga­nisationnelles, ils ont tout inclus à partir du concept du centra­lisme révolutionnaire jusqu'aux questions administratives de routine ; et au-dessus de cela, les manières et les méthodes personnelles de leurs principaux adversaires, qu'ils décrivent invariablement comme étant "mauvaises", "sévères", "tyran­niques", et – bien sûr, bien sûr, bien sûr – "bureaucratiques". Jusqu'à ce jour, n'importe quel petit groupe d'anarchistes vous expliquera comment "l'autoritaire" Marx a maltraité Bakounine.

La onzième année du mouvement trotskyste aux Etats-Unis est extrèmement riche de telles expériences. Les luttes inter­nes et les luttes de fraction, dans lesquelles les cadres de ba­se de notre mouvement se sont consolidés et éduqués, étaient en partie, toujours des luttes contre des tentatives pour rem­placer des questions de principe par des querelles organisation­nelles. Les adversaires politiquement faibles ont recours à ce subterfuge à chaque fois.

Cela a été le cas à partir des premiers jours. Dans les premières années de notre mouvement, de 1929 presque sans interruption jusqu'à 1933, Abern-Shachtman ont mené une furieuse guerre verbale contre "l'appareil bureaucratique" de Cannon-Swabeck, qui consistait à ce moment-là en un seul dactylo, aucun sténographe et aucun fonctionnaire per­manent. La fraction Abern-Muste a protesté à cor et à cri de la même manière contre le "régime" Cannon-­Shachtman. Ensuite Shachtman, qui écrit avec la même facilité d'un côté ou de l'autre d'une question, a défendu le "régime" – le même régime – dans un éloquent et, inutile de l'ajouter, trop long, document.

Dans notre bataille avec la fraction centriste de Symes-Clement dans le Parti Socialiste de Californie, ces derniers contrôlaient le comité d'État et nous ont trompés et persécutés par n'importe quel truc bureaucratique possible, ayant recours finalement à notre expulsion ; cela ne les a pas arrê­tés de protester tout le temps contre les "méthodes organisa­tionnelles" de Cannon. Dans le débat sur la question russe, après notre expulsion du Parti Socialiste et avant la constitution formelle du SWP, Burnham et Carter ont élevé la ques­tion organisationnelle contre nous dans une résolution spéciale inspirée par la conception du menchévisme. Shachtman, qui était du côté bolchévique cette saison-là, a collaboré avec moi dans l'élaboration d'une contre-résolution sur la question d'organisation et a défendu le "régime".

Dans le conflit actuel au sein du parti, le plus fondamen­tal de tous, la question du régime est encore présentée com­me "problème central". Cette fois, Shachtman est du côté de Burnham, attaquant le régime qu'il défendait hier et atta­quait le jour avant. Les temps changent, l'avocat change de clients, mais la guerre contre le "bureaucratisme" dans le parti le plus démocratique au monde est conduite de la mê­me manière et pour les mêmes fins qu'avant. Ces "problè­mes internes" dit Abern dans sa lettre à Trotsky datée du 6 février (1940), "n'ont jamais été résolus d'une manière satis­faisante". Il devrait le savoir. Il a mené la guerre sans ar­rêt pendant 10 années -- ouvertement quand il pouvait trou­ver des alliés éminents, par des intrigues secrètes et des em­bûches quand lui et son groupe se trouvaient seuls. Mais il n'a jamais encore obtenu "satisfaction". Ses nombreuses com­binaisons organisationnelles pour l' amour desquelles il était toujours prêt à sacrifier n'importe quel principe, se sont tou­jours effondrées au moment critique. Dans chaque cas, une nouvelle couche de membres du parti qui l'avaient suivi dans l'erreur, a appris une leçon instructive mais pénible sur la supériorité des politiques de principe du marxisme par rapport à la création de combinaisons organisationnelles.

Toute l'expérience de notre riche passé a montré que, quels que soient les succès temporaires qu'une combinaison organi­sationnelle peut avoir au début, en recrutant des camarades inexpérimentés par l'invention d'histoires sur le régime, la ligne politique perce toujours à la fin et conquiert et subor­donne la question d'organisation à sa juste place. C'est cette loi absolue de la lutte politique qui a frustré et amené la dé­faite d'Abern à chaque fois et les a laissés, lui et sa clique, isolés et discrédités à la fin de chaque lutte.

