1973

Kamata Satoshi

Toyota, l'usine du désespoir

Journal d'un ouvrier saisonnier
Chapitre 2 : Ce qui rend possibles les records

1973

 


 



Dimanche 1er octobre.Un travail standardisé.

Le soir, au réfectoire, je fais connaissance avec Yamamoto, un gars qui vient de Kurumé, Nord-Kyushu. On parle de choses et d'autres en fumant une cigarette. Sorti d'une école de commerce, il a délaissé tout emploi stable dans cette branche. Depuis trois ans il fait l'ouvrier saisonnier. Auparavant, il pensait entrer à l'université. Mais à la mort de son père, pour se faire une grosse somme d'argent rapidement, il a jugé plus efficace de travailler comme ouvrier saisonnier que d'avoir un poste stable quelque part ; puis il a abandonné l'idée de poursuivre ses études. Il souriait, me montrant ses dents blanches ; son parler est très poli, c'est un jeune bien éduqué. Jusqu'à présent il a travaillé chez Toyota à l'assemblage des voitures « Célica » et à l'atelier de mécanique de Kamigo, mais aussi dans les forges de Nissan à Yokohama, à l'assemblage des pelleteuses mécaniques chez Kubota à Osaka et il est maintenant à l'usine principale Toyota à l'atelier d'usinage des blocs-moteurs. « Mes mains sont toutes jaunies et j'ai beau frotter avec une brosse, rien à faire pour enlever ça. J'en ai marre ! » dit-il en grimaçant. Il paraît que la poussière dégagée par l'usinage de la fonte salit tout, tout de suite : la chemise, le pantalon, la tête et tout. Il compte bien supporter ça jusqu'au prochain jour de paye. Son contrat va jusqu'à la fin de l'année, mais, une fois touchée sa paye, il verra s'il continuera ou pas.

S'il arrive à épargner et à aller jusqu'au bout du contrat, il pense retourner dans sa campagne et passer son permis de conduire. Ensuite, pense-t-il, ce sera une nouvelle vie, avec une chemise blanche et la cravate !

Ça fait donc deux semaines que je travaille, mais quand je reviens au foyer je ne fais que dormir ; j'ai décidé de ne pas penser aux questions du travail. Comme je suis crevé, je n'en ai plus la force et, quand je me mets à le faire, je ressens une fatigue encore plus intense...

Voyant que la lampe de secours s'est allumée, le chef d'équipe accourt et me dit, d'un air ahuri : « T'as pas encore appris, regarde bien ! » Se tournant vers moi, il me montre alors ostensiblement comment faire et, soulignant l'endroit précis où il faut s'appliquer, il accompagne son geste d'un « voilà, c'est ça » sans réplique.

La façon de faire, je l'ai déjà apprise et je pensais seulement que je n'arrivais pas à suivre la vitesse, mais quand il m'a dit : « t'as pas encore appris », ça m'a fait un choc. Ce verbe apprendre finalement, délaissant toute logique, ne peut vouloir dire que s'habituer, s'accorder à la vitesse de la chaîne.

Cependant, depuis les origines, la façon de travailler appartient au travailleur, la façon de faire importe peu, ou plutôt elle devrait être laissée à l'initiative de chacun, et varier suivant les individus. Mais, actuellement, pour que le travail soit le plus rapide possible, il n'y a qu'une seule méthode, c'est la standardisation : si on n'applique pas l'ordre des opérations tel qu'il est enseigné, on n'y arrive pas. Autrement dit, tous les mouvements sont à faire machinalement, et il faut s'y habituer. On nous y habitue et on fait en sorte qu'on y arrive. C'est là une contrainte absurde, une espèce de par-cœur machinal imposé au corps. Il y a deux ou trois gars qui m'ont dit : « On est tellement habitué qu'on pourrait y arriver en dormant. » C'est ça, faire marcher son corps inconsciemment, devenir soi-même une machine.

Quand on parle de rationalisation, ça fait penser tout de suite à quelque chose de très raisonnable, théorique, mais ce qui est rationalisé, c'est seulement ce qui permet la plus grande plus-value possible ; pour l'ouvrier, ce n'est qu'une contrainte antirationnelle. Ce système de travail, entièrement décidé d'une manière unilatérale, est contrôlé ensuite, sans tenir compte des conséquences, par la vitesse de la chaîne. Pour produire davantage il suffit d'augmenter la vitesse ou bien les heures de travail. Voilà ce qui se passe pour nous actuellement.

Contenu de mon travail pour les modèles KM et PH :

  1. Dans une des boîtes alignées devant la chaîne (chaque boîte contient des pièces identiques), je prends deux goupilles avec la main gauche, je les introduis par le trou supérieur dans la boîte de vitesses et je les fais rentrer avec le marteau que je tiens dans la main droite.

  2. Avec la main droite je prends un pignon placé dans une caisse en fer blanc qui est transportée par la chaîne, je le fais passer par le trou du milieu, je presse de l'autre côté avec la main gauche et je le force à rentrer avec le marteau (quelquefois, ça ne veut pas rentrer !).

  3. Avec la main gauche je place une rondelle à l'extrémité du pignon que je viens de mettre en place.

  4. Je retourne la boîte de vitesses.

  5. Avec la main gauche je prends un engrenage dans une boîte et je le maintiens dans la boîte de vitesses ; avec la main droite je sors un axe d'une autre boîte et je l'insère par une fenêtre située de l'autre côté, je fait passer l'axe dans le trou, ensuite, toujours avec la main droite, je prends dans une boîte une petite goupille en demi-lune (c'est très dur à saisir avec les gants) que j'insère dans une rainure située sur l'axe et qui sert à fixer le tout dans la boîte (là aussi, quelquefois ça ne va pas tout seul).

  6. Je prends des deux mains un pignon tout préparé que la chaîne amène debout dans une boîte, je le mets à l'horizontale, je le fais entrer dans la boîte de vitesses, puis, faisant coïncider son extrémité avec l'axe que je viens de fixer en 5 pour que les deux puissent tourner librement, je les emboîte l'un dans l'autre en les faisant mordre dans les rainures.

  7. J'étends la main gauche pour prendre une « fourchette » dans une boîte placée de l'autre côté de la chaîne ; avec la main droite je prends un engrenage dans une autre boîte, je les assemble, puis je fixe le tout en deux endroits grâce à deux attaches que je saisis avec la main droite (difficile avec les gants).

  8. Avec la main gauche je prends un écrou dans une boîte et je le visse au sommet de la boîte de vitesses ; je prends dans une autre boîte un joint de caoutchouc que j'insère dans un trou prévu à cet effet et, tenant un burin de la main gauche, je fais rentrer le joint au marteau (si le joint rentre de travers, l'huile de la boîte va fuir).

  9. Avec la main droite, je prends un joint en papier dans un paquet qui pend du plafond juste devant mes yeux, je le trempe dans de la colle contenant du diluant et je l'applique sur le bord de l'écrou.

  10. Je me retourne vers le tapis roulant, j'y place une cale et je reprends le marteau pour recommencer au 1. Durant ce temps j'ai donc placé environ quinze pièces. La plupart de ces boîtes de vitesses sons transportées dans une autre usine, filiale de Toyota, pour être assemblées sur le châssis des camionnettes. Plus des deux tiers des boîtes qu'on fabrique sont de cette sorte.

Pour les modèles RY et RK :

  1. Je saisis de la main gauche dans une des boîtes alignées devant la chaîne un bras inverseur de vitesses, avec la main droite je fais glisser à son extrémité une tête en acier, et je suspens le bras à l'intérieur de la boîte de vitesses avec la main droite ; je prends un boulon et le fais passer à travers l'un des trous du bras, je saisis une rondelle et un écrou, et des deux mains j'assemble écrou et boulon, puis, changeant de main, je fixe l'ensemble.

  2. Je saisis, dans l'une des boîtes, des deux mains, trois boulons à la fois, munis de leurs rondelles (ça demande une certaine habitude), je fais passer les boulons deux par deux dans les trous d'un anneau de fixation qui a été placé par mon voisin, puis je saisis la clé électrique suspendue au-dessus de moi et je visse d'un seul coup les six boulons.

  3. De la main droite je prends une « fourchette », je la glisse dans l'axe posé précédemment, et je la fixe grâce à un boulon et un écrou.

  4. Je prends un engrenage de la main droite dans l'une des caisses, je le fais glisser sur un arbre déjà posé, je l'insère au milieu de la fourchette et je le fixe en l'appliquant sur un ressort.

  5. De la main droite je tire vers moi une clé électrique suspendue au-dessus de ma tête pour sceller les boulons du bras que j'ai posés en 1 et je serre aussi les boulons de la fourchette.

  6. De la main gauche je détache un joint en papier du paquet qui pend en-dessous de la chaîne et je le pose sur le bord de la boîte de vitesses ; je saisis alors de la main droite, de l'autre côté de la chaîne, un couvercle où sont déjà fixés un levier et une fourchette et il faut poser le couvercle en faisant glisser le levier et la fourchette entre deux engrenages (comme on ne voit plus les rouages à l'intérieur, il faut connaître le truc et avoir un bon coup de main pour faire cette opération ; quand on n'est pas habitué, les quatre-vingts secondes s'écoulent rien que pour cela).

  1. En étendant les mains de l'autre côté de la chaîne, je saisis six boulons et je les enfile dans les trous du couvercle.

