1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


VII. Encore une fois la technique

- Mais ne négliges-tu pas trop la technique tout de même ? Certes, l'homme c'est important, mais que peut­-on si on manque, contre un adversaire puissamment ar­mé et aidé par l'étranger, avec des tanks, de l'artillerie et surtout de l'aviation ? On est Impuissant, tu as dû t'en convaincre, vieux, au front ?

- Non, la technique, je ne la néglige pas. Tu as men­tionné l'aviation, puissante arme dans la guerre moder­ne. Elle nous manquait par exemple à l'attaque de Quin­to le 15 juillet 1937. Nous sommes sortis et nous étions déjà bien près des tranchées franquistes, mais les avant-­postes ont manqué de balles, notre artillerie travaillait un peu, c'est vrai, mais de l'aviation, tu n'en voyais pas. Elle se promenait en ce moment peut-être à Barcelone, peut être ailleurs. On a reculé le soir même à la tombée de la nuit.

Ce cas de l'attaque ratée de Quinto [1] ressemble à bien d'autres opérations du même genre sur le front d'Aragon, au cours des années 1936 et 1937. Tu as sûrement - continue Casanova - dû entendre parler de ce genre d'opération.

- Je ne comprends pas bien à quoi tu fais allusion. Explique-toi mieux.

- Et bien quand sur le front d'Aragon prédominaient les bataillons de la CNT, de la FAI et aussi du POUM, le gouvernement central de Madrid et ensuite de Valence où prédominaient déjà les staliniens et les ministres cénétistes, laissait faire, sabotait pour des raisons faciles à comprendre chaque opération militaire. Il ne voulait pas que les miliciens de la CNT-FAI et du POUM entrent à Huesca et Saragosse. Cela aurait augmenté le poids spécifique et l'importance du secteur révolutionnai­re et par conséquent représentait pour Prieto, Négrin et Comorera qui dans les coulisses préparaient déjà pour le compte du capitalisme international la nouvelle combi­naison ministérielle, un danger aussi grand que Franco.

Voilà le schéma de toutes ces opérations engagées par les bataillons et les divisions cénétistes et poumistes. Les bataillons armés de fusils et parfois aussi de mitrailleuses dans un état déplorable, allaient à l'attaque et enlevaient aux prix de grandes pertes les positions les plus diffi­ciles et les collines les plus abruptes, mais après les avoir enlevées aux fascistes il fallait les céder de nou­veau après une nuit ou au bout de 24 heures. L'aviation fasciste arrivait, la nôtre ne se montrait pas. On était bombardé, il fallait reculer.

C'est aussi l'histoire de l'attaque d'une position très importante, Santa Quiteria, vers la moitié d'avril 1937 où on a enlevé la position aux fascistes ; mais il fallait se retirer faute d'aviation. C'est aussi l'histoire de l'attaque, organisée à peu près dans la même période par le POUM, attaque pour la possession de la Loma, près de Manicomio de Huesca où est mort entre autres un des dirigeants du SAP, Wolf. Je ne connais ces deux dernières opérations que par les récits d'autres camarades qui y ont pris part, mais ces récits, car il s'agit de multiples témoignages, sont authentiques. Les camarades qui sont restés plus longtemps au front que moi peuvent te don­ner plus d'exemples de ce genre.

- Mon cher Casanova, tes exemples ne soulignent-ils pas précisément l'importance du facteur technique au cours de la guerre même civile ? Que peut-on avec les meilleurs hommes, même s'ils sont à la hauteur des héros mythologiques, si on manque de tanks et d'aviation ? On ne peut pas dire que « l'homme, c'est tout ». Et puis, le gouvernement républicain disposait de quantités limitées, très limitées, de tanks et d'avions et il avait tant de fronts à défendre ! Tu négliges peut-être trop l'impor­tance des effets néfastes de la politique de « non-inter­vention » !

- Non, je ne néglige pas les effets néfastes de la po­litique de non-intervention, inaugurée par le premier gouvernement de Front populaire, celui de Léon Blum...

Certes, la politique de la non-intervention a affaibli et puissamment affaibli le prolétariat espagnol. Elle a favo­risé Franco, qui, entre autres, comme j'ai pu le constater de mes propres yeux, à Codo, recevait des munitions des marchands de canons français. Cette politique, dérivée de l'ensemble de la politique du Front populaire, pour le­quel les bases du régime capitaliste sont sacrés et intan­gibles et selon laquelle il est interdit dans la période actuelle aux ouvriers de tous les pays de tenter même de se libérer du joug capitaliste, est évidemment à l'origine de l'infériorité technique du camp antifasciste en Espagne. Je ne veux pas laver Blum (le prolétariat le jugera un jour, et comme il faut) et c'est avec un sentiment de honte et aussi un peu d'étonnement que j'ai noté l'indif­férence avec laquelle les ouvriers français ont laissé pas­ser la « sincère » déclaration du chef du premier gou­vernement du Front populaire, sa « confession » à la Chambre des Députés sur les raisons qui ont motivé la chute d'Irun...

Mais j'ai déjà expliqué, et j'insiste encore une fois là­-dessus, que même si par impossible (je raisonne pour un moment dans l'abstrait) le gouvernement républicain es­pagnol avait reçu de l'étranger des quantités très gran­des d'avions, ces avions, avec la politique poursuivie en Espagne, n'auraient pas sauvé la situation.

Il fallait pour vaincre Franco une direction révolutionnaire c'est-à-dire un parti.

Du reste des munitions : des balles, des mitrailleuses, des grenades des mortiers et même des canons et des avions on pouvait les fabriquer en Espagne même et en grande quantité (je ne veux pas dire par là que l'aide de l'étranger n'était pas d'une extrême importance),


Notes

[1] Six semaine après, dans les environs de Puebla de Alborton, nous étions dans le terrain conquis. J'ai lu la presse fasciste qui relatait notre attaque de Quinto du 15 juillet. Elle parlait évidemment de notre échec et aussi a des tanks russes » nés dans l'imagination des rédacteurs du Héraldo de Aragon, quotidien de Sarragosse pour les besoins de la propagande fasciste.


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