Abern et son cercle intime de médisants petits-bourgeois n'ont jamais appris. Mais les camarades consciencieux dont il a exploité l'inexpérience et l'ignorance, qui n'ont aucun intérêt personnel à servir et qui ont pris ses interprétations de la question d'organisation comme étant justes, ont appris. Cela est le grand gain provenant des luttes passées. Ces ca­marades de notre génération plus jeune qui ont eu des mau­vaises expériences avec la tentative, sous la tutelle d'Abern, de substituer la question d'organisation à la ligne politique, et même de l'élever au premier rang au-dessus de la ligne poli­tique – ce sont précisément ces camarades qui sont les plus immunisés contre cette sorte de supercherie fractionnelle dans le débat actuel. De leurs expériences malheureuses et d'une étude supplémentaire, ils ont appris à écarter le brouhaha au sujet du régime au début de chaque débat ; ils ont appris à al­ler jusqu'au fond des divergences politiques et à prendre posi­tion en conséquence.

Le long document de l'opposition sur la question d'organi­sation n'a pas été écrit pour les cadres informés et éduqués du parti. Il a été écrit pour les inexpérimentés et les non initiés. Il était destiné à les prendre sans qu'ils en soient conscients et à les désorienter ; à les empoisonner avec une animosité person­nelle et fractionnelle, et donc à les rendre incapables d'une évaluation objective des grands débats politiques et théoriques qui étaient à la base du conflit.

Nous, dès le début du conflit actuel, avons fermement refu­sé de mener la bataille sur ce terrain. Nous étions déterminés à tout prix à faire ressortir le fond politique et théorique du débat. Plusieurs camarades se sont opposés à cette stratégie. Ils se sont plaints de ce que les camarades inexpérimentés se­raient désorientés par telle et telle histoire, par un grief pré­sumé et un autre, et se sont alignés en formation de caucus avant qu'ils aient commencé à considérer sérieusement les questions politiques. En dépit de cela, instruits par l'expé­rience du passé, nous en sommes restés à notre méthode. Le développement subséquent de la discussion du parti a confir­mé sa justesse. Les problèmes sont tout à fait clairs mainte­nant. C'est là un gain important.

Il ne fait aucun doute que quelques camarades ont été dé­sorientés et gagnés à l'opposition parce que, aux premiers sta­des de la discussion, nous avons refusé de nous laisser divertir de la lutte politique et théorique fondamentale et avons ad­mis que la plupart des bavardages et commérages à propos du "régime" restent sans réponse. L'opposition est bienvenue aux partisans gagnés par ces moyens ; cela doit être dit sérieusement et en toute franchise.

Nous vivons en des temps sérieux. Nous nous tenons à la veille d'événements graves et d'épreuves importantes pour notre mouvement. Ceux qui peuvent être désorientés et perdent pied â cause de rumeurs, de commérages et d'accusations sans fon­dement ne seront pas des soldats très solides dans les durs jours à venir. La petite-bourgeoisie, après tout, fait toute chose sur une petite échelle. La campagne de calomnies et de com­mérages menée par notre opposition n'est rien comparé aux torrents de mensonges, de calomnies et de mauvaises informa­tions qui seront jetés là la tête des combattants révolutionnai­res dans les prochains jours de la crise de guerre à travers les puissants organes de propagande de la classe ennemie. Et il est à prévoir que pour de longues périodes de temps nous serons baillonnés et nous aurons pieds et poings liés et n'aurons au­cun moyen de communication entre nous. Seulement ceux qui ont bien pesé leurs principes et savent comment s'en tenir fermement à eux, seront capables de se soutenir eux-mêmes pendant de telles périodes. Il n'est pas difficile de prévoir que ceux qui ont déjà succombé à la faible anticipation de cette campagne à l'intérieur de notre propre parti, peuvent être engloutis par la première vague de la campagne réelle. De tels camarades n'ont pas simplement besoin d'être rassurés à propos de tel ou tel conte invraisemblable. Ils ont besoin d'une rééducation sur les principes et les méthodes de la po­litique marxiste. Ensuite seulement, il sera possible de se fier à eux dans les luttes futures.