  2. je tire à moi la clé électrique pendue au-dessus de ma tête et je bloque les six boulons ensemble. Les pièces que j'ai assemblées pendant ce temps sont donc au nombre de vingt-trois en gros. Ce genre de boîtes de vitesses, transportées à la chaîne d'assemblage après avoir été reliées au moteur, sont fixées au châssis et sont prêtes à rouler. Elles sont difficiles à assembler et, s'il y en a dix qui se suivent, on n'arrive vraiment plus à souffler.


Lundi 2 octobre. – Troisième semaine. De nouveau le lever à 5 heures recommence. La semaine dernière, pendant que j'étais du soir, le lever du soleil était de plus en plus tard. Je n'ai d'ailleurs pas pu voir ce matin les lueurs rougeâtres au sommet des montagnes.

Je n'y arrive pas encore tout seul et quand je suis débordé le chef d'équipe vient m'aider. Cependant mon corps s'est habitué et j'arrive même à avoir l'esprit dégagé. Sur le chemin du retour, en voyant le ciel tout bleu, j'ai goûté un fort sentiment de libération.


Mardi 3 octobre. – Une heure de travail supplémentaire. Je suis rentré avec mon voisin de boulot Takéda, n gars de dix-neuf ans, originaire de la préfecture de Shizuoka. Sorti de l'école à quinze ans, il est entré comme apprenti chez Toyota. Pendant trois ans il travaillait à l'atelier et rentrait tous les soirs à l'école technique de l'usine. Quand il est sorti de cette école, il y a deux ans, il a été nommé à l'atelier d'entretien et de réparations des machines, comme il l'espérait. C'était un travail facile et agréable, car il pouvait y acquérir des connaissances sur toutes sortes de machines et il avait du temps libre quand il n'y avait pas de réparations. Mais pour lui, qui s'était mis à aimer la montagne, cet atelier ne l'intéressait plus, car le travail le dimanche y était fréquent. Il a donc voulu changer pour être sûr d'avoir son dimanche afin de faire de l'alpinisme, et c'est ainsi qu'au mois de mars on l'a envoyé à l'atelier des boîtes de vitesses.

Tout à coup, il me dit : « C'est un travail vraiment idiot. » J'ai sursauté. C'est sûr et certain, ce travail est idiot, mais que ce terme séditieux soit employé par un titulaire formé chez Toyota et qui, dit-on, a toutes les chances de devenir très vite chef d'équipe, c'était quand même surprenant. En plus, c'était un gars très discret que j'avais rarement vu causer avec quelqu'un. Nous allons tous les deux à la coopérative et nous flânons aux rayons des vêtements et des livres. À 4 heures, dès l'ouverture du réfectoire, il va prendre son repas et moi je me dirige vers l'arrêt d'autobus, en face du Pachinko ; je m'assois sur le bord de la route et j'attends (il y a un bus toutes les heures !). Je suis fourbu. J'arrive au foyer, j'étends mon matelas pour m'allonger, j'ouvre le journal, mais je m'endors. Je me réveille une heure après et masse de mon mieux mes poignets et mes doigts endoloris. Ensuite je monte au réfectoire, j'y prends mon repas après avoir bu un jus de tomates et je me recouche. Vers 8 heures, je sors pour m'acheter une bière au distributeur et je retourne me coucher. Puis, à 5 heures, lever. Et ainsi de suite... Voilà le genre de vie que je mène quand je suis du matin. Le travail est certes machinal, mais la vie elle-même est aussi monotone que le travail.

Kudô, lui, travaille à partir d'aujourd'hui de 8 heures à 19 heures. Jusque-là il commençait à 7 heures, soit trois heures et demie supplémentaires, mais elles ont été ramenées à deux heures et demie. Son travail est toujours le même, toujours aussi dangereux. Comme il demandait à son chef de pouvoir changer, il s'est vu répondre : « Mais tu es temporaire ! (c'est ainsi que les titulaires appellent les ouvriers saisonniers : ça montre bien en effet notre condition temporaire). Tu es venu pour gagner de l'argent, non ? Alors tu n'as qu'à patienter, t'en as pas pour longtemps ! »


Mercredi 4 octobre. – La voiture, principale responsable de la pollution...

Il pleut : ça n'était pas arrivé depuis pas mal de temps. Kudô a reçu une lettre de sa mère. Chaque jour, il attendait cette lettre en disant : « Elle n'arrive toujours pas. » Il me l'a fait lire à moi aussi. C'était une bonne lettre, écrite avec des beaux caractères :


« Cher fils,

Je vois que tu vas bien. Je ne sais pas bien quel est ton travail, mais fais bien attention à ne pas te blesser et à ne pas tomber malade. Je suis heureuse que tu sois avec un compatriote, dans la même chambre.

La semaine dernière, je suis allée avec Yukiko couper l'herbe dans le champ des navets. Les herbes étaient hautes, mais les fanes des navets avaient bien poussé aussi. Pendant qu'on travaillait avec ardeur, l'oncle de Osanai est arrivé et nous a dit : « Si on laisse pousser l'herbe, les feuilles de navet poussent aussi, mais le navet, lui, ne grossit pas. » J'étais donc toute décontenancée. Mais j'ai pu remplir la moitié de mon panier avec des vieux gingembres du jardin.

Le 25 du mois dernier, la tante qui était partie travailler un mois dans le Hokkaïdô est revenue et a rapporté des souvenirs pour tout le monde. En ce moment, je tire des carottes et des salsifis du jardin pour mes repas. J'ai récolté aussi une trentaine de nambas bien mûrs et bien gros et j'ai vu avec surprise en allant chez le marchand de légumes qu'il les vendait 7 yens pièce ! On peut voir de-ci de-là les têtes toutes rougies des concombres au milieu des feuilles toutes fanées. Chaque jour j'en mange, soit au vinaigre, soit légèrement revenues sur la poêle. Quand j'ai fait réparer le poste de télé, je n'ai pas fait poser d'antenne et maintenant , quand je mets la chaîne locale

« RAB », on entend mal le son, car il y a des interférences avec un autre poste. Vraiment il faut que j'en fasse poser une. Depuis quelques jours, il s'est mis à pleuvoir : un vrai temps d'automne, quoi !

On se faisait du souci pour les deux typhons « 20 et 21 » [1], mais juste au bon moment ils se sont écartés de chez nous : on a été soulagés.

Vraiment, à Hirosaki, on est bien ! À bientôt, bon courage !

Ta maman.


Article du journal Chûnichi [2] : « La pollution de l'atmosphère : la voiture, principale responsable ! » Le ministère de l'Environnement a fait connaître les résultats d'une enquête faite au mois de mars : d'après cette enquête, il se révèle que parmi les gaz qui polluent l'atmosphère 93 % de l'oxyde de carbone, 57 % des hydrocarbures et 37 % du peroxyde d'azote (Nox) viennent des automobiles. Cette enquête a été réalisée à l'occasion du projet d'introduction au Japon de la loi Muskie, qui vise à réduire de 80 % les pollutions actuelles.

C'est clair, la voiture est la principale responsable de la pollution. Et malgré cela, chaque jour, chaque minute, sans répit, les voitures continuent de sortir des usines et les automobilistes, la tête haute, roulant les mécaniques [3], peuvent prendre possession des villes !


Jeudi 5 octobre. – « Du moment que je touche mon salaire... »

Après le travail, réunion dans l'atelier. Il était question d'un ordre venu du directeur de fabrication qui demandait qu'on mesure la force de serrage des six boulons. En somme, un nouveau travail, mais impossible à réaliser : on est déjà trop occupé avec ce qu'on a à faire. Et le chef d'équipe qui disait, trouvant là la bonne excuse : « C'est un ordre du directeur ! » Il y a un gars qui a dit froidement :

« Oh ! alors, si c'est un ordre, on obéit. Mais la chaîne va s'arrêter, et si elle s'arrête, je m'en fous ! – Tu as beau t'en foutre, mais les types du deuxième poste ça va leur retomber sur le dos en heures supplémentaires ! »

Tous alors de s'exclamer : « Travailler jusqu'à 2 ou 3 heures du matin, mais qu'est-ce qu'on va devenir, nous les travailleurs, pour qui on nous prend ? » (Ici, on dit toujours travailleurs, on n'emploie pas le mot ouvrier [4].)

C'est alors que le chef d'atelier, avec sa drôle de casquette blanche, de son bureau qui le séparait de notre banc, a déclaré en signe de compromis : « En mesurant à un seul endroit, je pense que ça suffira, mais je demanderai une deuxième fois. »

Réponse des gars : « Mesurer en un seul endroit, tiens, mais c'est tout un boulot ! »

Sur ce, l'auteur de cet ordre si discuté, le chef de la fabrication (un type encore jeune, d'une quarantaine d'années), arrive dans l'atelier. Le chef d'atelier se lève alors devant les ouvriers mécontents et dit seulement sur un ton fayoteur avant de nous quitter : « Respectez bien les consignes de sécurité ! »

On se lève alors et on quitte tous l'étroit vestiaire. Tout en marchant à la queue leu leu, l'un des ouvriers a lancé à l'intention du directeur : « Si tu te fous de nous, gare à toi ! » Mais le ton manquait de tranchant et c'était dit un peu comme une plaisanterie. Le mécontentement général d'aujourd'hui montre bien comment on est poussé à bout, y compris les vieux, les habitués. Ça m'a quelque peu soulagé de m'apercevoir que je n'étais pas le seul à en avoir marre.



Vendredi 6 octobre. – À force de serrer le marteau mon index droit refuse de bouger ; j'ai mal aussi au poignet et aux articulations des doigts de la main droite et au pouce gauche : je les masse avec de la pommade. J'applique aussi ce médicament au côté droit de dos. Chaque jour, en prenant mon bain, je me fais des massages, et ça fait quand même un peu d'effet.

