1907

Rosa Luxemburg enseigne l'économie politique à l'école centrale du parti social-démocrate allemand...
Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Introduction à l'économie politique

Rosa Luxemburg

V : LE TRAVAIL SALARIÉ

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Nous avons commencé notre étude sur la loi des salaires par l'achat et la vente de la marchandise “ force de travail ”. Pour cela, il faut déjà un prolétaire salarié sans moyen de production et un capitaliste qui en possède suffisamment pour fonder une entreprise moderne. D'où sont-ils venus, pour apparaître sur le marché du travail ? Dans l'exposé antérieur, nous n'avions en vue que les producteurs de marchandises, c'est-à-dire des gens ayant leurs propres moyens de production, produisant eux-mêmes leurs marchandises et les échangeant. Comment l'échange de marchandises d'égale valeur peut-il donner naissance d'un côté au capital, de l'autre au complet dénuement ? L'achat de la marchandise “ force de travail ”, même à sa valeur pleine, conduit, par l'usage de cette marchandise, à la formation de travail non payé ou de plus-value, c'est-à-dire le capital. La formation de capital et d'inégalité s'éclaire, si nous considérons le travail salarié et ses effets. Il faut pour cela que le capital et les prolétaires soient déjà là ! La question est donc la suivante : d'où proviennent les premiers prolétaires et les premiers capitalistes ? Comment s'est opéré le premier bond de la production marchande simple à la production capitaliste ? En d'autres termes : comment s'est accompli le passage de l'artisanat médiéval au capitalisme moderne ?

L'histoire de la dissolution du féodalisme nous renseigne sur la formation du premier prolétariat moderne. Pour que le travailleur puisse apparaître sur le marché en travailleur salarié, il fallait qu'il ait obtenu la liberté personnelle. La première condition, c'était donc l'abolition du servage et des corporations. Il fallait aussi que le travailleur perde tout moyen de production. Cela se produisit au début des temps modernes quand la noblesse terrienne constitua ses domaines actuels. Les paysans furent chassés par milliers des terres qui leur appartenaient depuis des siècles et les terres communales se transformèrent en terres seigneuriales. La noblesse anglaise le fit quand l'extension du commerce au Moyen Âge et l'essor des manufactures de laine dans les Flandres lui présentèrent l'élevage de moutons pour l'industrie lainière comme une affaire intéressante. Pour transformer les terres arables en pâturages à moutons, on chassa les paysans de leurs terres et de leurs fermes. Cela dura en Angleterre du XV° au XIX° siècle. Dans les années 1814-1820, sur les domaines de la comtesse de Sutherland, par exemple, quinze mille habitants furent expulsés, leurs villages incendiés et leurs champs transformés en pâturages dans lesquels cent trente et un mille moutons remplacèrent les paysans. La brochure Les milliards silésiens, de Wolf, donne une idée de la part prise en Allemagne, en particulier par la noblesse prussienne, à cette fabrication de “ libres ” prolétaires à partir de paysans. Les paysans libres comme l'air et sans moyens n'avaient plus que la liberté de mourir de faim ou, libres qu'ils étaient, de se vendre pour un salaire de famine.  [1]


Notes

[1] À la fin de ce chapitre, les mots suivants sont inscrits au crayon dans le manuscrit : La réforme ! Bl. 293 ss. Formation du type psychologique de l’esclave salarié moderne à partir des mendiants persécutés. Bl. 350.


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