La question  d'organisation

Aussi longtemps que l'étendue réelle des débats politiques et théoriques demeure indéterminée, les propos au sujet de la question d'organisation n'ont contribué, et ne peuvent contribuer à rien, sinon à la confusion. Mais, maintenant que les problèmes politiques fondamentaux sont entièrement cla­rifiés, maintenant que les deux camps ont pris position selon des lignes fondamentales, il est possible et peut-être réalisable d'aborder la question d'organisation pour une discussion dans son propre cadre et à sa propre place, en tant que pro­blème important mais subordonné ; en tant qu'expression or­ganisationnelle de divergences politiques, mais non en tant que substitut de ces divergences.

Le conflit fondamental entre les tendances prolétarienne et petite-bourgeoise s'exprime à chaque tournant dans les questions d'organisation du parti. Mais ce qui était impliqué dans ce conflit secondaire n'est pas des petits incidents, des griefs, des frictions personnelles et des petits faits similaires qui sont une caractéristique commune de la vie de toute or­ganisation. Le débat est plus profond. Nous sommes en guerre contre Burnham et ses partisans au sujet de la question fon­damentale du caractère du parti. Burnham, pour qui les traditions et le programme du bolchévisme sont complètement étrangers, est non moins hostile à ses "méthodes organisa­tionnelles". Il est plus proche de l'esprit de Souvarine et de tous les décadents, les sceptiques et les renégats du bolchévisme que de l'esprit de Lénine et de son terrible "régime".

Burnham est préoccupé avant tout par des "garanties démo­cratiques" contre la dégénérescence du parti après la révolution. Nous sommes préoccupés avant tout par la construction du parti qui sera capable de diriger la révolution. Pour Burnham, la démocratie du parti est une perpétuelle conversation d'affaires où les discussions continuent toujours et où rien n'est jamais fermement décidé. (Voir la résolution de la conférence de Cleveland !) [1] Considérez sa "nouvelle" in­vention, un parti avec deux organes publics différents dé­fendant deux programmes différents et antagonistes ! Com­me toutes les autres idées indépendantes de Burnham, c'est simplement un plagiat de sources étrangères. Il n'est pas difficile de reconnaître dans ce système brillant d'organisa­tion du parti, une réhabilitation du "parti qui englobe tout le monde", conception malheureuse de Norman Thomas.

Notre conception du parti est radicalement différente.

Pour nous, le parti doit être une organisation de combat qui dirige une lutte déterminée pour le pouvoir. Le parti bolchévique qui dirige la lutte pour le pouvoir n'a pas besoin seule­ment de démocratie interne. Il exige aussi un centralisme impérieux et une discipline de fer dans l'action. Il exige une composition prolétarienne conformément à son programme prolétarien. Le parti bolchévique ne peut être dirigé par des dilettantes dont les intérêts réels et les vies réelles sont dans un autre monde étranger. Il exige une direction profession­nelle militante, composée d'individus démocratiquement choisis et démocratiquement contrôlés qui consacrent leur vie entière au parti et qui trouvent dans le parti et dans ses activités de toutes sortes dans un environnement prolétarien, une entière satisfaction personnelle.

Pour le révolutionnaire prolétarien, le parti est l'expres­sion concentrée du but de sa vie, et il est lié à lui pour la vie et la mort. Il prêche et pratique le patriotisme au parti, parce qu'il sait que son idéal socialiste ne peut se réaliser sans le parti. A ses yeux, le crime suprême est le manque de loyauté ou l'irresponsabilité envers le parti. Le révolution­naire prolétarien est fier de son parti. Il le défend â la face du monde en toute occasion. Le révolutionnaire prolétarien est un homme discipliné, puisque le parti ne peut exister, en tant qu'organisation de combat, sans discipline. Quand il se trouve dans la minorité, il se soumet loyalement à la déci­sion du parti et applique ses décisions, pendant qu'il attend de nouveaux événements pour vérifier les débats ou les nou­velles opportunités de les discuter encore.

L'attitude petite-bourgeoise envers le parti, que Burnham représente, est tout le contraire de ça. Le caractère petit-­bourgeois de l'opposition est démontré dans son attitude en­vers le parti, sa conception du parti, même dans sa méthode de se plaindre et de gémir à propos des "griefs" aussi imman­quablement que dans son attitude légère envers notre pro­gramme, notre doctrine et notre tradition.