Au changement de poste, le chef d'équipe du poste suivant qui passait auprès de moi, sentant l'odeur du médicament, se moque de moi en disant : « Serait-ce que tu t'en vas en petits morceaux ? »

Malgré ça, je suis maintenant à peu près habitué au travail. Pour les modèles PH et KM, où il n'est pas nécessaire de mettre le couvercle, j'y arrive tout seul. Encore un peu et ce sera parfait ! La semaine prochaine j'y arriverai entièrement seul, je pense. Cependant quand je rentre, dès que je m'allonge, la fatigue me tombe dessus et je m'endors comme une masse...

En prenant mon repas au réfectoire, j'ai causé avec mon voisin de droite, Fukuyama. Il me dit qu'ils sont huit à être venus en renfort de l'usine de Kamigo. L'un de ses copains, le gars qui me précède sur la chaîne et un autre jeune ont demandé au chef d'atelier quand est-ce qu'ils retourneront à Kamigo. En effet, on leur avait promis que c'était pour un mois. « Si c'est pour un mois, c'est pas mauvais d'aller voir ce qui se passe ailleurs », avait pensé Fukuyama, mais ça fait trois mois qu'il a quitté l'atelier de soudure des carrosseries. Et il me dit encore : « Ici, ça dépasse les limites humaines ! » Cela lui arrive encore de prendre du retard et d'être emporté vers moi pas la chaîne.

Ça me rappelle un film américain où l'on voyait un Noir et un Blanc attachés l'un à l'autre par des menottes tenter une évasion. Ils avaient de la haine l'un pour l'autre, mais ils étaient dans une situation telle que, s'ils ne s'accordaient pas, ils ne pouvaient guère espérer le succès. Si Fukuyama se laisse déborder, c'est moi, qui y arrive tout juste, qui vais prendre du retard. Si Fukuyama, lui, y arrive et que moi je prenne du retard, c'est mon voisin de gauche, Takéda, qui va être en retard aussi.

Pour retrouver sa position d'origine il faut dépenser une énergie formidable et si l'on fait une maladresse la chaîne s'arrête. Mais si la chaîne s'arrête, les heures de travail vont s'allonger et il y aura des heures supplémentaires. C'est ainsi que, uniquement pour ne pas être en retard, pour ne pas causer d'ennuis aux copains, on est amené à s'y mettre de toutes ses forces. C'est ainsi aussi que, suivant les prévisions, la production peut augmenter. Mais nous, l'évasion, on ne pourra jamais la réussir.

Au retour, je rentre avec Takéda. Il habite tout seul un petit appartement sur le chemin qui conduit au foyer. Avant, il vivait au foyer, mais ses copains de chambre amenaient des amis pour jouer au majong : il ne pouvait plus dormir tranquillement, alors il est parti. D'une voix très faible, il me dit : « J'aimerais bien travailler dans une laiterie. » D'après lui, la vitesse de la chaîne a été fixée en calculant les temps au chronomètre. Il y a quelque temps, alors qu'il était à son poste de travail, il a entendu derrière lui les chefs dire : « Ici, il y a encore cinq secondes de trop. »

Il me dit aussi, à mon grand étonnement, que la mesure de serrage des six boulons dont il a été question hier à la réunion d'atelier avait été prévue pour être insérée à mon poste de travail. Mais, comme je n'arrivais déjà pas à fixer le couvercle dans le temps, c'était impossible. Ils ont essayé alors de le faire faire au poste suivant, c'est-à-dire le sien, mais c'était impossible aussi, alors finalement ils ont décidé que ce serait fait tout à fait en fin de chaîne, à l'opération des tests.

Au moment où j'allais sortir de l'atelier, le contremaître s'approche de moi en souriant et me dit en me frappant sur l'épaule : « Alors, ça boume ? Tu y arrives ? – Bah ! encore un peu et ce sera parfait. – Vraiment ? » et, après une légère pause, il insiste pour que je vienne au travail régulièrement. Il est vrai que mon visage doit laisser paraître la fatigue et que demain c'est samedi. Si on manque le boulot, ce sont eux, les surveillants, qui sont le plus embêtés. Par la même occasion il me dit que les photos d'identité prises lors de mon entrée à l'usine ne lui sont pas encore parvenues. Ça m'ennuie qu'elles ne soient pas encore là ; celles de Kudô sont arrivées il y a plus d'une semaine.


Samedi 7 octobre. –J'ai lu dans les w.c. cette inscription : « Moi, pourvu que je touche mon fric, le reste, je m'en balance ! », et je pensais jusqu'à présent que cette manière de voir était normale, classique. Mais finalement c'est plein de bon sens : n'est-ce pas une protestation en creux contre le fait que le travail qu'on nous donne est sans perspective et pénible à cause de sa simplicité même ? On voudrait bien que le travail soit autre chose qu'un simple échange contre de l'argent. Et même si le travail n'est que cela, on souhaiterait au moins être libre de ses mouvements une fois le travail terminé. Mais cette façon d'interpréter la phrase est peut-être exagérée.

Prenons le cas de Kudô par exemple : n'a-t-il pas depuis le début l'idée préconçue que le travail est quelque chose de pénible, qui n'a rien à voir avec sa propre personne ? Il a été d'abord blessé au visage, puis, pris dans une machine, il s'est fait arracher tous les boutons de sa chemise, puis il s'est blessé sérieusement au doigt avec un marteau, puis il s'est fait brûler sa blouse par des gouttes de soudure et enfin son pantalon a été souillé par des projections d'huile – de tout cela, il se plaint – mais, au fond, il semble penser que c'est normal.

Hier, dans son atelier, une centaine d'arbres de transmission ont été foutus à cause d'une machine déréglée. Kudô, en colère, disait que c'était parce que la machine était vieille et que le chef d'équipe n'avait pas fait attention, mais l'ouvrier qui a fait ces pièces, que va-t-il devenir ? Aujourd'hui ils en ont corrigé 60, mais les 40 autres sont bonnes à jeter.



Dimanche 8 octobre. – Avec Kudô nous sommes montés tous les deux sur le toit du foyer. C'est une véritable forêt d'antennes de télé-couleurs où nous avons peine à marcher. La zone des rizières toute proche est entourée d'une chaîne de montagnes de faible altitude et nous pouvions voir au loin, toutes petites, les cheminées de l'usine où nous nous rendons chaque jour.

Après avoir pris mon bain je me suis pesé : je faisais 58,5 kilos. Les jours de travail je ne fais que 56 kilos. Je grossis donc de deux kilos et demi quand je me repose et dors tout mon saoul. Cela voudrait-il dire que mon poids de travail journalier est de 2,5 kilos ?

Après avoir soupé, en remontant l'escalier, je croise Yamamoto qui descendait prendre son bain. Il me sort aussitôt son histoire sur le boulot qui est très pénible : dans son atelier, ils font chaque jour trois heures et demie supplémentaire. Les chefs d'équipe et sous-chefs arrivent le matin à 8 heures et repartent le soir à 9 heures. « Pour moi, je m'en fous, j'en ai jusqu'à la fin de l'année seulement », ajoute-t-il suivant son habitude. Lui aussi ne voit que par l'argent, peu importe la dureté du travail. Kudô, Yamamoto et moi, on passe notre temps à compter le nombre de jours qui nous restent à faire. Les titulaires, eux, comment réagissent-ils ? Ça me rappelle la phrase : « pourvu que je touche mon fric, le reste, je m'en fous  »


Lundi 9 octobre. – Nouveau Syndicat de l'Automobile.

Cette semaine, je suis du soir. Après 22 heures, je titube, la tête vide. Ce n'est pas l'homme qui utilise la chaîne, c'est la chaîne qui utilise l'homme comme une machine. On est sûr de perdre dans cette lutte avec elle. Je ressens en moi la froideur et la cruauté des patrons qui font marcher cette chaîne.

Avant d'aller dîner, quand la chaîne s'est arrêtée, j'étais en train de sortir un joint de son emballage en papier afin que tout soit prêt pour redémarrer ensuite, quand le contremaître s'est approché de moi et a dit : « Ce n'est pas à faire pendant l'heure de repos. C'est pas payé. Laisse faire ça par le chef d'équipe. » J'ai bien compris qu'il ne me disait pas ça en tant que supérieur. Je ne l'ai jamais vu donner des ordres ou se mettre en colère contre un ouvrier. On l'aime bien, il a la cote. Ceux qui sont venus en renfort d'autres ateliers disent de même : « Il est bien ce contremaître. » Mais seulement, quand un supérieur est trop bon, trop humain, les insatisfactions des ouvriers s'accumulent sans pouvoir se libérer, sans soupape de sortie.

Yoshisaki, un gars qui a deux enfants, se propose pour me ramener en voiture au foyer. On cause un peu dans la voiture :

« Le dimanche, tu sors avec ta famille en voiture ?
Non, le plus souvent, je reste à la maison à ne rien faire.
Tu es fatigué ? »

Il fait une pause et me dit comme s'il se parlait à lui-même :

« Oui, c'est la fatigue. Le travail à deux postes est un travail anormal. Je vois seulement mes enfants quand ils dorment. Vraiment, c'est pas une vie, on ne peut même pas manger ensemble... »

Dans le journal hebdomadaire Toyota, un article intitulé : « La constitution du Syndicat général de l'automobile tant espéré ». La première réunion générale qui inaugurait la constitution de ce syndicat s'est tenue à Tokyo les 3 et 4 octobre 1972.