L'intellectuel petit-bourgeois, qui veut enseigner et gui­der le mouvement ouvrier sans y participer, sent seulement un lien détaché avec le parti et est toujours plein de "griefs" contre lui. Dès que quelqu'un lui marche sur les pieds ou qu'il est mal accueilli, il oublie tout des intérêts du mouve­ment et se souvient seulement qu'il a été blessé dans ses sentiments ; la révolution peut être importante, mais la vanité d'un intellectuel petit-bourgeois est plus importante. Il est totalement pour la discipline lorsqu'il établit un règlement pour les autres, mais aussitôt qu'il se trouve dans la minorité, il commence à lancer des ultimatums et des menaces de scis­sion contre la majorité du parti.

Les dirigeants de l'opposition sont fidèles à ce modèle. Ayant récité toute la litanie de leurs griefs insignifiants, in­conséquents et pour la plupart imaginaires ; ayant été repoussés par la majorité prolétarienne dans leur tentative de réviser le programme ; ayant été appelés en termes sociologiques et poli­tiques par leur vrai nom – ayant "subi" toutes ces indignités – les dirigeants de l'opposition tentent maintenant de se ven­ger de la majorité du parti par des menaces de scission. Ce­la ne les aidera pas. Cela ne nous empêchera pas de carac­tériser leurs improvisations révisionnistes et de montrer que leur attitude sur la question d'organisation n'est pas séparée de leurs conceptions petites-bourgeoises en général, mais est seulement une expression secondaire de ces conceptions.

Les questions d'organisation et les méthodes organisation­nelles ne sont pas indépendantes des lignes politiques, mais subordonnées à elles. En règle générale, les méthodes orga­nisationnelles découlent de la ligne politique. En effet, tou­te la signification de l'organisation est de réaliser un program­me politique. En dernière analyse, il n'y a pas d'exception à cette règle. Ce n'est pas l'organisation – le parti ou le groupe – qui crée le programme ; plutôt, c'est le program­me qui crée l'organisation, ou qui conquiert et utilise une organisation déjà existante. Même ces groupes et ces cliques sans principe qui n'ont pas de programme ou de bannière en propre, ne peuvent s'abstenir d'avoir un programme politique qui s'impose à eux au cours d'une lutte. Nous sommes main­tenant témoins d'un exemple du fonctionnement de cette loi dans le cas de ces gens de notre parti qui sont entrés dans u­ne combinaison pour lutter contre le "régime" sans avoir au­cun programme politique clairement défini sur les divergen­ces qu'ils ont avec lui.

En cela, ils reproduisent seulement l'expérience invariable de leurs prédécesseurs qui ont mis la charrue avant les bœufs, et ont formé des fractions pour lutter pour le "pouvoir" avant d'avoir une idée claire de ce qu'ils feraient du pouvoir après l'avoir obtenu.

Dans la terminologie du mouvement marxiste, les groupes ou les cliques sans principe qui commencent une lutte sans programme défini, ont été caractérisés comme étant des ban­dits politiques. Un exemple classique d'un tel groupe, de son origine jusqu'à sa fin misérable dans les remous du radicalis­me américain, est le groupe connu sous le nom de "Lovestonistes [2]". Ce groupe, qui a pris son nom de l'aventurier sans caractère qui a été son dirigeant, a empoisonné et corrompu le mouvement communiste américain pendant plusieurs an­nées par ses luttes fractionnelles sans principe et sans scrupu­le, qui étaient menées pour servir des buts et des ambitions personnels, ou pour satisfaire des griefs personnels. Les Lovestonistes étaient des gens capables et talentueux, mais ils n'avaient pas de principes définis. Ils savaient seulement qu'ils voulaient contrôler le "régime" du parti. Comme pour Abern, cette question a toujours occupé la première pla­ce dans leurs calculs. Le programme "politique" du mou­vement a toujours été adapté à leur but principal qui était de "résoudre la question d'organisation d'une manière satisfaisan­te", c'est-à-dire en leur faveur.

Ils étaient des radicaux et des ultra-gauchistes égarés quand Zinoviev était à la tête du Comintern. Avec la chute de Zinoviev et le tournant violent vers la droite qu'a opéré le Comintern sous Boukharine, ils sont devenus des boukhariniens ardents aussi rapidement et calmement que quelqu'un qui change de chemise. A cause d'une erreur de calcul ou d'un délai dans les informations, ils étaient en retard en faisant le changement de Boukharine à Staline et au gauchisme fré­nétique de la "troisième période". Bien sur, ils ont essayé de compenser leur inadvertance en proposant l'expulsion de Boukharine au congrès du parti qu'ils contrôlaient en 1929. Mais cette dernière démonstration de leur flexibilité politi­que au service de buts organisationnels rigides, venait trop tard. Leur retard a causé leur mort.

Leurs politiques étaient toujours déterminées pour eux par des pressions externes. Lorsqu'ils étaient membres du Parti Communiste, cette pression provenait de Moscou. Avec leur expulsion formelle du Comintern, une pression encore plus forte a commencé à peser sur eux et ils s'y sont graduelle­ment adaptés. Aujourd'hui, cette clique isolée et misérable, foncièrement petite-bourgeoise, est ballottée par l'opinion publique bourgeoise démocratique comme une plume au vent. Les Lovestonistes n'ont jamais eu de programme indépendant bien à eux. Ils n'ont jamais été capables d'en développer un pendant les années qui ont suivi leur séparation du Parti Communiste. Aujourd'hui, leur journal, 'Workers’ Age", se distingue difficilement d'un journal libéral de gauche. Un exem­ple du résultat final des politiques "organisationnelles" sans principe. [3]

Le cas le plus horrible de tous, avec les conséquences finales les plus tragiques, est celui de la fraction "anti-trotskyste" dans le Parti Communiste Russe. Il est indiscutable que la com­binaison Staline-Zinoviev-Kaménev a commencé sa lutte frac­tionnelle contre Trotsky sans but programmatique clairement défini. Et précisément parce que cette fraction n'avait pas de programme, elle est devenue l'expression des influences de classe étrangère. La dégénérescence ultime de la fraction stalinienne en un instrument impuissant de l'impérialisme et en un adversaire meurtrier des vrais représentants de la révo­lution russe n'est pas, comme nos ennemis le disent, le développement logique du bolchévisme. C'est plutôt l'aboutissement ultime de la déviation de la méthode et des politiques de principe des bolcheviks marxistes.

Toutes proportions gardées, la dégénérescence de la clique d'Abern, d'adhérents formels au programme et à la doctrine marxistes en partisans fractionnels du révisionnisme, a suivi le même modèle que les autres exemples cités. L'hégémo­nie idéologique et politique actuelle de Burnham dans le bloc de l'opposition représente la preuve la plus frappante de la règle politique qui dit que les groupes et les cliques qui n'ont pas de programme en propre, deviennent les instruments du programme des autres. Dans un certain sens, Burnham a un programme. C'est un programme de lutte contre la doctrine, les méthodes et la tradition de notre mouvement. C'était simplement naturel, en fait c'était inévitable, que ceux qui se sont ralliés à Burnham pour lutter contre le "régime", soient tombés sous la domination de son programme. La vi­tesse à laquelle Abern a accompli cette transformation peut être expliquée en partie par le fait qu'il a eu des expérien­ces précédentes de trahison idéologique au service de buts organisationnels mesquins, et, en partie par le fait que la pression sociale qui pèse sur notre parti est plus lourde aujourd'hui que jamais auparavant. Cette pression accélère tous les développements.

Les intellectuels et les travailleurs

L'orientation carrément prolétarienne de la majorité est représentée par Burnham comme étant l'expression d'un an­tagonisme contre les "intellectuels", comme tels, et un préjugé ignorant contre l'éducation en général. Dans son document principal, "La guerre et le conservatisme bureau­cratique", il écrit : "Par-dessus tout, une attitude "anti-­intellectuelle" et "anti-intellectuels" est enfoncée dans l'esprit des membres du parti. Les associés de la fraction ap­prennent, tout à fait littéralement, à mépriser et à dédai­gner les "intellectuels" et "l'intellectualisme"." Pour des rai­sons mieux connues d'eux-mêmes, Shachtman et Abern ont apposé leur signature au bas de cette protestation et ont pris position dans un conflit où ils avaient tous les droits de se proclamer neutres.