Le comité délibératif qui existait jusqu'à présent s'est transformé en confédération et regroupe quelque 500 000 affiliés. Les différentes activités de ce nouveau syndicat seront organisées en prenant pour base le slogan : « Par la création de cette nouvelle confédération de l'automobile, construisons une société heureuse de vivre et de travailler. Notre syndicat de l'industrie automobile attendait cette grande unité, cette grande fusion depuis dix-huit ans. C'est en effet en 1954 qu'eut lieu la séparation en deux groupes : d'un côté Toyota, Isuzu, Hino et Suzuki, et de l'autre le groupe Nissan avec Mazda, Honda, Fuji, etc. Les uns et les autres ont agi séparément jusqu'à la réunification qui vient de se produire. »

Voici les grandes lignes du Mouvement :

  1. Réaliser une société de bien-être.

  2. Rechercher le bonheur de vivre et de travailler.

  3. Établir une solide confédération syndicale.

  4. Démocratiser l'entreprise ; concrètement : progrès du niveau de vie, renforcement d'une véritable politique de l'entreprise, avec en plus cette suggestion bien particulière : soutien du candidat Watanabé aux prochaines législatives. Depuis que je suis arrivé ici, coup sur coup se sont produits plusieurs événements dans les organisations syndicales : dissolution du Syndicat national de l'automobile, constitution du Syndicat indépendant Toyota, constitution d'une Confédération automobile et, en tout dernier lieu, réorganisation de l'industrie automobile et, en fonction de celle-ci, réorganisation des syndicats eux-mêmes. Tous cela devrait avoir de grandes répercussions sur la vie et l'action des travailleurs ; en fait, je n'en ai jamais entendu parler à l'atelier. En réalité, pour les ouvriers, obligés de travailler chaque jour sans pouvoir souffler, on dirait que cette «grande unification » ne change rien à rien et que ça ne les concerne pas.

Le président de cette nouvelle union syndicale déclare dans le journal mensuel du syndicat que parmi les problèmes qui se posent il en est un qu'il faut résoudre : c'est celui des nouveaux marchés d'exportation de voitures. « Si l'on se trouve en présence d'un pays importateur où il n'y a pas de syndicat, il faut à tout prix en créer un. Il faudrait aussi créer un Conseil mondial des entreprises de construction de voitures. » De quelle façon les ouvriers, colonisés par ce nouveau syndicat, vont-ils réagir devant cette direction qui dès le départ tend la main aux capitalistes ?



Mardi 10 octobre. – Un cycle de quatre-vingts secondes.

Je suis crevé. Travailler trois heures sans se reposer, c'est la limite. Or, nous,on travaille cinq heures de suite. Pourquoi n'y a-t-il pas de pause ? Comme ça me ferait du bien de quitter l'atelier en frappant un grand coup de marteau sur la chaîne et en criant : « j'en ai marre ! » J'ai trente-quatre ans et je constate que ce genre de boulot est presque impossible pour moi qui pendant ces dix dernières années n'ai pas fait suffisamment d'exercices physiques. Ce travail où il n'y a qu'à répéter toujours la même chose toutes les quatre-vingts secondes, comment y arrivent-ils tous les autres ? Takeda, à qui je demandais à quoi il pensait pendant son travail, a tout d'abord paru surpris puis a répondu aussitôt : « Je pense à l'heure. » Moi aussi, c'est pareil, je ne pense qu'à ça. Ça fait déjà une heure de passée, encore deux heures ? Encore quatre heures ? Encore trois heures et demie ? Ça ne fait que trois heures ? Aujourd'hui est-ce qu'il va y avoir des heures supplémentaires ? Aussitôt rentré, vais-je faire ma lessive ? Je n'ai pas la force de penser à des choses plus compliquées que cela. Ou bien alors ce sont des choses sans suite logique qui me viennent à l'esprit. Un peu comme ces images de cinéma en « fondu enchaîné » : un paysage d'une ville que j'ai visitée, un restaurant près d'un pont dont j'avais perdu le souvenir jusqu'à présent, le café du coin de la gare, un quai pour les bateaux, etc., elles défilent une à une devant mes yeux. Penser à une seule chose d'une manière continue m'est impossible : avec un cycle de quatre-vingts secondes, c'est irréalisable. Il n'est pas question non plus de s'absorber dans ses souvenirs. On peut seulement, passivement, en évoquer des petits morceaux !

Notre travail n'est pas de construire quelque chose, c'est seulement d'assembler. Il n'y aurait aucun inconvénient à ce que ce travail soit fait par un gosse de quinze ans à ma place. Ça leur coûterait encore moins cher. La différence de conscience ou d'expérience qu'il y aurait entre lui et moi n'entraînerait aucune conséquence sur le travail lui-même. Supposons qu'il fasse ce travail jusqu'à trente-quatre ans, pendant vingt ans : la connaissance, le métier qu'il aurait se limiteront au cycle des quatre-vingts secondes. En dehors de ça, il n'aurait rien, aussi bien au point de vue métier qu'au point de vue jugement. Il resterait éternellement un gamin de quinze ans, sa personnalité ne pourrait pas se développer. Car, si on enlève les heures supplémentaires et les heures de sommeil, que reste-t-il comme temps libre ou comme activité pour assimiler quoi que ce soit ?

Et les autres copains, de quelle façon parlent-ils à leur femme de leur propre travail ?

J'ai entendu dire qu'il y a eu un accident dans le groupe du matin. Justement, on n'entend parler que de sécurité. Il s'agit surtout d'un mouvement psychologique. Tout d'abord, il faut arriver dix minutes avant l'heure (c'est en somme du travail supplémentaire qui n'est pas payé) et il s'agit seulement de répéter en chœur les slogans sur la sécurité que le chef d'équipe nous lit.

« Premièrement... ce qu'il faut faire... ce qu'il ne faut pas faire... » Le chef est assis au premier rang sur un banc, nous faisant face, il lit et nous devons répéter. On est tous gênés ; aussitôt le premier paragraphe terminé, l'un dit : « Ouais, secundo... », un autre répète seulement la fin des phrases d'un manière inintelligible. « On n'est pas des gosses », proteste un autre, mais finalement on finit tous par psalmodier en chœur. Le chef continue de lire : « Travailler en se réservant un peu de temps libre... », mais il rectifie aussitôt en regrettant ce qui vient de lui échapper : « Pour nous, c'est pas valable, on est pressés ! »

Vers 8 heures et demie Kudô arrive. Les yeux rougis, il semble malade. Deux heures et demie supplémentaires :

« J'en ai marre, je suis crevé, mais crevé », dit-il comme un refrain. Je vais prendre mon petit déjeuner et je reviens trente minutes après : il est allongé sur son lit défait et dort. Il a la tête en plein soleil... il s'est endormi comme ça ! Un jeune de vingt-et-un ans, il faut vraiment que son travail soit fatigant. Son chef lui a dit que son travail actuel n'est pas envié du tout pas les autres et il lui a recommandé de ne pas manquer. Réaction de Kudô : « Si je ne vais pas au boulot, c'est mon chef qui va se taper le travail » [5]


Mercredi 11 octobre. Ce matin encore Kudô arrive à 8 heures et s'endort sans aller manger. Or, si on manque le petit déjeuner, comme ils ne servent pas de déjeuner au foyer, ça fait un repas dans la journée, mais lui, il n'a même pas le temps de penser à ça, tellement il est crevé. Comme il aimait les voitures il est venu chez Toyota en rêvant comme boulot d'installer des clignotants, mais la réalité est tout autre. En ce moment d'ailleurs il ne parle plus de devenir titulaire.

Pour moi, travail jusqu'à minuit, donc une heure supplémentaire à la chaîne. Ensuite nettoyage pendant trente minutes. D'après Yoshisaki, qui m'a ramené en voiture, pendant tout le mois d'août on leur faisait faire six heures supplémentaires par jour (deux heures à la chaîne et le reste pour réparer les mauvaises pièces).


Jeudi 12 octobre.  Ouf ! C'est fini ! Il est 1 heure et demie du matin. J'ai monté les marches du foyer jusqu'au troisième, je suis rentré dans ma chambre, je me suis lavé le visage et j'ai été stupéfait en me voyant dans la glace. Mon visage n'a plus aucun éclat et mes yeux tout rougis ont des cernes noirs. Je suis défiguré : un visage de vaincu. C'est pitoyable, je m'écœure moi-même. Combien de temps pourrai-je durer ? Je ne suis plus sûr de rien. Pour le travail aussi, je n'y arrive pas encore parfaitement. Ma vie consiste à me lever, aller à l'usine, de nouveau dormir, traîner mon corps fatigué pour arriver juste à temps au début du travail. Ma vie n'est qu'une soumission à l'usine toute-puissante. Sans m'en apercevoir, je me suis laissé avoir.

Hier soir, en allant à l'usine, je marchais dans la rue en fumant une cigarette. J'étais à peu près à ne centaine de mètres de la porte principale de l'usine : il y a au milieu de la chaussée un poste de surveillance pour vérifier les automobilistes qui passent, et dans ce poste un gardien habillé exactement comme un policier ; il m'a appelé et m'a donné l'ordre par gestes de jeter ma cigarette dans un cendrier placé sur le bord de la route. Alors que j' n'étais pas encore entré dans l'usine, j'ai obéi en silence à cet ordre insensé : « interdit de fumer dans la rue ». Claquer ma langue dans la bouche a été ma seule résistance ! Si à Tokyo un vrai flic nous empêchait de fumer dans la rue, ça ne se passerait pas comme ça. Mais ici c'est instinctivement que j'ai été amené à obéir aux ordres. C'est peut-être cette servilité qui est apparue sur mon visage. J'ai pourtant pas envie de me laisser faire par Toyota. J'ai l'impression que si je me laissais avoir, la porte de l'usine elle-même se moquerait de moi en disant : « Regardez-moi ce pauvre type : c'est bien fait pour sa g... »


Vendredi 13 octobre. – Soixante-dix-huit secondes.