Le Workers' Age, l'organe des Lovestonistes, qui a suivi notre discussion interne avec une sympathie non dissimulée pour l'opposition, est entré dans la mêlée avec parti-pris. Commentant une remarque de mon discours public, à l'effet que les éléments ouvriers engagés dans la lutte de classes comprennent mieux la question russe que les scolastiques les plus éduqués, le Workers' Age du 9 mars, dit : "Cela vise évidemment Burnham qui a le "malheur" d'être éduqué. Que représente cette atteinte si ce n'est pas la vieille démagogie stalinienne opposant l'élément "prolétarien" vertueux et clair­voyant au méchant "intellectuel" confus ? C'est la même sorte de démagogie pourrie et sans principe, n'en doutez pas."

Voyons. La question concernée est l'attitude des révolu­tionnaires prolétariens face aux membres instruits de la peti­te-bourgeoisie qui viennent au mouvement prolétarien. C'est là une question importante qui mérite une clarification. Burnham est indubitablement un intellectuel, comme son é­ducation académique, sa profession et ses connaissances l'at­testent. Il n'y a rien de mal à cela, comme tel, et nous ne pouvons avoir la moindre raison de le lui reprocher. Nous sommes tout à fait conscients, comme Marx l'a dit, que "l'ignorance n'a jamais rendu quelqu'un meilleur", et nous n'avons rien en commun avec les préjugés vulgaires contre "les gens éduqués" qui sont cultivés par des démagogues gre­dins pour servir leurs propres buts. Lénine a écrit à Gorki sur ce point: "Bien sûr, je ne rêve pas de "persécuter l'intelligentsia" comme le font les petits syndicalistes stupides, ou de nier sa nécessité pour le mouvement ouvrier." C'est une calomnie contre l'aile marxiste du parti de nous attribuer de tels sentiments. D'un autre côté, nous ne sommes pas im­pressionnés à l'excès par la simple "érudition" et encore moins par les prétentions à l'érudition. Nous approchons cet­te question, comme toutes les questions, d'une manière cri­tique.

Notre mouvement, le mouvement du socialisme scientifi­que, juge les choses et les gens d'un point de vue de classe. Notre but est l'organisation d'un parti d'avant-garde pour conduire la lutte prolétarienne au pouvoir et la reconstitu­tion de la société sur des bases socialistes. C'est notre "scien­ce". Nous jugeons tous les gens d'une autre classe qui vien­nent vers nous par l'étendue de leur identification réelle avec notre classe, et par les contributions qu'ils peuvent faire pour aider le prolétariat dans sa lutte contre la classe capi­taliste. Voilà le cadre à l'intérieur duquel nous considérons objectivement le problème des intellectuels dans le mouve­ment, Si au moins 99 sur 100 intellectuels – pour parler a­vec le plus grand "conservatisme" – qui approchent le mou­vement ouvrier révolutionnaire finissent par être plus un problème qu'un avantage, ce n'est pas du tout à cause de nos préjugés contre eux, ni parce que nous ne les traitons pas a­vec la considération qui leur est due, mais parce qu'ils ne peuvent remplir certaines conditions qui, seules, peuvent les rendre utiles pour nous dans notre lutte.

Dans le Manifeste Communiste, dans lequel la théorie et le programme du socialisme scientifique ont été formelle­ment promulgués pour la première fois, il était déjà signalé que la désintégration de la classe capitaliste dirigeante pré­cipite des sections de cette classe vers le prolétariat ; et que d'autres – une petite section assurément, et principalement des individus – se détachent de la classe capitaliste déca­dente et fournissent au prolétariat des éléments nouveaux d'é­claircissement et de progrès. Marx et Engels eux-mêmes, les fondateurs du mouvement du socialisme scientifique, sont venus au prolétariat à partir d'une autre classe. La même chose est vraie pour tous les autres grands maîtres de notre mouvement, sans exception.

Lénine, Trotsky, Plékhanov, Luxembourg, aucun n'était prolétarien par ses origines sociales, mais ils sont venus vers le prolétariat et sont devenus les plus grands dirigeants prolé­tariens. Pour faire cela, cependant, ils ont eu à déserter leur propre classe et à joindre "la classe révolutionnaire, la classe qui détient le futur dans ses mains". Ils ont fait ce transfert d'allégeance de classe inconditionnellement et sans réserve. Seulement ainsi, ont-ils pu devenir des représentants authen­tiques de leur classe d'adoption, se fondre complètement en elle, et éliminer toute ombre de conflit entre eux et les révo­lutionnaires d'origine prolétarienne. Il n'y avait pas et ne pouvait pas y avoir de "problème" dans leur cas.