À la pause qui a suivi le repas du soir, on s'est rassemblé dans le vestiaire et le chef d'équipe nous a dit qu'à partir du mois prochain il faudrait produire 760 boîtes de vitesses. Aussitôt jaillit la colère : « Alors c'est plus quatre-vingts secondes, ce sera soixante-dix-huit secondes, ça ne va plus, non ?

Ça, alors, si on pouvait se douter de ça ! Alors jusqu'à maintenant on s'amusait ? Aujourd'hui je m'arrête à 10 heures !

On nous avait dit qu'on serait dix, mais on n'est encore que huit, pas vrai ?

Réduire les prix de revient, réduire les prix de revient, c'est leur refrain, mais ça fait des dizaines d'années que cette usine est construite. Plus on travaille, plus ils ne pensent qu'à gagner et plus ils nous exploitent !

La qualité ou la production, faut choisir. Les vérif' au début, y'en avait trois, maintenant il faut faire avec deux. »

Le chef d'équipe écoutait en silence. De toute façon tous ont beau se mettre en colère maintenant, quand viendra l'heure, ils s'approcheront de la chaîne et dès qu'elle se mettra en marche se remettront à travailler : on n'aura même plus le temps de dire quoi que ce soit. Le chef fait celui qui transmet seulement les ordres d'en haut et la colère des gars s'éteint petit à petit.


Samedi 14 octobre. – Notre voisin Miyamoto, qui arrive le matin après avoir travaillé de nuit, s'apprête à partir pour Kamikôchi [6]. Sa voiture est remplie de tout le nécessaire pour faire du camping. Il paraît qu'il faut cinq heures en voiture. Kudô et moi, surpris devant son courage et son allant, nous lui tenons compagnie jusqu'au départ. En démarrant il nous dit : « On ne peut pas durer dans cette boîte si on n'a pas un intérêt pour quelque chose. »

Kudô fait sa lessive en fredonnant la chanson publicitaire Toyota : « Les jeunes viennent tous à Toyota, ils sont tous bons copains. »

Je lui demande pourquoi il veut devenir titulaire et il me répond : « Je préfère une grosse boîte qui ne risque pas de faire faillite... » Et retombant dans son rêve habituel : devenir titulaire, se louer un appartement, puis s'équiper d'un lit, d'une machine à laver, d'un aspirateur et de la télé en couleurs, il se met à éplucher le journal à la recherche des annonces publicitaires.

Le soir, on annonce que les personnes originaires de la préfecture d'Aomori sont priées de se rassembler. Nous allons voir dans la salle indiquée, sous le réfectoire : deux jeunes ouvriers et le surveillant du foyer sont là à nous attendre, ils ont mis quelques gâteaux sur la table. À les entendre, les gars d'Aomori employés chez Toyota sont environ 240 (dont 120 pensionnaires au foyer) ; ils ont commencé, disent-ils, à mettre sur pied un groupe d'amitié. Ce cercle est sous le patronage d'une société de Nagoya et du bureau départemental d'Aomori, avec le chef du personnel et le directeur administratif de l'usine Toyota de Miyoshi (usine des environs de Nagoya). Ils veulent organiser des parties de bowling, des excursions, etc. Il y a déjà seize personnes du foyer qui sont inscrites, mais, ce soir-là, ils ne s'y attendaient certainement pas, nous deux seulement, simples ouvriers saisonniers, sommes présents. L'un des jeunes du comité organisateur, un gars de vingt-deux ans, s'est présenté comme technicien aux essais. Les essais, je ne vois pas bien ce que c'est, mais le ton supérieur qu'il a pris pour dire : « Je fabrique les nouveaux modèles tenus secrets », m'a fait une drôle d'impression !


Dimanche 15 octobre.– Le système Toyota d'accession à la propriété. Quand j'ai pris mon bain [7], il y avait à côté de moi un gars qui s'étirait de tout son long ; il disait à son copain : « Y'a pas de doute, un grand bain, c'est formidable. Moi, quand je me construirai une maison, je le ferai très grand. »

Plus le travail est rendu pénible, plus les ouvriers eux-mêmes sont robotisés, plus ils se laissent aller au matérialisme, semble-t-il. Les jeunes ouvriers du foyer possèdent presque tous voiture, stéréo et télé en couleurs, et rêvent de construire un jour leur maison. Ils se marient quand ils ont fini de payer tout ça par mensualités.

Quelques-uns seulement peuvent entrer dans les appartements « de la boîte », car actuellement Toyota n'en construit plus, mais semble encourager l'accession à la propriété pour ceux qui au bout de dix ans sont chassés du foyer. La plupart de mes copains d'atelier cotisent à l'épargne-logement organisée par l'entreprise. Les titulaires de plus de vingt-cinq ans, qui ont cinq ans d'ancienneté et qui ont cotisé plus d'un an à cette épargne-logement, peuvent bénéficier d'un prêt de deux millions de yens, avec intérêt annuel à 4,5 %, remboursable en douze ans. Il y a aussi un autre système de prêt Toyota avec contrat à long terme où l'on peut emprunter dix millions de yens, à 5,5 % d'intérêt annuel, remboursable en vingt-cinq ans. Il y a environ 4 000 travailleurs qui, à ce jour, ont construit leur maison grâce à cela, m'a-t-on dit. Ainsi, ces jeunes qui se sont mariés n'ayant encore qu'une vingtaine d'années se retrouvent pieds et poings liés à l'usine, par la chaîne qui est aux mains des capitalistes et, en famille, par les prêts qu'ils auront à rembourser jusqu'à la retraite : toute leur vie est entre les mains du capital Toyota.


Lundi 16 octobre. – Vers une production de 760 boîtes par jour.

À la pause de midi, le chef d'équipe nous prévient que pour faire passer la production journalière à 760 boîtes il fera tourner la chaîne pendant une heure après la fin du travail en faisant travailler les deux équipes ensemble. On est tous violemment contre. Quand à cause d'une machine en panne la chaîne s'arrêtait et que la production diminuait il est arrivé déjà de nous faire travailler à deux équipes avec un cycle de cinquante secondes. Mais alors l'espace devient trop petit, on se gêne mutuellement, on a du mal à s'accorder et, du fait de la vitesse, c'est dangereux, on peut se blesser à cause des pièces qui arrivent suspendues au plafond.

« Si encore la direction déclarait nettement : production d'abord, sécurité ensuite !

C'est un vrai suicide !

Non, un assassinat ! (Rires.)

Avec les pièces qui nous tombent sur la tête, on pourra voir trente-six chandelles en plein jour !

Des travailleurs, ils s'en foutent, c'est la production qui passe d'abord. »

Le chef d'équipe se tait, mais sitôt la reprise du travail il fait le tour de la chaîne en portant un carton où il est écrit au crayon feutre : « Pour arriver à produire 760 boîtes, la chaîne tournera une heure à deux équipes. » Bien sûr c'est à cause du bruit des machines qui ne lui permettrait pas de se faire entendre, mais ça fait penser aux avis d'imposition placardés par les seigneurs d'autrefois.

Cependant, sans doute parce que les critiques étaient trop fortes, à 2 h 15 on nous rassemble. D'après le chef d'équipe et le contremaître, aujourd'hui encore la vitesse de la chaîne a été augmentée. De toute façon il faut augmenter la production et on fera des heures supplémentaires jusqu'à ce que le nombre prévu soit atteint. Quelqu'un a même dit : « Avant on embauchait les ouvriers suivant la production à atteindre. Maintenant c'est la production seule qui compte, il n'y a aucune programmation pour l'embauche. »

De plus, comme les accidents sont nombreux dans notre usine, il a été décidé que pendant trois mois aurait lieu chaque matin, dix minutes avant de commencer le travail, une réunion sur la sécurité. Comme le réfectoire n'ouvre ses portes qu'à 5 h 30, les pensionnaires du foyer, moi y compris, ne pourront pas assister à cette réunion. Le chef d'atelier téléphone au réfectoire pour savoir s'ils ne pourraient pas avancer l'heure du petit déjeuner ; on lui répond que c'est impossible. Dans ce cas, il n'y a qu'un moyen, il faut manger plus vite. La vitesse du déjeuner « à la chaîne » est donc elle aussi augmentée !

Au début, quand arrive l'ordre, le mécontentement est général, mais finalement, puisqu'on n'y peut rien, l'ordre est accompli. Les chefs également montrent bien par leur attitude qu'ils ne peuvent rien devant un ordre venu d'en haut.

Empruntant un bus de service qui fait la liaison entre les usines, je me rends à l'usine de Takaoka. De là je vais au foyer de cette usine : quinze minutes à pied. Ishioka, un gars de Hirosaki qui s'est présenté avec moi au bureau de la main-d'œuvre, y est arrivé comme saisonnier. Il m'a téléphoné hier au foyer ; c'est un paysan qui possède, à vingt minutes de voiture de la maison de mes parents, quelques rizières et un verger et qui allait chaque année travailler chez Honda, mais cette fois-ci il est venu chez Toyota. J'appuie sur la sonnette de sa chambre et il arrive, le visage tiré. Il était de nuit, il vient de se lever et il faisait sa lessive, me dit-il. Ils ont trois pièces pour sept personnes. Ils viennent tous d'arriver de la campagne. La vraie saison des « dékaségi » [8] vient de commencer. On va discuter au réfectoire. Son travail comprend trois opérations : boulonner la porte et la malle arrière et fixer une petite lampe sur le modèle Corolla, le tout en 58 secondes. Ça fait donc une production de une voiture toutes les 58 secondes. Il me dit que, hier soir, à l'intérieur du foyer il y a eu plusieurs annonces pour venir chercher des télégrammes venant d'un peu partout. Et il ajoute en rigolant, lui le vétéran, paysan et saisonnier : « le travail est tellement dur que les gars se font télégraphier de leur campagne pour pouvoir s'enfuir ! »

Alors que je rentrais au foyer, j'ai eu la chance de pouvoir monter dans la voiture d'un gars de la pompe à essence. D'après lui, beaucoup abandonnent soit vers le 15 août, soit au premier de l'an, et il n'y a personne parmi les gens du coin pour venir travailler dans une usine aussi pénible.

Mardi 17 octobre. – Je n'ai mangé que la moitié de mon dîner, j'avais mal aux dents. Il faudra que j'aille chez le dentiste. Le saisonnier qui était dans la deuxième équipe a quitté l'usine hier. Ça fait juste un mois que je suis là et j'ai réussi à tenir, mais lui, en quinze jours il a été K.O.

Sur le chemin du retour je suis allé voir Kudô dans son atelier. Dans un espace très étroit, entouré de machines, il était là à tourner comme une souris dans sa cage. C'était comique de voir cette activité fébrile exactement comme dans un film de Chaplin. En me reconnaissant il était visiblement heureux et il m'a souri. Comme je m'étais approché, il me donnait des explications, mais il me parlait sans pouvoir se reposer une seconde et à cause du bruit des machines je ne comprenais rien du tout.

Voici quel était son travail : prendre deux parties d'un arbre de transmissions, les visser par le milieu, puis, soulevant le tout dans ses bras, le porter sur une vérificatrice et le faire tourner. Quand le poids est inégal entre la gauche et la droite, corriger en soudant une pièce de métal à un bout, donner un coup de poinçon, y mettre de l'huile et de la peinture. À chaque opération il lui fallait marcher en soulevant le tout dans ses bras et à la fin, dans un geste qui faisait penser au « présentez armes », il le suspendait à la chaîne qui courait au plafond. Pendant tout ce temps, sans une seconde de répit, il était là à cavaler et à tourner. Moi je ne pourrais pas. De 8 heures du matin à 8 heures du soir ! Quand il rentre au foyer et qu'il se couche sur son lit défait pour s'endormir aussitôt, je comprends maintenant pourquoi : il est crevé, c'est normal.

Il commence à faire froid : c'est l'hiver qui arrive, je le sens.

Mercredi 18 octobre. – Bulletin de paye.

C'est Kudô qui me réveille : il est 6 heures, il fait déjà clair. Je ne sais vraiment pas si mon réveil a sonné ou pas. J'ai une heure de retard. Le chef d'équipe ne m'a rien dit, ou plutôt il avait une expression qui semblait dire : « C'est bien, tu es venu quand même ! » Si l'un d'entre nous vient à manquer, le fardeau retombe sur les autres.

J'ai reçu mon bulletin de paye, mais le salaire ne sera versé que le 20. En voici le détail :

Jours de présence : 14 jours (du 13 au 30 sept.)


Salaire de base et prime de productivité :

38 070 yens

Heures supplémentaires (huit heures trente) :

3 770 yens

Prime de travail de nuit :

750 yens

Prime de travail par équipe (huit heures trente) :

3 770 yens

Retouche supplémentaire :

500 yens

Total :

46 800 yens

Déductions :


Caisse d'assurance maladie :

1 400 yens [9]

Caisse de retraite :

1 920 yens

Caisse de chômage :

304 yens

Frais de logement :

100 yens

Total :

3 764 yens

Salaire net :

43 096 yens

 

Si on fait la moyenne journalière, ça fait 3 350 yens par jour, et si je compte vingt-deux jours de travail dans le mois, ça me ferait à la prochaine paye entre 73 et 75 000 yens. Les titulaires, s'approchant de moi, disent : « Être temporaire, c'est rudement bien ! » C'est que le salaire journalier des temporaires est supérieur à celui des titulaires.

Si l'on compare le salaire de base et la prime de productivité, d'après l'un des gars, la prime est 1,2 fois plus élevée que le salaire de base et elle varie de 1 000 à 2 000 yens suivant les résultats mensuels de l'équipe. Elle est calculée suivant le nombre d'ouvriers. Quand la productivité est faible on expédie ailleurs quelques ouvriers pour aider d'autres ateliers. Quand des temporaires ou des débutants arrivent, ils sont comptés comme des ouvriers à part entière, mais parce que la chaîne s'arrête à cause d'eux il y a un ralentissement de la production et d'autre part on consomme davantage d'huile, de gants et autres objets : donc la prime est moins forte.

Voici le salaire d'un ouvrier de vingt-neuf ans, six ans d'ancienneté et ayant à charge trois personnes : salaire de base mensuel plus prime de productivité.

Et pour augmenter cette productivité il n'y a qu'à accélérer la vitesse de la chaîne, augmenter le rythme, allonger les heures de travail : c'est la méthode d'usurpation la plus simple qui soit. L'ouvrier doit s'y mettre tout entier pour reconstituer sa force de travail : finalement, en dehors de l'usine, sa vie consiste à dormir.


Vendredi 20 octobre. – Jour de paye. Je reçois 44 000 yens dans une enveloppe où est imprimé en grosses lettres le slogan Toyota : « Produire bien, penser bien ! » Mon salaire véritable est de 43 096 yens, mais ils ont arrondi en me faisant un prêt de 904 yens. C'est vexant de travailler comme un dingue pour 44 000 yens seulement ! En recevant ce premier salaire je ne ressens qu'une joie mitigée, car je me dis : « Avoir travaillé ainsi pour recevoir ça ! » Tous les autres aussi, tout en murmurant, esquissent un vague sourire de contentement. ils pensent probablement comme moi.


Samedi 21 octobre. – La révolte des robots.

Aujourd'hui repos. Chaque jour voici ce qui me fait travailler :– continuer jusqu'au 15 février, fin de mon contrat. Ce jour-là, ce sera la libération. Je toucherai l'allocation chômage et j'aurai 13 000 yens de gratification ;

– aller jusqu'au week-end : je pourrai enfin me reposer ;

– patienter jusqu'à la fin du travail : rentré au foyer, je pourrai dormir ;

– aller jusqu'au repas de midi : de toute façon la chaîne s'arrêtera, je pourrai m'asseoir, souffler un peu et fumer une cigarette.

Et tout en répétant les mêmes gestes, les heures passent, seconde après seconde.

Dans le journal Asahi il y avait un article d'un envoyé spécial aux USA, qui avait pour titre « Aggravation des Temps modernes ». « À partir de la fin de l'an dernier, on s'est aperçu que dans l'usine G.M. [10] de Rosetown se produisaient des sabotages causés par la colère devant l'inhumanité des conditions de travail. Des ouvriers exaspérés, délaissant le travail à la chaîne, s'en vont sans plus revenir. À la chaîne des moteurs (qui doivent pourtant être montés avec précision), les pièces éparpillées sont laissées telles quelles sur le tapis roulant. Les vitres des voitures terminées sont brisées, les sièges sont lacérés avec un couteau, le tableau de bord défoncé à coups de marteau. À chaque fois la chaîne s'arrête, et les voitures incomplètes sont envoyées à la révision. La production journalière est tombée de moitié... »

C'est ainsi qu'est dépeinte la révolte des ouvriers, mais je n'arrive pas à croire ce que raconte le journaliste auparavant : ce qu'il a vu dans une usine qu'il a visitée. Les ouvriers à la chaîne se parlent et fument la cigarette en travaillant, ceux qui n'ont rien à faire se rassemblent à une table dans un coin de l'atelier et jouent aux cartes, raconte-t-il. Il dit aussi que l'insatisfaction s'est renforcée chez les ouvriers à la suite de l'augmentation de la production horaire qui est passée de soixante à cent voitures : c'est alors que les sabotages se seraient produits. Mais dès lors que la vitesse de la chaîne a été augmentée, comment les ouvriers pouvaient-ils fumer et jouer aux cartes ? À bien lire l'article on s'aperçoit aussi que le temps accordé pour une opération a été réduit à trente-six secondes, mais qu'en fait le travail peut être effectué en dix secondes. Comment les capitalistes de General Motors ont-ils pu donner un temps de trente-six secondes pour un travail (fastidieux il est vrai) qui n'en demande que dix ? Si l'on compare avec Toyota, on peut penser que ces ouvriers de G.M. sont plutôt bien traités. Quant à moi, je n'en crois pas un mot.


Mardi 24 octobre. – Hier lundi, je suis resté me reposer. Malgré cela, aujourd'hui je n'arrivais pas à suivre la vitesse, j'étais constamment en retard. Cette semaine sont arrivés un apprenti et un jeune ouvrier saisonnier d'une vingtaine d'années originaire du Hokkaïdô, l'île du Nord.


Mercredi 25 octobre. – Je suis crevé. La fatigue m'a pris une heure et demie après le dîner : j'ai pensé plusieurs fois tout arrêter et rentrer, mais finalement, chose bizarre, à force de répéter inlassablement le cycle des soixante-dix-huit secondes, les neuf heures de travail ont fini par se faire et je suis rentré.