Le conflit entre les révolutionnaires prolétariens et les in­tellectuels petits-bourgeois dans notre parti, comme dans le mouvement ouvrier en général à travers le monde et à travers l'histoire, ne découle pas du tout des préjugés ignorants des travailleurs contre eux. Le conflit découle du fait qu'ils n'ont ni "coupé les liens" avec la classe étrangère, comme le Manifeste Communiste l' a spécifié, ni "rejoint la classe révolutionnaire", dans le sens plein du mot. Au contraire des grands dirigeants mentionnés plus haut qui sont venus vers le prolétariat inconditionnellement et à tous les égards, ils ont hésité à mi-chemin entre les classes opposées. Leur intel­ligence, et jusqu'à un certain point aussi, leur savoir, les poussent à se révolter contre la stagnation intellectuelle et spirituelle de la classe dirigeante parasite dont le système est en pourriture. D'un autre côté, leur esprit petit-bourgeois les retient de s'identifier complètement avec la classe prolétarienne et son parti d'avant-garde et de refaçonner leurs vies entières dans leur nouvel environnement prolétarien. Ici est la source du "problème" des intellectuels.

Le mouvement ouvrier révolutionnaire, conscient qu'il "détient le futur dans ses mains", est sûr de lui, impérieux, exigeant au plus haut point. Il repousse tous ceux qui ne font que flirter avec lui ou qui ne sont engagés qu'à moitié. Il exige de chacun, spécialement de ses dirigeants, "tout ou rien". Ce n'est pas leur "éducation", comme le maintien­nent les Lovestonistes qui sympathisent avec l'opposition au sein de notre parti, qui a causé le conflit entre les intellec­tuels et les cadres prolétariens de notre parti, mais plutôt leur esprit petit-bourgeois, leur semi-allégeance misérable, leur ambition absurde de diriger le mouvement ouvrier révolu­tionnaire durant leur temps perdu.

Ce n'est pas vrai que les ouvriers militants avancés sont hos­tiles à l'éducation et ont des préjugés contre les gens éduqués. Au contraire. Ils ont un respect exagéré pour tout intellectuel qui approche le mouvement et une appréciation exagérée de tout petit service qu'il rend. Cela n'a jamais été démontré d' une manière plus convaincante que par la réception accordée à Burnham lorsqu'il est formellement entré dans notre mouve­ment et par la considération extraordinaire qui lui a été donnée pendant tout ce temps. Il est devenu membre du Comité National sans avoir suivi aucun apprentissage dans la lutte de classes. Il a été nommé pour être un des rédacteurs de notre revue théorique. Toute la reconnaissance et les "honneurs" d'un dirigeant remarquable du parti lui ont été librement accordés.

Son attitude scandaleuse vis-à-vis des responsabilités de di­rection ; son refus conséquent de se dévouer au travail du par­ti comme à une profession, non comme à une distraction ; son attitude hautaine et méprisante vis-à-vis les autres travailleurs du parti ; son manque de respect pour notre tradition et même pour notre organisation internationale et sa direction, ­tout cela et plus a été passé sous silence par les éléments ouvriers du parti, mais en aucune façon avec leur approbation. Ce n'est que lorsque Burnham a tenté ouvertement de renverser notre programme, que les éléments ouvriers du par­ti se sont élevés contre lui et l'ont rappelé à l'ordre. Sa présente tentative de dénoncer cette action révolutionnaire com­me étant une expression de préjugés ignorants contre lui à cause de son "érudition", est seulement une autre démonstra­tion, la plus révélatrice, de son propre esprit petit-bourgeois et de son mépris petit-bourgeois envers les travailleurs.

Un parti prolétarien qui est formé théoriquement dans les doctrines scientifiques du marxisme ne peut être intimidé par personne, ni désorienté par quelques expériences malheureuses. Le fait que l'érudit professeur Burnham s'est révélé être seule­ment un autre petit-bourgeois peut possiblement engendrer un peu plus de prudence à l'avenir vis-à-vis des types similai­res. Mais cela ne changera rien dans l'attitude fondamentale de l'avant-garde ouvrière envers les intellectuels provenant du monde bourgeois qui vont approcher le mouvement à l'ave­nir. Instruits par cette expérience, il est possible que le pro­chain qui arrive, aura à remplir des conditions plus dures. C'est difficilement de la même manière qu'à l'avenir quel­qu'un sera autorisé à avoir des prétentions à la direction à moins qu'il rompe définitivement avec son environnement de classe étrangère et qu'il vienne vivre dans le mouvement ouvrier. Un simple visiteur ne sera pas encouragé.