Au moment de la pause après dîner, le contremaître nous a distribué des invitations pour participer au comité de patronage du candidat député Watanabé. Un grand mouvement, le « Kigyogurumi », se déroule donc en ce moment, où tous les membres de l'entreprise sont invités à soutenir l'élection de Watanabé, candidat du Minshatô [11]. On peut voir aussi les affiches de Watanabé sur les tableaux d'affichage de l'entreprise. Le contremaître nous demandait aussi de faire signer les personnes de notre famille, mais les gars ont répondu que leur famille était loin d'ici et que leurs voisins faisaient déjà partie du comité de patronage, étant donné que tous habitent des logements de l'entreprise. « Et puis, après tout, c'est pas ça qui augmentera nos salaires, disaient certains, et deuxièmement Watanabé a beau être originaire de l'atelier de mécanique Toyota, il n'est pas forcément au courant de ce qui se passe dans notre atelier des boîtes de vitesses. » Mais tout en disant cela, quand le jour des élections sera venu, il y a de fortes chances qu'ils votent quand même pour lui.

L'apprenti qui était là hier n'est pas venu aujourd'hui : un jour de travail lui auraitil suffi ?


Jeudi 26 octobre. – Travail sur la chaîne jusqu'à minuit. Ensuite pendant vingt minutes le chef d'équipe nous donne des explications sur la programmation générale en nous montrant un tableau synthétique. Les différentes pièces et les différents modèles de voitures sont classés suivant des numéros et répartis vers les chaînes de montage Toyota. Jusqu'à présent nous connaissions quatre sortes de boîtes, mais d'après le tableau il y en a en gros dix sortes (quatrevingtdix si on détaille tout) : c'est la première fois qu'on m'apprenait cela.

Les gars se mettent à dire : « Y'en a donc tant que ça ? – J'y comprends rien. – C'est écrit en anglais, j'y pige rien ! » Jusqu'à présent on ne nous avait enseigné que l'ordre des opérations de notre propre atelier et, sans rien savoir, il suffisait pour produire de faire les gestes adéquats, de connaître chacun son propre travail, et c'était tout ! L'un d'entre nous avait voulu en savoir plus et avait demandé des explications et la réponse c'était donc ça ; mais cette façon de faire bureaucratique nous donnait l'impression que ça n'avait rien à voir avec notre boulot et c'est la déception qui se lisait sur les visages.



Mes copains de travail :


Shimoyama, vingt-trois ans : Il a terminé ses études il y a cinq ans dans une école commerciale de la préfecture de Miyagi. Il voulait devenir policier, mais n'a pas réussi à se faire embaucher, alors il est venu chez Toyota. Avant de venir ici il a fait deux ou trois ateliers. À chaque fois qu'il a changé, les conditions de travail ont empiré : il dit ça très clairement. C'est un gars direct, qui s'exprime sans prendre de gants. De temps en temps il allume la lampe, appelle le chef et va tranquillement aux toilettes, ou bien fume tranquillement une cigarette à côté de la chaîne. Parfois en plein boulot, il pousse un « Aaah ! » à haute voix. Toujours le sourire aux lèvres, il travaille vite. Il répète comme un tic « Ah ! que c'est pénible, que c'est pénible. » Il est marié et a une petite fille d'à peine un an. Il se passionne pour la voiture et le majong. Il a loué un appartement non loin de l'usine et fait l'aller-retour en voiture.


Iino, dix-neuf ans : Il se trouve en fin de chaîne. Originaire de la préfecture d'Iwaté. Il a quitté son école professionnelle en cours de route. Il est allé travailler d'abord à Tokyo puis il est venu chez Toyota. Aussitôt arrivé, il est tombé malade des intestins et s'est fait soigner à l'hôpital Toyota. Il a maigri de dix kilos. Il est entré chez Toyota il y a deux ans. Il est devenu titulaire il y a un an. Il a l'intention de se marier l'an prochain, mais, dit-il, si je me marie, je ne pourrai plus changer de boulot. Voici son refrain : « J'en ai vraiment marre, ça me fout en rogne ! » Sa distraction favorite : le bowling. Il habite dans le foyer voisin du mien.


Sugimoto, vingt-deux ans : Il a terminé ses études il y a quatre ans dans un collège d'Okasaki. Il porte toujours des habits impeccables. Il lit beaucoup le journal et en parle de temps en temps. Ses distractions favorites : la danse et le ski. Il a une cicatrice à l'index droit : est-ce dû à un accident du travail ? Il fait l'aller-retour (40 km environ) chaque jour jusqu'à Okasaki en voiture.


Murayama, vingt-sept ans : Il est sous-chef d'équipe. il a terminé ses études il y a huit ans dans une école de la préfecture d'Oïta. C'est celui qui réussit le mieux dans son travail, il a de l'avenir !

C'est le seul à porter des lunettes. Il déclare souvent avec humilité : « Un idiot comme moi, c'est tout ce qu'il peut faire ! » Sa femme attend un enfant d'ici peu. Le majong et le bowling sont ses distractions favorites. Il habite un appartement Toyota tout près et vient au travail en voiture.


Fukuyama, quarante ans : Auparavant à l'atelier des châssis, il est venu ici en renfort. De temps en temps il est débordé, mais quand il est en forme, en vitesse il allume une cigarette et travaille la cigarette au bec. Son travail est le plus pénible de toute la chaîne : il consiste à soulever d'une seule main une boîte de vitesses et à la fixer sur la chaîne. En général, ceux qui viennent en renfort, ou les temporaires, on leur donne le travail le plus pénible. « Ah ! c'est pénible, je ne me suis pourtant pas parié avec Toyota pour faire ça. J'ai mon diplôme de soudeur ! » Avant il était dans une usine de produits chimiques. Sa distraction : le « bonsaï » (l'art de cultiver les arbres nains). Il habite un logement de la préfecture et vient au travail à moto. Il est originaire de Kumamoto.


Harata, vingt-cinq ans : Il a fait ses études dans une école d'Hiroshima. Lui aussi est rapide dans son travail. C'est un beau jeune homme qui vient à l'usine en cravate et complet veston. Souvent il part en un clin d'œil aussitôt le travail fini. Il est réputé comme coureur de jupons. Ça fait sept ans qu'il travaille chez Toyota. Distractions : pachinko, bowling, majong. Il habite un logement en ville pas loin de l'usine.


Yoshisaki, vingt-sept ans : Originaire de Kagoshima, il est entré chez Toyota il y a six ans, après avoir quitté l'armée. Il est sérieux et peu bavard; il a deux fils. Il habite un appartement Toyota d'à côté et vient au travail en voiture. Il participe à la campagne de sécurité automobile. Distractions : alcool et promenades en voiture.



Sugiura, vingt-six ans : Il vient du Hokkaïdô. Distractions : tous les jeux d'argent. Lui aussi a quitté l'armée. Il porte la barbe et est d'un caractère violent. Quand il prend le chef à partie, il le fait avec véhémence.


Mikami, vingt-sept ans, originaire du Hokkaïdô. Avec Yoshisaki c'est à qui boira le plus. Il ne s'exprime pas beaucoup. Distraction : promenades en voiture.


Takéda, dix-neuf ans, originaire de Shizuoka. Il est sorti d'une école d'apprentissage. Peu bavard, dans l'atelier il ne parle presque jamais ; chaque jour nous rentrons ensemble. Il aime la montagne et chaque semaine il va faire une ascension. Il habite près de l'usine dans une pièce de quatre tatamis et demi (7 m2) qu'il loue 5 000 yens par mois.


Ashino, dix-huit ans : C'est un ouvrier temporaire qui est arrivé cette semaine du Hokkaïdô. Il travaillait comme aide sur un camion, tout en suivant les cours du soir d'une école commerciale. Il a vu sur le journal une annonce Toyota disant « travail simple et facile », mais il se plaint en disant : « C'est pas du tout ça, c'est plutôt compliqué et fatigant. » il a tellement mal aux jambes qu'il ne peut pas dormir, dit-il.


Le chef d'équipe, trente ans, originaire de Miyazaki. Huit ans d'ancienneté. Il parle comme les gens du coin, avec le même accent et les mêmes mots. Il a toujours l'air malade. Il est propriétaire d'une maison tout près de l'usine. Distractions : majong et bowling.


Vendredi 27 octobre. – Des saisonniers sont arrivés !

Deux nouveaux saisonniers sont arrivés. Ils seront nommés dans la deuxième équipe, semble-t-il. Ils ont tous deux la vingtaine. Originaires du Hokkaïdô, l'un est charpentier et l'autre agriculteur. L'agriculteur, un gars aux cheveux longs, palpant les pièces avec beaucoup d'intérêt, semblait plein d'assurance : « Il y a combien d'heures supplémentaires ? » demandait-il avec avidité. L'autre semblait beaucoup moins à l'aise.

Voici ce que m'a raconté Kudô : son chef d'équipe l'a mis sévèrement en garde contre un copain qu'il avait commencé de fréquenter. C'est un gars de vingt ans qui a une voiture neuve, une Carola, et qui a été découvert en train d'amener des filles au foyer : on lui a supprimé les heures supplémentaires !

Si c'est vrai, cette histoire est vraiment étrange : il est quand même anormal qu'un problème de vie privée entraîne une sanction qui consiste à supprimer les heures supplémentaires. Le gars a maintenant quitté le foyer, loué une pièce à 6 000 yens par moi et a dû s'équiper d'un lit et autres meubles ; comme il lui reste encore des mensualités à payer pour sa voiture, Kudô s'inquiète de savoir comment il va faire pour payer tout ça sans faire d'heures supplémentaires.


Samedi 28 octobre. – Le soir, Yamamoto vient me rendre visite. Dans leur atelier ils doivent produire 93 blocs-moteurs par jour, mais les machines sont vieilles et les pannes nombreuses, alors on leur demande en heures supplémentaires ce qu'ils ne peuvent pas réaliser à cause des pannes.


Dimanche 29 octobre. – Je fais une promenade avec Kudô, près du foyer. Les champs de thé attirent notre regard. Comme ils nous semblent tranquilles ces paysans qui cultivent leur thé : ça semble fertile ! Le coin s'appelle « Essor et abondance » ! C'est une famille célèbre de cet endroit, les « Toyota » (le champ de l'abondance), qui a donné son nom à la ville et à l'usine.


Lundi 30 octobre. – Le soir, vers 6 heures, alors que j'avais terminé mon repas et que je me levais pour partir, j'ai aperçu Ashino, un gars qui vient d'arriver du Hokkaïdô. C'est un jeune solidement charpenté avec les cheveux qui lui tombent jusqu'aux épaules. Légèrement penché en avant, il pensait à je ne sais quoi, le regard dans le vague.

Même quand pour se mettre à l'aise on a enlevé ses vêtements de travail, on se ressemble tous : j'ai souvent remarqué ça, quand on se retrouve au réfectoire. Tous ces jeunes célibataires, à peu près tous du même âge, me font penser à un groupe d'étudiants en train de préparer un examen. Tout le monde est silencieux, replié sur soi, comme écrasé, anéanti ; on ne ressent intrépidité ou ardeur chez presque aucun d'entre eux.

Les seuls peut-être qui tranchent un peu dans cette ambiance sont les ouvriers saisonniers : leur vie en société et l'expérience qu'ils ont pu acquérir transparaissent en eux et impriment quelque chose à leur expression. C'est sans doute pourquoi, au milieu de cette foule anonyme, j'ai pu découvrir aussi vite Ashino qui porte en lui un je ne sais quoi de différent.

Il n'avait pas travaillé aujourd'hui et ça se voyait sur son visage : il paraissait en forme. Je m'approche en lui disant : « Alors, aujourd'hui, tu as séché ? », mais lui, retenant son souffle un instant, me répond : « Moi, j'abandonne. Hier je suis allé à Nagoya : il y avait un pachinko qui embauchait, 40 000 yens par mois, net ! – Tu dois te sentir soulagé ! » lui dis-je, mais il me regarda avec une expression grave et bizarre. « D'un côté, bien sûr, je me sens soulagé, je n'aurai pas besoin de faire un boulot aussi pénible, mais quand je vois qu'il y a des gars qui réussissent à le faire, j'aimerais bien pouvoir faire pareil. En plus, je viens d'écrire à ma famille et à mes amis que je continuais chez Toyota, mais vraiment ça va pas. La nuit je ne peux plus dormir. Couché dans mon lit je ne pense qu'au boulot : pour ça il faut faire comme ça, et ensuite comme ça, etc. Ah ! il faudrait bien que la boîte fasse davantage attention à nous, les ouvriers ! D'après un copain de chambrée, il y a cinq cent gars par mois qui arrêtent, tu comprends ! Un travail de terrassier est encore plus peinard que celui qu'on nous fait faire ! Et puis j'en ai marre du chef : il s'est foutu de moi. Il m'avait dit au début qu'il allait me changer de travail et il m'avait demandé de patienter un peu, mais à la fin il me dit : « Si c'est comme ça, t'as qu'à prendre ton compte ! »

Puis il ajoute paisiblement : « Y'a pas de doute, travailler avec complet veston, c'est peut-être ce qu'il y a de mieux ! » Cette réplique m'a touché, venant d'un gars sympathique qui était arrivé ici, plein d'espoir, ayant fait des plans à sa mesure après avoir suivi sans problème quatre années d'études grâce à des cours du soir. Et ce gars qui respire la santé n'aura pas réussi à rester plus d'une semaine ! Et l'apprenti qui est arrivé en même temps que lui a disparu après une journée seulement !

Kudô est rentré en colère : « les hommes, ils s'en balancent, il n'y a que la production qui compte. » À partir d'aujourd'hui le nombre d'arbres de transmission a été augmenté de 100 : la production passe donc de 600 à 700. Et en plus, il faut absorber ça dans les heures qui étaient allouées jusqu'à maintenant, c'est-à-dire de 8 heures du matin à 7 heures du soir. Il y avait une autre chose qui le mettait en colère : il avait appris que le travail qu'ils font à deux était fait à trois l'an dernier. En plus, dans son groupe, il y avait deux gars qui étaient en vacances, et malgré ça on leur augmentait la production de 100 pièces.

Pendant la pause de midi, le chef d'atelier leur a donné des explications au sujet de l'augmentation de la production et il les a même sévèrement mis en garde : « Pas de pièces ratées et de la bonne qualité, hein ! »

Dans cette usine, le fait d'utiliser le temps de repos pour des explications sur le travail semble aller de soi. Dans mon atelier aussi, aujourd'hui, le chef d'atelier nous a réunis dix bonnes minutes pour nous inciter à soumettre davantage de « bonnes idées ». Il a forcé le contremaître à prendre trente imprimés spéciaux pour ce genre de suggestions, soit deux imprimés pour chaque ouvrier. Un tableau portant la liste des gars est affiché dans le vestiaire avec un graphique indiquant le nombre de « bonnes idées », exactement comme pour les représentants d'assurances qui comptent leurs clients, ou bien les filles des cabarets ! Les notes, toujours les notes, ici c'est devenu une institution.


Mardi 31 octobre. – Enfin voilà la fin du mois. J'entame le troisième mois demain : j'arrive pas à y croire ! Le matin et le soir il commence à faire froid. Au réfectoire, des hommes autour de la quarantaine ont fait leur apparition et à l'usine les casquettes à deux raies vertes ont notablement augmenté : c'est que les saisonniers, paysans venant gagner leur vie à l'usine, sont arrivés. En regardant les fiches de pointage des temporaires nouvellement arrivés, j'ai remarqué qu'on en était au chiffre 900 et plus. Comme j'ai le numéro 639, ça fait à peine 300 types qui sont arrivés après moi. D'après le journal Toyota du 13 octobre, il y a 150 nouveaux titulaires depuis le mois d'août, ça fait donc en tout 400 environ. Comme le journal publie souvent des offres d'embauche, c'est maintenant que ça va vraiment augmenter.

Takéda a encore mal à la tête : il s'est cogné contre une pièce en la tirant à lui. La plupart des gars qui travaillent sur cette chaîne ont fait l'expérience de ce genre d'accident une ou deux fois. Voir trente-six chandelles en plein jour ! C'est bien ça.


Notes


1 Les typhons au Japon sont numérotés chaque année : les premiers apparaissent au mois de juin et quand arrive l'automne ils sont plus violents, et donc plus dangereux.

2 Journal quotidien de la région d'Osaka

3 Le jeu de mots en japonais vise les voitures

4 Le mot ouvrier, « rôdôsha », a une résonance marxiste.

5 On voit bien par cette phrase à quel point la mentalité du Japonais peut différer de la mentalité de l'ouvrier français. L'ouvrier japonais a instinctivement tendance à supporter tout pour le succès de l'entreprise, par solidarité verticale, pourrait-on dire, avec ses chefs.

6 Kamikôchi : une station de montagne dans les Alpes japonaises à 200 km environ de Nagoya. Mais pour y aller les routes sont étroites et la vitesse est limitée à 30 km/h dans les traversées de villages et ailleurs à 50 km/h. On peut se demander pourquoi Toyota fabrique des voitures capables de roules à plus de 160 km/h !

7 Le bain public japonais est composé d'un espace avec des robinets et d'une piscine remplie d'eau très chaude. On se lave et on se rince avant d'entrer dans l'eau et on peut alors se plonger dans la piscine, qui reste propre. Cependant, dans les maisons populaires, quand il y a un bain, la baignoire est toute petite : on ne peut s'y tenir qu'accroupi.

8 Les « dékaségi », traduit en français par le terme saisonnier, pourraient porter à confusion. Il ne s'agit pas de faire des vendanges ! Il s'agit des paysans qui, d'octobre à mars, quittent leur campagne pour aller travailler dans les usines des grandes villes industrielles. Le terme japonais veut dire « partir de chez soi pour aller gagner sa vie ».

9 On pourra remarquer combien la cotisation d'assurance maladie est faible : c'est ainsi dans tout le Japon. Beaucoup de travailleurs ne sont pas inscrits. Il y a trois régimes :

  1. L'assurance populaire.
  2. La sécurité sociale.
  3. La « sécu », plus mutuelle des grandes entreprises ; la part des frais supportée par l'assuré varie de 30 % dans le premier régime à la gratuité dans le troisième. Dans tous les cas, même pour les accidents du travail, le salaire versé pendant l'arrêt de travail est égal à 60 % du salaire de base. On a pu remarquer combien ce salaire est faible : c'est peut-être la raison pour laquelle tant d'ouvriers et d'employés prennent leurs congés payés quand ils sont malades.

10 « General Motors ».

11 Minshatô : Parti social-démocrate. Rejetant l'analyse marxiste, il se situe actuellement nettement à droite, mais veut paraître capable de remplacer un jour le Parti Conservateur au pouvoir, qui continue de s'user. Beaucoup de grandes entreprises japonaises, n'osant tout de même pas proposer à leurs ouvriers des candidats conservateurs, ont trouvé dans le Minshatô une solution à leur convenance : avec ce parti elles sont assurées de pouvoir continuer comme avant. Le « Kigyogurumi » est un système typiquement japonais dû à la structure paternaliste de l'entreprise : tous les membres de la famille-entreprise sont encouragés et même psychologiquement forcés de voter pour le même candidat. On leur demande en plus d'en parler à leur famille et à leurs amis.

 

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