Le mouvement américain a eu une expérience très mauvai­se avec les intellectuels. Jusqu'à maintenant, ceux qui sont apparus à l'horizon ont été assez misérables. Aventuriers, car­riéristes, égoïstes, dilettantes, peureux – voilà le tableau désastreux du cortège des intellectuels dans le mouvement ou­vrier américain tel que dressé par eux-mêmes. Daniel De Léon reste la grande exception. Il n'était pas simplement un intellectuel. Il était un homme et un combattant, un parti­san incapable de toute allégeance partielle. Une fois qu'il a­vait décidé d'adopter la classe prolétarienne, l'atmosphère viciée du monde académique bourgeois lui est devenue into­lérable. Il a quitté l'université en claquant la porte derrière lui, et n'a jamais regardé une fois derrière. Par la suite, jus­qu'à la fin de sa vie, il s'est complètement identifié au mouvement socialiste et là la lutte des travailleurs. Les travail­leurs révolutionnaires de la génération actuelle se rappellent de lui avec gratitude pour cela, sans de ce fait oublier ses erreurs politiques. D'autres, et nous l'espérons, plus grands que De Léon, viendront à nous dans l'avenir et ils seront accueillis de tout cœur par le parti de l'avant-garde proléta­rienne. Ils ne se sentiront pas offensés si nous examinons à fond leurs créances et si nous les soumettons à un certain ap­prentissage. Ils ne seront pas offensés si nous insistons sur une compréhension explicite que leur tâche est d'interpréter et d'appliquer la science prolétarienne du marxisme, et non de refiler un substitut bourgeois à cette science. Les nouveaux De Léon comprendront tout de suite que cet examen prélimi­naire est simplement une précaution contre l'infiltration d'imposteurs intellectuels et ne signifie pas, en aucun cas, un préjugé contre les intellectuels qui viennent réellement pour servir la cause prolétarienne.

Les intellectuels marxistes authentiques qui viennent â nous comprendront le point fondamental de notre doctrine, que le socialisme n'est pas simplement un "idéal moral" comme Burnham essaie de nous le faire croire en 1940 – ­92 ans après le Manifeste Communiste – mais le dénoue­ment nécessaire d'une lutte de classes irréconciliables menée par le prolétariat contre la bourgeoisie. Ce sont les travailleurs qui doivent faire la révolution et ce sont les tra­vailleurs qui doivent composer le parti d'avant-garde prolé­tarien. La fonction de l'intellectuel marxiste est d'aider les travailleurs dans leur lutte. Il peut le faire d'une maniè­re constructive seulement en tournant le dos au monde bour­geois et en joignant le camp révolutionnaire prolétarien, et cela en cessant d'être un petit-bourgeois. Sur cette base, les bolcheviks ouvriers et les intellectuels marxistes s'enten­dront très bien ensemble.


Notes

[1]  Ceci se réfère à une conférence nationale de la minorité, convoquée les 24 et 25 février 1940. Cette conférence a réso­lu qu'il existait deux tendances politiquement irréconcilia­bles dans le parti et que "le parti doit permettre à tout grou­pe qui se trouve en minorité au congrès de publier un journal politique public à soi défendant le programme général de la Quatrième Internationale et qui présenterait en même temps d'une manière objective la position particulière de sa tendan­ce au sujet du débat sur la question russe". La majorité a re­jeté la demande de la minorité – NDLR

[2] Il s’agit des partisans de J. Lovestone (1898-1990), ex-dirigeant communiste, lié à la droite boukharinienne et éliminé du P.C. en 1929. NDLR.

[3]   Au début de 1941, avant l'entrée des Etats-Unis dans la guerre, les Lovestonistes ont tenu une assemblée et ont adop­té une résolution à cet effet : que la meilleure chose que nous puissions faire dans l'intérêt du socialisme, est de dissoudre notre organisation – NDLR


Archives Trotsky Archives IV° Internationale
Haut de la page Sommaire